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L'accordéoniste
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 Article publié le 6 novembre 2005.

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« Ensevelissez-moi nu comme un ver avec mon vieux soufflet à punaises sur le bide, c’est tout ce que je demande. Je laisse mes chaussettes cloutées, mes sapes élimées aux crevards de mes parages, mes partoches démodées, mes mitaines et ma queue de morue aux musicastres, aux folkeux des Boul’s Exter’... Je laisse ma musette, mon morlingue, mon criss, mes combines à la manque, mes fafs maquillés aux clandestins de ma zone. A Démos et à ses acolytes, je laisse ma timbale d’argent, mon tire-bouchon inoxydable, mes clopes, mes clopinettes, mon Zippo, mon réchaud et ma batterie de fer blanc. A Virginie, mon portrait à l’encre de Chine. Quand j’ai le moral dans les trottignolles, je testamente, je codicille. Comme le rabâche la fable : Plutôt mourir que souffrir. C’est ma devise, là dans mon bourrichon. Si j’avais pas eu mon soufflant, j’aurais légué ma carcasse à la science pour le démontage complet. Qui sait où il finirait ? A la Mouffe ? A la Quincampe ? Au grappin de chez Madame Rescousse ? Dans une venelle de traboule ? A la Salpêtrière ? Pitié ! Pitié ! La neuille d’avant, j’ai rêvé... J’étais sur le Pont-Neuf, j’égrainais le Temps des cerises... Les galopins crachaient des noyaux à six mètres... Jean-Baptiste se bidonnait. Damia, Fréhel, Bruant, Carcopino, Cartier-Bresson, Carpeau... Pour un oui ou pour un non, on ballait, on s’emballait... Et puis la Carmagnole... Les ponts se répondaient... Pantruche marmonnait, vocalisait, s’égueulait. Les citoyennes me serraient dans leurs bras nus. J’avais posé mon accordéon... Il était plus là. On me hissa dans une charrette... J’ai reconnu André Chénier. Je me mis à me débattre, à vociférer... C’est pas le moment de perdre la tête, trancha-t-il ! J’étais en nage dans ma couvrante. Sur le moindre prétexte on guinchait, on affûtait le compas. L’accordéon avait la croustance assurée. Non, ça non, je les avais pas palmées, les phalangettes. Où sont tous les refrains repris en chœur à la ronde ? On faisait les saisons dans les champs, dans les granges, dans les cours... Les blés, les vignes, les châtaignes, les olives... Tous les pince-fesses de la cambrousse. Pas d’alloques pour les musicos. On se refilait les adresses. Paname gigotait. Bastonnades à la Bastoche. Le panier à salade. Dans la profession, accepter qu’on nous marche sur les ripatons ? On avait nos plates-bandes, palsambleu ! T’es pas réglo, régul, régulier ? Carapate-toi à pattes ou à deux roues, décarre, décroche-toi, file chez Dache ou te disssoudre dans le canal ! A la gambille du samedi soir, après l’infernale suante, c’est là que les gisquettes innocentes perdaient leur berlingue. Des jolis drames. C’est le premier pas qui coûte. Forcément, loupiote, ça arrive. Après t’es tranquille. Quand la vie va/Va pour la vie/Pour la java... J’inventais des paroles. J’moccup’ du chat, du chapeau, du chagrin d’la gamine... Pour la jeunesse, je suis un soixante-dix-huit tours qui radote. Je suis pas encore rayé des registres, les éphèbes ! Combien de sillons sur un soixante-dix-huit tours ? Un seul, branquignolles ! Achille, un quarante-cinq bien tassé ! Les greluches, les gerces, les frelottes... J’étais pas gêné aux entournures. Les pommadins, les turbineurs, les poiscaillères, les maquereaux, les morues, les bonisseurs, les boniches... Tout ça croupionnait, mordait au javanais, à la javavava, à la mavazurvurkava... Du grand frotti-frotta ! Et pas rapiats pour deux ronds d’échasse, les tripoteurs aux prises multiples, les cravateurs, les dénicheurs de mascottes ! Y a d’la resquille/Dans l’jeu des quilles/D’quoi rir’ jonquille. Le poumon était aux pièces. L’usine, c’était l’usine sous les lampions du quatorze juillet. Renault, Citroën sortaient des chaînes et des vestiaires. Magnez-vous le trognon, gnangnans, mollassons, lambins... On prend plus le temps de se payer une gaufre, une boustiffe à Nogent, une virée à Robinson. On sait plus rien faire, plus se la couler douce. Tu dropes pour aller où ? Là-haut, sous la voûte des cieux, mon rengainard se complaît dans le revenez-y. La nostalgie manque cruellement. Un gigolpince et sa virevolteuse, un gigouilleur et sa muse... Ce qui est à Pierre est à Paul. Pierre épaule Paul, Paul épaule Pierre ! Des aminches ! Avant d’acheter un livre, lis-le. C’est mon social d’en-bas, le farfouilleur. Il hante la campagne. Il ruine les arrondissements et les banlieues de fond en comble. Bouquins, images, cartes anciennes, paperasses... Sa caisse accrochée au parapet, c’est sa vie. Sous le pont Mirabeau coule la Seine... Ses trésors, des photographies d’écrivains et de vedettes, des dédicaces, des cartes postales peintes, des scènes grivoises, des reproductions, des affiches... Tous les deux, on parle de poésie. La poésie ça aide à vivre et à mourir. Il faut l’écouter pour l’entendre. On se remémore nos récitations. Tragique et noire et légendaire, Les pieds gluants, les gestes fous, La Mort balaie en un grand trou La ville entière au cimetière. Je savais pas qu’Emile Verhaeren avait été écrasé par un train. En 16. En 1916. En gare de Rouen. On repasse allègrement du gai au triste. Quand il s’éclipse, je suis son double. Quand je suis ailleurs, il s’arrange avec la voisinance pour pas baisser le couvercle. Il aurait pu faire un grand libraire, un grand éditeur. »

 

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