Et d'U à Z...



Vouilloux, Bernard


Critique littéraire, auteur d’une contribution sur Samuel Beckett, intitulée Tentative de description d’une écriture sérielle.


La construction du texte beckettien - le lecteur, surtout le mélancolique, aura pu en faire la remarque - n’est pas sans évoquer certaines formes de la composition musicale : plus qu’à l’écriture contrapunctique, qui hiérarchise son matériau en subordonnant une ligne à une autre, plus encore qu’à certaines dérives harmoniques du free jazz […], on pourrait penser aux figures géométriques de la musique sérielle, le travail compositionnel consistant à élaborer le matériau sonore à partir d’un protocole de génération spatialisant, qui procède par duplication, symétrie en miroir ou caténale, renversement, etc.




Zola, Émile


Romancier, il est l’auteur de la série des Rougon-Macquart, d‘où sont issus l‘essentiel de ses chefs-d‘œuvre (Pot-Bouille, Germinal, l‘Assommoir, Nana…). Les citations suivantes, extraites de correspondances de 1892, témoignent assez bien du caractère contraignant de la série.


Certes oui, je commence à être las de ma série, ceci entre nous. Mais il faut bien que je la finisse, sans trop changer mes procédés. Ensuite je verrai, si je ne suis pas trop vieux, et si je ne crains pas trop qu’on m’accuse de retourner ma veste.


J’ai hâte de me remettre au travail, pour que ma terrible série soit enfin terminée dans un an.




La série

à l'apogée du capitalisme.



Ce fascicule pourrait bien être trompeur, dans sa nature comme dans sa destination, et c'est pourquoi il me semblerait inopportun de ne pas l'accompagner d'une somme de réflexions qui, pour décousues qu'elles sembleront au lecteur un tant soit peu exigeant, auront du moins le mérite de circonscrire la portée de ce travail de compilation.

La série m'a appris à ne pas écrire, à ne plus écrire, ou en tout cas à écrire peu, c'est-à-dire : de moins en moins. Ainsi, en commençant cette "anthologie de la série", j'ai voulu, pour gagner du temps, récupérer par la grâce du copier / coller les citations qui parsemaient mes études antérieures sur le signifiant "série". A mon grand étonnement, je n'ai pu ainsi récupérer qu'une portion infime de ces "morceaux choisis" qu'il me tenait à coeur de voir figurer dans un pareil ouvrage.

Les citations intégrales, englobant le mot "série" dans un contexte suffisamment large pour que le lecteur puisse apprécier la dynamique discursive qui conduit un auteur à employer, à telle point de son discours, le mot "série", et les conséquences immédiates de ce terme sur la syntagmatique de son discours, de telles citations étaient assez rares au fond, même si, avec le temps, elles ont pris une place sans cesse grandissante.

J'ai arrêté un temps de travailler sur la série. Ce "bréviaire" m'apparait aujourd'hui comme une suite logique, mais aussi comme une épure du travail entrepris aux environs de 1994 (époque à laquelle j'ai pris conscience que l'objet de ma recherche était non une notion, mais un mot). On est toujours trop pressé de ramener ses conclusions, parfois même alors que l'étude est à peine ébauchée. J'ai ce travers, et ma recherche sur le signifiant "série" m'apparaît clairement comme un apprentissage qui viserait à me défaire de ce mauvais penchant.

Aussi je cède, du mieux que je puis, la parole aux auteurs qui ont fait, ou qui font, l'histoire de la série. La méthode me garantit une certaine objectivité - limitée toutefois, dans la mesure où j'opère une sélection par principe contestable. L'objectif étant que mon propos ne puisse plus, comme c'est le cas pour la plupart de mes essais antérieurs (dont un grand nombre me font honte), se périmer - il se trouve restreint au minimum !

Je n'oublie certes pas que la citation est une pression, plus ou moins légère ou forte, qu'exerce un sujet sur la masse des discours qui constituent une communauté culturelle et linguistique. Que l'effacement de soi, s'il est figuré, n'est que partiel - quand il ne relève pas de la pure fiction. La sélection de fragments de discours est, elle aussi, un discours, et ce projet d'un bréviaire du signifiant "série", bien loin de refléter fidèlement l'histoire du signifiant en question, n'en retrace qu'une frange.

La forme même de l'anthologie privilégie, sinon l'ordre littéraire, du moins le discours savant - qui relève de la haute culture. L'opposition entre culture savante et culture populaire peut être décriée : elle relève du quotidien de la langue, et ce n'est pas en la réfutant par des voeux pieux qu'on la réduira.

L'image de la série qui se dessine à travers cette anthologie est donc savante, la plupart du temps consciente de son histoire, de ses aléas, bien souvent soucieuse d'exactitude sémantique. Ce mot passe-partout et que, la plupart du temps, on emploie sans même y réfléchir, est principalement employé dans les citations relevées comme une notion à laquelle il y a lieu de réfléchir, ce mot n'apparaît guère qu'accidentellement dans les citations. Tout un pan de l'existence de "série" se voit, sinon effacé, du moins secondarisé par la logique de la citation, qui favorise la "série d'auteur" (au sens où l'on parle de "cinéma d'auteur").

Cette carence ne porte pas atteinte au projet lui-même (dont les motivations sont tout autant esthétiques qu'heuristiques), mais implique que le lecteur ne le prenne pas pour autre que ce qu'il est ; qu'il ne le lise pas comme une encyclopédie de la série. C'est plutôt une ressource documentaire destinée aux étudiants et chercheurs désireux d'appréhender la notion de série dans toute sa complexité.

Je crois en outre que ce travail peut s'avérer utile pour quiconque s'intéresse aux notions "abstraites" que véhicule nécessairement la recherche dans le domaine des sciences humaines. A travers le mot "série", c'est le rapport entre un mot et une notion qui est en question ici. Tant de notions se voient déformées au point de signifier tout et son contraire ! Combien de volumes écrits sur des concepts tels que "rythme", "modernité", "sémantique", questions irrésolues toujours parce qu'au lieu de prendre les mots dans leur histoire, dans leur complexité historique, on a voulu leur infliger un sens définitif - mais qui ne saurait l'être, simplement parce que nul n'est maître de la signification d'un mot. Qu'un sens se crée, qu'un autre se perde, n'est jamais la conséquence d'un décret.

J'ai abordé le mot "série" avec des a-priori sur son sens, sur sa valeur. Je l'associais à la dodécaphonie, et nombre de notions de "série", je les méprisais. J'ai appris à les entendre. J'ai compris que les unes étaient impensables sans les autres ; qu'il fallait accepter le mot dans ce qu'il a de meilleur comme dans ce qu'il a de plus embarrassant.

Que le lecteur ne voit pas dans cette anthologie une encyclopédie de la série, donc. Pour accéder à un tel statut, il devrait au moins être complété par une seconde série de fiches, qui ne correspondrait pas à des auteurs, mais aux notions elles-mêmes. Comment répertorier, comment classer ces entrées ? Par domaine, par le complément ou l'adjectif qui complète "série" ? Je m'en voudrais d'apparaître plus affirmatif que je ne suis sûr de mon fait. IL me semble cependant qu'au moins trois types d'entrées devront coexister : une première série nominative - la "série d'auteurs" (dont le lecteur détient une version provisoire) ; une seconde série, par domaines : l'emploi de "série" varie fortement d'un domaine à un autre de l'activité sociale ; enfin, une série "locutive" qui permettra, quitte à établir des renvois en nombre, d'aborder certaines complexités liés à l'emploi de "série", et que les deux précédents types d'entrée ne permettraient pas d'aborder.

Autre limite, qui intervient de l'intérieur même du cadre que je me suis fixé : les séries "anodines" : une série d'études, de questions, de problèmes...Ces locutions abondent, particulièrement dans la littérature scientifique, dès la première moitié du XIXe siècle.

Auguste Comte, par exemple, n'emploie que très rarement le mot "série" dans un sens conceptuel. Le phénomène est assurément des plus remarquables, dans la mesure où le terme de "série" s'est trouvé pour longtemps associé, pratiquement au niveau de la langue, aux grands concepts de Comte que sont la classification encyclopédique des sciences fondamentales et le progrès. Insérer ces séries "secondes" dans le présent fascicule n'en aurait pas nécessairement enrichi le contenu. Il m'a semblé plus utile, lorsque cela me semblait nécessaire, de résumer par un en-tête le statut général du mot dans l'oeuvre envisagée, pour ne donner que les citations les plus intéressantes sur le plan de la notion ou du discours. Quand Comte évoque "une série de travaux", son témoignage n'a d'importance que sur le plan de la langue. Cette mention doit revenir l'attention, car elle intervient assez tôt au XIXe siècle, et dans cette acception empirique Comte l'emploie assez fréquemment. Ainsi, dans la mesure où il n'est pas le seul à agir ainsi, nous pouvons en conclure que "série" ne rencontre plus guère les réticences que signalait Féraud* dans son article de 1788. Nous le voyons pourtant, cette occurrence s'analyse sur un autre plan que la série indéfinie du progrès, dont nous rencontrons l'écho chez Baudelaire, Durkheim, Cournot, et jusqu'à Mao Zedong, dans la traduction française de ses essais !

D'un autre côté, il est vrai que l'étude de la situation contradictoire du mot "série" chez Auguste Comte (mot fréquemment employé, dans un sens non spécifique, beaucoup plus rarement avec une valeur spécifique, et postérité colossale des acceptions spécifiques de "série") ne serait pas complète si elle ne regardait que les mentions les plus spécialisées de "série". Un telle étude des variations intradiscursives du signifiant "série" n'est pas l'objet de ce recueil.

Un autre point est susceptible de susciter l'interrogation ou la critique du lecteur - c'est le problème de la langue. L'étude du signifiant "série" porte essentiellement sur le domaine français, et j'ai généralement exclus les textes en traduction. Il était néanmoins difficile de ne pas entraver ce principe. Une langue vit d'échanges constants avec d'autres langues. Les questions scientifiques - dont la langue "véhiculaire" fut le latin, aujourd'hui l'anglais - ne connaissent pas plus les frontières linguistiques que les frontières physiques. L'histoire du signifiant série est une histoire européenne, sinon mondiale, et partout en Europe le mot "série" s'est imposé, à la faveur semble-t-il du développement de l'idéologie scientifique : l'anglais series, l'italien seria, le russe seria ont des histoires distinctes, mais étroitement liées. Il n'est donc pas pensable d'exclure même temporairement et sans admettre d'exception toute référence à une langue autre que le français. Ainsi, l'influence d'Umberto Eco sur l'acception actuellement dominante de "littérature sérielle", pour prendre un fait connu, ne saurait être évincée. Pareillement, pour un problème aussi grave que l'absence du signifiant "série" dans aucun vers français jusqu'à la seconde moitié du XXe siècle, son extrême rareté jusqu'à nous, on ne saurait ignorer la contribution - en russe - de Brioussov, qui place le mot à la rime d'un de ses poèmes. Enfin, se pose continuellement le problème de la traduction, et la citation du poète iranien Mîrza Abbâs Foroughi, en apportant sa contribution au problème du vers français, initie cette question qui, j'en suis persuadé, apportera à l'étude historique du mot un éclairage nouveau.

On voit que la présente compilation, bien loin d'épuiser la question de "série", n'apporte encore qu'une information lacunaire et dont la forme générale ne permet pas d'appréhender, dans sa complexité mouvante, le mot lui-même. Et ce n'est pas par modestie si je signale ces limites à mon travail ; je ne suis pas un adepte de l'excusatio propter infirmitatem. J'ai seulement le souci que ces pages soient appréhendées et jugées à partir des intentions qui ont présidé à leur établissement.