Diderot, Denis


Ecrivain et philosophe matérialiste. Son emploi de "série" - le plus ancien repéré hors des mathématiques - est vraisemblablement le produit de ses discussions avec d'Alembert. Le terme, qui se trouve au coeur d'une réflexion sur la causalité et l'entendement, prend racine aussi bien dans l'acception mathématique que dans l'étymon series, présent deux fois sur les trois qu'apparaît le mot "série". L'influence d'Horace n'est sans doute pas étrangère à ce développement.


Salon de 1767


Il nous faudrait une journée pour dire et apprécier une phrase un peu longue. Et que fait le philosophe qui pèse, s'arrête, analyse, décompose, il revient par le soupçon, le doute, à l'état de l'enfance. Pourquoi met-on si fortement l'imagination de l'enfant en jeu, si difficilement celle de l'homme fait ? c'est que l'enfant à chaque mot, recherche l'image, l'idée. Il regarde dans sa tête. L’homme fait a l’habitude de cette monnaie ; une longue période n’est plus pour lui qu’une série de vieilles impressions, un calcul d’additions, de soustractions, un art combinatoire, les comptes faits de Bareme.


Observations sur Hemsterhuys


"Par exemple: soit a. D : : D. x. Soit encore a = 2 b, b = 2 c, c = 2 D. Supposons que quatre intelligences se rappellent les idées de a, b, c, D et x, et de tous les rapports que je viens de dire. La première, qu'on suppose faire coexister presque toutes ses idées, sentira d'abord que x = a / 64: elle compare d'abord a avec x, sans égard à tous les rapports intermédiaires, ou plutôt elle sent tous ces rapports dans le même instant. La seconde trouvera d'abord souvent de même, que x = a / 64, mais elle aura passé rapidement par tous les rapports intermédiaires." (Hemsterhuys).


Je vous déclare qu'il n'y a pas un homme à la surface de la terre capable d'avoir ces rapports coexistants.

Je vous déclare que celui qui est arrivé au dernier de ces rapports avec la conscience la plus entière de l'évidence, n'en a pas la coexistence.

Voulez-vous savoir mon mot : discursus est series identificationum : plus la série est longue, plus le circuit des identifications est compliqué ; plus il est rapide, plus l’intelligence est parfaite.

Vous avez spécifié un seul des moyens de cette opération. Mais ce moyen n'est ni le primitif, ni le seul, quoique ce soit, à mon avis, le plus fécond.

Quant à la manière d'instituer la série, et d'arriver prestement à une conclusion : affaire d'organisation, de mémoire, d'imagination ; affaire d'habitude, d'expérience.


Elements de physiologie


On éprouve une sensation ; on a une idée ; on produit un son représentatif de cette sensation, ou commémoratif de cette idée. Si la sensation ou l'idée se représente, la mémoire rappelle, et l'organe rend le même son. Avec l'expérience les sensations, les idées se multiplient ; mais comment la liaison s’introduit-elle entre les sensations, les idées, et les sons de manière non pas à former un cahos de sensations, d’idées et de sons disparates, mais une série que nous appelons raisonable, sensée ou suivie ?

Il y a dans la nature des liaisons entre les objets et entre les parties d’un objet. Cette liaison est nécessaire. Elle entraîne une liaison ou une succession nécessaire de sons correspondants à la succession nécessaire des choses apperçues, senties, vues, flairées, ou touchées. Par exemple, on voit un arbre, et le mot arbre est inventé. On ne voit point un arbre sans voir immédiatement et très constamment ensemble des branches, des feuilles, des fleurs, une écorce, des noeuds, un tronc, des racines, et voilà qu’aussitôt le mot arbre est inventé, d’autres signes s’inventent, s’enchaînent et s’ordonnent. De là, une suite de sensations, d’idées, et de mots liés et suivis.On regarde, et l’on flaire un oeillet, et l’on en reçoit une odeur forte ou faible, agreable ou deplaisante, et voilà une autre serie de sensations, d’idees et de mots. De là nait la faculté de juger, de raisonner, de parler, quoiqu’on ne puisse pas s’occuper de deux choses à la fois.


Un effet produit en nature ou en nous involontairement, ramène une longue suite d'idées. La raison a cela de commun avec la folie, c'est que ses phénomènes ont lieu dans l'un et l'autre état, avec cette différence que l'homme de sens ne prend pas ce qui se passe dans sa tête pour la scène du monde, et que le fou s'y trompe. Il croit que ce qui lui paraît, que ce qu'il désire, est, existe réellement. La marche de l'esprit n'est donc qu'une série d'expériences.

Suspendre son jugement, qu'est-ce ? Attendre l'expérience.

Le raisonnement se fait par des identités successives : Discursus series identificationum.