Buvez, afin d’éviter que la soif n’advienne !
François RABELAIS
Je bois aux as aux astrologues
Aux escobars aux avortons
Aux époux du grand catalogue
Aux galifards aux marmitons
Je bois aux fils de l’Harmonie
Aux fieux aux féaux d’Apollon
Aux vieux ressorts de l’ironie
A l’âme de bois des violons
Je bois aux filles de Mémoire
Je bois aux filles de Bélial
Je bois aux Walkyries aux Moires
Dans le cabanon familial
Je bois la caravane passe
Je m’évade de mes prisons
Et je me perds dans les espaces
Jusqu’aux barreaux de l’horizon
Je bois comme un trou un trouvère
Comme quatre affreux frelampiers
A tous les brocs les quarts les verres
Et je danse sur mes deux pieds
Je bois dans les mains de Lalique
Et dans les vases de Gallé
Les murs me donnent la réplique
Je n’ai pépie ni bec salé
Je bois aux amours de naguère
Je bois aux amours de tantôt
A la paix des entre-deux-guerres
A l’âne du roi d’Yvetot
Je bois aux valets aux meschines
A la trame des traminots
Aux damnés de l’orde machine
Aux pas de deux des dominos
Je bois aux jacques et aux gilles
Aux flambeaux de saint Mathurin
Aux naufragés de l’Evangile
Aux anges légers de deux grains
Je bois en hâte à mes prochaines
Escapades hors de ce temps
Où les dieux bénissent les chaînes
Et bottent les culs pénitents
Je bois à la Mort qui savoure
Outre mesure mes bons mots
Les beaux récits de mes bravoures
De grime aigri de gris grimaud
Je bois aux onze mille vierges
Je bois au retour des soldats
Je bois à la clarté des cierges
A la Rose et au Réséda
Gueux de la foire Saint-Ovide
Mille sabots mille sabords
Nos six aunes de boyaux vides
Emplissons-les de piot ras bords
Je bois à la mienne à la vôtre
Je bois à la tienne à la leur
Je lève des pots aux apôtres
Le coude avec des querelleurs
Je bois aux bijoux aux fanfioles
Des filles folles de l’été
Aux fées noyées au fond des fioles
Aux mendiantes en gaieté
Je bois sans soif jusqu’à la lie
Les eaux sombres de l’Achéron
Les eaux troubles de Castalie
Les eaux vives des mascarons
Je bois à même la bonbonne
Le baril et le tonnelet
Je bois à même mon trombone
J’ai mis au clou mon gobelet
Je bois aux oiseaux de passage
Aux miséreux de Richepin
Je bois aux fous je bois aux sages
Aux poudres de perlimpinpin
Je bois comme un trou un troubade
Et je fume comme un sapeur
Je bois aux troublantes tribades
Je bois aux trois-quarts de mes peurs
Je bois du doux et du sévère
Une eau-de-vie bien de chez nous
Je suis fidèle à mon calvaire
La mer murmure à mes genoux
Je bois dans tous les bars au barde
A l’aède au trousseur de vers
Et je fais rimer hallebarde
Avec eustache et revolver
Je bois cul sec mes héritages
Sur les zincs mats dans les bordels
Dans les bouibouis de bas étage
Où je sirote des rondels
Je bois je bois gars aux gavaches
Je bois garçonnes aux gaveaux
A tous ceux qui crient Mort aux vaches
Ceux qui tiennent le caniveau
Que n’ai-je un estomac d’autruche
Une éponge dans le gosier
J’avalerais charrettes cruches
Tonnes tonneaux foudres casiers
Je bois je bois au fesse-pinte
Au dernier suppôt de Bacchus
A l’oie blanche à l’étoile peinte
Au berger au servum pecus
A la fontaine d’Hippocrène
J’y bois j’y boirais tout mon soûl
Avant que la soif me reprenne
Muse ouvre-moi tes noirs dessous
Je bois aux abbés aux bécasses
Je marchande mes abatis
J’imbibe ma frêle carcasse
De Bandol et de Frascati
Je bois je boite comme un chantre
Entre Montparnasse et Bercy
En cherche de la plus proche antre
C’est le plus grand de mes soucis
Je bois pour les yeux d’Aphrodite
De Saint-Eustache à Saint-Merry
Le vin est bu la messe est dite
Pascal a perdu son pari
Je cloche comme un trissyllabe
Dans un moule d’alexandrin
Sans boussole sans astrolabe
Je traîne au large un pied marin
Je bois je bois toutes mes rentes
Dans le Paris des années vingt
Dans le Paris des années trente
Dans le Paris des écrivains
Je bois pour oublier mes tares
Je bois pour m’en ressouvenir
Je bois au bois de ma guitare
Qui ne cesse de s’abonnir
Je bois sous les bois de justice
Sous le hachoir d’un des Deibler
Pour les mauvais les bons pâtissent
Je rame sur le Pré aux Clercs
2005