Meschonnic, Henri


Poéticien et poète. Sa "théorie du rythme" est controversée, et plus encore son style polémique. La série a longtemps eu chez lui un statut contradictoire, offrant un cas d'extrême confusion sémantique, jusqu'à ce qu'il développe la notion de "sémantique sérielle" - diffusion sémantique de chaque phonème dans un texte.Le style péremptoire ne fait que renforcer l'énigme que constitue le plus souvent le sens de "série" et, plus encore, de "sériel".



Critique du rythme


La signifiance est de tout le discours, elle est dans chaque consonne, chaque voyelle qui, en tant que paradigme et que syntagmatique, dégage des séries


La rime est l’élément de composition... Sa position est secondaire. Le parallélisme, ou plutôt le sériel, y est premier


La rythmique française, dans le cadre des vers traditionnels, est sérielle, et non systématique.


Plus la poésie a privilégié la rythmique, plus elle a systématisé une sémantique sérielle, qui multiplie l’“inflexion oratoire” -- l’accent consonantique qui, ajoutait Lote, “n’exerce qu’une action minime sur la voyelle, tandis que la valeur de la consonne s’accroît dans des proportions énormes”.



Politique du rythme, politique du sujet


Mais je ne prends pas le discours seulement au sens de Benveniste. J’entends par là une interaction entre la langue et la littérature, à prendre comme une sémantique du continu, selon ses rythmes, sa prosodie, sa sémantique sérielle .


Naturellement, la valeur du continu se vérifie sur d’autres actes poétiques dans d’autres langues, avec d’autres moyens. Comme ces trois longues qui égalisent le cri de douleur des tués et le cri de triomphe des tueurs, dans un vers d’Homère, toute une anthropologie d’un rythme ou la sémantique sérielle du nom Ophelia dans Hamlet.


Traité du rythme


C'est l'energeia, au sens de Humboldt, "énergie" au sens de force de travail, à la fois action et activité, l'activité d'un langage qui se montre et se réalise dans la rythmique, qui est ainsi la matière même de l'effet de sens. Ce qui, dans un tout autre registre, apparaît aussi dans Les Tragiques d'Agrippa d'Aubigné. La place manquant pour donner assez d'exemples, on n'en retient ici que deux. Mais la violence du discours, sa charge émotionnelle sont entièrement dans la poétique du rythme chez d'Aubigné. Dans le premier vers (livre II, "Princes", vers 254), dix positions sur douze sont marqués, dont deux et sept successives


Nul esprit n'est esprit, nul âme n'est belle âme


et, ce sont les points forts, mais ils sont extrêmement nombreux dans Les Tragiques, deux vers qui se suivent (III, "La chambre dorée", vers 1014-1015), avec onze et dix positions marquées sur douze. Violence du sens, violence du rythme


Dîtes vrai, c'est à Dieu que compte vous rendez,

Rendez-vous la justice, ou si vous la vendez ?


sans négliger la différence de force entre une consonne d'attaque de syllabe et une consonne finale, qui fait liaison (les deux /s/ du mot justice sont en fin de syllabe), on ne peut pas effacer qu'il y a un effet de série, repris en force par le /s/ d'attaque de si. De même les deux /ã/ de Rendez-vendez ne sont pas accentuants, mais sériants : ils contribuent au jeu de langage qui lie les deux mots par leur opposition même.