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Goruriennes (Patrick Cintas)
Je paierai une fortune pour que tu te donnes en spectacle

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 Article publié le 21 janvier 2013.

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En dessous du mouchard, le choix est limité. Me voilà à poil, à la merci du regard et des jugements hâtifs.

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Mon costume me donnait des allures de représentant de commerce. J’étais peut-être ce représentant. J’avais le produit entre les mains, les moyens de le vendre, une paye à rendre malade un patriote, et je ne savais rien de l’industrie qui nourrissait ma connerie ambiante. Je suis une ambiance de fête nationale à moi seul. Ça se voit mieux maintenant, sans pardessus et sans illusion, sans imagination, sans rien à donner aux oiseaux qui picorent mon pain dur.

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Il y a des différences qu’on est seul à apprécier. Les autres ne vous regardent pas de cet œil. Il ne vous regardent pas d’ailleurs. Ils estiment votre utilité et vous payent en proportion, si ce sont de bons payeurs, en affaire comme en amour.

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Ça ne dure pas. Ça menace de ne pas durer aussi longtemps qu’on en a envie ou besoin. Ça vous regarde. Ça ne regarde personne d’autre que vous. La solitude dans le bain. C’est fou ce qu’on prend comme bains dans une journée de travail. Le repos correspond d’ailleurs à une certaine saleté qui serait au fond celle de la paresse.

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L’instinct prépare le terrain des déductions indiscutables, celles qui accusent et préparent elles-mêmes le terrain des jugements définitifs prononcés au nom de ce peuple de crétins. Je veux bien être un crétin, congénital de préférence pour ne rien rejeter de ce qui fonde ma chair et la prison de mon esprit, mais pas aussi crétin que le dernier des crétins. Je ne demande pas non plus à être le premier. Je veux me situer dans une bonne moyenne. Visible, mais pas autant qu’une cible.

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Elle connaissait le monde. Mais par quel bout ? Celui de la lorgnette ou celui du bâton ? Il n’y a pas une expérience qui vaille ces deux instruments de la connaissance. J’en suis la preuve vivante.

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Il y a souvent un enfant derrière les fagots de la respectabilité.

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Personne ne sait qui est Gor Ur, mais j’ai fini par croire à son existence, un peu comme l’athée se met à croire en Dieu au dernier moment, le seul qu’on ne choisit pas à cet âge-là.

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En principe j’arrache la figure des gens avant de les jeter à la poubelle.

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Tant pis si vous êtes de ces lecteurs qu’il faut renseigner pied à pied, dans le clair comme dans l’obscur.

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Colocaïne : Qu’est-ce que je fous dans cette existence de merde ? Je n’y tiens pas. Je ne crains que la douleur. Ça ne me dérangerait pas de marcher sur la tête si c’est le prix à payer pour ne pas souffrir. Même la mort ne me fait pas peur. Qu’est-ce que mourir, sinon disparaître une bonne fois pour toutes ? Le malheur sans la douleur, je supporterais aussi. Tout sauf la douleur. Le jour où on réussira à nous insensibiliser à vie, on sera heureux comme des princes. Ya pas de princes sans cette insensibilisation. Attention, je parle pas d’anesthésie. La colocaïne est un anesthésiant hypoépidermique. Rien ne traverse cette carapace. Ni dans un sens, ni dans l’autre. Mais la peau est en contact avec le pire et ça fait mal, très mal. D’où la surcouche des métas et des pseudos. Enfin… c’est ce que j’ai compris. Je n’abuse pas, voilà le secret de ma bonne humeur.

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Hôtels : Les gens s’emmerdent et finissent par les habiter jusqu’au lever du soleil. Ils enculent des automobiles toute la journée et se laissent enculer par des ordinateurs. La nuit, ils voyagent. Mais ce n’est pas eux qui m’empêchent de dormir.

*

J’étais cet homme, pas encore haï, mais inexplicablement doué pour la chair qui est le bien commun en attendant qu’on l’anéantisse sciemment.

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C’est mon fantôme, mais je suis le seul à le voir.

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On a su assez tard que j’étais un enfant comme les autres, ce qui n’a pas manqué de me signaler à tout jamais comme un problème social à ne pas négliger sous peine de me voir faire des victimes. J’ai été alors catalogué comme agent potentiel de victimes. Ils avaient écrit ça, non pas au fer rouge sur mon épaule, mais au fronton de mon petit palais subliminal, ce qui limitait les entrées et me condamnait à la victime innocente tombant dans les pièges de mon baratin. J’ai grandi avec cette idée de l’autre, cet autre dont on a un besoin intense et inexplicable, une intensité surveillée de près comme si ça suffisait pour qu’elle ne diminue jamais, surtout au mauvais moment, et l’inexplicable qui doit le rester parce que les seules explications valables sont celles de l’expertise médicale et/ou judiciaire. Ils font de vous un enfant improbable et ensuite ils vous poussent à rechercher sans repos les preuves mêmes d’une normalité dont la question ne se pose plus ouvertement. Il devrait y avoir des lois pour protéger l’enfant qui n’a plus d’enfance et d’autres encore pour leur plonger le nez dans la merde qui leur appartient. Mais qu’est-ce que tu peux foutre dans un monde qui veut te faire croire que la politique n’a pas besoin de la religion et que la religion c’est de la politique ? Les géniteurs se caressent et caressent des rêves de bonheur avant d’essayer d’oublier qu’ils sont à l’origine du malheur. Mais si tous ces cons étaient stérilisés, d’autres cons leur injecteraient ce qu’il faut pour ça, et d’autres enfants passeraient de vie à trépas sans avoir vécu l’enfant normalement doué pour la découverte et le plaisir solitaire à deux à la place de l’amour qui est une connerie politico-religieuse. Les gens s’aiment trop et c’est pas ce qu’il faut accepter en temps de guerre permanente.

*

Je suis toujours ce type aimable qui finit sa journée dans la générosité au lieu de se nourrir de ce que les autres ont perdu au jeu.

*

— Voleur ! Salaud !

— Je réquisitionne. Je suis en service commandé.

— Toi, un flic ? Tu m’épates.

— Ferme-la ! Gros tas de merde.

— Je la fermerai quand tu seras plus là pour m’entendre !

— Là ! Tu m’entends plus.

*

Je n’aime pas le spectacle de la mort qui est sûre de gagner son combat. Ce n’est un combat que pour l’animal et plus il peut y penser, plus il souffre. Ils donnent l’impression de vouloir se souvenir des bons moments, comme si c’était le moyen de dire merde à la mort, mais c’est la vie qui dit merde finalement parce qu’elle n’a aucun sens.

*

Je vais où mon instinct se sent le mieux. C’est compliqué l’instinct, à cause de la multiplicité des raisons d’en avoir quand c’est vital. Moi qui vis sur la brèche, pas fatigué de me surprendre et de m’aimer au fond, j’en connais assez sur l’instinct pour préférer le risque à l’attente. Je ne suis pas né en même temps que mon intelligence. Il y a eu un décalage entre le cri et le sourire. Je crois qu’ils ont attendu une bonne semaine avant de me voir sourire. On comprend leur déception. J’avais l’air d’un chiot et ils ne se rendaient pas compte qu’ils étaient des chiens avant même d’aboyer. J’avais de l’avance.

*

La première véritable douleur ne cache pas la peur surprise de n’être pas ce qu’on pensait qu’elle était. Ils ne font pas assez la guerre. On les remplace par des immigrés. Toute cette culture de la douleur et de la peur se déplace dans les pays pauvres qui deviennent forts à défaut de nourrir leurs bouches édentées par le manque de protéines.

*

Ça ne vaut pas cher, un flingue, contre un arsenal de haine et de plomb. Les circonstances ne m’autorisent même pas à penser que je m’en sortirais avec des explications. J’ai une minute devant moi avant que la haine l’emporte sur la Loi. Je ne les hais pas, je les vois détruits comme des animaux d’abattoirs.

*

K. K. K. est un dieu. Il est noir comme la nuit et brillant comme le jour. Sa bouche est d’une profondeur inouïe. On la voit s’ouvrir sur les écrans, noire et rouge et profonde, et sa voix traverse les foyers où le sentiment familial est une théorie obsolète. K. K. K. en a sauvé plus d’un de la merde, c’est pour ça qu’il est noir, qu’il peut l’être et que ça ne contredit pas la théorie nationale. En plus, c’est un type charmant qui connaît toutes les filles sur le point de devenir des femmes. […] Le voilà, le vrai K. K. K., un type qui se penche sur votre passé avec les moyens du futur. Un type qui vous plaint en vous injectant un mélange de lithium et de fer, avec ce qu’il faut d’hydrogène pour rester discret, que la dette soit pas urgente à rembourser. Il a un goût de calendes grecques, il est épicé comme un Arabe et parfumé comme un Perse. C’est du noir pur, du noir d’ébène, de la couleur vivante, de l’ombre fraîche comme la vigne.

*

La vie me fait chier, l’existence se retourne comme un gant pour me proposer les poisons naturels. Le métal et l’urine, c’est l’attente. J’en ai marre d’attendre. Mais j’attends, je ne sais pas faire autre chose. Je n’attendrais pas si j’avais quelque chose à faire de mes dix doigts et de l’esprit qui les empêche de se décomposer. Des solutions, j’en ai cherché, et pas seulement pour ne pas m’ennuyer. Il n’y a rien d’autre que le plaisir de posséder et de s’en servir, comme nourriture terrestre, et les superstitions religieuses, paradis et autres conneries, pour alimenter l’esprit en proie à la peur du vide. Rien, il n’y a rien d’autre, K. K. Kronprintz, Gor Ur et les autres que je ne connais pas encore parce qu’on ne me les a pas présentés. Je ne suis pas libre parce que je peux choisir, je choisis parce que je ne suis pas libre. C’est comme ça avec les dogmes philosophiques : ils veulent dire exactement le contraire de ce qu’ils disent : je ne suis pas, donc je pense. Allez tous vous faire enculer !

*

Il y a du blanc dans l’idée de Dieu. Les grandes religions, comme on les appelle, sont toutes des religions de blanc. Mahomet, Jésus et Bouddha étaient des blancs. Même les Juifs sont blancs. La religion des noirs, c’est du blanc. Et des jaunes, du blanc ! Le monde est blanc comme la neige de ses montagnes et de ses plaines en hiver, blanc comme un ciel de désert, comme les draps de la pureté ou du deuil. Il est où, mon blanc, maintenant qu’il n’y a plus de races ? Je me saigne en rouge, je meurs en noir, je suis heureux en bleu ou en rose (plutôt rose chez moi), j’ai le vert de ma nourriture et le jaune du rire.

*

— Ton problème, Frankie, c’est la tristesse, rien d’autre.

— Celle de la mélancolie ou celle du découragement ? J’hésite entre la psychose et la névrose, entre l’intérieur et l’extérieur, entre l’oubli et l’attente, entre l’organe et le sens des réalités. Si j’étais plusieurs, comme tu l’es peut-être, je deviendrais fou.

— Ils te payent une misère pour que tu ne le deviennes pas. Moi, je paierai une fortune pour que tu te donnes en spectacle.

*

La suite au prochain numéro…

 

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