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 Article publié le 1er avril 2014.

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En admettant que j’ai eu tort de douter de l’amitié de Paterson.

En admettant qu’il n’y a rien entre lui et Elsie.

En admettant que j’ai été heureux comme je le dis.

En admettant que je n’ai jamais quitté cette ville.

En admettant que la poésie ne sert à rien.

En admettant que le monde est fou.

En admettant que je ne sois que le personnage d’une idée.

En admettant que personne n’est mort

de mort violente cette nuit-là.

En admettant que la pluie est un phénomène naturel.

En admettant que le vent qui la porte est un bon vent

comme il en pousse encore sur le rivage

où je reviendrai si je le connais.

En admettant que la ville est une ville comme les autres.

En admettant qu’un seul mot met les oiseaux en fuite.

En admettant que l’océan est lourd de sens.

En admettant qu’il n’existe rien d’autre que ce bonheur.

En admettant que je ne prononce jamais le mot amour.

En admettant que nous ne connûmes pas la joie.

En admettant…

 

« Parle, dit Paterson. Je veux comprendre. »

 

Nous nous réfugions à l’extérieur : quand :

le monde a compris qui nous sommes : qui :

nous ne sommes plus : ce que nous allons :

devenir : ce que nous sommes déjà : pauvres :

pédants : surpris dans l’effort de l’explication

qui coïncide en tous points avec la théorie :

énoncée plus haut : avant que ça n’arrive :

et comme dit paterson qui n’est personne :

c’est arrivé et je ne l’ai pas vu venir : vous :

 

« : m’avez suivi toute la journée, toi et Gilette qui porte un nom de rasoir et qui est rasoir somme tout le monde le sait au bureau : suivi : comme si : »

 

Admet !

 

(Paterson écrit le nom de la ville, la plage, la promenade, le vent, les gouttes d’une pluie qui n’est pas tombée. Puis il repose le crayon pour que j’écrive moi aussi et alors l’idée d’écrire ce poème me vient à l’esprit et je me sens les ailes d’un pénitent aux armes fourbies dans l’obscurité.)

 

l’extérieur de nous-mêmes :

n’est que l’intérieur des autres :

« allons-y » dit paterson qui :

aime l’aventure : la preuve :

elsie : « si tu as une idée » :

dit-il en reprenant le crayon :

une idée de ce qu’elle était :

non : je n’ai pas cette idée :

j’en ai une autre : elsie :

ne comprendra pas : ainsi :

s’achève ce qui n’a jamais :

ô non jamais : commencé :

 

. chaque fois que tu me regardes je me sens trahie, comme dimanche dernier quand je t’ai surpris me regardant entre les branches peut-être parce que je regardais une ancienne histoire qui n’a pas eu de commencement comme je peux te l’avouer maintenant. Es-tu venu pour m’emporter comme un fruit qui de toute façon mûrira et pourrira si tu ne t’en nourris pas ? Ou pour m’amener en voyage le temps pour moi de connaître les limites de l’amour ? Drôle de petite gare que notre gare et son train aux vitres sales ! Pourquoi y sommes-nous toujours seuls ? Pourquoi reviens-tu sans autres nouveautés que ce qui se passe dans ta ville ? Pourquoi ne se passe-t-il rien ici ? Tu vois : je ne reste pas aussi inactive que tu dis. J’ai trop à penser pour te laisser revenir comme le jour ou la nuit.

 

« Allons-y, dit Paterson. Un week-end aux frais de la princesse. Toi et moi, en vieux copains. On ne posera pas trop de questions. Quelqu’un te reconnaîtra. On se demandera qui je suis. On finira par tomber sur quelque chose. Quelque chose de facile à suivre. Tu sais. Comme le parfum d’une femme au milieu des autres femmes. C’est ce que je préfère dans la vie. »

 

« Partir où ? demande Elsie. Tu ne peux évidemment pas m’en parler. Moi, je te dis toujours où je vais. Je n’ai rien à cacher. Je suis d’ailleurs fatiguée de ne jamais rien cacher. Je voudrais te cacher quelque chose. Même une toute petite chose. Un atome de secret. Je ne sais pas pourquoi je dis ça. Tu ne dis plus rien, toi. Pars. Partez. Filez au train des assassins. Les prisons sont si accueillantes ! Regarde la mienne. »

 

heureux ceux qui sont faits pour les grands voyages.

moi je ne vais jamais plus loin que l’océan.

jamais plus loin que cette rive infinie.

et toujours pour me souvenir de quelque oubli.

 

heureux celui qui me suit parce que je sais où je vais.

il prendra exemple sur mon silence obstiné.

il me suivra partout pour en savoir plus que moi

sur ce que j’ai quitté et ce qui m’a abandonné.

 

ce n’est pas le malheur qu’on vient chercher ici.

il n’y a plus de traces, plus de témoins, plus de sens.

le même vent revient avec les mêmes histoires.

 

l’eau verte ruisselle encore aux carreaux déformants,

mauvaises vitres des mauvaises fenêtres, meneaux

que la perspective plante dans les vagues immobiles.

 

« Partir ? dit-elle encore. Je ne suis jamais partie finalement. Mais je dois reconnaître que tu ne m’avais rien promis. J’ai rêvé. La vie commence avec ce sommeil, non ? »

 

heureux comme qui ne revient pas pour retrouver la joie.

heureux de constater que ce qui a changé n’a aucune importance

et que ce qui en avait est oublié.

 

ce monde est celui du bonheur.

mérite : prix : joie passagère :

ce monde ne connaît que le bonheur.

 

tu te nourris de la pauvreté : de la malchance :

heureux d’avoir connu un instant de connaissance :

au bord de l’océan, tu respirais à pleins poumons.

 

l’océan vient toujours à point : le train revient :

autre gare : ici des chapeaux s’agitent dans le vent :

elle portait l’un de ceux-là : arcades des boutiques

qui ne désemplissent pas : sur le trottoir : des femmes :

jettent un œil inquiet dans le fond de leur porte-monnaie.

 

heureux mais pas encore conquis par l’espace

qui reste à explorer : seul mais suivi : attentif :

observé : jouant avec la vérité : comme dans un film :

elle était la véritable héroïne : non pas de tes rêves :

mais de tes illusions : car personne n’est heureux :

sans ces simulations : ces esquisses de soi : face :

à face : de chaque côté du miroir emporté dans :

les bagages : ce seul oubli te damnerait à jamais.

 

« Pars, dit celle-ci, maintenant, ici. Tu ne seras pas seul. Tandis que moi… »

 

heureux d’inventer ce qui a été : et ce qui sera :

peut-être : si l’auteur de cette disparition : n’est pas :

celui du malheur que je n’ai pas fini d’invoquer :

pour ne pas perdre la raison : pour ne rien quitter.

 

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