Fonction d'intervalle
J'ai longtemps douté qu'il fut possible d'associer un sème unique au signifiant « série ». Un sème, c'est-à-dire un trait de signification commun à tous les emplois du mots : l'idée de succession et celle de répétition s'opposant par trop à l'intérieur de l'histoire du mot pour les réunir en un terme, pour ainsi dire, consensuel.
Pourtant, aujourd'hui, la notion de « fonction d'intervalle », qu'a énoncée Pierre Boulez au sujet de la série, me paraît une formule assez complète pour définir son « sème » dans sa structure comme dans son histoire, de la façon la plus générale possible.
Chez Webern, [...] la série prend tout de suite l'aspect d'une fonction d'intervalles, donnant sa structure de base à la pièce elle-même ; c'est cette définition qui finalement prévaudra dans les développements fut
L'intervalle est ce qui relie un terme à l'autre et, si la série est constituée de termes, un intervalle existe entre les termes qui se réduit à zéro, ou plutôt à « zéro », pour la série industrielle (principe d'identité) mais qui atteint des degrés élevés de complexité dans différentes disciplines : mathématiques, philosophie, musique, géologie, histoire, psychologie, astronomie, etc.
La fonction est le principe qui régit ces relations : loi numérique pour les mathématiques, répartition des idées dans la rhétorique d'Horace. La série se définit par la fonction qui l'exerce : raison mathématique, statistique, taxinomique ou indusrielle, esthétique ou eschatologique (la « loi des séries » ou « série noire » dans le langage courant).
La série se définit, elle se définit nécessairement, par la relation qui se noue entre ses termes : relation simple (d'identité ou de progression arithmétique) ou complexe (comme l'est toute relation extra-mathématique).La relation se définit par une fonction et un intervalle. C'est pratiquement ainsi que la pense Diderot :
{...] on voit un arbre, et le mot arbre est inventé. On ne voit point un arbre sans voir immédiatement et très constamment ensemble des branches, des feuilles, des fleurs, une écorce, des noeuds, un tronc, des racines, et voilà qu’aussitôt le mot arbre est inventé, d’autres signes s’inventent, s’enchaînent et s’ordonnent. De là, une suite de sensations, d’idées, et de mots liés et suivis.On regarde, et l’on flaire un oeillet, et l’on en reçoit une odeur forte ou faible, agreable ou deplaisante, et voilà une autre serie de sensations, d’idees et de mots. De là nait la faculté de juger, de raisonner, de parler, quoiqu’on ne puisse pas s’occuper de deux choses à la fois.
Extraite de son champ initial (les mathématiques), la « fonction d'intervalle » permet d'appréhender la structure sérielle (= constituée par des « séries de discours ») de l'archéologie de la série. Dénominateur commun, elle ordonne entre eux ta BMW et ma collection de Derrick, la loterie de grand-mère et l'apprentissage par les cubes du petit-fils, la géologie et l'esthétique, la linguistique et la chimie, l'astronomie avec tout ça, et puis
De la musique avant toute chose
Et pour cela préfère
l'impair
Plus vague et plus soluble dans l'air
Sans rien en lui
qui pèse ou qui pose
l