Baudelaire, Charles
Poète. Sa grande pureté de styke en fait un des auteurs privilégiés pour l'étude de "série" au XIXe siècle. Témoin sa sortie sur les philosophes «zoocrates et industriels», qui ne voient le progrès « que sous la forme d’une série indéfinie » (Cf. A. Comte, E. Durkheim, A.A. Cournot, Mao Zedong). Le mot n'est jamais employé dans les vers, mais d'une fréquence relativement forte dans ses proses et dans ses traductions de Poe*.
Les Fleurs du mal (projet de préface)
Comment, par une série d'efforts déterminée, l'artiste peut s'élever à une originalité proportionnelle;
Comment la poésie touche à la musique par une prosodie dont les racines plongent plus avant dans l'âme humaine que ne l'indique aucune théorie classique;
Que la poésie française possède une prosodie mystérieuse et méconnue, comme les langues latine et anglaise;
Pourquoi tout poète, qui ne sait pas au juste combien chaque mot comporte de rimes, est incapable d'exprimer une idée quelconque;
Que la phrase poétique peut imiter (et par là elle touche à l'art musical et à la science mathématique) la ligne horizontale, la ligne droite ascendante, la ligne droite descendante; qu'elle peut monter à pic vers le ciel, sans essoufflement, ou descendre perpendiculairement vers l'enfer avec la vélocité de toute pesanteur; qu'elle peut suivre la spirale, décrire la parabole, ou le zigzag figurant une série d'angles superposés;
Que la poésie se rattache aux arts de la peinture, de la cuisine et du cosmétique par la possibilité d'exprimer toute sensation de suavité ou d'amertume, de béatitude ou d'horreur, par l'accouplement de tel substantif avec tel adjectif, analogue ou contraire;
Comment, appuyé sur mes principes et disposant de la science que je me charge de lui enseigner en vingt leçons tout homme devient capable de composer une tragédie qui ne sera pas plus sifflée qu'une autre, ou d'aligner un poème de la longueur nécessaire pour être aussi ennuyeux que tout poème épique connu.
Exposition universelle (1855)
Demandez à tout bon français qui lit tous les jours son journal dans son estaminet, ce qu'il entend par progrès. Il répondra que c'est la vapeur, l'électricité et l'éclairage au gaz, miracles inconnus des Romains, et que ces découvertes témoignent pleinement de notre supériorité sur les anciens ; tant il s'est fait de ténèbres sur ce malheureux cerveau et tant les choses de l'ordre matériel et de l'ordre spirituel s'y sont si bizarrement confondues ! Le pauvre homme est tellement américanisé par ses philosophes zoocrates et industriels, qu'il a perdu la notion des différences qui caractérisent les phénomènes du monde physique et du monde moral, du naturel et du surnaturel.
Si une nation entend aujourd'hui la question morale dans un sens plus délicat qu'on ne l'entendait dans le siècle précédent, il y a progrès ; cela est clair. Si un artiste produit cette année une oeuvre qui témoigne de plus de savoir ou de force imaginative qu'il n'en a montré l'année dernière, il est certain qu'il a progressé. Si les denrées sont aujourdhui de meilleure qualité et à meilleur marché qu'elles n'étaient hier, c'est dans l'ordre matériel un progrès incontestable. Mais où est, je vous prie, la garantie du progrès pour le lendemain ? Car les disciples des philosophes de la vapeur et des allumettes chimiques l'entendent ainsi : le progrès ne leur apparaît que sous la forme d'une série indéfinie.