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Article publié le 15 novembre 2005. oOo Vous aviez, lors de vos déplacements antérieurs, emporté de grandes valises de temps. Vous ne saviez pas où les ranger, c’est pourquoi vous dilapidiez leur contenu dans un ciel de mousses humides qui est encore là ce matin et vous rappelle Vanessa. Vous vous dîtes, si je n’avais pas pris le train ce matin là, je ne l’aurais jamais connue et j’aurais continué d’ignorer la poésie du chaos. Rouler vite, casser des voitures, se brûler, aimer, jouir, pleurer, crier, désirer, attendre, se presser. C’est chaque jour et c’est chaque heure vers le moment de la fin de l’humidité de la nuit, le moment de son absence. Vous l’avez dans le dos, dans l’arrière boutique du cerveau, dans vos poèmes. C’est grâce à sa mort que vous écrivez. Vous vivez avec une conscience plus éclairée qu’auparavant. Vous étiez un chien et elle a commencé de faire de vous un homme. Vous attendez, toujours dans la même position, celle du sang, que le ciel se manifeste, que les amantes disparues retournent à vos chambres désolées. La position du sang, c’est par exemple, un rendez-vous manqué, un soir dans un bar. Une femme qui ne vient pas. Vous ne savez pas quoi faire de son absence. C’est un bar d’où Vanessa a disparu à tout jamais, dans lequel elle a laissé l’écriture, au creux de votre main. Vous ne pouvez vous empêcher de regarder dehors, de vous demander, de souffrir. Ca veut dire l’alcool, ça veut dire la nuit, ça veut dire écrire les absences. C’est des chambres d’hôtel que vous n’habitez jamais, dans lesquelles vous ne faites pas l’amour. Et c’est le corps qui, grâce à l’écriture, redevient droit, se réempourpre d’énergie. Avec Vanessa, c’était un rythme de vie frénétique. Vous vous souvenez des restaurants, les dépenses au-delà du raisonnable, la beauté vêtue de noire et parée d’or en face de vous, l’amour après, dans des draps frais et propres. La mort, c’est un excès de vie. Vous voulez avoir une connaissance plus intime de la mort et si possible la magnifier. Les premières statuaires préhistoriques représentaient des divinités engendrées par la peur de la mort. Vous savez que vous pouvez mourir plusieurs fois et rester vivant. Vous pouvez mourir quand vous l’avez décidé. La mort a une odeur de lumière blanche. Vous devez, tel que vous avez vécu, vous préparer sérieusement à la mort. Lorsque vous rencontrerez LA femme, vous rencontrerez la mort, vous rencontrerez la femme pour laquelle vous allez mourir à votre vie passée, faite de dépressions, de nuits qui duraient tout le jour. Et puis cette hypothèse : mourir en pleine santé, au sommet de la vie et de l’amour. Périr d’une insupportable excitation des cellules qui font la vie. L’instant d’après, vous voudrez prononcer les derniers mots de l’humanité. Vous savez très bien que vous écrivez parce que vous avez peur de la mort et de la folie. Soudain, vous repensez à la voix magnifique avec laquelle elle vous avait expliqué tout ça. Sa voix, magnifique, surtout le soir, au lit lorsque son corps est contre le vôtre. Vous l’enlacez, baisez son front, vous dîtes : « Oui, nous allons en finir avec le passé, la culpabilité, la haine, la souffrance. » En fait, vous êtes intacts, mais malades de malédiction. Vous avez en vous la mémoire de paroles très anciennes qui concernent l’art du corps, le feu, la connaissance. Et le désir de vengeance remonte et ne redescend pas, et c’est comme une ivresse horrible. Vous bafouillez des mots, les mots de la sibylle, des mots prophétiques. Elle boit l’ivresse de votre parole, allongée contre vous. Vous n’avez que l’écriture, vous n’avez que les mots pour la garder près de vous. La parole ne tarit pas. Vous êtes assez bon acteur. C’est un côté de vous qu’elle aime bien. Vanessa est en quête permanente de votre parole, de votre amour, surtout quand elle vous adresse des mots chargés de violence et de haine. Vous savez qu’il y a un lieu de votre parole où vous mentez. Quelle parole saura vous dire la poésie. Vous avez besoin d’habiter la parole de l’autre et qu’en retour la parole de l’autre vous habite, vous anéantisse. Vous voulez vous incarner dans la parole de l’autre. C’est une exubérance, un excès, un débordement de passion pour la parole. Le sexe du mot, le corps du verbe et tout un flot de silence qui suit immédiatement après. C’est par exemple la mer, au soir. Un énorme silence de vagues enchevêtrées, comme lorsqu’elle a refermé la porte, comme lorsque vous êtes tombé à terre. Vanessa a entrepris très tôt d’organiser un trafic de drogue international. Elle allait se fournir en héroïne en Belgique puis confiait à plusieurs dealers le soin d’écouler la marchandise. Elle parvint, en conséquence, à mettre environ 200 000 francs de côté en quelques mois. Quant à vous, elle vous charge d’aller faire un repérage photographique de la Bibliothèque du Vatican et si possible des enfers. Vous profiterez de votre statut de Docteur ès lettres et de conservateur d’état de bibliothèque pour pénétrer le plus avant dans cette partie du Vatican. Vous ne parlez pas un mot d’Italien, vous ne connaissez rien à la photo et pourtant vous allez prendre l’avion jusqu’à Rome pour la satisfaire. Les premières photos que vous prenez, mentalement, sont celles de la beauté de certaines femmes, la couleur du Désir. Vanessa et ses projets vous font peur. Qu’est-ce que la peur ? C’est quand le langage a disparu, quand ce n’est plus que le corps qui s’exprime. C’est deux pas de recul et d’impossible oubli devant une belle femme. C’est la première nuit et le premier matin avec elle et la découverte du temps. Ou bien encore la pensée qui devient stérile. C’est la perte mystérieuse de la consistance de l’être dans un silence chaotique et infernal.
Arnaud Pelletier. V.I.T.R.I.Ø.L. Publié aux Éditions Caméras Animales, 4 rue Victor Grossein 37 000 Tours.
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