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L’état critique
Pas de printemps pour les poètes ?

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 Article publié le 25 mars 2010.

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Décidément, la poésie est riche en débats de structures. Eh bien ! Tout compte fait, même si la matière en est assez inerte, c’est toujours mieux que pas-de-débat-du-tout. Même si, au final, le résultat est voisin. Non seulement la poésie qui s’écrit aujourd’hui en France est une chose à peu près inaudible, qui se caractérise – si on la compare aux autres domaines de la culture – par son atomisation spectaculaire et une tendance prononcée à l’amateurisme, mais il faut encore que son inexistence sociale se maintienne sous le flot de la réalité pour maintenir l’état de fiction généralisée qui caractérise toute son organisation institutionnelle.

L’heure est au règlement de comptes. Un corps à corps titanesque oppose aujourd’hui le CIPM au « Printemps des poètes ». Le CIPM a ouvert le feu, à travers une double mise en cause du « Printemps des poètes ».

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Le premier aspect problématique pour le président du CIPM tient dans la volonté du « Printemps des poètes » de muer en « Centre national de ressources pour la poésie ». Cette initiative viserait à « envoyer dans l’ombre les actions menées par de nombreuses structures qui œuvrent depuis longtemps pour la poésie ». Son président, Emmanuel Ponsart, jugerait plus pertinent « un plan de soutien et de développement à la poésie, via la création dans chaque région, ou d’un centre (ou maison) de poésie, avec des missions sensiblement identiques à celles du cipM ». Il y a là un enjeu structurel qui n’aura échappé à personne. Une structure centralisatrice ou une logique de décentralisation de la poésie (ou plutôt : du soutien public à la poésie, puisque c’est de cela qu’il s’agit).

Le débat est réellement intéressant et doit être appréhendé par tout un chacun, pas seulement par les spécialistes en poésie ou en politiques publiques. Pour ouvrir le débat, il faudrait pouvoir évaluer l’impact des différentes actions, leurs conséquences positives et leurs effets pervers.

Mais le débat n’est pas seulement structurel. L’approche structurelle est riche de perspective mais la question est biaisée, dans le débat qui s’ouvre, parce que la légitimité du Printemps des poètes est mise en cause sur un autre terrain que celui de l’action qu’il engage. L’enjeu est esthétique autant que politique. Je dis : esthétique. Il faut prendre ce mot dans un sens large, au sens où l’on a affaire à une querelle d’école, à la résurgence peu féconde du vieil antagonisme entre lyrisme et formalisme.

C’est ce qui explique la radicalité de la conclusion d’Emmanuel Ponsart, que je me permets de citer in extenso : « Oui, Couleur femme est une thématique particulièrement absurde (voir la réaction de Nicole Caligaris sur le site Internet sitaudis), comme toute thématique quand on parle sérieusement de poésie. / Oui, les opérations organisées, comme celles qui le sont avec la SNCF ou proposées dans le répertoire d’actions du Printemps des poètes, sont éminemment ridicules et insultantes. / Oui, il est possible de travailleur autrement pour la poésie contemporaine, dans le respect du public et des auteurs. »

La thématique est absurde, toute thématique est absurde et tout ce que produit le Printemps des poètes relève de la même analyse. On peut comprendre la colère institutionnelle d’Emmanuel Ponsart, on peut, sans être un ardent défenseur de l’institution en question, dresser un bilan un peu plus nuancé du travail accompli. Dans le contexte d’anéantissement social de la poésie qui caractérise l’époque contemporaine, le Printemps des poètes a réussi à inscrire la poésie dans l’espace social de façon constante. Certainement, on peut lui faire le reproche d’avoir de la poésie une image scolaire, édulcorée, orientée vers le lyrisme et peut-être même la chanson. Mais le Printemps des poètes mobilise toutes sortes de personnes et d’institutions dont les horizons sont multiples et qui trouvent, dans ce moment où la poésie fait l’événement, la possibilité de mettre en lumière leur production ou leurs choix.

Il serait tout aussi absurde de tenir pour négligeable le travail réalisé, depuis de longues années, par le CIPM. En effet, le travail accompli par cette Maison de la poésie particulièrement active est à saluer, tant il contribue à mettre en valeur certaines œuvres et un ensemble de démarches cohérent. Mais, précisément, il y a peut-être lieu de s’interroger sur cette cohérence, qui exclut beaucoup elle-même. On pourrait presque se réjouir, parvenu à ce stade, de la partition qui se manifeste ici : une structure pour la poésie lyrique, une autre pour les courants formalistes. Quelques pontes font le pont. Mais dans l’ensemble, nous avons le bonheur de nous trouver au clair d’une phase historique où l’on peut – enfin ! - expliquer quelque chose de la poésie d’aujourd’hui à quelqu’un qui n’y connaît rien ou pas grand-chose. Nous savons que le lyrisme vit à travers le Printemps des poètes et que le formalisme trouve sa plus juste expression chez le CIPM.

Nous ne saurions cependant nous satisfaire totalement de la situation présente. Car nous sommes soucieux de l’inscription de la poésie dans l’espace social, n’est-ce pas ? Et le problème que pose Emmanuel Ponsart doit être appréhendé sereinement : qu’en est-il de ces manifestations « ridicules et insultantes ». Qu’est-il reproché exactement à l’obédience lyrique ?

Son lyrisme, certes. Mais encore ? Son manque de professionnalisme, peut-être ? C’est à voir. Sa mièvrerie, enfin ? Oui, c’est cela je crois qui est en cause, à travers les thématiques et les partenariats. Il faudrait lancer un vaste débat public sur le thème : Que faire de la mièvrerie poétique ? C’est un vrai problème, cela. Et ce n’est pas le fait du Printemps des poètes. Bien des associations locales et régionales relèvent de cet ordre de choses. Si la situation est telle, ce n’est pas parce qu’on a censuré les poètes associés au CIPM. On ne les a pas aidés, c’est certain. Mais qui aide-t-on en ce bas monde ? Le problème vient d’ailleurs.

Le problème, à mon avis, ne vient pas non plus des œuvres elles-mêmes. Il y a bien des choses à découvrir chez nos poètes contemporains. Il y a donc un problème de communication. Emmanuel Ponsart, justement, dénonce le « marketing » exercé par le Printemps des poètes. Mais quelle communication propose le CIPM, puisqu’il offre le modèle d’une « Maison régionale de poésie » ? À qui s’adresse, en particulier, le « Cahier critique de poésie » qui recense les publications détectées et offre des dossiers sur des auteurs choisis ? Peut-on évoquer le respect du public et offrir une revue aussi fastidieuse et universitaire ?

Il y a certainement un mépris du public qui consiste à borner son offre aux formes les plus aisées d’accès, aux expressions les plus consensuelles. Il y en a un autre, qui consiste à imposer à ce même public une idéologie de la poésie, quelle qu’elle soit. Et, malheureusement, on prétend imposer au public sa conception de la poésie, quitte à oublier que le monde tourne et que la poésie a tendance à apparaître là où on ne l’attendait pas.

En matière de diffusion, le CIPM reste en retrait là où le Printemps des poètes a réussi une belle percée. En matière de poésie, le Printemps des poètes prend le risque d’occulter d’importants segments de la création d’aujourd’hui. Le résultat des courses ? Je pense qu’il réside dans l’amateurisme généralisé. En témoigne l’ambiance délétère qui règne dès lors qu’on tente de faire se rencontrer des poètes de différentes rives. Que de rencontres malheureuses ! Combien de coups d’éclats incompréhensibles pour un public médusé, venu pour la poésie plutôt que pour le pugilat ! Quelle absence totale de la poésie, dans ce paysage qui ne semble vivre que de s’appauvrir !

Il faudrait en finir un jour avec ces querelles de clocher et se poser sérieusement la question de la poésie dans l’espace social sans dogmatisme. Et même si la poésie n’est pas un métier, - c’en est un « de pointe » dit tout de même René Char – il faudrait envisager les choses sous l’angle de la professionnalisation. Et il y a là un débat fort intéressant à ouvrir car, on le sait, le parti-pris de Jean-Pierre Siméon est d’associer le monde du théâtre à celui de la poésie et ce choix mérite d’être discuté. Le professionnalisme y gagne. Pour autant, la poésie y est tournée, parfois à son propre détriment, vers l’expression, l’émotion, voire l’emphase.

Comment offrir au public des conditions de rencontre avec la poésie qui ne soient ni des occasions d’esclandre, ni des récitatifs mornes et dignes d’une cérémonie religieuse, ni des spectacles où la poésie fait office de prétexte ? Telle est la seule question sérieuse qui devrait être débattue, à mon sens.

Le chantier à ouvrir implique également une attention suivie au secteur amateur, au « moindre petit poème » comme dirait le pédagogue Serge Martin et aux conditions réelles de transmission de la poésie, notamment sur internet où ont émergé mille dispositifs informels et souvent volatils. De tels chantiers, au train où vont les choses, relèvent de l’utopie. Mais je suis convaincu qu’il y a un au-delà du sectarisme en poésie.

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