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La part des choses
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 Article publié le 20 avril 2014.

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Je ne songe plus qu’au grand voyage
Malgré les attaches d’ici-bas,
Le café, les chansons, la nouba,
La rime, le chant des coquillages,
Les femmes, les alcools, les tabacs…

Nous étions une impayable bande,
Redresseurs de torts à pets, à rots,
Toujours sous les hou, sous les haro,
Une compagnie de contrebande
Entre le gibet et le garrot.

Friands de madrigaux, de sirventes,
De prosopopées, d’amphigouris,
Nous étions, drôles de gabarits,
A trousser versicules, servantes
Et verts versets sans gloria patri.

Nous versions des airs dithyrambiques
Pour des saints avec ou sans aura,
Pour des licheurs grossiers, gris et gras,
Pour des palefrois et pour des biques.
A la ronde, ma muse en aura.

Quand nous jouions les énergumènes,
Trente, trente et quelques nous étions
A défendre nos derniers bastions.
Avoir, n’avoir pas figure humaine,
Nous ne nous posions pas la question.

A moi ! A moi ! A moi, sentinelles,
J’ai réponse à tous vos qui-va-là
De ma clique qui vole en éclats,
De ma neige où croit la soldanelle
Et de mes lisières de lilas.

J’entends borborygmer mes entrailles.
Plein de salmi, de salmigondis
De picrate qui tache alourdi.
On dirait qu’un régiment tiraille
Entre les douze coups de midi.

J’attends la venue des hirondelles,
Je ne trouve plus rien de saillant,
Mes ciels de lit sont tous défaillants.
Putain de Manon, putain d‘Adèle,
Plus un écu, plus un cul vaillant !


Ces calembours, ces calembredaines,
Ces traits mousses, ces fers émoulus
De jadis, ne nous ont pas déplu.
Si nous nous tapions sur la bedaine,
C’est du vieux. Nous, nous n’en rions plus. 

Que l’on tire après moi l’escabelle,
Mes voies, mes vers ne sont pas courus ;
Même eux, mes féaux, ne m’ont pas cru.
Je n’aurai pas eu la balle belle,
Qu’on m’ensevelisse nu et cru !

Dire et redire, faire et refaire,
Tout est encore à recommencer,
Nos vies et nos morts à romancer.
C’est décourageant, l’homme préfère
En baver plutôt que de passer.

Je mens, je mens comme je respire,
J’ai trop de fusées à démêler,
Sans compromis et sans pourparlers,
Pour un royaume, pour un empire,
Je n’irai jamais où vous allez.


La langue à la longue se délie.
C’était à la buvette, au lavoir
Que tout finissait par se savoir.
En ce temps-là, la muse Thalie
Savait encore nous émouvoir.

Plus on tourne, on retourne une idée
Sur elle-même, en tous sens, plus on
Plus on doute de notre raison,
Plus elle nous paraît démodée,
Creuse, fixe, d’une autre saison.

Avant qu’on me traîne aux gémonies,
Tous me veulent mettre aux vieux quignons,
A la soupe à l’ail ou à l’oignon,
Me guérir de la métromanie,
M’empêtrer de sobres compagnons.

Au plus haut, au plus bas de ma roue
Qui ne roule que rarement rond,
Je traverse des champs de mouron,
Des vents de galerne qui m’enrouent,
Des forêts où l’on pend, où l’on rompt…


Pour consoler les laissés-pour-compte,
Pour emballer le premier venu,
Elle en a des arguments cornus,
La Pouffiasse à la daille en raconte
En gros, en vrac et par le menu.

Et ces livres qui se laissent lire,
Ces livres qui n’ont ni goût ni moût,
Ni regrets ni remords, ni remous,
Qui ne tournent jamais au délire,
Qui ne prêchent le dur ni le mou.

Je me décoiffe, je me débraille,
J’arme mes poings, ne plains les revers
Ni les rudes volées de bois vert.
En viendrai-je aux dards, à la mitraille,
Pour soutenir mordicus mes vers.

J’ai des aminches de par le monde,
Des morts aux pluches, des matelots
A la miséricorde des flots,
Des vivants sur des terres immondes,
J’ai des croix, des ancres, des ballots !


Vos phrases sont remplies de chevilles
Et de trous, ferrailleurs de bibus,
Fripiers d’écrits, diseurs de phébus,
L’abstraite Mnémosyne et ses filles
N’ont plus de quoi prendre un omnibus.

Ne sont-ce pas vos archets qui raclent
Mes nerfs presque à vif de faubourien ?
De vous, je ne sais quasiment rien
Sinon que vous sciez à miracle
De la rengaine de Galérien.

Vous avez hâte de le connaître
Ce troubadour à cran et à crin
Avec ses tours de cœur et de reins.
Chez moi, c’est le peautre ou la fenêtre,
Le fourneau, le rosaire à gros grains…

Une troupe sacrément profane
Se décothurne sur les tréteaux.
Je suis dans la rue des Blancs-Manteaux,
Sophocle, Euripide, Aristophane,
Vous me faites devenir Artaud.


Quand j’entre dans la peau du bonhomme,
Pour y rire, pour y fondre en pleurs,
Pour y pantomimer la douleur,
Je suis de plus en plus économe
De mes mots, les mots font mon malheur.

Vous qui êtes du côté du manche,
Vous qui cognez à bras raccourcis
Sur la gueule au rouge, au pain rassis,
Vous croyez me tenir dans la manche,
Je ne suis pas à votre merci.

J’ai toujours la porte de derrière,
La trappe, l’escalier dérobé,
Le nectar de la rebelle Hébé,
Les à-coups d’une ménétrière,
Mais je suis tout de même gobé.

Trois coups de rabot, quatre de râpe,
Des tours, des tours de vilebrequin,
Des sursauts d’égoïne, un taquin
Maillet… Je fabrique des attrapes,
Des fantoccini, des mannequins…

Je porte sur mon dos ma bigorne
Et le marteau froid de saint Eloi.
Les forge-mètre sans foi ni loi,
Qui les congratule, les flagorne,
Laure leurs trouvailles, leurs exploits ?

Nul ne voit les choses telles quelles,
C’est ce qui leur donne du piment.
Chacun à son assaisonnement,
Toutes les berlues de sa séquelle,
Les lubies et les enfermements.

Je mets des holà aux racontages,
Aux brouhahas qui perdent mon temps,
Aux embrouillaminis de cent ans…
Prenez mon flingue et mon paquetage,
Gueux brouillés avec l’argent comptant.

J’ai crevé toutes les apostumes,
Je n’ai plus un bagage à plier,
Plus une ballade à oublier.
Sans enthousiasme, sans amertume,
Laissez-moi en mon particulier.


Les gaffes, les crapauds, le pain d’orge,
La mer, le doux des frères convers,
Les pébrocs, le diantre de Vauvert
Ne passent plus le nœud de ma gorge.
J’en ai tant avalé de travers.

Du temps que j’étais à la bavette,
Au tétin, au sirop de ponceau,
Aux refrains, aux contes provençaux,
On dansait encor les olivettes,
Les fées se penchaient sur les berceaux.

J’en aurai eu tout le long de l’aune,
Les uns m’ont traité de gazetin,
Les autres de miroir à catins,
Et tous de renverseur de colonnes,
D’empêcheur de danse en rond bon teint.

Et cette garce de Poésie,
Pendue à mes habits d’oripeau,
Tantôt tendron, tantôt vieille peau,
Qui cède à toutes mes fantaisies
Et me fait porter ses vers chapeaux.

Je reniflais autour de ma mère,
Espiègle comme l’enfant Jésus.
L’entêtement, je l’ai toujours eu.
Déjà, déjà j’avais ma grammaire,
Mes arguties et mes décousus.

Je ne vois que par mes sœurs voyantes.
Vous ai-je présenté mes entours ?
Mes hiboux, les guetteurs de ma tour,
Ma clique, mes parques accueillantes,
Mes lanterniphores de retour.

Mon myope argus, mes fées morfales,
Mon queux toqué, mon tailleur retors,
Mon encyclopédique mentor,
Mes spectres, ma cagne tricéphale,
Mon aphone et sourdingue stantor ?

Je vous laisse pour ce que vous êtes
Et vos claques pour ce qu’elles sont,
Embrigadées dans une chanson
D’un soufflet à punaises musette
Et dans les tourments de sa façon.

Robert VITTON, 2014

Vers chapeau : vers sans intérêt, fabriqué pour la rime.

 

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