"series"
en latin définit un "ensemble de choses qui se tiennent",
se paraphrase notamment par "entrelacs". Cette idée
de "choses qui se tiennent" n'est pas si continue que
"suite, succession". Elle est présente dans la
racine "ser-" qui a donné en français (bien
avant de donner "série") : dissertation, sermon,
désert (et oui ! désert est l'absence de série)...
et quelques-autres (voyez le Dictionnaire étymologique du
français de Jacqueline Picoche qui range les mots par leur
racine et les développe en... séries).
Or cette
hémorragie du concept est la raison précise pour
laquelle je me suis attaché au mot lui-même et non à
une idée. L'univers entier a passé par ce mot, donc la
contrainte ne me pèse guère et me permet de toujours
savoir à quelle(s)branche(s) de l'histoire ramifiée de
"série" j'ai affaire.
Hugo parle de la série
de l'alphabet.
Au début du XXe siècle, on se
battait comme des chiens sur l'emploi de "série".
Dans son vocabulaire de la philosophie, Lalande écrit :
Série linéaire est très usuel dans le
langage de la philosophie contemporaine, mais souvent dans le sens
sens, où linéaire n'est qu'un pléonasme destiné
à parler à l'imagination. On l'oppose alors à un
ordre complexe, et l'on entend par là une succession de termes
tels que chacun d'eux n'ait qu'un seul antécédant et un
seul conséquent immédiats. Mais c'est là un
caractère même de la série. On n'appellerait pas
proprement de ce nom une suite à double entrée, ni un
arbre généalogique ramifié. Quand on parle de la
série des ancètres d’un homme, on l’entend
en général des ascendants en ligne paternelle, comme
dans la généalogie de Jésus Christ selon saint
Mathieu ou saint Luc Et de même l'expression "série
animale" n'at-elle pas pour origine et pour sens l'idée
d'une suite unique entre toutes les formes vivantes ? C'est même
précisément cette conception d'une "chaîne
des êtres" que Cournot réfute dans le second
passage cité.
On parle, au contraire, avec raison
d'"ensembles linéaires" qui sont définis "des
ensembles de nombres réels inégaux qu'on peut toujours
ranger à la suite les uns des autrespar ordre de grandeur, de
façon qu'ils ne forment qu'une seule file". COUTURAT,
L'Infini mathématiuqe, p.625
Mais, d'autre part, au
premier sens, qui oppose linéaire à circulaire, le
terme est mal choisi : linéaire ne veut pas dire rectiligne,
ni "qui forme une ligne ouverte" ; une chaîne peut
très bien se refermer sur elle-même. De sorte que ni
dans un cas ni dans l'autre l'expression n'est satisfaisante.
Mais
déjà l'industrie avait fait ses choux gras de "série".
Tout au long du XIXe siècle, le mot entre dans la presse, dans
l'administration, dans le commerce, pour décrire des actes
réguliers. Vers 1905 apparaît la fameuse : "production
en série". L'idée de répétition
n'est présente qu'à la fin du XIXe siècle. Elle
prend une importance croissante jusqu'aux années
d'après-guerre où elle devient dominante. Aujourd'hui,
on associe beaucoup "série" à une idée
de répétition. Mais c'est très réducteur.