T





Thevoz, Michel


Critique d'art. Dans L'Art brut, tente une interprétation de de l'artiste schizophrène Carlo, dont l'oeuvre est dominée par le motif de la série.


De prime abord, les dessins de Carlo surprennent par une alternance de l'encombrement et du vide, qu'on ne peut pas ne pas mettre en relation avec la situation concentrationnaire qui a été la sienne (il n'y a pas que les psychiatres et les geôliers pour croire au "bourrage" en tant que symptome psychotique !). Dans les compositions les plus chargées, on a le sentiment que le traitement de l'espace n'a pas procédé d'une construction souveraine, mais de l'investissement progressif et continu de tous les intervalles disponibles. Au fur et à mesure que ceux-ci se sont restreints, les figures se sont faites plus petites, ce qui explique sans doute les curieuses variations d'échelle et d'orientation. Cette pression figurative ubiquitaire empêche la composition de s'articuler et de se costituer en un tout organique. L'accumulation concentrationnaire s'aggrave encore par l'effet de multiplication : rares sont les motifs uniques chez Carlo. La plupart du temps, ils se redoublent? comme s'ils n'étaient jamais que des répliques sans original.

L'homme surtout apparaît essentiellement sériel. On perçoit l'itération des motifs avant de s'attacher à aucun d'eux en particulier, d'autant que les silhouettes paraissent avoir été volontairement schématisées ou standardisées. Ainsi, l'attention est toujours déportée par l'attraction latérale et fuyante du double ; elle bascule ainsi d'un registre ou d'une échelle à l'autre, elle se disperse sans pouvoir se fixer sur un élément et encore moins embrasser un tout. C'est sans doute cette obsession de la dissolution qui incline Carlo à multiplier les figures par quatre, nombre essentiellement divisible, symétrique et inorganique, bien propre à faire échec à la totalisaytion.

Les collages qui datent de 1962, n'ont fait que renforcer cette tendance. Ils mettent en oeuvre des séries d'étiquettes, de boîtes d'allumettes ou de paquets de cigarettes qui couvrent la feuille entière. Contrairement à ce qu'on dit parfois, le collage n'est pas la forme accomplie du trompe-l'oeil ; au contraire, il défait visuellement la croyance à l'antériorité de l'imité ou de l'original sur l'imitant. C'est encore une manière de faire ressortir l'essence sérielle de l'objet. Et nous y verrions pour notre part une nouvelle façon d'allégorie antihumaniste. Du fond de l'asile et après avoir connu la condition d'ouvrier agricole, de soldat puis de détenu, Carlo signifie à sa manière, et avec les moyens dont il dispose, un certain état de la civilisation.



Thimonnier, René


Linguiste et pédagogue, auteur d'une étude sur le Système graphique du français.


L'étude des homonymies partielles suppose une définition préalable de la série analogique. Deux mots ne peuvent avoir rigoureusement le même son, le même sens et la même forme graphique. La notion d'identité totale exclut celle de la multiplicité. Mais la contradiction disparaît si les deux mots n'ont qu'une partie commune. Rien n'empêche que chacun d'eux conserve son individualité.

On réservera le nom de série analogique aux groupes de mots qui possèdent un élément commun (affixe, désinence ou radical) de même valeur phonique, sémantique et graphique. Appartiennent par exemple à la même série, tous les mots qui ont pour préfixe mono- (monocorde, monoplace, etc.), ou pour radical -terre- (terroir, déterrer, etc.), ou pour suffixe -able (ouvrage, supportable), ou pour désinence -er (marcher, chanter, etc.) En revanche, a(p)pesantir et aplatir, sonore et son(n)erie, remontoir et promontoire(e), il cour(t) et il cour(e) seront classées dans des séries différentes, dites séries homonymes.

On aboutit ainsi à quatre types de séries analogiques : les séries préfixales, les séries suffixales, les séries verbales et les familles de mots régulières. A ces quatre types de séries analogiques correspondent quatre types de séries homnymes, ou plus précisément quatre types d'homonymie partielle : les homonymies préfixales, les homonymies suffixales, les homonymies verbales et les familles de mots irrégulières. On fera provisoirement abstraction des séries formées sur des désinences non verbales (type clous, filous, trous, etc. et bijoux, cailloux, joujoux, etc.) puisqu'elles sont déjà clairement codifiées dans les grammaires. Par contre on assimilera aux radicaux et affixes, les éléments grecs et latins utilisés notamment dans la terminologie technique. Il n'y a guère entre les seconds et les premiers qu'une différence d'abstraction. La formation par préfixe et suffixe et la composition proprement dite ne sont que deux aspects d'un même phénomène. (Inemployable n'est pas formé autrement que microphotographie).

En prenant pour base le Dictionnaire de l'Académie (35 000 mots environ), on aboutit à un total de 4.484 séries analogiques (267 préfixales, 346 suffixales, 163 verbales, 3 708 familles de mots régulières.) En revanche les formes irrégulières représentent à peine 4% du total.



Thomas, Adolphe V.


Lexicographe, auteur d'un Dictionnaire des difficultés de la langue française (1956). Son interprétation de l'accord en nombre du groupe nominal "une série de..." ne correspond guère, peut-être, à la réalité de l'usage, plus complexe. Il n'en soulève pas moins un aspect mal connu et peu étudié du signifiant "série".


Série. - Lorsque ce collectif a un complément au pluriel, le verbe qui suit se met le plus souvent au pluriel : la série de crimes qui ont été commis depuis cette date. Une série de crimes ont été commis.

Avec une série, on emploie aussi le singulier : Une série d'articles qui traitait de ce sujet.



Torres, Anita


Critique littéraire, spécialiste de la science-fiction et auteur d'un ouvrage sur La Science-fiction française.


Les séries :


Il existe sur le marché plusieurs "séries" de S.F. que nous pouvons qualifier de productions littéraires industrielles. Il s'agit de récits d'aventures axés autour d'un héros, d'un univers qui reviennent de roman en roman. Fleuve noir publie la série des "Perry Rhodan" traduite de l'allemand. Plon sous la houelette de Gérard de Villiers édite les "BLade" (du nom du héros), aventures exotiques extraterrestres et légèrement érotiques, ainsi que "Jag" aujourd'hui disparue.

Les séries ont pour caractéristiques d'être produites par plusieurs auteurs, quelquefois collectivement. Un spécialiste, correspondant privilégié de ces auteurs, nous parle de véritables "ateliers". La plupart du temps, elles ne sont pas signées de leurs auteurs. [...] Ces collections sont ignorées par la critique du genre. Les pârutions ne sont guère signalées. Cependant, elles permettent à un nombre restreint d'auteurs (sous pseudonyme et en collaboration souvent), de vivre de leur plume. D'autant plus que les tirages seraient souvent plus importants que ceux d'"Anticipation".



Tout-en-Un. Encyclopédie illustrée des sciences humaines.


Cette encyclopédie, pubiée aux éditions Hachette en 2001, offre un tableau intéressant de "série" aux environs de 1921.


Sérial, e, aux, adj. Qui a rapport à la série.

Sériation, sf.  sérier

Série, sf (lat.) Suite de termes, de grandeurs se succédant d'après une loi × Suite, succession.

Sérier, vt. © V. Prier Classer par séries.



On a divisé [l’échelle musicale] en séries telles, qu’entre leurs deux extrémités, et quels que soient les sons qui les composent, elles ramènent toujours le même intervalle.

De même que les couleurs ont été ramenées aux 7 couleurs de l’arc-en-ciel, tous les sons perceptibles à l’oreille ont été classés sous 7 types déterminés, que l’on a marqué par 7 signes particuliers ou notes et que l’on a désignés par les 7 noms suivants : ut (do) -- ré -- mi -- fa -- sol -- la -- si. Cette série est appelée gamme.[...]

[On] dit que la gamma est du mode mineur ou du mode majeur.

On entend par là que dans le mode majeur c’est la série des tons pleins qui domine, tandis que dans le mode mineur c’est la série des demi-tons qui l’emporte. [...]

Si l’on dit : "Cette chanson joyeuse est en la majeur", cela signifie que les notes qui la constituent sont empruntées à la gamme suivante : la, si, do dièse, ré, mi, fa dièse, sol dièse, la.

Si l’on dit : « Cette romance en ré mineur est mélancolique », cela signfie que le mode mineur, comportant un nombre de demi-tons supérieur à celui du mode majeur [...], comprend une série de sons moins tranchés et moins nets, et transmet ainsi une impression de langueur, partant de tristesse.


Trésor de la langue française (CNRS)


Ce dictionnaire ne se caractérise pas seulement par son emploi de la technologie moderne. Il se distingue par sa répartition de "série" en deux branches distinctes, et par la qualité littéraire de ses citations.


SÉRIE, subst. fém.

A. [Suivi d'un subst. plur. désignant un coll.] Série de
1.
Ensemble composé d'éléments de même nature ou ayant entre eux une unité.
[À propos de choses concr. ou abstr.] Ces mots, forts simples, réveillèrent en moi toute une nouvelle série d'impressions: c'était un souvenir de la province depuis longtemps oubliée, un écho lointain des fêtes naïves de la jeunesse (
NERVAL, Filles feu, Sylvie, 1854, p. 593):

1. Le chemin que nous suivons est singulier: par une série de venelles, de passages, d'escaliers et de poternes, nous débouchons dans la cour du temple, qui, de ses bâtiments aux faîtes onglés, aux longues cornes angulaires, fait au ciel nocturne un cadre noir.

CLAUDEL, Connais. Est, 1907, p. 30.

[À propos d'animés (hommes ou animaux)] Si l'on parcourt la série naturelle des animaux, en partant des plus parfaits ou des plus composés, pour se diriger vers les plus simples et les plus imparfaits (LAMARCK, Philos. zool., t. 1, 1809, p. 129). Dans la série indéfinie d'Albertines imaginées qui se succédaient en moi heure par heure, l'Albertine réelle, aperçue sur la plage, ne figurait qu'en tête, comme la « créatrice » d'un rôle, l'étoile, ne paraît, dans une longue série de représentations, que dans les toutes premières (PROUST, J. filles en fleurs, 1918, p. 858).
2. Ensemble dont les éléments homogènes qui le composent sont ordonnés selon une ou plusieurs variables: le temps, la fonction, etc. Sur cette planche élevée, toute une série d'énormes dossiers s'alignaient en bon ordre, classés méthodiquement (ZOLA, Dr Pascal, 1893, p. 9). Léonard aussi retrouvait, comme en un coin d'armoire longtemps fermée, des séries analogues de noms classés par dates, sans souci de géographie ou de tactique (ESTAUNIÉ, Empreinte, 1896, p. 79).
Série noire. V. noir I B 1. Le pauvre gosse, engrené dans une série noire d'accidents et de catastrophes, fiacre emporté, piétons écrasés, foule ameutée, police, arrestation, commissariat, toute la lyre! (FARRÈRE, Homme qui assass., 1907, p. 135).

SYNT. Série chronologique,

la totalité ou à une partie d'un plan d'aménagement) soumise à un même mode de traitement`` (MÉTRO 1975). On estime aujourd'hui que la surface d'une série doit se situer entre 2 000 et 4 000 ha (Lar. agric. 1981).
REM. 1. Sériaire, adj. Qui forme, qui concerne une série. L'exercice (...) de toutes les représentations sensiblement durables, est donc discontinu et sériaire dans le fond (RENOUVIER, Essais crit. gén., 3e essai, 1864, p. XXVI). 2. Sériette, subst. fém. Petite série. Je vais essayer de célébrer dignement la mémoire de l'auteur de tant de chefs-d'œuvre dans un sonnet qui sera le dernier de ma sériette Dédicaces (VERLAINE, Corresp., t. 3, 1889, p. 45).

Prononc. et Orth.: []. Att. ds Ac. dep. 1762. Étymol. et Hist. 1. a) 1715 math. (VARIGNON ds Hist. de l'Ac. royale des Sc., p. 203: Suites ou Series infinies [à propos des Thèses de Seriebus infinitis de J. Bernoulli]); b) 1784 (DIDEROT, Élém. de physiol., p. 233: mais comment la liaison s'introduit-elle entre les sensations, les idées, et les sons de manière non pas à former un cahos de sensations, d'idées et de sons isolés et disparates, mais une serie que nous appelons raisonable, sensée ou suivie?); 2. 1767-68 (ID., Salon, p. 155: une série de vieilles impressions). Empr. au lat. series « file, enchaînement, suite ininterrompue (sens physique et moral) » (de serere « attacher en enfilade, tresser, lier ensemble »). Fréq. abs. littér.: 3 221. Fréq. rel. littér.: XIXe s.: a) 2 541, b) 4 858; XXe s.: a) 6 516, b) 5 007. Bbg. GOHIN 1903, p. 324. QUEM. DDL t. 11 (s.v. série progressive), 12 (s.v. série noire), 14, 21.



Tynianov, Iouri


Critique littéraire russe, un des principaux "formalistes". Les traducteurs insistent sur l'empreinte du scientisme dans l'emploi d'un certain vocabulaire. Pour Tynianov, la série est une des notions qui permettent de passer d'une analyse statique du fait littéraire à une étude dynamique.


Pour pouvoir apprécier un équilibre, il faut connaître les fonctions des divers facteurs en équilibre. C'est pourquoi, dans une telle étude, il sera extrêmement fructueux d'analyser les cas où un facteur donné est mis en relief (et non motivé).

C'est le cas par exemple des combinaisons, des conjugaisons des facteurs d'une série (intérieurement motivée) avec ceux d'une autre série distincte (mais également intérieurement motivée) : c'est donc le cas de la série mixte. L'exemple le plus simple d'une telle combinaison est celui de la parodie poétique dans laquelle entrent en interaction le mètre et la syntaxe d'une série (qui est, de plus, déterminée) avec le lexique et la sémantique d'une autre. Si l'une de ces séries nous est déjà familière, si nous l'avons déjà rencontrée dans une oeuvre, nous nous trouvons, en étudiant cette parodie, devant une expérience dans laquelle on a changé certaines conditions, tandis que d'autres ont été conservées intactes. Si l'on démembre ces conditions et si l'on se penche sur les facteurs modifiés, il est possible de définir le lien, la dépendance de l'un des facteurs par rapport à l'autre (par rapport à ses fonctions combinatoires). Il semble que l'histoire de la poésie justifie également un tel choix. Si l'on observe au plus près les révolutions en poésie, on remarque que celles-ci constituent toujours des faits de conjugaison, de combinaison de deux séries distinctes [...].



Que se passe-t-il si nous écrivons le vers libre en prose ?

Deux cas sont possibles : ou bien les segmentations en vers du vers libre coïncident avec les segmentations syntaxiques, ou bien elles ne coincident pas. Prenons d'abord le second cas. Ici, l'unité du vers n'est pas recouverte par l'unité syntactico-sémantique lorsqu'on a une disposition graphique du vers : si les coupes ne sont pas mises en évidence et reliées par des rimes, elles s'effacent dans la graphie prosaïque. Nous détruisons donc l'unité de la série du vers ; en plus de l'unité nous détruisons un autre trait : les liens étroits qu'établit l'unité du vers entre les mots qu'elle regroupe ; on détruit donc la cohésion de la série du vers. Or, justement, c'est l'unité et la cohésion de la série qui sont le trait objectif du rythme du vers : les deux traits sont étroitement liés l'un à l'autre : le concept de cohésion présuppose la présence du concept d'unité ; mais l'unité dépend de la cohésion des séries du matériau verbal ; voilà pourquoi le contenu quantitatif de la série du vers est limité. Si l'unité est quantitativement trop large, elle perd ses frontières ou se décompose elle-même en unités, c'est-à-dire que dans les deux cas, elle cesse d'être unité. Mais ces deux traits, unité et cohésion de la série, en créent un troisième : la dynamisation du matériau discursif. La série compacte et unie du matériau discursif est ici plus compacte et plus unie que dans le langage parlé ; au cours de son développement, le poème isole nécessairement une unité de vers ; nous avons vu que dans le vers-système, cette unité est une partie de la série : l'abschnitt (ou même le pied) ; dans le vers libre, par contre, cette unité est variable, toute série dans son rapport à la suivante sert d'unité.