Dans le rêve, une fine couche de givre recouvrait les touches noires et blanches du piano à queue posé là, tard dans la nuit noire, exposé à la pleine lune gibbeuse.
Saison indéfinie, saison neutre fermée aux couleurs.
Une femme nue apparaît assise au piano, aussitôt se met à jouer lentement d’abord, puis de plus en plus vite, des notes cristallines. Elle frissonne.
Comme des cloches lointaines tintent dans l’espace, des cloches nuptiales.
Il se fait un silence, puis un hennissement déchire la nuit.
Elle reprend son jeu, lent à nouveau, presque distrait, tant les notes paraissent distantes l’une de l’autre.
Sur son épaule, une minuscule clé de sol fluorescente.
Les cordes pincées d’une mandoline s’agrègent aux notes cristallines du piano. Le son aigrelet de la mandoline laisse entendre une rumeur de clavecin que vient tempérer le piano.
Je m’approche d’elle à pas feutrés, pose ma main droite sur son épaule. Elle tremble de tout son être. Je couvre ses épaules nues d’un foulard de soie bleue. Elle tourne alors la tête vers moi, me sourit doucement. Elle a les yeux brillants.
L’espace d’un instant, j’entrevois une partition entièrement composée de petites images qui figurent toutes mon visage souriant.
Je souris, l’embrasse dans le cou. Elle reprend alors son jeu de plus belle. Ses seins pointus balancent en cadence.
Rythme ternaire, tangage infini.
La nuit a disparu. Nous sommes dans un salon meublé richement décoré d’estampes et de poupées de porcelaine. Elles me regardent en souriant.
Anne est encore nue. Anne, c’est son nom dans le rêve. La musique me l’a soufflé à l’oreille. Elle ne joue plus, se tourne vers moi et me serre contre elle.
Je frissonne, elle tremble.
" Fais-moi l’amour ", dit-elle dans un murmure.
Le rêve alors se déchire.
Tout bascule dans un vertige multicolore. Je sens mon sexe battre la mesure en elle, mais c’est elle qui donne le tempo.
Un tempo d’une lenteur calculée, comme si tout se déroulait au ralenti.
Est-ce elle, est-ce moi qui alors crie le premier ?
Le rêve ne le dit pas. Tout a été emporté dans un élan sans nom.
Jean-Michel Guyot
4 juillet 2014