La poésie, en France c’est quoi aujourd’hui donc ? Qu’est-ce qui s’énonce comme poésie et doit être pris en compte ? Car il est évident, tout de même, qu’il faut délimiter l’objet dont on cause.
— D’une part il y a une sphère éditoriale subventionnée (et oui, au fait...) avec des auteurs bien identifiés : je me contenterais de renvoyer au site du CIPM. Ces auteurs, excellents pour les uns, médiocres tâcherons pour les autres (c’est la vie) ne rencontrent qu’un succès d’estime, ce qui pose question. Réellement, la valeur n’est pas en cause dans cette interrogation. Deguy ou Prigent sont des auteurs tout à fait estimables, pas forcément difficiles d’accès d’ailleurs (ça dépend des textes, ça dépend des humeurs, ça dépend des jours).
— D’autre part il y a une myriade de « sociétés de poésie » qui regroupent des cercles d’amateurs, organisent des concours, etc. La SPF est la plus illustre d’entre elles. Il n’y a aucune communication entre ces deux sphères, il faut le noter.
— Un tiers espace est constitué par des entreprises pas ou peu soutenues (le Chasseur abstrait, par exemple) et des groupes informels, qui ont gagné en visibilité avec l’internet et en capacité d’action grâce à l’impression à la demande. A mon humble avis (et très personnel), si l’on recherche « la poésie », c’est de ce côté qu’on se tournera avec le plus de profit. Ben oui. C’est là qu’elle est libre et il paraît qu’elle a besoin de liberté, la poésie. Donc, il est logique qu’elle apparaisse en-dehors des lieux dédiés, non ?
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Patrick Cintas :
En quelque sorte : une noblesse, un clergé et un Tiers-État... Beaucoup de morts pour rien, mais on ne va pas recommencer, n’est-ce pas ?
Voici l’article de Xavier Person et Philippe Beck qui s’intitulent respectivement « écrivain et critique » et « poète et écrivain », formant ainsi un chiasme intéressant...
- Redonnons sa place à la poésie
Ces prolègomènes à une « bonne place » de la poésie, sans doute aussi bonne que celles qu’ils occupent tout aussi respectivement, n’ont pas attiré beaucoup de lecteurs et un seul commentaire qui remet les choses à leur endroit. Mais monsieur Beck a paraît-il des relations chez Libération où quelques esprits, qu’on peut compter sur le bout des doigts, vont jusqu’à le « vénérer », du moins en paroles. Tout s’explique. *
Rosebb, unique commentatrice de l’article en question, écrit, pour résumer sa pensée :
« Si la poésie n’était pas en danger, elle ne serait pas... donc, laissons-la errer hors des bouches ministérielles. »
Tout y est et c’est l’essentiel : danger, liberté. Soit, en termes philosophiques : action.
Mais enfin, messieurs les ronds-de-cuir, d’où vous vient-il, pour reprendre les mots de Pascal Leray, « qu’il est important que la poésie soit un objet de considération pour la puissance publique » ? Et que vient faire ici cette « conviction » d’ordinaire en usage dans des lieux moins élégants et mal ou pas arbitrés : les tribunaux et les lieux de culte ?
La seule poésie ne peut entrer dans des moules aussi naïvement construits !
Certes, que vous rêvassiez, non loin de l’Académie et autres chancelleries, à une poésie rondement étatique est votre droit. Je vous signale toutefois que l’État ne vous a pas attendu pour entrenir une poésie officielle qui fait l’objet de ses célébrations. Les vôtres sont sur le chemin, mais il est semé d’embûches, comme dit le cliché. Vous en parlez d’ailleurs fort savamment et nous vous en remercions.
Vous me permettrez toutefois, puisque Pascal Leray s’exprime dans mes colonnes et que Philippe Beck m’adresse des provocations ampoulées, de vous rappeler quelques principes :
1) Principe d’anarchie — La poésie étatique a une place par la force des choses, surtout en France où l’État est central, — au milieu de tout et surtout vachement peuplé ! Fragile démocratie —, mais elle n’est pas la seule à s’intéresser à l’existence et à ses oiseaux. Autrement dit, la poésie appartient à tout le monde et peut-être même à personne — en tous cas à personne en particulier. Un des corollaires de ce principe est exprimé par Ramuz : « Plus la supériorité d’un homme est fictive, plus elle est uniquement sociale, je veux dire plus il la doit uniquement à la
place qui lui est assignée ou qu’il s’assigne dans la société, plus il est (cet homme) dans la nécessité de l’afficher. » Plus loin : « ...règne de certaine petite bourgeoisie, pire que la grande... »[1]
2) Principe de liberté — Il ne revient pas aux poètes, — à ceux qui se prétendent tels ou qui le sont parce qu’on le dit —, de décider du sort du lecteur, mais à celui-ci de faire son choix, évidemment en fonction de ses racines et de son tempérament, ce qu’il n’est pas bête d’appeler son ghetto, mot particulièrement adapté à la société française telle qu’elle se pratique aujourd’hui. Soit dit en passant, Claude Mouchard s’est encore trompé d’ami : Manuel Valls ne vaut pas mieux que Claude Guéant. « Fachos ! » avait-on encore le droit de dire à l’époque de
Marcellin, mais comme on n’a plus le droit, on ne le dit pas. Logique, non ? Liberticide, mais logique, même sans papiers.
3) Principe de marginalité — La littérature est « ...consommée par une partie restreinte de la société, elle ne porte pas une universalité, mais seulement une expérience et un divertissement... » Remarque de Roland Barthes[2] qui figure au pied de notre blog, tandis que celui de nos numéros porte la trace d’André Gide et de ses paludes et autres polders. Ceci pour dire que vos tentatives de restreindre le sujet, à la manière des fort anciens (maintenant) rétheurs, n’ont aucune chance d’aboutir à l’éparpillement de la connaissance de la poésie qu’on effeuille, mais peut-être,
j’en conviens, à la reconnaissance de vos ébats par un ministre ou un de ses commissionnaires baveux. Chance que je vous souhaite, si c’est la vôtre.
Le poète est un anarchiste libre comme le vent de ses semelles et squatter d’office. Au contraire votre socialisation de la poésie se résume à peu de choses :
1) L’État constituant d’autorité les corps de la nation (Général, nous voilà !).
2) Les poètes choisis par lui selon vos critères douteux.
3) Le faux élitisme qui s’ensuit et la chute de la culture française dans le monde.
Un nouveau Port-Royal ! La poésie aux Colonies ! Distinction du droit et du fait ! Un Ordre nouveau ! L’esprit français aux abois : on ne pardonne pas à un Allemand de pardonner à Hitler, mais ici on a le culte de Napoléon malgré les analyses pertinentes de Goya. En gros, vous vous foutez de la gueule du monde. Vous me direz : « C’est pas grave. Personne nous lit. » Et je vous réponds : « D’accord avec vous, mais pas dans Libé ! »
Cependant, Pascal Leray, dont je connais l’intelligence et le talent, s’en tire d’avantage. Et nous le suivons, quelquefois allégrement, dans ses pérégrinations d’un printemps à l’autre, idée qui ne lui appartient pas puisqu’elle est d’Emmanuel Hoog, aujourd’hui relayé par Jean-Pierre Siméon, mais qu’il est en mesure d’approffondir alors que vous, messieurs, n’avez l’intention que de racler les fonds de tiroirs — en tout bien tout honneur, cela va de soi... selon le principe qui veut que l’honneur est un bien grand mot et que le bien n’est pas toujours acquis dans l’honneur comme tout le monde le sait.
Le problème épineux posé par votre idée de la place à accorder à la poésie, c’est qu’elle aboutit forcément à une injustice : avec vous, on prend le risque de mettre en place des décideurs-poètes, — sous la forme de directeurs, de secrétaires, d’autorités tout aussi honorables et bien mis que vous l’êtes vous-mêmes —, mais ici ou là (suivez mon regard) de médiocres poètes forcément doublés de piètres décideurs, de vengeurs hystériques, de jaloux dangereux, voire d’escrocs enclins au favoritisme et autres petites douceurs du relationnel en politique. Mais n’est-ce déjà pas le cas ? En partie
seulement... rassurons-nous ! car la plupart des poètes sont irréductibles., n’est-ce pas ?
Alors qu’est que c’est que ce « Printemps des poètes » ?
Ne serait-ce pas au fond un pastiche des réseaux et des places-fortes que l’Internet a de bien meilleurs moyens de créer — et depuis belle lurette ? N’y est-il pas question que de cette nostalgie de l’homme de Lettres et des reconnaissances qui s’y attachent encore aujourd’hui avec un goût inouï pour l’élitisme et l’intérêt personnel, paravent secoué derrière lequel toute une profession éprouve des remontées testiculaires ? Et jusqu’où y est-on capable de pousser le bouchon du populisme bourgeois ? S’étonne-t-on d’ailleurs qu’Amazon soit la librairie préférée des Français, comme au cinéma[3],
après avoir été la cible d’une justice empoissonnée, une fois de plus, par des intérêts privés élévés au rang de puissance publique ?[4]
C’est à voir. Et nous verrons bien, sans doute, car nous avons le goût des illustrations fidèles et des noms exacts. En attendant, à la plume ! Le temps presse et certains ont déjà vingt ans !
Patrick Cintas.
1. Taille de l’homme.
2. Le degré zéro de l’écriture.
3. En 1917, 391 constatait que le cinéma français était d’un ennui profond et qu’il le resterait... à part quelques... exceptions.
4. 451 pros viennent de se mettre au service de l’industrie du livre pour qu’elle conserve ses marges bénéficiaires exhorbitantes et ses privilèges moyennageux à l’instar de son modèle pétrolier. Prétentieux, cupides, retardataires, hypocrites, faux-culs et compagnie, ils illustrent leur combat par une anecdote dans le style bobo employé par les collectivités de l’État :
« Un ami paysan nous racontait : — Avant, il y avait la tomate. Puis, ils ont fabriqué la tomate de merde. Et au lieu d’appeler la tomate de merde « tomate de merde », ils l’ont appelée « tomate », tandis que la tomate, celle qui avait un goût de tomate et qui était cultivée en tant que telle, est devenue « tomate bio ». À partir de là, c’était foutu ? » Aussi nous refusons d’emblée le terme de « livre numérique » : un fichier de données informatiques téléchargées sur une tablette ne sera jamais un livre. » - 451
pros.
Cette anecdote, sans doute recueillie par un bobo qui ne connaît rien à l’agriculture, contient les signes mêmes de sa bobonnerie et de sa duplicité : la preuve, ce que je lis sur ma tablette en ce moment, c’est bien le livre de Baudelaire et en plus je dispose de quelques outils bien pratiques pour mes notes, mes recherches et ma correspondance. Ma lecture s’est donc améliorée. Que ce soit au détriment des charrettes du passé m’importe peu. J’imagine que les libraires les plus doués pour ce métier tirent déjà leur épingle du jeu — à condition qu’on les aide, bien sûr.
Ce que veut dire le bobo qui raconte cette (fausse) anecdote de la tomate, c’est que l’industrie du livre va devoir céder un peu de place à cette nouvelle manière de lire... qui date quand même de 1971, année qui vit le jour du projet Gutenberg. Le texte continue d’exister et dispose même d’outils d’écriture et de création. L’Oulipo n’a pas attendu ces 451 pros pour explorer la nouveauté avec toute la sincérité et la culture que cette activité ancestrale (l’écriture) réclame encore de nous.
La seule chose que je reproche aux tablettes et autres liseuses, c’est de s’être complètement éloignées de l’esprit humaniste qui animait Michael Hart en 1971, comme d’ailleurs le livre numérique ne répond plus que de loin aux exigences de Ted Nelson. J’avais 17 ans et je découvrais l’Internet. Il faut protéger nos librairies, certes, mais l’occasion est bonne pour laisser tomber les vieilles chaussettes. Cultivez-vous, pros, avant de donner des leçons à la noix à ceux qui travaillent votre pain avant de vous le livrer tout chaud : les écrivains.
* Cela me fait penser à Jean-Paul Sartre qui écrivait à Malcolm Cowley, l’agent de William Faulkner : « Dites bien à Faulkner qu’ici (en France) Faulkner est un dieu. » Et Faulkner de rire, toutes proportions gardées, bien sûr, car il commit malgré tout l’insigne insulte à la littérature d’accepter de figurer dans l’Ordre de la Légion d’honneur et d’écrire les plus grosses conneries qu’on ait jamais écrites sur le pantin de Gaulle. Le primat des Gaules est encore à la fête. Passons. Call me Patrick Cintas.
« Two Commandments for the Molecular Age :
1. Thou shalt not alter the consciousness of thy fellow men.
2. Thou shalt not prevent thy fellow man from altering his or her own consciousness. »