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De vent et de pluie
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 Article publié le 13 juillet 2014.

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Les chanterelles

Dans la sylve bruissante, te voilà devenu ce lilliputien qui chemine à l’ombre des grandes chanterelles multicolores.

Un air de guitare égrène ses arpèges ponctués de silences assourdissants.

Musique odorante qui enivre la narine du peintre pris de vertige.

Mais déjà approche à pas de géants le cueilleur de chanterelles qui fredonne une mélodie savante.

De toutes ces couleurs, il fera une fricassée d’apparences.

 

Les iris

Iris de mon enfance, iris sévères, votre bleu enfiévré appelle l’alignement impeccable des bordures qui enserrent l’allée de petits graviers blancs ; j’y cheminais l’âme au vent.

Le parfum suave de vos effluves gonflait ma narine d’enfant joueur. J’étais bien tenté de décapiter vos fleurs altières, mais une pudeur, presque une piété, m’enjoignait de n’en rien faire.

Il y eut, sur les rives humides de l’Ognon, le safran de vos cousines qui, un jour de grande aventure, brouilla les pistes de la couleur.

C’est depuis ce temps que le jaune et le bleu se marient si bien dans mon cœur, avec pour tout cadre l’odeur de l’onde qui caresse les rives frémissantes.

 

L’étoile de minuit

Dans un an, dans un jour, le paysage viendra à toi dans sa magnificence de labyrinthe.

L’issue sera partout où tu engageras tes pas.

Scintillera quelque jour, au-dessus de ta demeure ailée, l’étoile de minuit que tu appelles de tes vœux, et dans le lointain, tu entendras peut-être la trompette bouchée de ton jazzman préféré dessiner des arabesques dans la fraîcheur du ciel étoilé.

La trompette voilée chantera pour toi d’étoile en étoile sa complainte étirée.

Au matin, de pommier en pommier, tu iras d’un pas leste apprécier les progrès de la nature dans l’automne de sa course, et tu penseras que tout est bien enfin.

 

Vacante

Pour l’heure, te voilà qui vaques dans la petite ferme exposée aux embruns et à la salure. Le bleu de tes volets nargue et la mer et le ciel. Ils ne connaissent jamais la grisaille céladon. Les genêts abondent par ici.

La clôture, tout de guingois, intrigue le promeneur solitaire que je suis.

Tu la laisses pour quelque temps encore à son alphabet de ruines ; elle intrigue si bien la plaine et ses passants.

Une fleur sourit au ciel. La sagesse des herbes se balance sous la caresse du vent.

Une nuée d’alouettes emporte le ciel vers l’horizon.

 

Petit poisson

Petit poisson, tu tournes en rond dans ton bassin, mais tu n’es pas seul.

Dans la ronde, tu donnes de la nageoire avec tes congénères et vous rivalisez d’élégance dans la soie de vos jours.

C’est à celui qui fera le mieux frémir la lumière, mais voilà : vous êtes tous plus beaux les uns que les autres.

C’est la main du peintre qui vous rend cette justice.

En dépit que vous en ayez, vous voilà tous égaux devant la couleur et les rythmes pour le bonheur de nos yeux.

Vous cherchez l’air de l’eau ; les nénuphars se balancent légèrement sur votre passage.

 

La feuille

Ni morte ni vivante, telle m’apparaît la feuille détachée de l’arbre.

Une forte odeur de terre flotte dans l’air saturé de nuances violacées.

Comme en suspens, dans un refus obstiné d’être prise pour ce qu’elle n’est pas, la feuille décline sa mort de feuille en mille nuances vivantes.

Détachée du grand tout qu’est l’arbre longanime, épais cheveu de verdure devenu non pas blanc mais jaune puis brun, tombée là au pied de l’arbre, la voilà qu’elle s’apprête pour son dernier bal. Partie danser en compagnie du vent cavalier, elle ira bientôt rejoindre la terre, sa mère qui l’a vu naître puis verdir dans les dédales du ciel céruléen.

 

Sur la grève

 

Sur la grève, des pierres et des galets, jetés là au hasard des remous qui se sont retirés.

 

Pierres millénaires que le temps travaille, rudoie, ballote, secoue, remue, agite, retourne, arrondit, polit puis réduit en poussière, sable encore qui n’en finit pas d’amuser l’enfant qui en fait des châteaux et des pâtés.

Et tu es passée par là, ma douce amie.

 

Tu n’as pas résisté au plaisir de fixer cet éphémère que dure et dure tant et tant qu’il lui fallait la feuille humide posée là, par toi, sur le galet encore humide, pour nous donner à voir l’œuvre du temps.

 

Nous sentons à voir l’image que tu as fixée - ce petit cadre de plage mouillée que personne n’avait vu avant toi et ne reverra après toi, sauf à contempler désormais l’image que tu en donnes - que le temps de vivre est tout entier rencontre de l’improbable avec de l’improbable, rencontre que l’artiste que tu es s’enchante de créer à partir d’une somme ahurissante de possibles négligés par le passant monocorde.

Tu donnes à entendre la mer dans ton image qui emporte le regard porté par l’odeur saline de la mer houleuse qui s’est retirée.

 

Mississipi

 

Dans la forme qui se cherche vient à saigner la couleur rouge.

C’est comme une naissance, après bien des noces de coton qui épellent depuis lors l’immense oubli dans la mémoire d’une matière exquise, si exquise qu’elle en berce tes jours jusqu’à l’insomnie de la forme qui prend son envol sous ta main ductile.

Fleur de limon au bord du grand fleuve Mississipi.

 

Un peu de terre

 

J’ai mis un peu de terre dans tes mains.

Partie, tu es partie, mais pour combien de temps encore ?

J’ai mis un peu de terre dans tes mains.

Terre de chez nous pour te rappeler au désir qui te tient de revenir.

Tu rendras un jour la terre à ce petit lopin qui tient dans le creux de tes mains.

Tes mains, ce jardin que, pour l’heure, tu cultives en allant, le pinceau à la main, de couleur en couleur chercher la chance dans le bonheur de tes yeux.

 

De bon matin

De bon matin, le peintre s’en va par les champs frayer avec la couleur. Il s’en va porter secours à la terre encore lourde de l’orage dernier.

En sa compagnie, tout devient léger, et le tout du tout - l’insaisissable aisance de l’être - chemine dans le regard pluriel de l’arc-en-ciel fait homme.

Ne manque à ce tableau qu’une femme tendrement aimée.

Des brumes stagnent dans les lointains bouchés. Le coquelicot mouillé, empesé peine à se redresser.

Sur sa palette, le ciel, la terre, les nuances fines, rivales du paysage altier.

L’herbe mouillée monte à la tête.

Dans quelques heures, le soleil aura raison de ce monde ployé. Il faut faire vite. L’oreille aux aguets, le peintre se jette sur le paysage, en extrait la matière foncière.

Un peu de pluie tambourine dans ses jaunes, beaucoup de bleu amorce la mort des brumes. Mais tout demeure en l’état, tout change à vue d’œil aussi bien.

 

Jean-Michel Guyot

7 juillet 2014

 

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