Tynianov, Iouri
Critique littéraire russe, un des principaux "formalistes". Les traducteurs insistent sur l'empreinte du scientisme dans l'emploi d'un certain vocabulaire. Pour Tynianov, la série est une des notions qui permettent de passer d'une analyse statique du fait littéraire à une étude dynamique.
Pour pouvoir apprécier un équilibre, il faut connaître les fonctions des divers facteurs en équilibre. C'est pourquoi, dans une telle étude, il sera extrêmement fructueux d'analyser les cas où un facteur donné est mis en relief (et non motivé).
C'est le cas par exemple des combinaisons, des conjugaisons des facteurs d'une série (intérieurement motivée) avec ceux d'une autre série distincte (mais également intérieurement motivée) : c'est donc le cas de la série mixte. L'exemple le plus simple d'une telle combinaison est celui de la parodie poétique dans laquelle entrent en interaction le mètre et la syntaxe d'une série (qui est, de plus, déterminée) avec le lexique et la sémantique d'une autre. Si l'une de ces séries nous est déjà familière, si nous l'avons déjà rencontrée dans une oeuvre, nous nous trouvons, en étudiant cette parodie, devant une expérience dans laquelle on a changé certaines conditions, tandis que d'autres ont été conservées intactes. Si l'on démembre ces conditions et si l'on se penche sur les facteurs modifiés, il est possible de définir le lien, la dépendance de l'un des facteurs par rapport à l'autre (par rapport à ses fonctions combinatoires). Il semble que l'histoire de la poésie justifie également un tel choix. Si l'on observe au plus près les révolutions en poésie, on remarque que celles-ci constituent toujours des faits de conjugaison, de combinaison de deux séries distinctes [...].
Que se passe-t-il si nous écrivons le vers libre en prose ?
Deux cas sont possibles : ou bien les segmentations en vers du vers libre coïncident avec les segmentations syntaxiques, ou bien elles ne coincident pas. Prenons d'abord le second cas. Ici, l'unité du vers n'est pas recouverte par l'unité syntactico-sémantique lorsqu'on a une disposition graphique du vers : si les coupes ne sont pas mises en évidence et reliées par des rimes, elles s'effacent dans la graphie prosaïque. Nous détruisons donc l'unité de la série du vers ; en plus de l'unité nous détruisons un autre trait : les liens étroits qu'établit l'unité du vers entre les mots qu'elle regroupe ; on détruit donc la cohésion de la série du vers. Or, justement, c'est l'unité et la cohésion de la série qui sont le trait objectif du rythme du vers : les deux traits sont étroitement liés l'un à l'autre : le concept de cohésion présuppose la présence du concept d'unité ; mais l'unité dépend de la cohésion des séries du matériau verbal ; voilà pourquoi le contenu quantitatif de la série du vers est limité. Si l'unité est quantitativement trop large, elle perd ses frontières ou se décompose elle-même en unités, c'est-à-dire que dans les deux cas, elle cesse d'être unité. Mais ces deux traits, unité et cohésion de la série, en créent un troisième : la dynamisation du matériau discursif. La série compacte et unie du matériau discursif est ici plus compacte et plus unie que dans le langage parlé ; au cours de son développement, le poème isole nécessairement une unité de vers ; nous avons vu que dans le vers-système, cette unité est une partie de la série : l'abschnitt (ou même le pied) ; dans le vers libre, par contre, cette unité est variable, toute série dans son rapport à la suivante sert d'unité.