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Article publié le 21 avril 2013. oOo De grands paroliers, tel Jim Morrison ou Ian Curtis, ont connu la solitude au sein d’une communauté musicale : du propre aveu d’un des membres du groupe, les paroles importaient peu, et même Martin Hannett, des années après la disparition de Ian, devait avouer, après réécoute, que les paroles de Closer étaient d’une gravité telle qu’il fallait bien se rendre à l’évidence que Ian traversait un cauchemar. Morrison et Curtis participaient à l’élaboration collective de la musique censée servir leur texte, mais quelque chose d’eux, l’essentiel en fait, leur désespoir et le combat incessant qu’ils menaient pour le maîtriser, ne parvenait pas aux oreilles des autres membres du groupe. D’autres paroliers de génie ont eu plus de chance. Je pense à Bob Dylan, écouté pour ses textes, mais sa musique, sans être négligeable, se hausse au niveau d’honnêtes musiques d’accompagnement, comme dans la chanson : le son ne chante pas, il ne fait qu’accompagner le son, et Dylan n’est pas désespéré.
Je songe à Jimi Hendrix : une musique puissante, mais des textes négligés, alors que tout passionnée d’Hendrix sait, à en frissonner, que musique, texte et voix, chez lui, ne font qu’un. Rendons hommage à Noël Redding de l’avoir su et dit. C’est tellement vrai qu’il faut oser affirmer que les chansons hendrixiennes peuvent être remarquablement jouées, mais jamais chantées de manière satisfaisante par des hommes ou des femmes dépourvus de cette capacité naturelle à swinguer avec leur voix dans un chanter-parler - un talking blues - absolument inimitable, appris à l’école du blues et de la musique indienne, et Dieu sait que son jeu de guitare aura été imité, sans jamais être égalé, pour la même raison que son chant est inimitable : Hendrix est un musicien chez lequel tout se tient : aucune culture musicale, si vaste soit-elle, ne peut l’approcher dans son intégrité et son intégralité. C’est en cela qu’avec Miles Davis il représente la quintessence de la musique noire américaine. La trompette de Miles narre des histoires sans fin qui n’appartiennent qu’à leur auteur : aucun musicien, hormis Hendrix, n’a su rendre à ses compositions ce suspens du sens qui fait toute leur valeur : pas une note qui ne puisse être prévue, enchaînée, déduite de ce qui précède. Ceci nous amène à contredire l’hypothèse malveillante qui consisterait à dire légèrement que les musiciens sont légers, tandis que les paroliers seraient profonds et condamnés à être incompris au sein de leur groupe respectif. Miles Davis apportent la preuve du contraire, mais il reste vrai qu’une partie du génie hendrixien, plus puissant encore que celui de Miles, reste négligé à cause d’une surdité à ses paroles. Hendrix n’a d’égal que Ian Curtis, un musicien né, sans formation initiale autre que scolaire : Ian était lui aussi tout entier musique et il en est mort à l’instar d’Hendrix.
Jean-Michel Guyot 8 mars 2013 |
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