Boehmer, Konrad
Compositeur. A notamment oeuvré au studio de la WRD de Cologne, dont la présente interview menée par Christian Zanesi retrace l'histoire.
CZ - Pourquoi le sérialisme a-t-il eu cette prédominance-là dans cette manière de composer la musique électronique? Parce que ce n'était pas du tout évident, on aurait pu partir sur d'autres systèmes, sur d'autres règles de composition...
KB - C'est très facile à expliquer. D'abord d'un point de vue historique le sérialisme existait déjà. Stockhausen avait rencontré Boulez à Paris en 1949. Et, à partir de ce moment-là Stockhausen, Boulez et certains autres compositeurs (notamment le belge Karel Goeyvaerts) ont essayé d'élaborer une nouvelle technique en partant de l'héritage de l'Ecole de Vienne, et de certaines techniques rythmiques, même iso-rythmiques du XIVdeg. siècle, sans oublier les techniques néo-modales de Messiaen dont Stockhausen avait suivi les cours d'analyse à Paris. Le sérialisme était donc existant et appliqué déjà sur maintes oeuvres de musique instrumentale.
Ça, c'est la première explication qui est historique, la deuxième est systématique. Parce qu'au moment où Stockhausen entre au studio, on avait déjà vu que cette conception des paramètres divisés ne fonctionnait pas telle que les compositeurs le souhaitaient pour la musique instrumentale.
Pour vous donner un exemple très simple et très banal, on peut faire des séries de hauteurs, on peut faire à peine des séries de durée, (il y a déjà beaucoup de problèmes) mais on ne peut pas faire des séries de timbres. Faites-moi une série qui commence avec une flûte piccolo et qui finit avec une contrebasse. Qu'est-ce qu'il y a entre les deux? C'est complètement arbitraire. Une telle série reviendrait à une série de registres et non pas de timbres.
Donc
Stockhausen s'est dit, et dans sa conception, il avait parfaitement
raison, qu'avec ce matériau pur (le son sinusoïdal) on
pourrait peut-être sérialiser les paramètres que
l'on ne pouvait pas sérialiser dans la musique instrumentale:
le paramètre du timbre, et d'une manière beaucoup plus
précise que dans la musique instrumentale, le paramètre
de la dynamique.
Voilà, c'est ce qu'il a essayé. Sa
première étude est une oeuvre qui consiste purement en
sons sinusoïdaux, c'est une oeuvre très chaste, pour le
dire ainsi, qui sonne un peu comme un conductus médiéval
chanté par des voix synthétiques de femmes, des
religieuses sans vibrato. Donc l'application du sériel était
une conséquence logique de ce qui s'était déjà
passé dans la musique instrumentale et de ce que l'on
attendait de la musique électronique.