Broca, Paul
Anthropologue.
« Soit donc que l'on considère
l'humanité sous le point de vue de la conformation extérieure
ou des caractères anatomiques, physiologiques, intellectuels,
moraux, sociaux, on trouve, parmi les groupes partiels qui la
composent, des différences considérables. Quoique les
modifications de ces divers ordres de caractères ne marchent
pas toujours nécessairement de front, il y a cependant entre
elles une certaine solidarité. Ainsi l'obliquité et la
saillie de la face, constituant ce qu'on appelle le prognathisme, la
couleur plus ou moins noire de la peau, l'état laineux de la
chevelure et l'infériorité intellectuelle et sociale,
sont fréquemment associés, tandis qu'une peau plus ou
moins blanche, une chevelure lisse, un visage orthognathe, sont
l'apanage le plus ordinaire des peuples les plus élevés
dans la série humaine. Par conséquent, quoique la
distribution sériaire s'observe ici, comme dans les autres
groupes zoologiques, avec ou gradations et ses dégradations
infinies, avec ses traits d'union et ses anastomoses, il est
possible, et même facile, de distinguer, parmi les variétés
innombrables du type humain, un certain nombre de types secondaires,
autour desquels viennent se grouper, avec plus ou moins de précision
toutes ces variétés. Tels sont les type caucasique,
mongolique et éthiopique, qui sont admis par tout le monde, et
auxquels on a proposé de joindre le type hottentot le type
américain, ou même le polynésien. La
détermination de ces types secondaires fournit à
l'ethnologie les bases d'une première subdivision qui n'a, du
reste, rien d'absolu, car les types en question n'ont pas une
existence réelle ; ils ne correspondent pas aux divisions
ordinaires de l'histoire naturelle ; ils ne représentent ni
des genres, ni des sous-genres, ni des espèces, ni des races,
ni aucune collection quelconque d'individus. Ce sont des conceptions
abstraites, idéales, qui ressortent de la comparaison des
variétés ethniques, qui se composent de l'ensemble des
caractères communs à un certain nombre d'entre elles,
qui permettent par conséquent de les distribuer dans un ordre
naturel, mais sans impliquer l'idée que toutes les variétés
rattachées au même type aient une origine commune, ni
que les variétés rattachées à des types
diffèrent n'aient pas la même origine. Et c'est
précisément parce que ces questions d'origine sont
encore en litige qu’on a dû jusqu'à nouvel ordre,
renoncer à établir des divisions rigoureusement
analogues à celles de la taxonomie linnéenne, et
rattacher les variétés du genre humain à des
types abstraits, au lieu de les classer en sous-genres ou en espèces.
Quant à ces variétés, elles ont reçu
le nom de races, qui fait naître l'idée d'une filiation
plus ou moins directe entre les individus de la même variété,
mais qui ne résout ni affirmativement ni négativement
la question de la parenté entre individus de variétés
différentes. Le nom d'espèces supposerait la question
résolue définitivement dans le sens de la diversité
des origines; le nom de variétés, pris dans l'acception
spéciale qu'on lui donne en histoire naturelle, impliquerait,
au contraire, la doctrine que le groupe humain tout entier ne forme
qu'une seule espèce. Il en résulterait ce double
inconvénient qu'on parlerait deux langues différentes
selon qu'on serait monogéniste ou polygéniste, et que
ni l'une ni l'autre de ces langues ne serait acceptable pour ceux qui
considèrent comme douteux le problème des origines. Le
nom de races, au contraire, peut être adopté par tout le
monde, et c'est pour cela qu'il a maintenant prévalu.
La
description particulière et la détermination de ces
races, l'étude de leurs ressemblances et de leurs
dissemblances, sous le rapport de la constitution physique comme sous
le rapport de l'état intellectuel et social, la recherche de
leurs affinités actuelles, de leur répartition dans le
présent ou dans le passé, de leur rôle
historique, de leur parenté plus ou moins probable, plus ou
moins douteuse, et de leur position respective dans la série
humaine : tel est l'objet de la partie de l'anthropologie que l'ait
désigne sous le nom d'ETHNOLOGIE. Les sources où elle
puise ses renseignements sont très nombreuses et très
diverses ».
Extrait de l’article « Anthropologie » du
Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales,
édité en 1866 par A. Dechambre à Paris, tome V,
p. 276 et suiv.