Ta vague me conte à miracle
Des histoires de matelots
Et sans trop rechigner me racle
Les rengaines du caboulot
Je roule et tangue dans les rues
J’ai mon grappin et mon falot
C’est le temps des coquecigrues
Je chaloupe entre les ballots
Je laisse dans mes longs sillages
Des boniments de camelots
Les gabians de mes voyages
Et l’âcre odeur de mon perlot
J’ai dans mes nuits ma lavandière
Ta voix tes cris et tes sanglots
Prends mon hamac ma civadière
Me blanchir est ton triste lot
Prends mon paquet de linge sale
Là-bas autour des noirs îlots
Les harengères se dessalent
Celles-là savent troubler l’eau
Là-bas à quelques encablures
Du port entre deux grands galops
Des chevaux de belle encolure
Semblent tirer de lourds rouleaux
Je vois quand je sonne la diane
Un monde fou par le goulot
De ma divine dame-jeanne
Et je riboule des calots
Quand la lune est dans ma caboche
Je ne manque pas de culot
Tu le connais comme ta poche
Ton féal cousu de grelots
Vois ma barcasse fantomale
Je n’ai pas sitôt les yeux clos
Qu’elle émerge chargée de malles
Du silence pesant des flots
Glisse dans mon vieux sac de toile
Quelques oignons un pain boulot
Je suis de quart dans les étoiles
Sans timbale ni gamelot
Es-tu dans la bouteille à l’encre
Est-ce Toulon ou Saint-Malo
Qu’une ville joue sur son ancre
Et je déclame cent fableaux
Ta vague me conte à merveille
Des histoires de matelots
Et déferle à longueur de veille
Sur mes pages de trémolos
Robert VITTON, 1992