Patrick Cintas
alba serena
poésies
© Patrick Cintas
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Table
Fragments d'une conversation sans personnages
Chant d'amour passé le temps d'aimer à aimer
Chant de désespoir avec les instruments de la douleur
Odes, odes, en finir avec ce livre encore possible
Par exemple le vieil E.P. à Pise
à Valérie
mais Tydée gronde déjà à la Porte Poitride
ne franchis pas le gué de l'Isménos
les entrailles des victimes ne sont pas favorables
Et Tydée, furieux, qui brûle de combattre
crie comme le serpent qui siffle à l'heure du midi
au promontoire de Cadmée
accablant d'outrages le savant devin
fils d'Oïclé, et l'accuse de flatter, lâchement
lâchement, la mort et le combat, in memoriam
Poussant ces cris secoue 3 aigrettes noires
crinière de son casque, et sous son bouclier
cymbalum, cuivre sonnant l'épouvante
Et puis ton propre frère o Enyo latinus bellona
pardonne à Tirésias d'avoir tenté les cœurs
une Sœur, o Lykéios, fille de l'Hadès
*
trahi, trahi, trahi,
des jours et des jours
et des nuits et des nuits
o labyrinthe
o cité trahi par ce dédale, sentence
et la déesse qui a vaincu par Bab Ilo
l'œil de nacre de sa face
terreuse
elle est presque nue sur les gradins
o déesse ouvre ma lèvre
et ma bouche célébrera tes louanges
célébrera l'âge malgré les reculs
ouvre mes lèvres
par le baiser invite
et je parlerai de ton nom au nom
de tous les cœurs et noms
cachons, cachons nos vieilles faces ensoleillées
car l'éthique même est
de paraître avec la nuit
*
Embarquez valeureux matelots tous sur le pont du Bonavir
aspirez expirez la mer, mat'lot, c'est la seule santé
prédicant c'nabot-là !
o sang de l'agneau o anneau de sang
purifie ma pudeur outragée
épargne-moi le sacrilège
pardonne à mes hontes d'enfant
rejaillis dans le ventre des mers
Repose en paix, vieux mort !
*
sur le midi juste sonnant le cri de la mouette oh oui
imite pour moi le cri de la mouette
je veux me pendre à ton image
moment où le poème se brise
l'anse dans une main
sa main douce comme par le chant élu
dis-moi o vagabonde cornée o vents o marées o retours
*
combien de masturbations secrètes as-tu suscitées
o chère longue et amère littérature
et bien avant que de l'être de rut
et de l'être du coït, même, même, du plaisir
et tout poète digne de ce nom a dit :
« cela commence avec moi
et ceci n'est qu'une fin temporelle »
m'aime m'aime et qui conjugue
là défilèrent les paquets d'algues océanes
les jeux de l'oiseau et du crabe
les mêmes thèmes qu'ailleurs, asilium
et le rêve et la réalité jouant par l'ombre
les interférences du cœur et du cœur
le courbe définit le linéaire
t'aime t'aime sur quel mode
comme par le corail suspendu à ta bouche
*
car c'est une poésie de pure contemplation
une civilisation par l'inceste innove ma pensée au lieu
en instance de rencontre avec l'autre
en instance de rencontre par suite
précède-moi d'un cœur plus mûr
par les neiges autrefois de saison
par l'échine poudreuse du Graal
par la mosaïque entamée en 1454 cinq siècles durant
par les berges mauves où a bu un troupeau de moutons
il dit « que le pivot soit aussi le plus juste milieu »
invente-moi un cœur
les ruines romaines dans une mare de sang
*
dis joli bedon eh gloire du nœud
arrange un cœur très fol du roi
le destin y pourvoira du fond
étale la terza rima'n luz de culo ç'amour
eh lit dans le journal des strophes quotidiennes puis jaspine
sacré filou l'caron gésant par-hici
pi s'aller quérir le gral tout bollé
quand c'est qu'il est gallé damoiselle
un cœur qu'on stèle avecque escript
*
le passé littéraire
poème opaque sur le verre dépoli des jours à venir
mort prononcée de haute voix
et puis la lecture épiphanique
ce qui semble
porteuse selon ce qui se présente
des lustres non rêvés au feu de soi
ne sachant où commence où finit
le premier jour que l'heure envisage
ce que personne ne cachera
ce qui meurt au parler d'une autre dynastie de pensée
voulait que la grimace importune le sang
voulait que tu ne sois pas lésé du sang
o grâces pleines de grâces dites au passé
elle voulait que le mot absente le présent
argumente le futur
un retour aux vertus de l'âge
*
là-bas sous les arbres nus de l'îlot
doucement elle déchire ce qui l'entoure
doucement elle s'isole avec son sexe
doucement elle se prépare à traverser la rivière
et lentement elle nage vers l'autre rive
lentement approche l'autre rive
lentement l'eau infiltre le poumon
cri même des ronds dans l'eau où s'éparpille le visage
et il la regarda traverser la rivière
toute nue et blanche comme le sable
et petite comme les dunes de sable
et toute lumière comme les pyramides
*
o langage mère de tous les vertiges
vertige de celui qui tombe
vertige de celui qui s'élève
vertige de l'horizontale et de la verticale
vertige de l'oblique
o vertige des
vertiges
nul n'est à point dans la lettre conviée à signifier
*
on a mis le mort dans le zinc soudé le zinc
et le zinc dans le bois cloué le bois
et le bois dans la terre fermé la terre
on est sorti du cimetière avec les chapeaux dans les mains
on a travaillé du chapeau en tapant des mains
la fille du B.A. a dansé sur nos chapeaux
et nos chapeaux ont dansé sur nos têtes
ils ont dansé dans la robe perlée d'une catin
leur pas était démesuré au-delà de toute main tendue
P't'être que Zeus s'ra pas furieux contre nous !
*
le serviteur du soleil coupe le chant
des réserves de lions blancs et ors
l'horizon per naturam
envisagé dans l'optique de somptueuses
verticalités
sur le haut de l'escalier la reine nue
des chiens contre les érections immobiles
*
et le roi entre dans le lit royal
et la reine repose auprès de lui
et le roi bande dans le lit royal
et la reine repose auprès d'elle
et le roi pénètre dans la reine
et la reine lui donne son cul
et le roi à écaille de coquillage
et la reine comme une virgule votive
et le roi lime dans l'anus in memoriam
et la reine éloigne la mémoire
*
« oui
ils nous fouettent jusqu'au sang
ils nous bousculent dans ses travaux
mais o mon dieu que je suis heureuse
de participer de la présence de cet édifice
même si leur dieu n'est pas le nôtre
il y a cet immense travail qui compte
je porte en moi tout l'orgueil de Bab Ilo »
et pendant ce temps, qu'elle parlait,
j'ai rêvé être sa douce lèvre
sa lèvre au son de verre étiré
*
il dit : « non »
il dit :
« mes frères sont fils de la boue
et la boue m'est chère
par l'eau et par la terre
le pilier et l'autre pilier »
des putains sur les bûchers
l'esprit est une secousse des éléments près de l'abîme
voici le temps des bâtisseurs et des esclaves
voici le temps qui précède le tau
voici l'amour rectangulaire
et ils ont beau brûler les putains de la ville
jamais
par-delà les bûchers
par-delà la mort violente
par-delà les érections forcenées
leur lèvre ne prononcera le mot juste
*
« n'appelle pas les chèvres »
hurle Tytire semper recubans
n'appelle pas les chèvres
et n'appelle pas le bouc
ne crache pas dans ton pipeau
le lion large patte traîne dans l'arène
le lion museau gris reconnaissant
use le sable blanc traîne le pivot
large patte et museau gris Graymalkin
*
mon âme laisse tomber de moites raideurs
les trois ailes du rêve
les deux ailes du réveil
elle
l'herbe a pénétré l'hypotypose
l'herbe renverse l'enthymème
l'herbe est la sodomie du repos
l'herbe cache un discours héroïque
*
la campagne maintenant lointaine
un arbre au chapeau de soleil
l'ombre verticalise la lumière
soutien-gorge sur la lampe-luciole
ce nœud de distances et de lointaines correspondances
dans ces sourdes désertions du cœur
*
Capanée contre la porte d'Électre
Polyphonte et Artémis est-ce stupra
qu'elle voulait dire « n'isole pas »
le guerrier semé Mégaréus fils de Créon
pour défendre la porte Néiste
la phalange d'Etéoclos au casque renversé
Pallus Onka voisin de la porte d'Athéna
et le vaillant fils d'Oïnops
Hyperbios
Typhon et Zeus contre la porte
par la bouche d'un Hyppomédon plein d'Arés
la porte Borée près du tombeau d'Amphion
Actor contre Parthénoppée Homolois
et Amphiaraos et le portier inhospitalier
le puissant Lasthénos
croisent le cuivre
des sorcières et un bouc de belle taille
*
il dit : « o toi rieuse et passante rêveuse
marche au-delà de l'écume nacrée
la silice inaugure le sol passées les amours
l'algue océane
mouette ciselée
te souvienne ce que le vers énumère dans le sable »
hantise suivie sur le contour, dit-il
de ce côté de la mer elle isole toujours
*
sais-tu qu'il chante
et que son désespoir a libéré les intermittences
a libéré le cœur
et lire ceci :
« alors le vieux grogna
je vous ai déjà dit de me foutre le camp
et p't'être que quand vous s'rez plus là
j'pourrais manger mon pain en paix
alors ils sortirent de là où il mourait
et il se trancha les veines au poignet »
qu'il chante
et que son désespoir ne chante pas
ne se chante pas
qu'il chantera encore
alors il vit le vieux couché sur son lit
le poignet sur le ventre
sang
l'œil gris
« I's'peut qu'j'ai eu tort mais pas moi » qu'il dit
et au moins c'était la seule chose à dire
vu les circonstances
et vu la paix acquise dans le symbole et la fatalité
car la race qui est ton sang est un signe réducteur
« mais si j'ai eu tort m'en veux pas »
lire ceci, plutôt ceci :
tu m'oublieras ainsi que ton nom o porteur du Présent
*
la mort
rien que l'atroce anesthésie
du sens de la vie et de l'élément
rien que la dernière fois
quand j'ai parcouru le chemin à l'envers
jour des jours
où est inscrit ce qui ne sera pas dit :
la dernière usure
vienne à moi la conscience de mon cri
le sec et clair poumon jeté en pâture aux chiens d'Égypte
et tombe la première pyramide ousque je m'en vais
soleils chauds et noirs et pâle rosée de l'inattendu
*
quels étaient les morts gisants par ce sol
évoqués plus loin dans la pierre noire
des pensées et de l'infortune au cœur de sel
un serpent entre les tombes repère le présent
vis-à-vis des chemins bordés de scories mentales
la voix terne et taciturne toujours de l'ancolie
un serpent blanc
et le vent girant sur le tour
les hommes futurs y laboureront peut-être
l'enfer non pas le mal non pas dieu
surprises entre les arbres nus s'élevant haut dans les jours
celui que l'infortune a fait naître sur ces rives calcaires
le son de ta voix approche de la réalité
*
au pied du ciel dansantes
les phases diverses du passage de la vie à la mort
transes certes
mais pourquoi ce sang que mesure la fin du jour
souvienne non avec la mémoire juste dans le rêve
ce qui préside à la beauté
au sens du cri
que l'absence de poumon retient ou déloge
et répercute après l'heure
*
même au soir que désole l'ombre
entre le sommeil et l'insomnie
s'y vautre le vis-à-vis des jours avec les nuits
regards du dehors
vers un intérieur qui s'interpose
où le langage rencontre le sang
*
les visages de chaque œil en tas
au creux de la bobèche inouïe
la transe où l'ennui n'est pas mort
d'avoir recueilli toute plainte et toute consolation
désertant l'optique d'un renouveau là-bas
redescendu l'oiseau dans ses mains
ventre de feu que fornique le pleur
*
et H.D. se demandait
où ils voulaient en venir
avec leurs « assertions »
et toute la nuit
les putains s'agitèrent dans les couloirs
manque d'éclairage sur tout ceci
un temps peut-être nul
par rapport à l'augmentation du prix de l'amour
et toute la nuit toute la nuit
à écouter les poux courir dans tes cheveux
*
là-bas et c'est ailleurs
plus loin que le regard ne porte
au-delà de tes yeux
semblable sœur dorée par ces rayons
la ligne vague du soleil
comme une bouche au vocatif lointain
ni demeure un reste de ce qui reste
s'échange et vocalise haut diverses naissances
la mer abrupte qui roucoule
comme au persil peut-être
restes d'un nom isolé
parmi chacune de toutes les formes d'algues connues ici
par un regard qui regarde si c'est lui
ce qui compose l'auréole
et limite d'un cercle son nom qui l'adjective
et le dénombre en sa saison son temps
s'il est encore temps de démarrer le pas d'ici
fondre dans la dernière écume
juste limite
et mobile seulement vis-à-vis du pas qui s'y risque
de donner dans ce mouvement où il est absence
porteur du feu qui ne s'en sépare pas
aussitôt que l'air l'embrase et l'immole
sur la terre porteuse de l'eau purificatrice
*
par cette rive aux rocs lointains
loin les arbres du dernier séjour
si lointaine blanche sous le vent qui te porte
tu es mesuré à la mesure des vagues
contre son ventre se courbant
et nul n'a ouï de ta présence tout l'or
comme un écho mais regardé
si l'œil s'y attarde en ce moment arable
et nul n'est plus solitaire que toi
ton ombre revenue de si loin là-bas
est-ce à la morsure de l'herbe d'oubli
peut-être que s'y résout son opaque conflit
as-tu marché assez longtemps sur cette terre
as-tu besoin maintenant d'un repos nouveau
ou bien la mer encore a-t-elle demain
assez de temps dans son écume légère
est-ce à cette dent douce que ton esprit murmure
mais nul n'aura trouvé assez de temps
nul n'aura eu le temps de partager
le pain de ton blé
le vin de ta vigne
et ici l'herbe est fraîche
d'un premier rayon sur ta lèvre
qui n'a pas trouvé le sommeil
parlant toute la nuit à ce vague paysage
où la barque encore converse avec le vent
est-il temps maintenant
est-ce la pénultième toujours
parmi les mortes qui ont peuplé ton sexe
*
charmé d'entendre
de si justes propos
mais pourquoi les ensevelir
sous ce brusque silence
n'est-il que de t'étreindre
avec ma voix de luciole
que dérive toute crainte
de ne te voir plus paraître
le silence va-t-il nous dire
le point de ton cri
et la hauteur de la déchirure
se penche le verbe aimer
sur le participe qui l'adjective
où rencontre-t-on la voix
ton silence se charge d'autres silences
*
me voici proche des édifices
de la distance et des lieux
du désespoir et des regrets
des trahisons et des sentences
des fuites et des refuges
mesure ton langage je dis : mesure-le,
car tu as pénétré mes monuments et mes dieux
le soleil me brûle les poumons
mesure le rayon la clarté
je dis mesure la pierre
car en ces lieux la folie se structure
selon les présages et puis même
tu es mesuré dans les calculs
des vitraux et des fresques
mesure ceci
qui est de clore toute parole dans le poumon
en vue d'un cri sur le seuil ensoleillé de ma maison
*
douce au sampan de tes yeux
le vers horizontal fumigène
dans la transe vers quelque étoile
s'exalte le désir
défile-t-elle devant mes propres yeux
connaît ceci,
que l'onde modifie la verticalité des surfaces
idée fixe
relevée d'un cran
après que la septième retient une algue mauve
la dame la plus belle stagne à l'orient
*
depuis que le vent
déchire le mur
nuages cloutés sur les tuiles
dès que la pluie écarte
des privilèges de rosée
le temps est exact
mêlée toute passante à l'hommage rendu
le symbole au peuple insulaire
la tour qui purule à l'horizon
chaste comme l'écho
et réduite à peu de choses
près du pont tendu
entre le rêve et la réalité
mais que le temps renversât
la vapeur au gré des lignes vibratoires
des tombes pleurées plus que leurs morts
ses morts oubliés comme page de mémoire
iras-tu donc pleurer les tombes disparues avec le jour
la nuit préside au rêve
la mort instaure la pierre plus que la mémoire
*
au gré même du temps dis
« mémoire est hantise du jour »
la nuit exhume le précédent
sous forme de minerai
après l'histoire
après la consolation
de n'avoir pas d'attaches
au port de l'inquiétude
d'errer sur la vague instable de l'espérance
guérir d'un côté ou de l'autre de la mort
te souvienne les vieux refrains où calcine l'herbe
la maison du passage du bleu au rêve o Médée
ya aussi le dehors sacré de l'oubli feu de conscience
la tour blanche de pierre blanche
entre les arbres modèle le nu
pour changer le visage de l'instant
les jeux splendides que se joue le langage
au midi examine un corps nu
sous les treilles du vent que prolonge le soleil
l'herbe moite au gré du symbole
d'un ventre le passé souverain
par le jeu des divers styles utilisés
en vue de rendre le regard à l'œil même des choses
un sein contre la pierre imagée du sexe
pense y installer le cœur exploré plus que l'esprit
un morceau de la lèvre posée sur toi
*
nul n'y participe de vrai
hors la descente le long des fleuves peuplés,
sur les rives arborées,
de maisons plus ou moins châteaux
selon que l'œil s'y attarde ou prospère
en d'autres lieux où les rôles conférés au langage
sont joués par des habitantes désolées
j'y courbe le métal de chants nouveaux
autant que cela m'implique vis-à-vis du pénultième moment
en quoi Anticlès n'aura pas à demander grâce au lion
s'il est vrai que celui-ci le reconnaît
pour maître d'un moment passé dans les coulisses
*
les poux charmants
qui peuplent ton esprit
vont-ils danser aussi
dans les lieux du cœur
voici mille chansons
où le désir s'insère
et fausse les valeurs
mon vin pique le sens
d'avoir trop longtemps
mûri dans les caves
est-il soir plus vaste
que ce soir sans vin
où le corps oublie
de fêter les poux
qui dansent dans son cœur
o poux en ribote
assis sur mon cœur
n'ayez plus peur de chanter
que l'esprit m'a déserté
*
vestiges par l'attente d'un moment
les yeux d'une habitante
découlent des maisons seules
un peu de haut cabrée en feu qui juste expire
elle ripaille
et son cœur est celui d'une morte qu'on aima demain
le dernier regard que rature le visage
s'éternise avec l'image d'un plus pur recommencement
une rosée dans l'écume
*
l'espace propose
où le temps utérine
le cri est long
le roseau s'y console
de peine par le remords
ajoute à la décomposition des premières
l'onde rutile dans l'algue
signe la réduction de son être
le temps y commue d'autres épiphanies
puis le rêve déplace les jalousies
du sens vis-à-vis de la nudité
la presque métamorphose de soi
exaspère d'anciennes formes
où l'historicité de chaque branche
exhibe une blessure de guerre
*
le sang où l'interne figure le lointain
passée la saison sous les traits de Minerve
des arbres tombés au pied de la maison
mon navire chahute les vagues légères
sais-tu Mentor braquer le gouvernail
allons mat'lot la coque est suave
aussi suave que le percot
de l'ancestrale madre qui règne sur nos cœurs
dans les branchages
les lions sont-ils plus dorés que les rayons du soleil
un pétale étale sa corolle de sens
iras-tu nager dans ces mers de sang
danses-tu sur les violons du ménétrier
il fut à l'origine de toute architecture
*
le plus sage des princes
eut-il l'amour de ces parages exsangues
pour patrie de son cœur
o sage quand la rosée perle à son menton
vois le sang défiler dans la nuit
tu es l'ombre du côté infernal de la mer
juste assez vénéré dans l'osmose des couches terrestres
les larmes sont-elles plus douces dans ton palais
o roi vaincu l'œil est-il plus sec que le sable
*
m'éloigne la saison
que l'hiver para
au plus triste des chants
j'ajoute la lenteur de son visage
l'ascendance du soleil
écarte le plus chaud des regrets
o sœur à tes pieds veloutés
je dépose ce vase d'écume
ne ris pas douce villageoise
tes pas prononcent quelque aurore
et tu verras en ouvrant l'œil
la table ouverte où dansent les mangeurs de lotus
*
chaque heure est un présage de mots d'esprit
pour l'heure qui annonce la précédente
les mots sont l'écorce de soi
exsangue aussi peu familier que la solitude
l'urne est pleine de tout
ce qui réclame un sens à la parole
plus qu'au poète
une heure est une heure pleine d'Hadès
*
ya au fond de mon vase
enchevêtrée ma mythologie
recrée l'indicible
ou ce qui sera révélé plus tard
quand la langue aura purifié le dire
même les existences d'amertume redites
la personnalité
non l'entière approche des monuments sacrés
ou en forme d'abîme
comme point de départ dira non
au gisement nul de l'anthologie
saura se taire au moment de se taire
*
ärs litterära pris au recueil du genou
un artisan qui fulgure la matière
diverses techniques ont marqué les âges
mais la plus belle que je connaisse donc
la plus à même de traduire
c'est-à-dire de défigurer
sinon le corps qui pose
le désir de ce corps qui refuse
elle a pour nom le beau nom de mort
*
« il importe peu que l'œuvre soit achevée dans tous ses détails »
l'éthique regarde l'ensemble et non le fini
d'ailleurs ce livre est interminable
aucun détail ne saurait l'achever
l'herbe se charge de rosée
et le soleil sèche ses larmes sur un œil
épuisé au matin
comme il est dit
non pas que certains détails importent plus que d'autres
simplement
le temps usure les uns
et perpétue les autres
qui ne sont pas les plus
beaux !
un livre est une donnée et cela résume toute littérature !
*
le plus court chemin
de la mort au génie
est là
dans la prose
il prononce le symbole réducteur de son moi
fleurs et grimoire
signe résumé interdit le retour : abolition
pas tant qu'humanité siècle pierre tombeau
y délègue son impuissance au long vol du génie
il a élu non le mot mais son absence
le présent au passé du futur
le vin d'un mythe un seul versé grec
par les contours de la langue Syllepse dit : anakolouthon
*
une morte gisante sous les voiles diaphanes du destin
phallus courroucé par la figure plus que par dévotion
mais l'esprit y change
procède de la métamorphose
pas de la suggestion
si la fleur s'absente
nomme
et d'y paraître charme en gnomon bras exhaussés
la chance est du côté de chaque vers
gloire du temps d'élire qui résume le sens trophique
s'honore d'un pubis féminin exsangue et le baise toutefois
*
deuil sinon veuvage
récolte
diverses libations d'ordre filial
esthétique tendue à rompre l'attention
il s'agit de régler un compte avec les morts
théâtre de ce qui précède
alors s'éclaire un nom obstiné reluqueur
et s'enchaîne à toute mélodie où se noue le cœur
*
je n'évoque
ni les lieux
ni l'entourage
j'évoque le grimoire
qui m'est resté
j'évoque le chant
et j'évoque le pacte
l'ordre des jours anciens
s'inverse où tu parles
elle mêle aux bougies son voile
et sa jupe s'ouvre
sur de fulgurantes pesées qui ont troublé l'eau
*
les textes flagrants taxés d'obscurité
où la limpidité les guette
et en exhausse le souhait
il importe de dire que l'écriture
après des siècles d'existence
a effectué un sacré retour aux vertus primaires
il importe de dire que ces vertus primaires
s'énumèrent où tu t'es fourvoyé !
mais il importe peu que ta vie ne soit pas exemplaire
car il est dit ceci : rien n'aura eu lieu que le lieu
*
un poème dériva
para d'une inconnue la nuit
où la lumière avare
exalte le peu de fortune
siècles tus avant l'heure il dit :
secouera cette blanche agonie
mais l'histoire refuse toute syntaxe
déchaîne le soutien-gorge
par quoi le sein se mesure
ouvrant le vantail gris
de l'éclair songeur qui rassérène
*
celui même
que la poésie éternise
dans le chant et l'image
ne s'y ajuste pas
au discours logique
préfère la syllepse adamantine
aucun songe qui vienne
sans que le cœur murmure
sinon dans le journal
où l'évènement se détache de l'histoire
pour ne plus revenir
au lieu que c'est l'essence même du dire
l'objet nommé baigne ici
sachant où il va ni par quelle voie
il dit : réminiscence
*
autre qu'un recueil
fables angulaires
au cours de ceci
la nuit approuve quoi
que c'est stérile
au sexe du cygne émané de : ceux
qui n'ont pas fui et de :
autrefois se souvient
signe que c'est le
suicide
un suicide beau par ennui
métamorphose dite une fois au lieu de :
l'absente de tout bouquet
si le vase effleure la nox animae magna
*
rien n'est dit
sinon que tu t'éternises
dans le peu de paroles consacrées
le sépulcre est élu pour longtemps
nul n'y songe mieux
qui veille à ce que personne
ne prononce ton nom
le lecteur aura trouvé cela
un peu ardu pour son sens
mais chaque sentence est écrite pour l'isoler
*
inscris ceci : le silence est avare
et l'hommage le trouble
dis : ce fut une conquête
autrement ils poseront leurs yeux sur ceci :
le dernier point qui le sacre
et ils diront :
« gloire au plus long
des poètes de ce monde
que son sang se perpétue
avec l'honneur de notre langage »
que sourdes ces voix sont
n'exhumant que la cendre et la rime
diverses libations
*
où le rêve se brise
avec éclat de rire
plus chaudes que jamais
sont les paroles du maître disant :
solitaire habituel de sa propre pureté
oui je sais
exsangue selon l'heure
qui décroît avec la mesure il dit encore :
par une trompe sans vertu
sous les voiles la morte est d'une nudité ascendante
*
dans sa lenteur arachnéenne
la solitude se tend
entre les deux pôles de la conversation
d'un côté le calamus au rhizome sanglant
préfère sa corolle de vierges pétales
et dans le sens d'un secret avortement
le rêve installe des royaumes peuplés de putains redorées
cependant les mots n'ont pas pu redire la chose
avec la même secrète verdeur au réveil
*
aveugle mais sonore bûcher de transes torses
que n'éclaire pas le recul de l'âge
ils t'avaient dit que tu étais hérétique
personne ne peut pardonner leur cruauté
non pas la morale
o non mais l'art ciselé
dans l'ongle de la folie
l'art par le cri unguéal
la terreur et non la cruauté
le désespoir et la hantise
mais non pas l'inquisition
y los hojos más perdidos que tus hijos
voici rien n'explique rien
je veux parler de chaque côté du bras séculier
sanglant n'excluant ni la race ni la foi
et la question du sexe
et l'âge et croît le jour domine la nuit
abogado de los presos
*
et la pipe d'Enyo claqua
contre le pied de la table
il nous fit faire
un chemin de croix à Sainte-Quitterie
« l'important est de trouver le discours »
et puis il mit une pièce dans la fente
et la crèche s'anima
et s'illumina la crèche
« sais-tu la différence
entre trisomie 21
et translocation 13-21 non bon »
et alors seulement
il exposa son cœur au soleil
et il s'amusa à peindre avec les cendres
et cela lui procurait beaucoup de plaisir
saco bendito y san diego sobre su cabeza
et le curé nous invita à discuter
et il prêcha la masturbation et la pédérastie
mais il ne parla pas de femmes
et il dériva avec la bouteille ancrée dans l'Adour
*
Hele Hele lamat zabac tani
« une étoile à l'œil bistrée »
Zeus dementat quos vult perdere
j'ai pénétré l'épi sanglant et la terre dorée
un livre tel que la signification s'en détache
à la manière d'une feuille de sa branche
exactement de cette manière
et non pas d'une manière
qui fait penser à la feuille
qui se détache de sa branche
il redira que le rêve est une maturité dans l'âge
quatre saisons puisant au puits
de l'infortune et du langage
tenu pour la parfaire et y renaître
la nuit a réveillé la graine dans le sillon
*
morts
beaux morts
morts exsangues
morts tus là-bas
au moment de la première semaille
et le vent remue les tiges sanglantes
et dorme plus d'un
qui se souvienne avoir rencontré
le bonheur sur la terre
coquillage de sang
nul bruit d'une dent qui grince dans le sillon
ou verticalise avec le soleil
les morts couchés sous cette pierre
nulle réminiscence au tombeau
*
enchanteresse au cœur de froide saison
et puis est descendue dans les maisons
a déposé les paquets d'insipides algues
au seuil de chaque maison
s'en est allée
l'aurore papillonna dans les pattes de la rosée
et puis l'orage s'annonce par-delà la rivière
a jeté un vent inouï sur ces berges dorées
s'en est allée
et le cœur s'enchanta aux délices
la saison déroula comme des papyrus d'antan les paroles
et le songe s'y résolvant
et puis parla de diverses amours éludées avec les stèles d'ici
il pinça la dernière corde de l'instrument à vent
et puis s'en est allée sans dire un mot aimable
et le cœur désespère d'avoir changé d'adresse
*
je dépose mille offrandes
au pied de ton cercueil
elle dit « la gloire attendue
dans ce paysage de défaite
le jour annoncé
par le soleil de mes vingt ans
oh comme la ressemblance
est source de délices et d'infortunes »
et je dépose mon sang
à quelque distance de mon poignet coupé
*
je recrée le pacte diabolique
mon chant procède de cette vertu
et l'aurore est plus virginale
ma main s'isole
et recrée l'acte vide du coup de dés
mais dans le sentiment de l'apparence
nulle main n'est plus légère
à agiter aux fenêtres de la maison
lieu désolé
errance mot à mot
Kères désertée par le rêve
dates incertaines
« j'suis pas ton pè-ère »
*
durer avec l'éclat du miroir
avant qu'il n'accède
à la pureté du sol
dont il s'honore
le poème long
comme la première heure
le corps traversé
de bises gelées
à même le cours
de l'heure prochaine
nul n'est plus léger que le vent
parmi les habitants
des sables lointains
tant chauds à midi
l'heure s'abrège
avec l'approche
du dernier crépuscule
le sommet m'explore plus que je ne l'explore
*
je suis la branche torse
émanée du sein de Déméter
et comme je sens ton lait
blanchir tout l'épi
chaque semaille dans cette terre
est toujours plus rêveuse
de rejaillir plus haut
et de ne fendre plus le sol
je suis l'eau de l'arable
et la verte démangeaison
des chemins en croix
au passage des saisons
l'isolement est long
et soupire des cantilènes
moins sombres tout de même
que mon feuillage de passions
*
mon sang recueille le grillage
qui périclite avec l'aurore
les charmes purs de tes yeux
sont comme les dents émanées de l'écorce
mille saisons y rassérènent
le cœur et l'esprit
iras-tu cueillir le rayon du soleil
si ta main est assez longue et fine
pour traverser le métier monté de gloires futures
*
connais-tu d'autres chants
où la passion naît d'autres signes de doutes
rire dans ta lèvre concave
et y pleurer d'amères rêveries
creusant le tour des corolles saisonnières
que la pluie tance
ici l'usure est un signe de résistance
au mot même qui n'a pas le moment
de se passer de toi et de ton amour
l'eau susurre des chants recueillis
le ventre de Pomone isole sa virginité
et Smyrna accouche d'une écorce
où le dialogue se forge des incertitudes
*
à ce point où la langue métamorphose
la moindre nuance de ton ou
d'accent
éternisant un retour
à la forme qui précède
le désir pétille
avec parfum de sarment de vigne
où la métamorphose est le moyen
de situer le sens hors de toute
direction
le muscle même sent se prolonger dans sa fibre
l'hérésie qui éclaire les ruines de Tell al-Amarna
où le soleil est une forme inixique de la beauté
*
elle ne dit pas assez pour toi
et ne le dira pas
mais elle veut bien si tu demandes
elle veut toujours quand on demande
elle est l'éternelle prise de vue
développe un désir à l'article de l'unique
coule dans son ventre diverse aurora borealis
ou simplement éparpillée
comme l'étoile à l'heure du midi
elle est le temps d'ôter son masque
*
avec la mort
le temps est espérance
espérance vitale
et de renaître un jour
dans un jeu de miroir
l'illusion est parfaite
au point de rencontre
de la croyance et du besoin
la croyance comme racine du moi
racine dans la terre habitée
et le besoin comme maison
contre la saison des pluies et des vents forts
avec la mort le pain est suffisance
avec la mort le vin est délivrance
le pain est rompu selon la racine
le vin est tiré selon la maison
nul ne ricane ni ne se vend
pour un délai plus ou moins long
l'espérance est un raccourci
non de la vie mais du verbe être
et la saison qui s'annonce dans l'heure
est une réponse emblématique
claquant sur le toit de la maison
le ricanement est hors de saison
la vente n'est qu'une enchère
enchère de soi et enchère sur soi
le pain et le vin ne sont pas les substances
sont comme les filles du premier jour
le bras balancé dans l'attente
le cœur saisi par le regret la lassitude et le désespoir
la vie n'existe pas dans le travail quotidien
et le travail s'annonce
dans l'heure
la seconde
le temps le plus infime
concevable dans les limites du repos
la gloire est longue comme le désir
et la mort y plonge des mains
passionnées
la mort est un suicide devant l'échec
avec elle l'enfant raté renaît dans son nom à venir
l'infortune y consomme d'insoutenables heures
le pain fondu avec le vin à table d'hôte
et l'espace fumé dans le museau du devin
*
elle exhale un trompe-l'œil
le xénofils imberbe peau d'nœud
regardant à travers le compte des jours dormant
et suivie dans sa soutenance
y pérénère un gars fort biau du cœur
qu'a la main chouravée faute de s'amener moins gauche
et lui lance un regard fâché
sur quoi il se gratte le ventre
pareil qu'il sent la moule lui gratter
pourquoi qu't'aurais pas l'escargot adéquat pour m'y plaire
eh fadas eh rince un peu l'œil que j'amarre
*
como si the devil était kin tao
mais la tête perdida d'avoir
believi'qu'c'était arrivé
pero el heart 's amarantus y vide
el demonio wasn't so caro
pouvait pas l'avoir à meilleur precio
los hojos más perdidos que tus hijos
oh just a little cry whithout toi
croyait que l'ordre était olvidado
dans l'esprit des asiliums précoces
mais y en a uno who canta a-au
who vende todos los luumils
et ce n'était qu'un gradin de cartón
como si creen que el devil's kin
*
mourir
et ne plus crier dans ton sein
o terre madre mía et blanche
et proche qui m'a donné le jour pour visage
crier
qu'il est peut-être temps de se crever le cœur
mourir
et ne plus crier o vibratoire azur
où l'âme a la raideur de la corne noçante
Io si la table est demeurée
là où j'épouse ce qui me résume
et capte avec mon cri
mourir
et se taire doucement
o mer flux torse de morts
les pères sans nom noyés
par l'abyssale chevelure des sirènes
morir
morir
quiero morir
crier le dernier cri au bûcher fou de ma cendre
avant que le feu s'y absorbe
dans la tâche stellaire où mon nom se consume
*
la gloire est songe
que peut-être il est temps
temps d'isoler l'inerte
dans le geste révolu
quand pleure y rassérène
une idole d'or
toise l'arrêt au-delà de ce qui meurt
*
les chants sont chants de désespoir
ou ne sont pas les chants habitués
de moi qui hurle pour les goûter
le pendu bande au bout de sa corde
son sexe comme un cri d'avoir joué
l'extrême de la sentence
la raison y perd de quoi se fondre avec le cri
et la folie repose dans le mystère de tous suicides
*
la saveur de ton sexe
se retrouve sous terre
o dernière sirène
pourtant ma bouche a bu
le sel de tes paroles
et ma main a creusé
ton ventre de poisson
j'irai comme cravan ou vaché ou rigault
irai-je comme toi détacher une à une
les écailles du bout de son corps
là-bas l'astre s'absorbe dans sa propre substance
est anthropophage et dit : Pouce !
*
tu impénètres mon cœur o Kérès
le poil blond de ton sexe courbe au vent
le mystère profond de tes jours
ceux exhumés dans la récente fièvre peut-être
quelle chaleur plus torse dans mon cœur o déesse
et que la brûlure est atroce
si tu la prodigues sans lever les yeux
vers moi qui hurle de terreur de terreur
mon cœur se noue avec ton œil
y puise un renouveau des vieilles hantises
par l'or proféré
dans la pierre vulgaire et stérile
mais ton ventre est enfant d'un pays brûlant
où chaque monument s'écaille
et nos maisons hantées par les délices d'un sexe blanc et or
*
o chienne sacrée
protège ma vigne
de la saison qui s'annonce
voyageur bois de ton vin !
il est chaud comme le soleil
qui l'a mûri dans ses rayons
o passante tu es nue
et tu pétilles dans les sarments
parfumant ma maison
moi moi je suis né d'une autre étoile
celle qui purule dans mon jardin
et a grandi au sang de mes blessures de guerre
*
ne me demande pas
murmure seulement un nom quelconque
au seuil de ma maison
murmure un nom sans nom
le mot le plus obscène
en recuerdo
en recuerdo
mon nom ouvre la porte
chuchote à ton oreille le nom-clé
coule comme une guivre édénique
et m'encense avec alua
*
au diable les maisons pleurées
et leur seuil noyé de lumière
les arbres nus dans le jardin
et la fille pendue à la grille
qu'aillent se faire foutre le cul
les vents tombés dans les feuillages gris
torturés par leurs ongles
diable et poursuite dans ce ventre de boue
enchisos enchiseros
que se mueren todos los recuerdos
qui me grisent le cœur
j'irai ramper como la serpiente ici
veule moins chaude que ce sexe brûlé
hurle la voix des bûchers
dans la place
où le pavé patine tous les recours en grâce
*
now is the time to remember de recuerdo
'n not to die here but vo do
cuando el amo quita su casa
'n to cry whithout documenta
dat's de time 'n not de space
de new comon heart
'n your blood in my eyes
pero los hojos son perdidos en tus hijos
'n nobody 's de memory
not to sing my memory but yours
not to cry into pecho
l'angoisse récente à jamais
si magna's de nite 'n so
don't be rey don't be rey
but just a beast
una picha torcía
buvant la semence
là où s'isole un chant nouveau
*
ce que l'écrit manque de dire
la langue devenue langage
par-delà les oppressions économiques du capital
devenue inaccessible dans son intégrité
même l'érudit qui ?
j'expérimente cet éclatement
la clé de l'écrit
ce que Bouhours manque d'enfanter
le veda savoir mais à la clé
*
pure émanant de cette distance
où le lieu de nos conversations
est un nœud des coïncidences les plus diverses
celles que l'histoire isole du contexte
*
de ce vent
où se mêle la nuit
à la sœur aimée
sinon le luxe de netteté transparente
qui se fige
à l'horizon du regard en croix
sur d'éternelles raisons de vivre ailleurs qu'ici
loin du tohu-bohu des circonstances présidant à soi
*
la maison au large creux de soi
raisonne-t-elle encore des sons
qu'elle a cueillis quand elle
bruire dans le jardin entre les herbes dorées
d'une aile attentive à ne pas troubler
le silence d'autre diversité d'îles,
pareilles à des cris seulement pensés
est-elle aussi sourde qu'on le dit
la pierre couchée au seuil de la maison
comme endormie ou morte
la maison réveillée par un rêve mobile
*
même si nos pères endormis
sont le témoignage souterrain de l'impossible fils
oseront-ils bâtir et rejaillir de cette voix
pères doucement d'or
par cette voix signée au nom de l'infortune
oseront-ils tes fils élever la même comme un cri
oseront-ils
mes fils
hurler par cette voix lointaine d'obstination d'étonnement
que la pierre est signe de croissance
*
seule lecture
envisage de creuser
où dresser les piliers
et d'y paraître
comme dans un royaume
puis que tu n'as pas tenu parole
contre le gré des forces d'où renaît l'incréé
*
livre dans la main
il est ce que j'ai vu de beau
malgré la convulsion des paysages
et des corps y muant la sévérité
de leur chair misère et volupté
l'idée contre le pas
l'un ne guidant pas l'autre
mais se heurtant
sans comprendre la beauté
des lieux qui a fui à jamais
les noms qui me composent
*
« l'écoute a changé de site »
ce n'est plus le monument d'ombres et de lumières
mais l'image s'inverse
ou s'ajuste au regard
selon chacune de ses faces
recréé le sens perdu un moment
n'égare qu'un relief trophique
peut-être retrouvé
où s'installe le nom
de toutes les métamorphoses du langage
dans les noms de site
et d'un temps extrême
où le cri se répercute dans tous les sens
et déchire au sanctuaire son masque sacré
car le mot était, profanation
et ce mot était inscrit dans le temps
*
sur les marches du seuil
attend que la nuit tombe
et qu'une aurore
enchaîne sa raison au pilier
au midi rassérène un cœur
qui se déchire d'être au cœur des entrailles
et d'y changer
des heures pleure de sang
et le soleil pone sur la cité aux sept créneaux
et là contempler ? connaître ?
non crier le cri
qui toujours figure cet
inachèvement
*
luxuriantes déesses pareilles
à tes seins d'or nacrés
au vent de quelle raison se perdre
sinon dans l'aile de tes tourments
et je mens de savoir
si quelle force se meurt
d'y reparaître intense
et pourtant sûre de soi
malgré une aurore avenante
de chastes et joyeux devis
où chacun se retrouve
quel est le lieu suprême
où tout se résume
à quelques signes de la main
signant que c'est l'achèvement de toute raison
il y a dans les bois de l'esprit
des myriades de feux courant sur la grève
et dans le sable et l'eau
que limite le vent
diverses sépultures d'ordre phalangiste
et peu c'est peu de savoir
que tu es née de ce coït féroce
que la chaleur ne rassérénera pas
douce à la crypte en bistre
des lèvres brûlantes de ne pouvoir résoudre la question
si telle opacité de feu se coudoie
et d'une coudée avance dans l'heure
alors pourquoi la chance d'être né
autre part que dans ces parages
désertés du cœur
assomme de purs éclats
le front nimbé du solitaire à la voix de crécelle
réveillé par la foule
non pas aimer dans le retour
de tes métamorphoses au sein du texte
mais te suivre pas à pas
dans la rousse exhalaison de tes feuillages
l'idole au ventre de basalte écume de douceur
hormis quand c'est le vent
qui voile ton désert d'une main nonchalante
telle la précieuse circonstance où s'isole
la dernière saison d'une nuit sans retour
*
o que de fois ai-je senti
le lait de ta puissance rejaillir
de là où prenne source le cercle polaire
et d'une saison moins douce heureuse passée là-haut
esseuler les principes écœurant
de l'inceste au bois d'insecte
m'enivrer de la seule passion
où l'infortune est le temps de rasséréner
toute la vague
et les morts dansants sur le ventre des tombes
*
qui dit que demain
est le jour choisi
pour révéler ce que cachent
les entrailles du devin
et réclame un trône
où reposer comme mort
et peu encline à y choisir
entre le myrte et le laurier
le plus à même de passionner le dernier éclat
*
résonne la voix sourde des héliades
dans le cœur paralysé
résonne le feu de joie
installé dans ces plaines
mus par ma seule force de vivre
*
métal pleuve de la jaune obliquité
selon que je décline
vers l'orient ou
l'occident
d'un signe de tête
m'en écarte pour le midi
et peut-être que
les nuances de la peau lézardée
qu'arbore une femme
engoncée dans la mare
facilitent la reprise
du refrain ébauché
même si c'est l'heure
où l'autel bifurque
dans la quelconque maladie
de l'esprit du cœur ou des entrailles
et calligraphie d'une main suspendue
le caractère hallucinant qui dit
que les poètes ici rassemblés
sont des oiseaux de pure instance
et que leurs chants désespèrent la piété et le mal
*
eau de boue teintée
dans le soir qui sommeille
d'un œil à demi clos
sur les vagues présents
par tant d'esclaves nus
dans leurs robes de pierre
il a taillé la plus grande partie du monument
au prix d'un sang innommé cependant son nom
*
étale un rien
de cette opaque liqueur
sur les stèles de ton corps alangui
possible qu'avec le heurt des saisons
ton cœur y gagne
les rives rêveuses de l'eau au bord de l'île
pourquoi n'iras-tu pas saisir
une autre idée le long de cette vasque
où coule un vin si doux
et proche de griser la moindre de tes vertus
*
les rames de ton arbre sont plus belles o Myrto
quand le soleil s'y enchaîne
pour décrire son nouveau lever
en hommage au dernier couchant sur la grève
nue pareille à un sarment
tortillé sur l'ardent bûcher
exhalant l'odeur de la vigne crû pour le vin
et la graine moins sade que la pulpe
au sol qui la dérange dans son
intimité
s'il a élu de refondre une aurore unguéale
d'une fulgurante rayure au
lever, ce soir
*
le ventre ancré
et la poitrine clouée à ce roc
survolé de divers oiseaux
dont l'instance est de creuser le soleil
les jours
et toutes les obscurités dansantes
la nuit isole ce cœur
dans la pierre de tes montagnes o Zeus
ainsi que vaque aux offices du père
un fils à la phalange de nacre ciselé
que son pas le mène
où les jours sont mesurés
à la mesure de tes jeux
insouciants avec les dieux
o fuse un jet tranquille de cette eau étale
si le bec ne l'a pas ondée d'un premier cercle
*
et là dans cette attente
et cette lassitude
se demande pourquoi
ignorant le détour
qui l'a mené au site le plus beau
du sol où je nais
de cet inattendu
qui le plonge dans d'éternelles processions
sur le tour des fleurs
comme qui butine
un papillon
mais sur la seule
et de toute une vie
n'en ôte que la couleur
si la substance demeure
ce qui est incolore
au moins à tes yeux
compagne du nom à venir
*
où sans que l'œil
ne s'y attarde plus
que l'instant de la mesure
une pâle résonance de voix
atteint le point le plus haut de l'accord
entre le rêve et la réalité
et d'une ombre transparente
mire la vague présence
une main cherche à pénétrer
le flanc de ces collines désertées
mais brise le miroir
où la transparence n'était qu'un reflet
pâleur pleine de tes hantises o vérité
*
la pleine lune descendant
ici à même l'heure éternelle
qu'on s'y recueille ployé
comme le jonc
sous la force d'un vent venant d'ailleurs
torses de fumées diverses
d'autres pays non le mien
peut-être le pays
où tu dors dormeuse
au sein gonflé d'enfantements
quand les nuages abaissent
une légère opacité de blanche salaison ici
et c'est l'heure où le premier rêve s'incarne
si le colore un des joyaux
que tu portes
pour te parer d'un cercle solitaire o Kérès
vers le minuit claquant
dans ce toit bercé des convulsions dorées
que se confère une nuit
tranquille par l'oiseau
par le crabe enfoncé
le sable raclé de coquillage dans la marée
juste qu'un toise mon propre regard
et d'un éclat le trouble
de surveiller le mouvement de sa présence
lui penché comme un salut pour regarder
*
maintenant les yeux
de celle qui mourra
de la mort violente
sont les joyaux
les plus reposants
pour le regard
même si mes yeux
contournent les paupières
closes à demi
sur le regard inattendu
vers un qui doit être nul
si je le compare
au suicide per naturam
regard de fenêtres voilées
où je penche et m'isole de sa candeur
que ne soutient pas le regard
sitôt jeté dans ses voiles envolés
*
un bond
dans le vent de ta chevelure
que la pluie inonde d'ondes blêmes
le corps saisi de transes
que tu n'expliques pas
autour du nacre de tes épaules
d'autres bonds
assurés de l'appui et du heurt
il est idéal
mais pourquoi
ce chambranle noué de transes
dans notre ciel de lit
et ton sexe se balance
sous la langue est-ce la mienne
suspendue à ton suspens
se déroule l'atroce défécation
*
la morte aux yeux de sang
fixe la dernière odeur
la plume a cessé de tourner
dans le ventre qui s'ouvrira
l'odeur du jardin mêlée à celle de ta peau
l'odeur de la saison qui virevolte en moi
est-ce une autre odeur
la feuille mouillée dans la pluie
l'oiseau est plus léger que la première ondée
l'oiseau est un vol de toutes les blancheurs
l'oiseau est un arrêt sur la branche de l'arbre
odeur d'écorce ouverte sur la mare au pied de l'arbre
smyrna étoile d'œil toute l'onde à son sexe délire
*
marche
ton pas régale l'ancolie au cœur saignant
l'arbre
est-il tombé après ton passage
l'arbre
n'est pas tombé
l'oiseau
a cessé de voler ou de se poser sur les branches
le passage
est-il plus sanglant
d'autres
chemins de feuilles
d'écorce
arrachée de pierres de pierres
isolément passeront-elles sur la même traverse
et si proche
que l'air est doux maintenant
et voici
s'éveiller l'insecte dans l'écorce exsangue
une larve au ventre usuré
— et la hyène ricane sans te voir
*
comme un méandre inachevé
pour ce qu'il est interminable
et dont l'ampleur décroît avec la profondeur
il résista
marche
auréolé d'aurore
vers ce point visé toujours plus haut
malade d'être pur
ayant gagné le seul souci de reparaître un jour
*
au conseil magnifique du suicide
quelle dame succède
et s'honore d'en être un nom sans l'initiale
o ma mort
mon seul bien peut-être ici
au nom de quelle dame sans mercy
n'évoque qu'un cœur ce cœur séparé
procède-t-elle de stances maudites
et de son bras
chargé de tous les changements de lieux et d'âge
regarde-t-elle en m'oubliant
ce paysage qu'on désole à force de présence
ou qu'elle refuse le seul salut
qu'il décline avant de se fondre avec l'horizon blanc
comme un soleil au point de ne paraître plus
*
qui est-elle
et peut-être ira-t-elle danser dans nos mains vibrantes
o quel soir pourra nous charmer
me dire au moins le sens
de ce recueillement
de cette attente perverse
et nous assis entre les colonnes
bassins
palmiers
soleil redescendu de là-haut
et qu'on regarde
les yeux éblouis d'avoir maudit ton nom
en quelle année de leur âge
eurent-ils à léguer leur raison
ou n'est-ce que ton nom
qui pleure à nos côtés intangibles
mais là
et nous assis dans ce jardin
dans les carrés de fleurs
notre nom n'est-il
que de mémoire on ne cite que l'attente de ton nom
même ou bien de tels regards o muse
ont-ils déjà les yeux éblouis
d'avoir maudit ton nom
le sais-tu
que pour nous ceci n'est que le vent
qui importune notre épaule
un vent levant là-bas
le regard ébloui de l'attente attendue
o mortes
mortes
et peut-être toutes recueillies
de rencontrer cette attente lointaine et aveugle
qui ne paraîtra pas tant le soleil l'exalte
à ce point de son âge
et nous
assis
et nous
les yeux éblouis d'avoir maudit ton nom
regarde muse légère
penche ta chevelure sur ce cou
qui s'offre vide le sachant
regarde ce regard immobile
qui va s'éterniser ici
les yeux éblouis d'avoir maudit ton nom
*
je suis l'astre et la nuit
l'astre dans la nuit qui dérive du jour
qui suis-je sinon
l'heure du beau qui ne sera pas dit
je suis le point de rencontre
de l'acte pur et du rêve sacré
selon la
page
voici l'idée
o moi consolée
qu'il se pleure avant l'heure
que je l'y délaisse
aurore
ou premier rayon
ou ce rayon qui seul rature la nuit et le jour
*
je sais
que seule et seule
parmi ce nombre
tu gis
blanche d'un voile
qu'il n'a pas soulevé
ou même si ce vent l'épaule
du peu qu'il isole
dans l'heure qui survienne à temps
ne sais pas de quel bouquet s'égare un marbre
que nu l'aurore paraît vaine à tout regard profane
et que seul te sacre la poreuse absence de cœur
qui toujours première hante le jour opiniâtre de ses noces
*
peut-être moi
songeant près du bassin
à ce qui ne sera pas ne sera
jamais
le futur même opiniâtre d'ici
et d'éclats parsemant le visage descendu
et l'inaugurant peut-être
d'un regard qui l'innove
au seul chant d'un âge
où ses yeux regardent
ce côté de la transparence qui nous sépare
*
l'oreille au creux psalmodiant le rien
qui va renaître avec la très soudaine apparition
o blanche saison
la voilà qui sème déjà les dents du dragon puis
là-bas s'exile avec la crainte d'en finir
est-ce le cœur au défilé de rêves minaudant
ou bien je n'espère que ta mémoire en moi
est-ce Io qui use son sexe de corne est-ce toi
dans combien de temps verra-t-elle le temps
paraître moins abrupt à l'égard de son ventre
ou n'est-ce qu'un rayon qui traverse son œil
où est ce blanc et or voile de morte
que tu exhibais jadis du temps de l'éternité
n'est-ce que l'intruse connue peut-être sa rivale o sang
*
osera-t-elle
et m'oublier
amère ou lasse
par d'importunes mains
se croisant sur son sein
ou raturer d'une vive secousse
tous ces monstres en grâce
et recueillir dans sa main tant opaque
diverses libations
dont témoin fut ou sera
malgré l'heure peu vaine d'ici
ce bouquet d'extases présentes
en le col diaphane de sa tige
d'où redescend peut-être un pacte moins docte
est par cet œil qui se cabre
au désir de sa chair latente qui l'attend
ne savent pas quelle saison rêvée
le moindre du seul souci incriminé
ou plus torse qu'au pleur du cratère
buvant leur ivresse osera-t-elle
assez douce pour l'heure
jeter ses larmes au bassin
et d'un jet d'eau réclamer qu'il arrête
au moins un temps parmi les temps d'attendre
*
nous
yeux levés vers ceci
qui doit être la même fresque rencontrée
jusqu'alors
une année
l'année de la mauvaise récolte
ou diverses moissons avortées
de n'avoir pas su quel sang m'élève à ce rang
où sont-elles
qui n'eurent qu'entrailles et cœur à cette place
j'y viens
viens toi aussi
courons à ce mémoire
semblables
o tant
et que tant m'offusque telle
ne crois pas m'isoler dans ces formes
et nous
regardant gravement là-haut
quelle force le meut de susciter
le moindre des regards
au vertige du contour caché
selon l'apparence des voûtes
adversaire même du mythe qu'il va créer
si l'heure est pour nous de contempler plutôt ses yeux
*
je connais ce point de la parole où la bouche
de se clore peut-être
n'émet que le regret des premiers mots
ce mot même au moment de naître
B.A.Boxon
vérité sans gloire
ah que te sert-il d'en écrire aussi long
pauvre coureur de jupons profanés
si c'est pour renaître en un tel livre
au moins le sais-tu que B.A. se lit boxon
*
de l'astre qui opère sur sa face zélée
la multitude d'yeux éblouis
yeux tendus dans le suspens d'autres astres
si l'ascendance d'âge en âge
n'y recueille que cet horizon profané
doit-il quelque jour puruler
le sang
zéro pointé vers l'aile légendaire
y noyer sa blanche chevelure de nymphe alentour
sans qu'irascible s'élève une noire hantise
que l'or même s'y perde
nul ou me nier même si elle redescend ici
son ventre au sol se nouant
et vous verrez alors peut-être o combien sans mercy
recrée du vide un vide plus brûlant
qu'elle a mainte fois parcouru sans vieillir
*
poésie née d'une chambre close
qu'est-ce qui est clos
ce paysage mué en vents herbes toitures
n'est-ce que l'eau la fenêtre
j'y coule un regard
le même qu'ailleurs ici se méduse fleurs ?
et pirogue opiniâtrement vers là-bas
où se fond le sol avec le soleil
close stigma diabolicum spatula
non car je sais que ce mur arrête ma
pensée
pour ne la répercuter plus haut
que c'est là entre moi et moi
que le poème s'annonce le même
un cri redescendu toutefois vim patior
*
à l'issu des premiers pas de ce poème o moi
se peut-il que je décide de vivre
se peut-il que cette attente conclut à la vie
se peut
et désormais ne sera plus question de crier mon désespoir
juste réclamer la douceur
changer le luxe pour le confort
le marbre beau pour le repos nacré
le vague pour l'opaque
mais n'y suis-je pas déjà entier à cette chienne de vie
moi l'inix horse'n horse attock in the devil's name
à moins que vieux pervers je sois simplement ivre
que j'ai bu de cette eau qui rend aveugle et fou
dois-je reconnaître un visage et le dénoncer
est-ce que mon règne et ma justice s'égarent ici
entre la vie et la mort
ou la santé et la folie
*
au moins si tu te retournes
le futur comme hagard ici
même au cri que lance un seul présent
avance jusqu'au trône
mais qu'ai-je à présenter
sinon la vanité de mon cri
la vanité de l'arrêt
au point fixe de l'aurore
si l'aurore est ce gnomon
stigmates d'une nuit
seule nuit
va-t-elle si je m'avance vers l'autre visage
me rasséréner au prix de ma coïncidence
ma réalité
augurer que c'est là le lieu du seul visage
per anum peccatum sodomiticum commisit
*
je voudrais que mon chant
soit le plus sain des simples
simples d'esprit
simples de corps
mais sain au-delà du chant
et là où la santé n'est pas simple
la note accable la suivante
l'image est sans regard humain
le mot se désole d'être quand même mot
l'immobilité se fond en crispation
au point où cesse la simplicité et où commence la santé
là o paradoxe la maladie s'isole
et recrée le sens dans le sens d'une plus grande cacophonie
*
que ton corps soutienne ce vertige
languisse plus haut que le soleil
et toute récente de rosée
cher corps descend dans ce ventre désolé
soleil
me brûlera le cœur
et un cœur soutienne ce vertige passager
redescendu selon la verticale de ta présence qui me fuit
*
o poème ce rire
temple de sable
l'idée contre une plus docte
selon ton œil
o rire vague
même autre idée
espaces rois formés là-bas peut-être
avec l'ennui
pubis à mi-ciel haut déjà
sol menti
vague o roc perverse idée
o solstice
peut-être vacherie d'un océan hagard
comme qui le regarde au bond de l'horizon
pour parfaire le cercle
midi rit du bloc calme d'une sainte
l'œil mué en l'œil même pôle et soleil
ce pour quoi il l'installe
o foutu continent
et toi
o captive du lieu
silence des pères
néant de l'attente
arc même et non salut
acte du seuil
midi
sol même
un pubis céleste o silences
*
maître du pur miroir
long chaste reproche devant
d'y voir paraître avec le jour
une autre ombre qui stagne
et s'absorbe la docte raison
tue par ce pouvoir
élan qui vaque en ce lieu dit
miroir
o forme des formes
le lieu n'est que ce lieu
où s'assemblent les ressemblances
en ce cri reflété
que répercute le silence ou l'immobilité de ce silence
*
allitère l'énumérée réflexion
de la lumière sur l'eau
qui l'étoile une
l'astre ici inscrit
impur de s'y recréer
au point de paraître informe
des heures à contempler
au moins ce visage
mien si je l'importune
ou est-ce ton œil qui me reproche
de n'y pas ressembler
redira peut-être que l'instance s'épuise
à vouloir isoler son compte
comme s'il l'eût réfléchi à rebours
inversant la moindre distance
où le miroir opiniâtre se parfait
tel que ce mot même rature son sens
au moment qu'il est de désespérer
d'y voir naître une proche clarté
celle émanée de tout regard qui cela
*
je suis l'échec de ma propre raison
l'échec de la coque sur le sable
ce n'est pas assez pour me recréer tel que je suis
l'échec du pas sur le sol
ce n'est pas assez pour m'élever
jusqu'à l'instance de moi
je suis l'échec
ma raison a échoué sur une rive quelconque
pourvu qu'elle limite ce plan permanent
lisse de son argent étoilé
je suis l'échec aux portes de la découverte
cela suffirait presque à ma puissance
*
le cri est une modulation
dans le silence des poumons
invités à se taire
dans ces lieux
ne parle pas donc se tait
bruite tout au moins ce qu'il veut dire
si c'est possible à l'oreille
mais n'écouter que la fréquence
c'est mesurer non pas regarder
il importe avant tout de regarder le cri
comme on regarde un corps
que l'oreille est soumise à la ressemblance des poumons
*
de recréer le signe même
par quoi tu erres
femme
et non pas fétiche
au moins de s'y absorber
ne lira aucun livre
qui ne dérive sur ces bords
lointains certes lointains (....) de la folie
de la folie (....) l'âcre saison
diluée avec des franges
dont elle s'honore cruellement
dira pas le bronze échevelé ciselé que c'est ici
*
délirante de longues virtuosités
ne crois pas me faire mal
ne crois pas ça o muse
qu'idolâtrer ton sein de marbre
m'éloigne de la faveur des dieux
ne crois pas m'isoler du reste de l'Olympe
il n'aura créé que pour te plaire
elle est aussi douce que ça
et d'un socle se river comme racine à l'arbre soutenu
ne crois pas que le son de ta voix domine mon chant
ton haleine est toute parfumée de mon cri
*
de ce côté
l'or comme l'eau
étale
et de mortes rafales
dans le bord
fugitives
des riviérantes eaux
épousées selon la forme
des rencontres fortuites
ici si c'est le lieu d'élection
eau et non terre
à ras du monde eau et non terre
il y a le feu
errances de toutes les formes
l'or comme le feu éteint
*
la pœia
ut doceat
ut moveat
aut delectet
certes
mais seulement du côté de la lecture
car de l'autre côté
l'écriture n'a pu que s'interposer au lieu de la séparation
*
au viol des yeux
qui se sont fermés
pour m'étreindre
et me composer
le bond du long regard
qui recule ou avance
sans m'atteindre jamais
à travers le corps qui m'aime
que j'aime
si le temps
ne dure au moins
cette distance
*
ce n'est pas tant l'attente
que la distance
qui déroule ici
ses heures étrangères
peut-être le moment
où nos mains ont élu d'autres corps
le moment qui s'annonce chaque fois
que nos lèvres s'éloignent
*
un jour
lasse d'écouter les mots
d'où je naquis
tu es morte
et tes yeux saluent qui je fus
serai-je si tu ris
d'être seule à présent
si seul avec l'amante
qui redore son deuil
au prix de quelle saison
le corps que je salue va-t-il
gagner le dernier repos
entre diverses tombes qui erre
et reconnaît que tu es toujours la première
*
je chante
la morte
aux yeux d'hyacinthe
la morte évanouie
quand j'ai connu l'amour
o morte
dérive-t-elle
ta chevelure
entre mes mains
ta chevelure me charme-t-elle
elle isole le repos
dans les heures closes à la découverte
que je chante ton cœur
et ton cœur toujours dans l'amour méconnu
*
à celle qui ne me lira jamais
de n'avoir pas connu
ni l'ombre qui je fus
ni la lumière qui je sois
d'être l'autre par ç'amour
peut-être à celle qui de me lire
dira que non
ni ombre
ni lumière
qu'un œil saura demain qui aima
s'il n'aima jamais qu'elle
à celle qui du peu d'amour
n'a su résoudre un pleur
au moins le même que celui
lâché pour une autre
celle qui honora le bouquet qu'on dépose
*
hante-moi
o muse immémorable
hante le cœur
et le cœur de ma présence
o recrée la hantise du sang
hante ce cœur
o immole mon corps au pilier de ta mémoire
mon sang cumule dans l'épopée
que je respire les parfums de ta bouche
le temps de me remémorer le cœur
ma transe innove-t-elle toute jouissance jadis hantée
*
qui est la dame sans mercy
au paysage qui dédicace
le livre de qui aima
la dame a-t-elle ri encore
de qui la nomme ancienne peut-être
au paysage qui la para
madame est-ce l'orient
qui occidente la mémoire dès demain
n'est-ce que votre ventre
au paysage ancien
qui se dédore avec l'aurore
*
je chante une morte
dans tous les temps
une morte du temps
morte de n'avoir pas chanté
je chante une morte
sans voix
morte l'espace
d'un cri
je chante
le cri de la morte
je chante
la morte sans cri
je chante
doucement
pour ne pas éveiller
le temps qui l'emporte
je chante le moment
de sa mort
toujours pour revivre
avec elle les noces
*
pour toi
enfant du moindre murmure
ma voix isole la voix
le temps de mon cri
le temps d'aimer dans ton corps
pour toi
j'ai chanté la terza rima
qui ne rime que dans ton rire
le temps d'aimer dans ton corps
pour toi
je cisèle mes propres mœurs
aux reflets de tes saillies
je module le nom
que j'aime dans ton corps
pour toi
je m'enivre de toi
je tais mon cri
dans mon murmure d'enfant
le temps de t'aimer dans ton corps
*
o qu'un seul de tes cris me résume
chère enfant qui sommeille où je dors
o que la nuit dans l'âge nous sépare du sol où tu naquis
que je recrée au paysage gravé dans la pierre
mon regard s'y attarde-t-il d'incréer la mémoire
o qu'un seul de tes cris me résume
que ma cendre éparpille l'histoire
tout mon nom se suspend à ton cri
où je dors dans la pierre grave d'un paysage
o chère enfant qui sommeille
aide mon ennui
qu'il se résume au seul mal où je m'éveille seul
importun au paysage qui m'entoure
et qui couronne ton sommeil d'une muette couronne de pierre
*
lourde
lourde immobilité
qu'elle étage
où je m'ennuie
race vaincue
meurs de t'immobiliser
dans mon destin
meurs de me destiner ton immobilité
*
mon œil remue
l'eau de ton nom
je suis pareille
à cette main
je brise l'œil
où il se nomme
je nomme l'œil
où il se brise
mon œil remue
l'eau de ton nom
j'onde la lettre
d'un pur contour
qui la déserte
sur l'autre rive
je suis la main
qui nomme l'onde
je suis la même
sur l'autre rive
o je suis l'autre
où je te brise
mon œil remue
l'eau de nom
je suis le nom
du lendemain
où l'eau se brise
avec le nom
je suis la rive
qui te déserte
je suis le nom
de ton désert
je suis l'amour
qui te déserte
mon nom remue
l'œil de ton nom
je nomme l'eau
où elle se brise
je brise l'eau
où elle se nomme
*
mon sexe branle
dans la mémoire défunte
le soir est seul
qui se souvient
de la dernière instance
nul vent
ne remue
le suspens
de tes yeux
qu'on enterre là-bas
dans un dernier salut
*
o ma mort
la tienne si je vis
que n'as-tu soulevé ce masque
sur les yeux que regarde le temps
o ma mort
pourquoi ce rire dans le masque
pourquoi ce masque
dans le temps qui ne changera pas
ma mort o ma mort o par quel changement
le lieu qui t'a élue respire
au regard qui s'éloigne
croît avec sa mort
*
je ne suis pas le geôlier
qui importune la lecture
du livre que je garde
de la clé qui ne l'ouvrira pas
o captive du seuil
où ton regard enclot
la moindre de mes apparitions
au moment que je m'ouvre
le temps a espacé nos rencontres
je suis l'enceinte non gardée
où nul rayon ne purule
o morte qui regarde la fleur qui manque à mon bouquet
*
qui juge
qui renonce au bouquet
d'entre ces lacs perdus pour jamais
qui a renoncé au repos d'un bouquet défloré
peut-être n'as-tu pas chanté les juges sang et gloire
le guerrier du sang même
que ne recueille pas la conque de tes mains en moi
o pleure
dormeuse immémorable
dès hier pleure demain
le présent oublié
quelle perdition dans les parages du beau
courons nus entre ces lacs
aimer la pureté adamantine des corps perdus à jamais
o jamais plus les aimerons
dans l'écorce purulente de la maladie
si tout le cœur renonce au bouquet qu'elle dépose
sœur inimitée que l'idée partage avec le désir
*
ceci n'est que le trompe-l'œil
de l'œuvre au passage des morts qu'elle déterre
c'est la réponse emblématique
de qui passe avec les morts qu'il emporte
surtout
c'est la question de qui s'arrête pour coucher avec les morts
*
ce feu qui est mort
parce que je l'ai tué
est-ce l'eau désertée
aux mains qu'elle n'a pas mouillées
le feu est mort
si c'est lui le feu
dans la grande instance
de l'art qui le calcine
peut-être la lumière arrêtée
dans le moment le plus long
d'une ombre plus blanche
à l'innerver demain
le feu n'est pas mort de mourir
peut-être de brûler
le dernier grimoire
qu'il n'a pas saisi au vol des cendres
*
voici la femme
que j'ai oublié d'aimer
la femme qui n'a pas saigné
la femme terrifiée
aux couleurs de la couleur dans la cendre
peut-être l'aimes-tu
toi qui ne l'oublies pas
ou qui te consoles de ses cendres
au vent
au vent répandues
répandues
peut-être la compagne du dragon
qui brûle d'une eau immobile
dans la célérité des voyages
la femme que le nom oublie de nommer
aura saigné d'un autre sang
*
la mort chérie
à ton cou dédoré
s'y noue par la même vertu
qu'hulule un sage pervers
qu'il boira au sang redescendu
tout bas très haut
d'éterniser la chevelure perlée
la mort chérie
même au songe qui la déserte
se souvient-il que c'est le mélange
dent-de-dragon semée au promontoire
et renaîtra-t-elle une chose ici
la mort chérie
si la blanche dans l'or se dénoue
par le sable qui la vente peut-être aimée
la mort chérie
comme le fruit qu'éclate
un jus ensoleillé par ton ventre
et l'arbre qui s'y renoue
la mort au changement qui ne saigne pas
*
bien après ce sommeil
où je dors
lui très haut
beau
exactitude vénérée
à l'onde de ses grands cheveux d'argent
la lumière du milieu
son œil ciselé au bleu
sa lèvre d'or sur l'orient
rubis que supporte le sol
ou qu'enlève le ciel
sinon que sa main la détienne
la clé
c'est là que son âge déflore la matière
*
« la terre
comme le ciel
et le ciel
comme la terre
où la chose est chose que j'authentique
et comme toute chose naît de l'unique
je dispose l'unique où la chose le nie
telle la lune
endolorie au rayon qui l'éclaire
et que le vent me porte
s'énonce le sol qui me résume »
j'ai dit que le soleil achève l'inadapté
*
dès le réveil
chaque rayon infiltre le vert
mais l'échec se situe au moment du dernier rayon
où je constate qu'il se calcine
et s'enchaîne avec ce qui est de l'or
ou n'est que le temps du temps perdu
quel est le jour qui indispose la grille du sommeil
peut-être celui du sommeil même
comme la clé où je ne lis qu'une heure
il ne manque qu'un jour parmi les ans
alors peut-être son image renaît-elle
que je vois sans me voir
le point où la rencontre est une poignée de terre
*
je t'aime d'amour
je t'aime m'amour
l'amour aimons
qui aime d'amour
je meurs d'amour
je meurs m'amour
tu meurs de mort
tu meurs ma mort
de mort mourrons
qui meurt d'amour
de mort aimons
qui aime l'amour
je t'aime ma mort
je meurs d'aimer
à personne
j'ai aimé
le mot le plus obscène
sur les lèvres
d'une habitante des rivières
j'ai aimé l'habitante
des rivières
de ce pays
sans nom
j'ai aimé
le nom
de ces pays
qu'habite l'obscénité
l'obscénité
la plus obscène
des mots
qu'on se garde de prononcer
*
nos mains ont versé sur les corps
sur les corps invités à dormir
le vin des vignes de ton corps
le vin charmé qu'on ne boit pas
ai-je pu boire avec le vin
l'eau même verte avec le vin
des vignes de ton corps endormi
o dormeuse qui ne boira plus
ai-je pu boire avec les corps
que désertent les visiteurs d'autres tombes
les visiteurs en silence
dans le bouquet que le soleil pénètre
que le soleil calcine
dans mes mains
que l'eau n'a pas mouillées
ni le vin des vignes de ton corps
*
la femme assise au bord du lit
la femme les mains dans les cheveux m'a regardé
sans le dire
que le temps n'est pas venu
pour ses mains de défaire
la chevelure qui m'enlace
la femme est assise sur le bord de mon lit
sa chevelure écume les pensées
sa chevelure arrête les vagues où je noie mon vin
*
le silence au mur de la chambre dans la chambre
le jasmin en fumée où se tord mon visage
le silence et mon visage où se tord le mur
et l'angoisse qui m'y arrête
*
la dame la plus belle
est une tour sur tes lèvres épousée
sur tes lèvres épousée
sur tes lèvres que je baise
une lèvre plus légère que le vent
au mur de la maison
que le vent épousant
la nudité des habitantes
au seuil de chaque porte
qui m'arrête et m'invite
le vent dans les créneaux
de la chevelure ensanglantée
*
la mer sur les rochers
les dents de la femme
dans l'écume des vagues sur les rochers
les dents et le sel de ma bouche
le laminoir de mon âge sur les rochers
dans la mer qui le vente
la bouche de la femme
et le sel de mes dents
les dents de la femme qui m'arrache un cri
*
elle raisonne peut-être
comme au chambranle qui branle
qui branle
dans la main
o les seins de Tellus
dans l'herbe moite qui pousse
qui pousse
au pied du lit
o la main riviérante qui meurt
qui meurt
dans le bois
o le sexe de Keres qui branle
qui branle
dans l'écho de mes cris
*
les parfums de ta bouche
sont filles de mémoires
sont les muses légères
dans l'arc de ton ventre
les parfums de ta bouche
sont les parfums mémorables d'une église
où je baise avec les saintes
sur les marches de l'autel
sur les marches de la robe qui m'ensanglante
les parfums de ta bouche
se souviennent que c'est moi qui encense les mortes
*
le ventre de la mémoire qui enfanta
le ventre de la mémoire qui a nourri
le ventre de la mémoire qui a aimé
le ventre de la mémoire qui a baisé ma lèvre légère
le ventre de la mémoire contre mon ventre roupille
dans les yeux et ton regard o mère des vertiges
*
le paysage où je meurs
appelle la femme exsangue
appelle le sang
qui manque à la femme
ces arbres où je meurs
selon que je boive
le sang qui manque
à la femme
nue cette terre
où je meurs
de ne boire que l'eau
qui manque à la femme
nue et morte
où je meurs peut-être nu
exsangue à même le paysage
cette eau et ce sang
la terre
et les arbres
avec quoi je hante
ton œil redescendu
*
tes doigts
dormeuse au sein de pierre
cherchent les poux
dans la dernière odeur
des morts qui se baladent
dans la dernière odeur
des images de livres saints
dans les mots des bibles d'aurore
des bibles sucrées de rosée mentale
qu'on dépose avec l'eau
avec l'eau des morts
sur tes seins
où j'ai jeté la dernière fleur
*
le désespoir et la peur
ont signé au bas de mes errances
dis-moi, fille de l'hôte,
mes baisers sont-ils plus légers
que les parfums de la chambre
où demeure l'enfant d'une nuit
sont-ils plus légers
les baisers sur ton corps
maintenant que tout est dit
*
les yeux de la morte que je chante
sont les yeux d'une habitante
sont les yeux d'une fille de joie
sont les yeux désertés du ventre où je dors
les yeux de la morte qui n'a jamais chanté
*
le cri de la mouette
m'arrête et m'éternise
au seuil des maisons
au seuil de l'habitante
au seuil de l'amour
le cri de la mouette sur la mer qui dérive
*
la fleur dans ta main
manque-t-elle au bouquet
que la main compose
la fleur dans ta main qui la pare
manque-t-elle aux bouquets
manque-t-elle au genou
à la terre au repos
*
le sommeil de tous les paysages
me réveille entre les tombes
me réveille à l'aurore
sous les arbres me réveille
et me dore le visage
au sourire de la pierre
au sourire que j'éternise
*
la chevelure sur l'épaule
où je baise le sommeil
la chevelure et tes yeux
où je baise la lumière
et tes lèvres
où je baise les brûlures
et ton cul
où je baise mes transes
*
elle m'arrache un salut
proche de paraître mais nue
qui dédie son ventre à la mort
un salut rendu dans les sables aux yeux
l'aveugle baiser volé
dans le vent qui l'agace
l'œil rivé à la fenêtre
où je mire les mares de la mort
au mur
plus loin que toutes les dédicaces où je meurs
plus loin que l'or où tu meurs
de dédier tes seins au givre de la vitre
tes seins brûlés
que salue mon œil morne
o coucheuse
plus loin que le désir
*
chante-moi o chante-moi
o doucement mère
o invisiblement morte
chante-moi et me rechante
mère dans la douce transparence de la mort
m'insinue et me siffle sur la branche
ma bouche avec ta bouche dans la branche
*
non
légère dormeuse
dans les bois de mon rêve
dans les bois de ma mort prochaine
dans les bois de ma mort
de mon sommeil
de mes transes
ce n'est que la grille
ce n'est que la main sur la grille
ce n'est que la brûlure dans la main sur tes seins
*
ne crois pas
o belle alanguie
sur tes seins redorer
les vieilles hantises de clan
ou l'aïeule calcinée au bois refermé
ne crois pas redorer le visiteur
et l'habitante au bois qui les sépare
*
il pleure un feu
au dedans de tes yeux
il pleure un feu de joie
où grille la putain
qui déflora le temps
d'aimer celle qui
au dedans de ses yeux
d'aimer celle qui renoue avec les familles
*
j'exhume ce qui reste
j'exhume un peu de l'amour
qui ne mourra pas sur les bûchers
l'amour qui ne mourra pas
sur les bûchers de la ville
et des villes voisines
qu'elle repeuple de son ventre
j'exhume le ventre qui repeupla la terre
*
ce portrait
de moi
par moi
pour vous
belle courtisane
ce portrait
ces cheveux
et ces yeux
de moi par moi pour vous
peut-être le temps
de baiser le bout de vos seins
*
il y a l'épaule d'une femme
dans le mur de la chambre
où m'enferme le plaisir
peut-être le jour
peut-être la nuit
il y a l'épaule
dans le mur de ma chambre il y a une apparition
*
le cri des animaux dans la clôture
et la grille noire maintenant
au cou de la servante
ce sont les dieux
les dieux de l'enfer
les dieux insouciants
et les jeux des dieux
dans le crâne qui repose sous la main
le cri de la saillie dans la clôture
et les dieux sur la grille
*
dis-moi o dis-moi la mer
dis-moi la vague
dis-moi le sel
dis-moi o redis-moi l'eau
et le sable au coquillage creux
dis-moi le rocher
dis-moi la femme nue sur le rocher
et son sexe mouillé
*
le temps voyage
avec l'âge
de ton corps
le temps s'arrête
où tu parles
de ton corps
le temps immole ton corps
sur l'autel de l'âge
que tu mesures
*
la mort a-t-elle défait
la chevelure dans mes mains
et le drap dans la chevelure
la mort dans le corps que j'exhume
a-t-elle noué la chevelure à mon cou
suis-je le pendu qui hante tes regards
à travers la fenêtre et l'opacité du dehors
*
j'ai noyé le blanc
au noir de tes yeux
au noir de tes cheveux
au noir de ta peau
j'ai noyé ma peur
dans l'eau de la pureté
dans l'eau de toutes les herbes
j'ai bu le vin
et j'ai noyé le vin
mon ombre sur le mur est un gnomon
*
innove-moi un cœur
o légère éveillée
sur mes transes aurorales
innove-moi un cœur
et le baise dans l'aurore qui fuit
c'est l'aurore qui fuit
c'est l'aurore qui renaît
o légère éveillée
ne dors pas sur mon cœur
*
les pas tranquilles de qui approche
la pointe de tes pas qui m'éloigne
les pas que j'espace dans le baiser
les pas que je nomme que je sépare
tous les pas près de moi
tous les pas que j'énumère
*
les fleurs au pied du ciel dansantes
sous le vent qui rasséréna
les yeux de la morte
sous le voile de mes souvenirs
sous le voile de sa mémoire défunte
qu'un cri ne réveillera pas
au cercle des fleurs
au pied du ciel qui tombe
*
les chiens de sable ont l'honneur de mourir
ont l'honneur de crier avant que de mourir
ont l'honneur de tuer avant que de crier
ont l'honneur d'aimer avant que de tuer
ont l'honneur de haïr avant que d'aimer
ont l'honneur de naître avant que de haïr
ont l'honneur de n'être pas avant que de naître
les chiens de sable vous saluent
du haut de leur mort
du haut de leur vivant
du haut de leur agonie
du haut de leur amour
du haut de leur sang
du haut de leur cœur
les chiens de sable ont bien l'honneur
de vous saluer
*
sous le feu igné de l'oubli
la montagne pleurée
les habitantes de la montagne
les pères de toutes les habitantes
et les demandes en mariage
et les tueries pour des mariages
sous le feu igné de l'oubli
le vieux épouse une pucelle
le vieux se déclare
dans l'arc-en-ciel de son ventre noué
le vieux abat des pyramides de couleurs
sous le feu igné de l'oubli
la montagne pleure les pleurés
et les pucelles se chatouillent entre elles
sous le regard des vieux
sous le regard des morts
sous le regard des dieux
sous le regard des cités qu'on écroule
sous les regards du feu igné de l'oubli
*
la vue du dernier couchant
est à la mesure de tes yeux
à la mesure de tes lèvres
dernière amante au cœur de pierre
amante au cœur que la pierre
regagne après la mort
ce cœur que le dernier rayon éternise
dans la pierre qui m'ancre à ta mort —
le soleil a pénétré mon ventre
et mon épaule le soutient
mon épaule que dore un rayon
à la mesure de ton regard
et de tes lèvres qu'étire l'humidité du lit où tu dors du dernier cri
*
à tes yeux
suspendue la hantise
et le cri de l'oiseau
qui me hante
à tes yeux
les hantises des chants d'oiseaux
et le cri qui m'enchaîne au souvenir
à tes yeux
les rives rêveuses de l'eau qui dort
et le chant de tes mains
au clapotis de l'eau
à tes yeux
l'eau verte de tes seins
dans l'eau de la rivière
et le bras que charge l'eau
sous l'eau de mes regards
à tes yeux
le suspens de la chevelure
qui entoure les bras chargés
de l'eau qui hante mes rêves
à tes yeux
la croupe humide qui s'ouvre
dans l'eau des rêves
qui la plongent
dans la boue soulevée par les bras
à tes yeux
le sexe tendu et la main qui le branle
et l'isole de l'eau de la rivière
de l'eau de ton suspens
*
deux serpents se médusant
dans l'eau des scories
au couchant que dore l'épaule des femmes blanches
blanches et noires
au bord de la rivière
deux serpents et un bouc
la lenteur des serpents et l'odeur du bouc
les femmes blanches
blanches et noires
au bord de la rivière
deux serpents et un bouc
des femmes
et l'épaule des femmes
dans l'éclat du soleil
et la chaleur maladive sur mon corps
la chaleur atroce de mon corps
deux serpents et un bouc
des femmes blanches blanches et noires
et mon corps la chaleur du soleil
la lenteur des corps l'odeur des sexes
et l'eau dans le sable
l'eau que le sable mêle
à l'épaule des femmes
deux serpents et un bouc
des femmes qu'épaule le soleil
et que hausse mon corps
les élève sur le bûcher de leurs pieds
dans le sable chaud
du baiser sur les ventres blancs et noirs
de la brûlure qui m'arrache un cri au bord de la rivière
*
à mes doigts ces bagues
le feuillage où je pends
les bracelets à mes bras
la couronne à mes cheveux
les feuilles sur le sol
les feuilles sous mes pieds
la perle qui pend au bout de mon corps
*
o muse la mémoire n'est pas si longue
y meurt de se chanter malgré le temps
je n'ai pas l'œil sous la terre
o muse laisse qu'elle se perde avec la terre
avec le ver qui la compose et l'étire
avec la racine des fleurs plus légères sous mes pas
o muse rassérène mon cœur à l'oubli du mémorable
cesse de chanter les heures peintes sur ma langue
ne crie pas si ma bouche innove les baisers du prochain
ne crie pas
laisse les silences avec les heures égarer les cris de ta mémoire
et pleure sur mon épaule
pleure
que je ricane doucement
que je me fonde avec le rire des nouveaux mangeurs
sur mon épaule innove-moi un sourire au cercle de tes yeux
écoute-moi qui ris dans l'eau de ta mémoire
écoute-moi dans les fables
écoute-moi et t'enivre d'écouter ce qui me chante au dehors
laisse-moi te charmer comme le serpent
coule sur moi
o muse
coule avec le ventre de tes jours
coule dans les dents qui te mordent et t'insinuent entre mes bras
et me baise la bouche pour t'éterniser avec les jours
*
le sourire vertical d'une femme la tête sur l'épaule
qui regarde ce qui passe à travers mes yeux
qui regarde et sourit
les visiteurs venus de loin pour déposer ces fleurs sur le ventre des
tombes
le sourire d'une femme au visage inverse
c'est la bouche qui regarde et c'est l'œil qui sourit
l'œil qui verticalise le sourire sur l'épaule où penche la tête
où penche ce qui va tomber du haut d'une épaule éclatante
*
as-tu marché o long marcheur
as-tu marché si c'est noir
au premier temps
de sa blanche apparition
elle est apparue entre les arbres
la dormeuse éveillée par le moindre regard
elle est apparue dans le blanc de l'œil
mais c'est noir maintenant
as-tu marché
o long marcheur à l'épaule ensoleillée
as-tu marché
si c'est noir dans le blanc de son sommeil
*
elle regarde l'enfance
sans y signifier l'enfance
elle regarde et ne parle pas
ne parle pas et ferme les yeux
ferme les yeux et s'endort
rêve-t-elle
ou est-ce la mort qui emporte la femme
la femme tordue dans ses linges
la femme remontant du lavoir
le bas de sa robe est mouillé
*
comme la lettre initiale
à la chute du point
le chant très haut
dans la voix des femmes
au bord de la rivière
le chant d'une femme dans sa robe mouillée
les bras d'une femme que l'eau éternise
la femme comme une virgule
entre la rivière et les arbres
comme le cri arrêté
au bord de la peur
la femme éternelle dans l'eau
et sa robe dans les arbres
l'odeur de sa robe
dans le sang des grands arbres arrêtés
au bord de la rivière
la femme nue sur le chemin
qui pleure d'être nue
la femme regardée au passage
du feuillage qui s'y recrée
*
elle n'aura dit que son nom
où je me nomme
et me recrée
plus loin que le cœur qui s'y arrêta
son nom est le nom des noms
et tous les noms sont le nom de son nom
sont les noms où je nomme le cœur
et que le cœur recrée
dans l'instance du nom qu'elle aura dit
elle n'arrête pas le cœur dans le cœur
mais sa main est un miroir qui change
*
tu es immobile avant de le crier
avant de crier son immobilité
tu es immobile et sans un cri
ce cri n'est pas le cri du paysage nu
le soleil ni la nuit n'arrachent un cri
au jour des jours qui ne se lève pas
au jour qui dort dans l'eau dormante de ton cri
au jour que n'éveillera pas le plus haut des cris
au sommet de la tour le cri arrête le cri
*
chaque cri que j'arrache
aux heures de la chambre
c'est la moiteur de ces murs
et c'est le cri de mes fenêtres
chaque cri me regagne
et déloge tous les cris
sur les murs de ma chambre
sur les murs où j'écris
chaque cri est un cri de terreur
chaque cri est un nom
chaque nom est une mort
aux fenêtres de ma chambre
ces cris sont le nom que je porte
ces cris sont le nom de ma mort
c'est le burin dans la pierre
et le graveur dans la tombe
*
le vieux pécheur mort dans le sable
des coquillages dans la bouche
des algues dans ses cheveux
l'écume dans ses yeux clos
chacun raconta une histoire
en regardant le vieux corps mort
chacun raconta une histoire
du temps ousqu'il était vivant
et son chien hululait dans les vagues
et la mer ricana se mêla aux chants
au miel au lait
que le sang absorba
et au moment de clore le sable sur la mort
v'là l'vieux qui s'lève
et dit :
« Viens, mon chien, suis-moi
on retourne à la maison mon chien
p't'être que la mer m'en voudra pas »
*
rien de nouveau sous le soleil
le vent est toujours le même
qui va de l'est à l'ouest
avec le soleil le soleil
son ombre avec d'autres soleils
la terre est vieille comme une vieille
les jeunes pousses de l'été ne sont plus
chaque fleur a saigné sous les pas
chaque fleur saignera sur la terre mouillée
sur la terre des déserts
chaque fleur saigne au pas qui l'écrase
chaque pas est le sang d'une fleur
le vent toujours le soleil le même
d'autres vents d'autres soleils
les fleurs dans la terre qui ne changera pas
*
il dit je sais mais ne dit pas
son ombre est l'ombre du soleil
que parfait le cercle de son œil
son œil est hagard dans le soleil
il dit tais-toi mais ne tait pas
sa lumière est la lumière du soleil
et sa main opiniâtre l'écrit
le caractère écrit qu'il n'a pas tu
il dit chante-moi mais n'a pas chanté
o non n'a pas chanté les chants
où je hante
il dit souviens-moi
mais ne dit pas la mémoire de l'écrit
même de s'y arrêter
il dit
meurs
mais ne meurs pas de la plus belle mort
*
le mal est d'avoir bu les vins de l'acte
de s'être régalé au rêve qui l'exalte
le mal murmure d'avoir mal
le mal est le chant du désespoir
qu'est-ce que la santé
pour qui a bu l'eau de ton vin
le feu qui la dévore
la terre qui l'absorbe
et l'air qui l'éparpille
le mal est d'avoir recréé son royaume
dans le royaume qui t'appartient
*
je t'aime parce que le corps réclame le corps
parce que le corps réclame l'esprit
parce que l'esprit réclame le corps
parce que l'esprit n'aime que l'esprit
*
l'enfer n'est pas le mal
l'enfer n'est pas un bien
c'est le lieu où tu perds
l'enfer n'est pas le feu
l'enfer n'est pas le jeu
du bien avec le mal
du mal avec le bien
c'est le lieu où tu gagnes
les schizos vont-ils en enfer ?
*
la mort c'est le sommeil
c'est l'insomnie dans le sommeil
la mort est le rêve de la mort
la mort est un assassinat
la mort est belle dans l'assassin
la mort est laide dans le mort
la mort c'est le dormeur
qui s'éveillera avec le jour
la mort c'est le soleil
c'est le cercle parfait de la lumière
la mort est belle dans les yeux
la mort est laide sur les lèvres
*
le poème est le lieu de la dernière écriture
c'est le lieu où tu meurs
c'est le lit de ta mort
le poème est l'inachevé
c'est l'acte
contre le rêve qui s'achève
avec la mort de l'écriture
le poème est un suspens dans l'écriture
le poème est le sang
qui se rencontre quand tu lui tords le cou
c'est le bec de l'oiseau
*
tes seins o Nausicaa
tes seins sont comme les deux vagues
sur le sable de ma pensée
sont comme les lèvres bleues de la mer
dans la vague qui les ouvre
sont comme les montagnes
dans le creux de l'eau qui écume
dans le creux de l'écume
que dépose la vague sur la vague
et la vague sur le sable
tes seins
sont comme les soleils éteints que la mer isole
*
ce corps
est le corps
que je hante
qui me branle
ce corps
est le corps
qui m'aima
qui m'aima demain
c'est le corps
où je branle
tous les sexes
tous les sexes
*
c'est le cul
où ma bouche te baise
où ma bouche retrouve
les saveurs de ton sexe
c'est le cul
que ma bouche a mouillé
où mon sexe se mouille
des moiteurs de ton cri
c'est le cul
au mal qui le déchire
au mal qui me compose
où je t'aime
c'est le cul
dans le ventre de tes cris
dans le ventre des plaisirs
que tu n'enfanteras pas
*
ne cache pas l'épaule
où ma lèvre se cherche
et compose le bras autour
du cou baisé
ne cache pas les seins
où ma lèvre recrée
les cris de mon enfance
dans les parfums de tes cheveux
ne cache pas les lèvres de ton ventre
sous mes lèvres où mon ventre
secoue tous les cris de mon cœur
ne cache pas tes yeux dans mes yeux
et tes mains dans mes mains
ne cache pas les cris de l'esclave
dans les cris de l'éveil
*
je veux ta croupe de marbre o statue
je veux le marbre de ta croupe
je veux m'aboucher avec les pores de ton immobilité
retrouver la sueur dans la patine
dans le musée que tu honores
je veux déchirer mon corps
dans les éclats de tous les regards
qui se composent dans la pierre
je veux branler ma queue
dans le trou qui manque à la pierre
*
ses yeux regardent les montagnes
les peaux des animaux sur les rochers
la pluie sur les feux de bivouac
les arbres par-delà la rivière
son corps est couché sur le côté
le sang se mêle à son regard
se mêle au sang des animaux
à l'écorce des arbres
au feu que l'eau a noyé
son corps est couvert de morsures
les morsures des animaux derrière les arbres
les morsures de la pluie
son corps a l'odeur de la rivière
de la terre
et du bois calciné
sa main est pleine du sang de son ventre
et de ses membres
ses yeux contemplent la fourmi
*
les bagues de terre
sur tes mains
et tes mains
sur mon sexe tendu
les bracelets de terre
sur tes bras
et tes bras
dans l'eau dormante
les colliers de terre
sur tes seins
et tes seins
sur mes lèvres
les couronnes de terre
dans tes cheveux
et tes cheveux
dans mes yeux
la ceinture de terre
sur ton ventre
et ton ventre
dans mes mains
nos corps ont pénétré
l'eau qui m'entoure
l'eau a mouillé
ton corps impénétrable
*
la femme dans l'eau
ses parures de pierre
ses parures de métal
que le sable a mêlées
la femme dans le sable
la femme que le sable
mêle à la pierre
et au métal
la femme sur le chemin
la lumière dans les voiles
et l'ombre de ses bijoux
les peintures sur sa peau
que rature le bijou
la femme dans la maison
*
les mots sont le temps
que le temps retrouve
après l'avoir perdu
le temps que les mots ont aboli
les mots sont mots d'amour
les mots sont mots de mort
les mots ne sont pas le plaisir solitaire
*
je ne chanterai pas le corps et l'eau
je ne chanterai pas l'algue et le coquillage
je ne chanterai pas le sable et les cheveux
que l'eau mêle au sable à l'algue au coquillage
je ne chanterai pas mon corps
que ton œil agace au haut du rocher
je ne chanterai pas le sperme sur le rocher
et la langue sur le genou
ni le plaisir que tu te donnes
*
ne t'esseule pas avec moi o dormeuse
n'esseule pas mon insomnie
j'ai retrouvé le sens de mon sommeil
je n'ai pas perdu la raison
ne dors pas où je dors
veille où je veille
avec moi o dormeuse
éveille-toi dans l'éveil de nos corps
éveille-toi dans le sommeil de mon corps
pourquoi dors-tu o dormeuse
sinon pour me mourir dans ton sommeil
*
branle-moi o branle-moi
o moi qui me déserte
aux formes de la femme
aux formes de mon sexe
branle-moi tout le jour
forme-moi à ces formes dans la main
la caresse de ma main sur mon sang
branle-moi dans mes rêves
dans les peuples de mes rêves
o moi qui me sépare
o moi que je retrouve
dans la transe de mon corps
branle-moi et aime-moi
*
j'en ai fini avec ton corps
j'en ai fini avec les corps
maintenant je m'achève dans mon corps
ne me regarde pas
que mon regard compose mon corps
dans ton corps
ne parle pas
j'ai saigné d'avoir baisé
ne parle pas
je t'aime toujours de m'aimer
*
je t'aime dans moi-même
je t'aime dans ton corps
mon sang se retrouve
où ton corps me retrouve
je t'aime dans moi-même
mon sang nomme ton corps
ton corps nomme mon sang
je me branle où tu branles
*
pourquoi saignes-tu
pourquoi le même sang qui me saigne
n'immole pas ton sang
o cesse de saigner
pourquoi mon sang mouille-t-il mes nuits
pourquoi ton sang mouille-t-il tes jours
pourquoi mon sang est-il plus vivace
pourquoi le sang épuise-t-il ton corps
ne saignes-tu pas du même sang que moi
*
qu'es-tu quand tu parais
soutien-gorge ceinture bagues colliers bracelets
la pierre et le métal
la pierre dans le métal
le métal comme le caméléon
o laisse-moi me parer dans ton armure changeante
o laisse-moi me paraître plus léger
que la chevelure sur les yeux
ceinture bagues colliers bracelets la pierre le métal
la peau du caméléon
o laisse-moi changer
dans les changements où tu parais
laisse-moi
*
je change les peintures
dans le corps qui m'aima
m'aima demain
m'aime toujours du même amour
je peins comme le chinois
la lettre dans les yeux
la lettre sur les lèvres
la lettre à même le ventre
laisse-moi au corps qui m'aime
m'aima demain
m'aime toujours du même amour
je change les peintures
je recrée l'animal dans les paysages du désir
*
je chante le plaisir
le plaisir solitaire
des corps seuls dans le corps
des corps seuls où l'esprit se ressemble
je chante le plaisir
au masque de ton corps
au bal de tous les corps
je chante le plaisir solitaire
le plaisir du moi-même
le plaisir du miroir dans le miroir
*
ce ne sont que les moiteurs emmerdées
ici
ne pense pas y conclure le sort
rien ne se joue qui n'a pas été joué
ce n'est que le jeu des nourritures
ne crois pas m'isoler dans les cris du sol mouillé
ne crois pas arrêter
le vent et la pluie sur le seuil
c'est noir
c'est immobile dans le sens des secrets
ou c'est lent dans la fenêtre qui m'en sépare
où je me branle de tous les mystères
*
la bouche n'a pas résolu
le parler où je jouis
o n'a pas résolu
le rocher dans les vagues
la bouche nomme peut-être
un nom sur le rocher
nomme peut-être
le sens de ce qui manque
la bouche a perdu
d'avoir prévu les transes
d'avoir prévu le feu qui me dévore
le feu des couleurs dans l'eau
qui n'aura pas mouillé la femme sur le rocher
*
j'aime ton corps sur les rochers
les coquillages au pubis
l'algue océane suspendue à tes yeux
j'aime le corps
que le rocher secoue
dans la vague
et les débris de la mer
j'aime ce corps sur le rocher
le plus haut de la mer
j'aime ton corps
dans la chute des rochers
dans la vague sonore
qui l'arrache au regard
*
regarde-moi qui dors
regarde-moi
aux sources des mots
que je n'ai pas dits pour que tu m'aimes davantage
regarde-moi dans mon sommeil
regarde-moi où je m'augmente
et que ton cœur m'innove dans mon cœur
regarde-moi sans éveiller la nuit qui m'entoure
regarde-moi sans t'éveiller
dans le jour qui ne paraîtra pas
*
pourquoi éveilles-tu la nuit pourquoi
pourquoi ne dors-tu que le jour pourquoi
o dormeuse sur les murs
n'éveille que le jour si c'est le jour
ne me demande pas de recréer si c'est la nuit
pourquoi regardes-tu dans mon regard pourquoi
pourquoi m'éveilles-tu
avec le regard du dehors pourquoi
dors o dormeuse
dors toujours du sommeil que je rêve
du sommeil que je dérobe au visage endormi
*
ce que le rêve recommence
périclita avec son esprit
ce que le rêve dit et redit
tous les sommeils
ce que le rêve peuple
de recréer les ressemblances
lui sera arraché
et il mourra sans le secours des libations
son corps peut pourrir
l'aviron peut tomber
les oiseaux s'en aller
le rêve ne pardonnera pas
*
ton nom est mort avec l'infortune
avec la chute du haut de la tour
avec le vin
ton nom est mort
avec les os brisés au pied de la tour
avec le recul
loin de la déesse aux yeux de nacre
ton nom refermé sur le nom de l'oubli
n'oubliera pas le nom de l'île
le nom à venir
*
mère des pardons et des oublis
pardonne et oublie soit la mère
o mère soit la mère qu'on esseule
soit la mère
dans les filles qu'on chatouille et qu'on rie
mère des vertiges et des chutes
enivre-moi
balance-moi du haut de la tour
recueille-moi dans le ventre de tes filles
*
je suis le corps
tu es le corps
je suis la croix
les pyramides dans la croix
tu es le svastika
au cercle des pyramides
je suis le sacré
tu es la mère
nos corps sont filles de mémoire
*
ton nom a élu le poète dans les poètes
ton nom a nommé le poète dans la poésie
ton nom a chanté le poème dans l'écriture
j'ai retrouvé le nom des noms dans les noms
*
mon sang est le sang des élus
est le sang de qui élira
j'ai élu le sang des sangs
le sang qui a coulé au svastika
mon sang est le sang de la femme
impure dans le sang
c'est le sang d'une femme
dans le cri de toutes les femmes
*
mon nom est à venir
mon nom n'est pas venu
le temps de mon nom est à venir avec mon sang
le temps de mon nom n'est pas venu
et je saigne
le nom viendra avec mon nom
car j'étais au commencement
mon nom n'est pas venu
mon nom n'a pas fini de venir
*
j'ai bu les larmes de ton sang
aux yeux de ton nom
j'ai bu le sang
dans les larmes sur tes lèvres
mon cœur est un désert
tu es l'eau avant ma mort
je suis le sable et tu es l'eau
o ne cesse de pleurer
pleure au mal qui me saigne
pleure au sang que je bois
*
je t'aime dans la sœur
que je n'ai pas connue
je t'aime où je connais
le cœur d'une sœur
je t'aime dans la sœur
que le père a baisée
dans le lit de la mère
ne rie pas si tu as peur
o sœur de ma sœur ne rie pas
si mon père est l'enfant
qui sépare mes rêves de ton sexe plus beau
dans les mains de la mère
je t'aime comme j'aime la mère
*
mon lit pue comme mon corps
mon lit pue avec l'insecte sur mon corps
mon lit pue et m'écrase
mon lit me pèse avec ce qui pèse
mon lit régale les masques sur les visages
mon lit recule dans les visages
au seuil de ma porte
o laisse-moi puer avec l'insecte
que j'odore tes chants
de toutes les puanteurs de ma solitude
*
est-ce la statue de nos dieux
que la pierre rassemble
est-ce la colonne
où les hauts se composent
mon corps n'a pas pénétré
l'épaule tragique de mes travaux
car les dieux ne bougent plus
o pourquoi ces voiles
dans la transparence de mon corps
pourquoi ce genou dans la pierre
lève les yeux regarde-moi
je suis nu et je bande
*
je module
je tonule
je prolonge
j'écarte
j'ai modulé tes yeux
aux modes de mes chants
j'ai tonulé la couleur de ta peau
aux couleurs de mes yeux
j'ai prolongé mes lèvres
au rire de mes lèvres
o j'écarte tes cuisses dans mes épaules
pour mouiller les saveurs de ton sexe
à l'eau de mes chants
à l'eau de ma durée
à l'eau de ma peur
*
quels sont les cris que je recrie
à peine le soleil
non
le soleil n'est pas
mon sexe est rouge
et je dis ou redis les derniers mots
non
ne t'éveille pas
le soleil sera peut-être mais pas maintenant
je sors d'un cri que la nuit absorbe
*
la ceinture que je dénoue
au corps
au sommeil que le corps revêt
ce n'est pas dans ce cri que je m'épuise
que j'épuise les derniers cris du sommeil
ce n'est pas au nœud qui me dénoue o ceinture
que je recrée le cri dans la nuit
la nuit
ou le soleil dans la nuit
ce n'est pas où je crie
que mes lèvres ont remué
c'est peut-être ici au pivot de la chambre
aux quatre murs entre les murs
*
ton corps est un marbre
tes voiles le même marbre
et ma main est un marbre
dans le burin et le marteau
et dans l'œil qui les garde
ton corps est un marbre
sur la terre entre les arbres
la haute grille y rature
des mots toujours les mêmes
les mêmes sur les noms où le cœur est un royaume
*
mes lèvres sur les seins
que la pierre ne discerne pas
mes lèvres ont joué la patine
mes lèvres sur les lèvres
où la pierre ne s'arrête pas
mes lèvres sont sous terre
mes lèvres et le vent qui les secoue
mes lèvres ont elles défilé
dans les jardins où je renais d'être de pierre
*
je mouille les cris d'une morte
du temps de son cri
je suis la pluie
même à la fenêtre
où rien n'est rien
où rien n'est plus
je crie dans la morte
dans la terre mouillée qui la sépare
comme la pluie comme le vent dans la pluie
*
pourquoi le cri des oiseaux sur la maison
n'est-il pas plus léger
pourquoi la mort des oiseaux
est-elle si légère dans le jardin
pourquoi es-tu si tranquille
dans la fleur que j'ai composée
dans la chute des oiseaux qui aflore mes mots
*
il dériva comme l'algue qui se méduse
son nom n'est pas écrit
le regard est-il léger
de s'aboucher avec son nom
les cris sont-ils proches
de déserter l'île dans le royaume
il n'est pas sans retour
le reste est l'immobilité et le pas qui le cherche
le pas et le pas dans le sable et le sable
*
les mots que la mort arrache
ou le silence et la mort inattendue
l'attente de la mort sans un mot pour qui aime
les jeux de l'amante sur ses seins dorés
et les mots dans les dents de qui mourra
sans ressembler à ses jeux de mains
*
tes seins sont la fleur des châtaigniers
tes seins ont l'odeur de la fleur des châtaigniers
tes seins sont plus doux de me ressembler
d'être l'eau qui ne mouille pas
et s'épuise dans mon inépuisable
tes seins sont les châtaignes
où je déchire mon odeur de foutre
*
je baise tes vieux seins
je les baise d'amour
o mère de mes mères
je les baise d'aimer
je baise le lait
de toutes les libations
aux corps perdus
et jamais retrouvés
je suis la morsure
de la pucelle que le chaudron réclame
je mords dans le suspens atroce
des remèdes contre l'angoisse
*
non pas la peur de la mort
la lassitude
et les regrets l'appelleront tout haut
lorsque le moment sera venu
non pas l'usure
ni l'usure des corps
ni celle du langage des corps
mais le déclin
le déclin qui ne rouille pas
le déclin dans l'édifice
que le temps ne bousculera pas
le déclin non dans les corps
ni le langage des corps
le déclin dans la volonté de puissance oui
*
pourquoi le repos et la longue vie
pourquoi le travail et la vie éternelle
pourquoi la longue vie et le déclin du pouvoir
pourquoi la vie éternelle et le pouvoir dans le vide
pourquoi le déclin et pourquoi le vide parfait
*
les pleurs salés des archipels aux morts dansants
dans le dernier éclat
de la pleine lune
à la mesure des vagues dans les yeux des esclaves
nues autour du cratère
où tu enivres la dernière amante
« bois, ceci est le vin de mon père
le vin des hommes
le vin des frères de mon père »
*
pourquoi ne bois-tu pas maintenant
le vin qui la déserte
pourquoi ne pas baiser
la bouche que la mort étire
et rassérène
pourquoi ce sel sur les lèvres
pourquoi ces coquillages
*
comme un feu de joie
doublant le songe vert qui l'occulte
les fleurs sous la mer inaugurent
la race des seigneurs
et dans ces algues mémorables
que balancent les paroles de coquillages
le visage de celui
qui retourne à la terre
je vois les quatre chemins
où le sang colore les cités
les continents et les îles
que la vague suspend à son écume
*
le soleil et la lune
éclairent les baisers du roi à la reine
sous les toits tendus de la cité où tu dors
dormeuse sanglante
le soleil et la lune
la lumière du jour et de la nuit
le sang qui dort
ce qui n'existe pas dans les murs ensommeillés
le soleil et la lune
éclairent les baisers du roi à la reine
éclairent le roi et son sommeil
éclairent la reine endormie
dans un vaste linceul
au bond de toutes les lumières du sommeil
l'oiseau ne dort plus
et le crabe ensable
les gloires de l'idée
sur les rochers
j'ai élu le pivot
j'ai élu chaque pôle de toute instance
avec la nuit
j'ai chanté les dynasties
l'oiseau ne s'éveillera pas
et le crabe peut dormir
dans le cercle de sable
qui entoure les délires de l'idée
*
le baiser de la lumière avec les morts
compose le bouquet de la nuit et du jour
j'ai chanté les belles chansons
des asiles et des hôpitaux
mais je n'ai pas chanté le cœur des asiles
ni le cœur des hôpitaux
la lumière se fond avec la lumière
qu'éclairent les morts
la nuit est une fleur le jour est un bouquet
je n'ai pas chanté
le zythum des asiles et des hôpitaux
les jours l'un après l'autre
au flanc de la vieille tour
sur le bord des rivières
o les jours l'un après l'autre
où la rivière borde une tour
dont la pierre saigne
o saigne avec les heures noires
que le cœur ne distance pas
au flanc de la vieille tour
la cité honore ses pendus
saigne avec les heures noires
avec les heures
que la nuit peint sur le bord des rivières
le long des tours de pendus
*
les distances dans le miroir
où celui qui marche sur les fleurs parle
des remparts de la ville
de leur histoire et de leur utilité
de ses morts
et de ses sentinelles
dans le miroir
le regard sur les fleurs
*
le passage des arbres nus
sous la pierre
dans la bobèche
de ce qui décline avec la mort
les arbres nus sous la pierre
au passage des morts
qui ont décliné
avec l'usure des vivants
la pierre éclairée
sous les arbres qu'un mort pèse
dans la mémoire de ce qui dérive
et dit : « aime-moi » ;
la bobèche sur le déclin
*
un prince s'est-il couché
dans le sable blanc
a-t-il défilé
dans les coquillages l'entourant
que raturent ou écrivent les rames
les palmes de l'arbre
sur les yeux et le ventre indolore
le vin s'interpose
entre le visage de la déesse
et les transes du vers
du vers recomposé pour la forme
pour que la forme se reforme
et s'infirme d'un membre
et l'use l'use et y croît
aux transes d'un ver
tous les animaux ont regagné leurs gîtes
*
j'ai mangé mon pain en paix
mon pain en paix
et la paix dans le pain
mangé dans l'heure sans suite
ou sans le sens
que le pain manque
d'énumérer
j'ai mangé le sel de mon pain
*
les saisons couchent ce qui reste
le couchent avec les fleurs
sur le lit au-delà du chant
au-delà du chant
au-delà des fleurs
et plus loin encore
au-delà du lit qu'on pare d'une saison
et d'une autre
d'une autre qui porte le même nom
la sœur des saisons
toujours la même
et toujours sœur
qu'on ne nomme pas dans le grand lit
où dorment plus d'un amour
*
la femme aux cheveux défaits
ne lit plus le livre
ne lit plus le livre inachevé
ne lit plus
l'inachèvement de tous les livres
de tous les livres
et de toutes les dédicaces
et son apparition secoue des vols éparpillés
dans le lit inachevé
le lit où s'avotive le discours délabré des poètes
la femme à la chevelure défaite
et composée d'arbres nus
à la lumière des fonds de la bobèche
et de l'ennui de tous les jours
*
le balcon sous la fenêtre
selon le berger qui la garde
isole des heurts de pleurs
délavés par le flot
recomposé lentement
lentement joué dans les flots
qui la délavent sur la vague
la chambre dans la chambre est l'herbe du soleil
*
je chante très haut
la robe perlée d'une catin
la robe perlée d'une catin
aux yeux pers qui me hantent
je chante les yeux pers
dans la robe perlée d'une catin
la catin qui me hante
*
les jardins dans les eaux
que tu entoures de tes bras
sont dorés comme le blé
que la déesse a brûlé
comme le blé de la chair
qui se refuse de brûler
dans la chair qui brûlera
*
la grille du verger rature
l'entrée de tes fruits
la grille du verger
n'écrit pas le sucre de tes fruits
la grille du verger
au passage de l'habitante
la grille du verger
dans les pas de la passante
ouvre le métal dans l'herbe
et se referme sur l'or de ses pas
sur l'or que ses pas ont pénétré
sans s'y arrêter
la grille du verger où l'herbe est calcinée
*
l'hyène ricane dans le sommeil de l'oiseau
l'hyène ricane dans l'ombre des arbres
qui peuplent le sommeil de l'oiseau
l'oiseau sommeille charmé d'entendre qu'on rie
qu'on peuple ses rêves des arbres les plus beaux
et la mort du poète signe une lettre sur le mur
*
où es-tu cintas
où caches-tu ton secret
mais tu n'as pas signé la mort cintas
et tu n'as pas élu la pauvreté cintas
où caches-tu les secrets
que tu emportes dans la mort
où caches-tu le corps
qui dérive avec ta pauvreté
qu'il vienne o qu'il vienne
le moment de te dire
que je meurs et dérive
qu'il vienne o m'emporte
l'espace de te dire
que j'en ai fini avec la vie
à cause de la mort
m'emporte o me déchaîne
et signe au bas de moi-même
*
les sarments de ta vigne
o belle enchanteresse
dans le feu des bûchers
pour parfumer les morts
pour parfumer la mort
qui brûle tous les charmes répandus
et brûle avec l'heure prochaine des ruines
brûle avec le vin de ton corps
sur les bûchers de la ville
brûle avec toutes les putains
qu'embaument les sarments
dont je renais plus savant
*
le langage des eaux flore l'herbe
le long de la montagne
qui verse ses assassins
ses femmes d'assassins
ses enfants d'assassins
ses familles et ses sexes
le long de la montagne
l'herbe en fleur sous l'eau qui parle
*
près du bassin où tu nages dorée
j'ai ri avec les fous du roi
avec les jongleurs
avec les dames sans merci
avec le héros du roman
j'ai ri peut-être avec la reine
seul avec elle j'ai ri
en écoutant l'eau remuée de ton corps
j'ai ri avec diverses putains sans le sou
près du bassin où tu nages dorée
j'ai ri avec les devins les médecins
j'ai ri avec l'or des philosophes
j'ai ri peut-être avec la reine
seul avec elle ou avec une putain
j'ai ri de toutes mes chaudes-pisses
*
le serpent blanc a le sourire des aurores
les clés le long des fleuves où elle nage
et l'aile légendaire des vieux refrains
ce n'est que le regret et c'est le déclin
c'est le déclin de toutes les forces vives
qui ont animé les neiges
les neiges et le plus haut des arbres tombés
après des heures de marche
des heures sans les jours et des jours sans sommeil
*
le vent au mur
sur les vieux gradins
aux quatre chemins
tient l'oiseau dans ses mains
aux quatre chemins
reluque l'oiseau dans ses mains
baise l'oiseau dans une main
dans l'autre le rebaise et rebaise encore
le vent au mur sur les vieux gradins
au mur de la maison
les gradins dans la chambre
et la chambre nue
tous les cris de l'oiseau
que peut-être on agonise pas loin
*
au moins le regard
qui fume encore
o laisse qu'il se perde
proche dans ces murs
où le temps résume
le temps et la terre
ce n'est qu'une poignée de terre
de terre
et de temps
de temps que le regard isole
que le regard compose
au gré de ce qui meurt
ce qui meurt meurt
d'aimer le mourant
le mourant et la mort
qui l'entoure
et l'emporte
*
ce n'est qu'une des dents du vieux dragon
d'un dragon qui périclita
avec le capital des vieux joueurs d'échec
des vieux joueurs d'échec et de leurs femmes
les femmes nues
nues et seules
seules et défaites
jouant au jeu des divers capitaux engagés
dans l'espoir
dans l'espoir et les rêves que l'espoir déroute
ce n'est qu'une dent contre la cité
le paysage nu des stigmates de la nuit
de la nuit et des femmes coiffant
coiffant
de longues chevelures dans le jeu inachevées
*
mais peut-être n'est-ce que le regret
l'est mort
l'est mort
le fils
pendant que l'père
y f'sait la guerre
l'est mort
tout mort
le fils
pendant que l'pè-ère
y f'sait la guè-ère
il te reste Sodome dans ton brûlant anus
*
j'ai jeté les cendres
sur la maison
où j'ai vécu
naguère
les cendres de qui mourra
mourra d'en avoir trop dit
trop dit
et j'ai profané les bûchers sacrés
sacrés comme les églises
sacrés comme les tours des églises
et les ailes des églises
dans l'herbe dans l'herbe de ce qui nous sépare
*
ce n'est que le regret
le regret doucement
la bobèche ancrée au cœur
qui l'a soutenu
le corridor où le lézard m'a présenté
m'a présenté l'arable et le divin
la rivière a hurlé dans la dernière stèle
*
et le fils de la vigne a répondu les deux cris
et la solde du roi des lézards est au laminoir
est au laminoir
o toi porteur du présent
porteur des temps de temps à venir
aux portes du patio
aux portes du cri que j'ai crié là-bas
*
qu'est-ce qui est plus joli que la poésie
c'est la mort
qu'est-ce qui est plus joli que la mort
c'est le diable
qu'est-ce qui est plus joli que le diable
c'est l'amour
qu'est-ce qui est plus joli que l'amour
c'est la mort
qu'est-ce qui est plus joli que ce qui est joli
*
ce qui dort
la mort
ce qui vit
les rêves
non le rêve les rêves
ce qui meurt
le sommeil
pas les sommeils
ce qui naît
la poésie
non les poèmes
la poésie
ce qui pense
l'amour
pas les femmes
l'amour
ce qui use
la maladie
pas le mal
la maladie
ce qui s'achève
l'esprit
les esprits
*
mon rire
c'est le signe que je meurs
que tu mourras
peut-être pas
c'est le signe
des pleurs de la veuve
c'est le signe de ton éternité dans le malheur
*
la mort a-t-elle défilé dans vos yeux
la mort a-t-elle défilé dans vos yeux éteints
la mort est laide
et tu aimes la laideur des filles
ça c'est le sort
la mort est belle
et tu aimes la beauté des filles
la mort a-t-elle défilé
dans les yeux de toutes les filles
la mort dans mes yeux
que tu sois la plus belle
ou plus laide que le sort
*
la lumière se joue des tours
avec des pendus pour ponctuer le ciel
tout ce spectre est visible
comme qui dirait cintas
c'est-à-dire moi-même
et je me suis senti soudain très seul et désespéré
l'odeur des algues même ne m'extrait pas de la mer où je plonge
je chante le soi-même...
sûr que les mots vont me manquer
mais qui s'en apercevra
tout ce spectre est visible in-té-gra-le-ment
et ce spectre n'est pas un revenant de l'au-delà
les bras chargés des paquets d'algues
où la mer recommence
où elle change
le métal est épuisable
par abus de pouvoir sur la nature
*
ma chanson s'achève en chanson
j'ai bien cru que cela m'arrivait
quand j'ai senti la première rime
avec les trous que la vie a creusés
dans la terre de ma raison
et je redescends
est-ce que ça rime à quelque chose de redescendre
est-ce que ça chante dans tes cendres
dis-moi l'aïeule est-ce que je rime
*
à leur corps d'oiseaux de passage
à leur cœur d'oiseaux disparus
à leur ventre d'oiseaux venus me saluer
j'ouvre la porte toute grande
et je me repais de leur chair
*
je veux bien
que la vie se résume
à quelques mots
sur une tombe
mais je ne veux pas
qu'elle se résume
aux mêmes mots
pour tout le monde
alors je cherche la différence
ce que j'ajoute à ton nom
pour me retrouver
le génie que je recommence
le génie des poètes
qui n'ont pas tout à fait renoncé
à dire la vérité
en chanson ou en tête-à-tête
*
ma mort est sans importance
une autre mort m'a fait beaucoup plus mal
parce qu'elle justifiait la mienne
et que je n'ai aucune envie de mourir
ma mort n'a pas l'importance
que j'aurais voulu lui donner
*
alléluia je n'ai pas connu la vieillesse
alléluia je n'ai pas connu la guerre
alléluia je n'ai pas connu l'infirmité
alléluia je n'ai pas connu la maladie
— tu es morte comme meurent les arbres : foudroyée
*
les premières pousses de l'été
dorent ma fenêtre
dorent les murs sans voix
dorent les promenades
autour du vieux bassin de pierre
où nage une algue
rouge de mon sang
rouge de mon regard rouge
de mes mains ensanglantées
les premières pousses de l'été
comme l'herbe dans le ventre de la dormeuse
comme l'herbe dans le ventre de ma pipe
dans le ventre de ma fenêtre humide
au regard qui la pénètre encore
*
mon cri chante les corps
les corps ensommeillés
dans la poignée de terre
sonnant le bois vert du rêve
mon cri chante les corps
les corps immobiles
où s'agite le crâne
des herbes moites du rêve
mon cri se chante au-delà
de ces corps parmi les corps
au-delà de ces corps
parmi les corps sonnant le bois
ceci n'est qu'une poignée de terre
ce n'est que le suspens des chants
qu'on bouscule
dans la danse
*
sur le miroir sans titre
des fulgurations du TAO
le Caractère Écrit
qui nomme les clés de chaque reflet
le langage du reflet au visage qui le contemple
le visage immobile que l'œil éternise
*
l'eau de ton nom hydrifie
les fenêtres de la maison qui rit
la maison rit
doucement échevelée
dans l'eau qui la sépare du dehors
l'eau de ton nom est le nom de chaque branche
à la rayure de mes regards
au dehors des fenêtres de la maison
o toi la tour
toi la plus haute
ressemble-moi
au plus haut de moi
ressemble-moi dans mon image
o soit la mort du haut de la tour
ressemble-moi dans mon cœur
ressemble-moi du haut de ta chute
image-moi un cœur
plus haut que la couronne de pierre
plus haut que le vin qui me perd
plus haut que la plus haute libation
o toi la tour
toi le sommet
o toi le dernier voyage
*
maintenant le soleil
qui s'arrache les cheveux sur la montagne
et les champs de blé violets
où crève le poète qui a chanté
et la maison qu'enferme la folie
au cœur de la saison
que ne chantera plus
la métamorphose d'Ovide en oiseau de proie
*
le premier mot que le chant signe en ballade
un point d'orgue au long imprévu de son sens
l'ordre installé contre toute attente
las d'avoir redit quelle double vue la fonde
*
la mort où s'achève la transe
en collier surprise d'y rire peut-être nue
en raison d'une attente à la dérive
pense à l'équerre de sa folie
o nuit n'espère que la mort
un temps d'y rasséréner
au moins la mort au bout du sort
n'espère que la mort
en nuit changeant ses parures d'été
peut-être nue si c'est l'ennui
si tu dors toutefois
n'espère que la mort
danse s'il peut te ressembler
o danse au-delà de la mort
si le feu ne peut me hanter
*
le temps est long dans la raison
le temps est long dans la chanson
le jour épuise tous les soleils
o mon sommeil tous mes deuils
tant de haine où va l'amour
qui va chantant comme l'œil
*
je suis accusé à tort
d'avoir bleui les rouges du couchant
là le spectacle des diverses rencontres
sur l'herbe sucrée de ton ventre
rends-moi ma lyre et mon tambour
le temps récite un chapelet de maisons isolées
dans la forêt des mensonges de la science
*
o chienne sacrée
je n'ai bu que le vin
de la lointaine reconnaissance du savoir
je n'ai bu que le vin
des pénétrances lointaines comme naguère
comme naguère sur le bord de toutes les routes
où je me limite à regret à regret
*
contre-champ du sophisme
peut-être qu'un retour
peut-être qu'un regard
mais toute libation est contraire aux rituels
ce n'est pas une question d'ordre
ce n'est pas une excuse au manque de sang
ce n'est que l'ombre vive
et la fraîcheur reposante de l'ombre
ce n'est que le visage obscène
d'un coin de rue à l'ombre des églises
ce n'est qu'un instant
dans l'instant de la perdre
et la fille aux cheveux de colonnes
qui se donne pour pas un rond
pas un regret
qui se donne de ne pas donner
pauvre d'un corps doré blanc
que le soleil a composé
dans l'ombre la plus insignifiante
entre les colonnes de tous les promontoires
contrechamp : le ticket qui explosa
*
dis-moi tous les secrets
de la verte pucelle exhalée
dis-moi toutes les multitudes
dis-moi tous les retours de la femme
aux yeux d'écriture chinoise
dis-moi la femme où je resplendis
plus beau de paraître le rêve
dis-moi les fêtes de la femme
*
peut-être les voyages
au bout de la raison
avec pour lune mentale
quelque chose de plus mérité
que les morts dans la guerre
au bout de la raison
peut-être avec des peuples
relevés de la pourriture
où la vie nous conçoit
mais les histoires de l'homme au bordel
ne sont pas délectables
si ne les rature d'un coup de son ongle
la femme couchée dans le lit de l'attente
qui dit oui sur un coup de tête
et la raison aux fulgurations du caractère écrit
à moins que ne s'écartant
de la ligne de conduite d'abord envisagée
il ne conçoive à la fin
que le cri et la mort
peut-être repeupler
*
les étoiles dans l'eau
l'arbre près de la maison
mon épaule a joué avec l'ombre des visiteurs
l'ombre pantelle où la lumière danse
qui peut vous avoir fait ce récit infidèle
o vipère sommeillante
*
a joué l'eau dormante
où je noie le passage d'une habitante
de la main à mes yeux
peut-être le temps d'autres oiseaux
i.p. le plus secret
d'autres saisons dans les grimoires
d'autres temps que le temps
non faut le laisser brûle-le
*
notre civilisation est celle de l'espace
le temps ne s'y retrouvera pas
le temps n'est pas au bout de l'espace
n'a pas la place dans le temps
notre civilisation est un repère dans le temps
notre civilisation est le temps d'un repère
c'est le vertige de nos corps dans la mort
dans la mort la plus belle ou la plus laide
selon l'espace du moment
le temps n'est pas au bout de l'espace
le temps a-t-il nommé des voyageurs
*
savoir trop ce n'est pas tout savoir
mais c'est quand même trop
ça durera tant que vous serez contre nous
le temps est passé de savoir mais pas tout
ce temps est passé mais pas le nôtre
on recommencera
comme le vent
comme la mer
jamais comme le soleil
*
et plus je m'éloigne de toi
plus s'éloigne l'art
plus s'éloigne l'espoir
je m'éloigne même si tu m'aimes
même si je t'aime
je m'éloigne quand même
ton corps est le plus beau des corps
je suis loin
maintenant et demain
et tu ne pleures pas
parce que tu me possèdes
et si je te possède
ton corps est le plus beau décor
o berce-nous dans ton silence
d'algue rabattue sur le caquet des morts
*
mon chant est le chant
que ne chantera pas
que ne chantera pas ton chant
ton chant est le chant que je chanterai
que je chanterai sans toi
sans toi nos chants sont l'heure
de me taire à jamais
de me taire à jamais et de t'aimer
*
le cercle de la lumière
et de l'ombre
la limite entre l'ombre
et la lumière
le point de rencontre
de l'ombre et de la lumière
dans le corps éclairé
qui absorbe son ombre
l'espace infini d'un cercle
où l'ombre parfait la lumière
la limite des cercles
dans l'ombre et la lumière
la métamorphose des noms parfaits
dans l'imperfection soumis au soleil
*
pouah
mon existence est pourrie par tous les dialogues
ne te vexe pas
c'est une question de jours d'heures peut-être
bon sang
je ne m'imaginais pas si près de la mort
j'étais
à deux doigts... quand j'y pense... merde
quel frisson
et maintenant c'est toi qui va mourir
toi
tu mourras très certainement
dans les jours prochains
d'ici
la fin de la semaine... la fin de la semaine
la mort ne te pardonnera pas
ça conclut que nous n'avons pas de chance
ou alors
l'esprit demande plus de lenteur
trop d'jeunesse chérie
v'là c'qui nous a tués
pas assez vieux pour une bonne descente aux enfers
tu seras morte
comme une feuille au milieu des flammes
je vais me régaler de ta mort
au festin qui t'accompagne dans la tombe
doucement
on ne peut pas gagner l'enfer
si on n'a pas un peu de plomb dans la tête
crénom
faut en avoir reçu dans l'aile
*
le pain et le vin conjuguent
le manger et le boire
non la faim ni la soif
il chantera le sol
en souvenir de ce frugal repas
il se souviendra que son effort n'aura pas été vain
il t'aimera toujours
*
et il l'envoya paître avec le reste du troupeau
symbolisé dans son esprit
par le diagramme cos-mo-go-ni-que
des terres de l'est
car il connaît le degré de sa vertu
*
peut-être que tu auras fini de l'ouvrir
peut-être que tu n'auras plus rien à dire
des fois que les mots te manqueraient
des fois qu'il n'y aurait plus personne pour t'écouter
et tu aurais fini
avec les autres de ton espèce là-bas
où ce n'est pas un bordel
mais pas bien loin de l'être
*
le vide n'est-il pas dans l'être
comme l'être naît du vide
ne crois pas que les dieux
ont élu le langage entre les mots
mais le vide n'est parfait
que dans l'imparfait de l'être
les dieux n'ont pas le langage
pour le dire et s'en régaler
non, le vide est vide de sens
comme l'être n'est que d'être vide
le vide se rassemble où l'être se sépare
la limite n'est pas un nom
je sais, les dieux ont élu les dieux
*
alors c'est un dieu nu
bâti pour l'amour
qui franchit le gué de l'Isménos
et toute la bataille
se déroula aux portes de la ville
comme ça se faisait dans l'temps
dans l'temps
mais les rois n'ont pas droit à l'amour
dit le devin
en m'offrant le tabac de la réconciliation
au bord de Dirké
quand Dirké est plus blonde que le blé
*
qu'il chante jolie bedondaine
et rechante mé si ça lui plaît
et aux remparts
il n'y avait que les culs des putains au soleil
aux portes de Sodome
et les prêtres se sont amenés
avec un gros volume d'encens
et toute la gloire d'un peuple étouffée
je dis : étouffée
à cause d'un ignorant qui n'avait pas lu la bible
*
si dieu le veut bien
on ira faire un tour
on ira de ce côté mon canard
si dieu le veut pas
on restera assis
on attendra que ça vienne
à la Donne mon canard
on restera assis
à se regarder dans les yeux
mes yeux dans tes yeux
peut-êt'qu'on y verra mieux
on attendra
le vent
le soleil
et la nuit
on pourra causer
en attendant que ça vienne
pas longtemps
pas longtemps
juste le temps de se dire
quelques mots pour s'aimer
quelques regards pour s'oublier
*
aux délices d'une croupe
les diables sodomisant
leurs sexes déchirant
aux délices d'une croupe
les chaudrons de la mère
*
les livres d'école
sont des démonstrations de puissance
les livres personnels
même si la tenue littéraire
n'y est pas toujours égale
sont des démonstrations d'existence
entre le poète d'école
et le poète seul
il y a toute la différence
du prince à la nature
le prince meurt cependant
parce que c'est naturel de mourir
la nature règne parce que mystère
*
je déteste ta maladie
parce qu'elle me ressemble
l'idéal ne s'écrit
qu'à travers l'esthétique
choisir la forme
l'esthétique au bout
joue un rôle de référence
un bon dictionnaire
à la portée de la main
*
marine comme l'algue
reposant sur le creux
de tes reins
aussi blême
qu'un heurt de marée
où se perd plus
d'un songe de revenir
dans ces lieux dormants
la croupe larg'ouverte
à toute sorte de passions
dont Sodome est la moindre
*
seule esseule
un seul soupir
dans la muette feuillée
si le mot nu ment
en telles de ses déclivités de sens
abrupte
selon ses formes cachées
avec la marée
qui ne redescendra pas
heurtera le pavé de tes murailles
où le rêve est un pleur de sel
aux yeux qui le contemplent
dans son mystère orphique
*
la mesure dans le langage
atteindre cette simplicité de trait
cette simplicité d'instant
et l'idée s'y crée un langage nouveau
un langage en forme de femme
une femme en forme de métamorphose
une métamorphose en forme de forme
à moins d'obscurcir la langue
que ce soit volontaire ou non
jamais par pudeur
simplement le manque de temps
un bon dictionnaire la lecture qui se refuse
*
au coup de feu qui l'arrête
au coup de feu qui recule
l'infortune et le désespoir
ou alors
ce n'est pas le temps de se remémorer
chaque évènement
dans la limite de la métamorphose
converse avec d'autres
qui l'écoutent
plus qu'ils ne proposent
converse sans y amener
le véritable sujet
qui le dénoue dans sa place
dans l'espace
*
émane au moins
de cette incertitude
le rire de la fille désenchantée
aux boucles perses
qui me dérobe peut-être le cœur
mais pas l'esprit
comme un sommet rêvé
au plus haut point de l'amour
et du deuil
ne rie pas de ce bloc seul qu'on tait
*
le blanc serpent des évènements
peut-être le jour
peut-être la nuit
s'éveillera-t-il d'un mauvais rêve
comme d'un mauvais pas on se tire
ce n'est pas un royaume
ni la cité aux blanches portes
ni le promontoire semé
infortune o infortune
comme le serpent blanc
à l'aurore de demain
*
longue vie à toi
vigne de mes pères
mes fils y boiront longtemps
mais je ne mourrai pas
d'avoir trop bu
ni d'avoir bu trop longtemps
dieu que le ciel est proche vu d'ici
je peux voler les étoiles d'un regard
comme c'est facile de s'enivrer comme c'est facile
le temps ne m'arrêtera pas aussi haut
ni le temps
ni le désespoir
o vertige
je peux les voir baiser dans leur lumière
et pfffuit les années ont passé
et ma v'là perché sur c'te putain de tour
à m'demander comment j'ai fait
pour monter aussi haut
o toi la déesse aux yeux pers
tes yeux ont-ils ferlé avec la vague
qui les couronne de cet or
que le jour couche
o déesse au sein de nacre
comme une algue qui m'épuise
à pleurer d'amères larmes
tes yeux sont-ils plus beaux
que la nuit qui les ouvre
le vin m'est monté à la tête je crois
en considérant le jour qui se lève
j'ai pas vu passer la nuit
je peux les voir qui dorment doucement
je peux te voir
dans l'onde que je promeus
au-delà des rochers
je peux voir la vague
et l'algue se rasséréner
dans le coquillage qui l'a élue
le premier rayon de soleil m'a élue pour longtemps
*
écrire comme un noble métier à seule fin de charmer
écrire ce qu'un recueil ne peut déserter sans ennui
écrire au moins le temps d'y revenir
écrire où l'écriture change par exemple
*
soliste obstiné
que le cœur change
en statue de sel
ou l'esprit
selon les coïncidences
du jour et du jour
la nuit surtout
où dormir sans repos
— hanté
d'avoir regardé
la nuit et la nuit
*
doigts de la main
et le dernier lendemain rassérène qui ?
tu n'es que la rosée de toi-même
dans l'enfance lointaine
et le jour suivant se remémore
et s'ajoute par une intense succession de cris
et de silences
notre force est dans l'inachèvement
*
de peur d'effrayer
un couple d'oiseaux dans la neige
sur les branches de l'arbre le plus isolé
dans un parc conçu à cet effet
saisis-tu au moins la flatterie amère
qui préside à la désuétude des éléments
dans l'esprit le plus riche
quant à la manière d'exprimer les choses
avec le moins d'éléments nutritifs
*
la mémoire retient ce qui chante
ou ce qui est cruel
oublie les rêves
les plus doux
au cœur qui crée
la mémoire est une vieille souche
dans l'eau de la rivière
et ton regard est celui de la baigneuse
dans les fresques anciennes
la mémoire est une bourgeoise au sexe parfumé
et ta voix est une jonglerie
dans les batailles du passé
la mémoire n'a enfanté que la misère
la mémoire n'a nourri que le désespoir
la mémoire tue avec une facilité d'insecte
et la maison la plus accueillante
est un enfer dans tes cris d'amour
*
et la pâle immobilité
d'une fille publique élue
pour donner lieu à la
justice divine
et la vélocité de la rue en dedans
au cœur de la ville qui ne répond pas
dans le doute
*
creuse mon lit
au creux de ton corps
o sommeillante
l'ensommeillé pirogue
vers l'amour
l'œil exhaussé
redis-moi que c'est une nuit
exista en tant que sentence
raison de plus
pour éteindre le feu
*
tu n'es qu'une outre sans vent
crevée sur le bord de la route
tu chantes tu chantes
mais que reste-t-il de tes chants
la pèlerine amante a passé sans te voir
la pèlerine amante est morte sans me voir
*
toute la poésie
roule ma tête
au creux de toi
o passagère
toute la poésie
crève en toi
l'instant du non-retour
o passage du meurtre
le plus beau
sur ta langue
comme un conte conté
de la montagne sacrée
*
diamant se crache
par la gueule d'Argos
les lions du soleil
couchés dans l'herbe
sages se consument
et Ulysses éclata de rire
en voyant les prétendants au cratère
s'enivrant
*
credo in unam
autant que cela ne m'abêtit pas
au point de présenter mes hommages
à la jeune demoiselle en robe de coquillage
qui chante des pseudorythmes nègres
en balançant au bout de son bras
son ombre adamantine
*
brille dans l'esprit
des moins pauvres
ou tout au moins
nos yeux sur ceci
nos cœurs
dans le désert du cœur
et du cœur qui périclita
avec tant de haine
que longtemps l'humanité lui en a voulu
la haine contre la haine
la haine d'un homme pour tous les hommes
un homme seul contre la haine des hommes
chansons transcrites dans la langue d'origine
après maintes péripéties de voyages
*
ce même cœur fatigué
de ne plus s'entendre
converser avec les invités
ne récolta que la haine contre l'amour
n'y voulut point céder son honnêteté
acquise avec l'âge
après tout peut-être hanté
l'amour ne régale que l'amour
*
à vol d'oiseau
la distance du sol au regard
avec le jet d'eau dans un jardin
avec les tricheurs dans la nuit
celui qui bat les cartes
celui qui les donne
celui qui les joue
avec les vols d'oiseaux
celui qui ne partagera pas
*
la mort me sera plus douce
avec la mémoire de la mort
la mort ne m'éternisera pas
avec les lassitudes du regret
mais la mort ne sera pas
dans la voix commencée
de la femme qui se donne
pour pas un rond
pas un regret
*
exalte un pur dessin
mire des sampans de bois de laine
écrit sur des vagues écumantes
ce qu'il dit à tout venant
se recueillir ici
non qu'il cède le genou à ce sol sacré
mais simplement qu'il immole ce qu'il reste
dans sa passion pour les couchants dorés
crevés de bonds vertigineux
et de toutes sortes d'exaspération du sexe
à même d'y changer son nom pour un autre
qu'il porte comme le tien
*
ton cœur est un morceau de lave
arraché au cœur de la terre
ton cœur est un feu éteint
dans la matière qui se change
c'est-à-dire un nom qui s'arrête
où d'autres ont prononcé le leur
c'est-à-dire toute l'infortune
qui se mord la queue
ce qui est juste croît dans l'orgueil
et c'est la terre qui prend feu
au-dessus de tous les noms
ce qui est juste est un silence
et c'est la terre
comme une solitude
qui a honte d'elle-même
*
nul espoir au coquillage d'ombre
dans l'eau qui ne mouille pas
pas même un mot qui aime
au-delà de cette eau
un lieu tranquille
composé d'arbres et d'eau
existe-t-il
la mer se refuse à l'amour
*
on te pendra à la plus haute tour
même si je te dois d'être né poète
tu seras le pendu avec d'autres pendus
pour un enfer moral
i's'peut que tu n'y sois pas biau
et pendant ce temps-là o inix
j'm'en vais écouter les courlis
*
o que le chant soit immémorable
tes chants sont plus vrais
que moi qui les dis
innove-moi
maintenant je peux marcher derrière toi
mais écoute-moi qui chante
écoute-moi dans tes chants
jetéméjetereconédanlefedeloubli
o que ta voix seule me porte
tu mourras comme un oiseau
*
la mort n'est pas si blanche qu'on s'y aime
la mort n'est pas si blanche dans l'amante
la mort est noire comme le jour
la mort est noire comme le deuil
je dors où je t'aime
et me dore de la moindre lumière
émanée de ton corps née de ton corps
o la mort n'est pas si blanche qu'on s'y réveille
*
hustera ne pas situer le lieu de ma présence
hustera ce lieu est lieu de références
hustera toute une dynastie de poètes y repose
hustera
*
la première vertu du poète est l'honnêteté
la seconde vertu du poète est le mensonge
le reste est contraire à la vertu
ne pas nommer ni les arbres
ni les maisons
immobilité
*
elle est l'ombre
au fil de la lumière
qui la sépare
d'une autre source
doucement
parce qu'elle est femme
elle étire le métal
au bon moment
sa main se compose
au changement des couleurs
dans le feu qui l'entoure
maintenant ses yeux
sont la promesse d'un retour
à l'origine de mon nom
*
ici tout n'est que mur blanc
au ventre de qui ne fait pas un effort de mémoire
même les putains aux portes de la ville m'ont salué
mais pourquoi cette femme a-t-elle toute la voix
d'un silence qui n'est pas mon silence
pourquoi son corps se dérobe-t-il
aux mains qui le composent
à la lueur d'un beau rêve de salamandre
brûlée par le feu de l'infortune
*
ne rie pas à la lune
ne rie pas au soleil
ni le jour
ni la nuit
ne rie autant
j'ai l'œil dans l'abandon du corps
tu enfanteras le désespoir aux cornes de vaches
*
me sers avec lenteur
où ma servitude la précipite
doucement
vers cette mort tranquille
entre les arbres nus
d'un seul jardin
que le temps jardine
regarde-moi sans rire
n'es-tu pas l'ombre
dans la lumière de mes chaînes
*
et je vois que vous vous portez mieux
depuis votre escapade vodo
je raconterai à mes frères l'histoire de la loreley
et s'ils ne tremblent avec chevelure de nacre
aidant à se clapoter dans l'eau bistre
*
jouet de la terre
mieux vaut un paquet d'algues surannées
que le jet d'eau sanglante de la mémoire
l'inertie que la possibilité de gésir
parmi les morts sans le pa-paraître
*
mais tu n'as pas l'heure
pour éteindre les feux
que le temps refond
au fil du temps
tu n'as que le temps de vivre
au feu de l'ennui
et du désespoir
tu n'as que l'heure de l'eau morte du souvenir
*
j'ai très mal maintenant
je parle dans ma chair
j'use mon esprit
au fil de la douleur qui s'y compose
j'ai trop mal maintenant
de savoir pourquoi ma chair
est le nœud de toutes les transes divines
o redis-moi que c'est le jour et l'eau
redis-moi que la mère est une re-mémoire
dis-moi o redis-moi le mal
*
j'ignore où tu as caché les mains de la gloire
est-il assez connu
ce passage de mouettes
et de rochers flottants sur la rive opposée
à la maison de l'habitante
de la forêt cramoisie
il est temps de nous fondre
dans la saison même qui se déhanche
*
dans nos bras défilantes
les eaux épousées avec l'heure
et les longues semailles
au vent de la conscience
cesse de ricaner au coin de l'aurore
car le soir chante sur un ton de reproche
la prochaine pluie au braquemart mordu de sang
*
laisse aller ta cuisse au fil de l'eau
qui l'étire dans mon regard
me souviens que c'est moi
nu peut-être comme un pauvre
et ton ventre tendu
à rompre la tranquillité
et le repos dans l'âme du paysage en question
mais l'amour immobilise ton corps pour l'éterniser
*
soir pleure feu de joie
le périple en l'air
de se dire que non
la môme un peu verte
et v'là toutes les putains
emportées par la marée
au large de nos côtes
et leurs cris dans la flotte
et les dieux ricanant
dans le sourire de nos pécores
et v'là c'marmot qui demande à son père
— où est ta mère
— j'sais pas bien fiston
ça t'amuserait-il
de voir une femme baiser avec un bouc puant
j't'amèn'rai ousque ça s'fait
t'en auras pour ta gueule
et la môme un peu verte
au souvenir de ces évènements
*
que ma bouche baise ton sein
où tu es mère de mon sang
o que ma bouche arrache à ton ventre
le fils de ton père
ton corps est un signe de déclin
et ma bouche décline la faute
*
que caches-tu sous ton mâle air
eh qui dégringole
avec cris de gloire
c'est-y que j'ouye
ta vièche avec elle
ne dérange pas l'ordre installé
y déhancha la bourlinguée toison
après mille blessures sanglantes
sacrée guerre eh mouche cagote
on dirait trois pines de soldats
bon plaisir si ça te chantela
comme à y regarder de plus proche
t'auras pas plus chaste à reluquer
*
le poète à l'écart de toutes les noces
le poète dans les jardins suspendus
le poète à l'aile légendaire
le poète au rire de nacre
le poète au cœur de sel
le poète aux lèvres d'or
le poète aux yeux de jade
le poète a toutes les vertus de la matière
le poète dans les travaux
le poète hors du temple avec les prêtres
le poète peut-être seul
la solitude du poète nu
la nudité de toute solitude poétique
le poète et la publicité
le poète dans le vis-à-vis du rêve et de l'acte
le poète dans la reconnaissance
le poète comme un don
le poète qui a ri ou non
le poète aux aurores
le poète avec les éléments
le poète et la liste des poètes
*
la coupe est pleine Alcinoos
tu n'as pas écouté
eh dis donc à ta pucelle
qu'elle arrête de branler
ta lyre ne m'accorde pas poète
Démodocos me sonne faux
il y a ton vin hôte crédule
il a un goût de cratère
Elpenor ! amène ton aviron
Je recommence mon histoire
*
le monde doit entrer
dans un couplet de vers
comme c'était du temps
du temps qu'on chante qu'on chante
en buvant de ton vin
en pissant sur tes femmes
en aimant tout' les femmes
à la ronde à la ronde
*
il n'y a pas que l'amour
à tenir des propos décousus
absorbe le seul instant indésirable
mais vécu comme une poursuite
que n'achèvera pas un coup de feu
et dans les champs de blé
où l'or combat le bleu
comme au bouclier trois aigrettes d'or
votive accentue le trouble en nuage tordu
où se tord le soleil sur la pointe d'un clocher
souviens-toi que c'est le déluge
annoncé comme un renouveau
*
mais quelle instance ai-je acquise ici
seul importe mon sens inachevé
mais hurleur obstiné étonné
dans l'instance du cri
de la connaissance
de la contemplation
une autre instance le durable
d'avoir saisi le concept de l'instant
par où j'ai pu
et dans quelle voie me suis confondu
avec la pire des instances toi
*
l'aphorisme de tes yeux
change l'aspect de toute prophétie
les fleurs sont mères de la pureté
pas même un songe y résume le savoir
o mémoire stérile
souviens-toi
par le côté marin du regard sur l'oubli
vague mort du vis à vis
la sagesse
*
n'aie pas tant de haine contre moi
ni tant d'amour
si je mens
n'aie pas tant de haine
c'est inutile
je peux aimer
mais sans briller
je peux aimer
même si je mens
foutu après le voyage
et seul après ce même voyage
autant dire que la vie n'a plus d'intérêt
*
des images sans intérêt
une nature peut-être plus immédiate
le même langage qui se répète
mais tes yeux
sont plus beaux
que mon regard
tes yeux m'innovent
à la rencontre
de mon regard
peut-être d'avoir
craché trop tôt
au bassinet du sort
d'avoir craché là même
où la malpropreté est insupportable
mise à part la saison
si elle explique bien des choses
la haine est en discordance avec la haine
*
o belle dame sans mercy
le cri de la haine en cœur
a-t-il répandu ses chaînes
le soir n'est pas de l'être contre vent la marée
le jour comme une lettre au caractère écrit
*
mon sexe est une belle image
et ton cri est le plus beau chant d'amour
ton sexe est une belle idée
mon cri n'est que l'eau morte qui a signé
nos sexes sont-ils les chants
nos cris sont-ils d'amour
reviens-moi plus dorée que le sable de mes rêves
endors-toi près de moi
ne cesse d'y chanter
signe au bas de mon cœur
*
la tour comme l'écho
à ton regard
toutes les fois la tour
où l'œil se répète
et toi peut-être nue
redis les mots les mêmes
que personne n'écoute
pas même moi
je suis si sourd
à ton regard o ma chute
mais pourquoi baisent-ils sous ma fenêtre pourquoi
*
l'odeur peut-être délectable
de la femme au pied du lit
où je dors du même sommeil
n'existe plus
ce ne sont que des villes !
comme une tache de sang dans ma pureté
ou bien tu es si pure
que l'ombre est un rêve de lumière
moi je me dore dans ton ventre de putain
*
o vigne des vignes
ton vin est-il plus léger que l'oubli
o Kérés le pain est-il plus doux que l'ennui
l'oiseau parleur
n'a conquis que la branche de l'arbre
la montagne est à toi seule fertilité
de déchirer mes yeux au soleil dans le sommet
*
quos vult perdere
le serpent blanc des aurores
au midi de l'extase finale
parce que le poème
au plus loin de l'écriture
s'interpose entre la folie et le langage
comme la mort le royaume est élu
il y a le sépulcre blanc de qui dort doucement
s'être tu trop longtemps ne pas durer avec soi
*
n'écoutez pas ceux qui vous disent
que la maladie n'est pas la norme
n'écoutez pas ceux qui vous disent
que la maladie est la norme
n'écoutez pas ces cons
n'écoutez pas ces chiens
n'écoutez ni les chiens ni les cons
ils vous conduisent à l'erreur
ils n'ont rien à dire
ils volent les mots pour vous tromper
c'est une manœuvre publicitaire
n'écoutez pas non plus les médecins
ils ne proposent que des poisons
n'écoutez pas ces enculeurs
alors vous pouvez peser tout le poids
le poids de la solitude
le poids des regrets
le poids du désespoir
le poids de la fatigue
n'écoutez que la voix qui s'efface
n'écoutez que la voix qui promeut toutes les voix
*
ce qu'ils veulent n'est pas l'important
ce qu'ils veulent n'a pas besoin d'être su
comment voulez-vous modifier le sens de votre vie
si vous n'avez pas le sens de votre mort
comment voulez-vous arrêter l'infortune
si vous ne devinez pas ce qui se cache derrière la chance
ne coupez pas.
La question se résume à un vol de mots
*
les oiseaux dans les arbres
le soleil dans les oiseaux
les branches dans le soleil
les branches dans les oiseaux
les branches dans la nuit qui renaîtra
où la mort est visible
*
mes pas
dans la fleur
qui a saigné
mais plus doux
que le soleil
plus doux
que le vent
plus doux
dans les arbres
au peuple
qui me connaît
qui a saigné
au hasard
d'une fleur
au hasard
d'une mort
d'une tombe
peuplée de fleurs
de noms
qui sont venus
à moi les morts dans la tombe
histoire de dire
que rien n'est oublié
que la mémoire n'y est pour rien
que c'est le jeu
mais plus doux
de peupler
les carrés
les bassins
les promenades
la solitude
des monuments
*
ce que la folie
n'a pas déserté
aux angles du jardin
peut-être demain
ou la mémoire
peu encline
à s'y retrouver
ou simplement l'esprit
ou l'amour
qui n'aura donné lieu qu'à l'ennui
ce que la folie
n'a pas déserté
ce que la folie
n'oubliera pas
tout ce que les murs
n'ont pas dévoilé
du voile le plus léger
ne signifiant rien
que le passage
de la vie
à la mort
ne cesse de t'y ancrer
à l'occasion d'un jour
si le jour
est fille de mémoire
ou si la mort
ne se laisse enclore
dans la nuit la plus noire
*
quatre chemins comme les équerres du maçon
deux oiseaux
deux
peut-être le jour
peut-être la nuit
d'un oui me salue et me hante
la maison n'a pas eu de visiteurs depuis tant d'années
o seule qui me répond que c'est fini
avec le dernier jour sur tes lèvres
avec le dernier jour qui ne finira pas
*
poursuite des vents
la mort n'est pas plus belle que l'ennui
peut-être si j'ai peur
peut-être avec la transe
et toutes les transes au mur de ma chambre
à la fenêtre qui me regarde
à l'œil qui m'a oublié
*
les raisons habituelles de la pureté
au signe de la reconnaissance
justement si tu n'as pas signé
le reste est une histoire de cons
ou la présence de n'écouter que ta voix
dans ces moments-là
ou la solitude toujours plus amère
les carrés de fleurs dans les jardins de la villa
je n'ai pas assisté au décorum
toute civilisation repose sur le mystère
le mystère sans objet
toute civilisation est l'énigme de l'objet
les champs de blé sont plus dorés aujourd'hui que jamais
il est temps de s'y perdre
de reconnaître les lieux pour s'y perdre
m'y habitue pas
*
l'aphorisme le plus beau
sur tes lèvres môme bleu
suçant la bite pour peu de ronds
même bleu le vertige en soi
chaque heure consacrée
à au moins une libation
la douleur peut-être au vertige
ne pas reconnaître sa pureté
*
o redis-moi le temps
redis-moi le moi-même
au temps qui le résume
cruellement cruellement
un bouc de belle taille
les femmes cruellement nues par dévotion
cruellement cruellement
Sodome
cruellement
la vie ne peut être qu'écœurante
*
garde-moi la fertilité pour demain
garde mon cœur pour qui aimera
o aime-moi dés demain
les champs de blé sont plus beaux à l'aurore
à l'aurore sont plus beaux
de n'être pas la mort en coup de feu
le soleil tordant ses mains sur la montagne
les mains où se tord le soleil
le soleil tordu avant la mort
toute vision est un malentendu
la mort ne pardonne à qui donne maldonne
on ne jouira pas sur la montagne
*
reprenez tout le message
oubliez ce que j'ai pillé
j'ai un compte à régler avec moi-même
cela ne vous regarde pas
donc oubliez ce que j'ai pillé
reprenez simplement le message
« la stupidité de la populace » fin
mais comprenez-vous au moins la nécessité de ce livre
*
la bouche comme le retour
la bouche comme les pas de qui se retourne
la bouche comme un rond de sourire dans l'eau de l'oubli
la bouche comme le caractère qui la donne
la bouche comme une fleur arrachée à la fleur
la bouche comme une vague de désespoir à l'écume de rire de salamandre
la bouche comme le feu igné
la bouche comme un rehaut au coin des lèvres
la bouche comme un dernier glacis sur l'œil
la bouche comme les filles chahutées au bord de la rivière
la bouche comme un vol de courlis sur le toit de la maison
la bouche comme un vide parfait
la bouche comme une herbe
la bouche au haut de la montagne
la bouche en usage de revolver
la bouche au risque de se perdre
la bouche est un signe parfait
la bouche est parfaite d'être un signe
*
aurore / au-ro-re /
et le vent dans les nacres de ta chevelure
v.g. peignant le ciel comme un soleil
shen nong mesure le pas des oiseaux
ou l'arbre comme un cri
c-à-d la neige blanche
au ro re doucement dans ses chaînes
nul bruit qu'une feuille qui rampe
où s'arrête la racine
inutilement inutilement
*
en vérité je n'avais jamais vu que l'eau
la pierre a dérobé la pierre à mes yeux
l'eau stagne puante
ou comme odeur l'odeur des algues
je dis que le vent est moins fort
dans les collines où l'herbe enfante
l'herbe est nue et blanche
moins qu'une apparition
m'éteins
les derniers mots
image sur image
et l'écrit
c'est l'infortune au doigt de sel
parce que l'air est irrespirable
le ciel comme un soleil
et l'arbre comme un cri de feu
*
o redis-moi les redites voulues
redis-moi toute l'histoire
et toute la terre de l'histoire
à voir si la hantise
est une métamorphose de l'esprit
o chante-moi la femme
dans l'écorce d'un arbre
près de la rivière
chante-moi l'eau qui s'ouvre
o chante-moi l'eau qui m'arrête
*
peut-être la mémoire s'y confond
parce que c'est atroce
parce que c'est honteux
parce que ce n'est pas à vendre
ou alors la vague
n'est que la vague
et l'oiseau
est le coquillage qui s'arrête
et les pas
sont les pas de qui s'arrêtera
considère ce qui fuit ou l'immobilité
peut-être la métamorphose mais le déclin
*
j'ai vu quelque dormeuse s'éveiller
et m'innove avec l'arrêt de la vague
et les yeux de qui l'entoure de sa danse
comme un oiseau deux dans les branches
et l'arbre comme un cri
lui répondant à travers d'autres cris
et le soleil qui va le cercle
jusqu'au point qui l'abolit à jamais
ce que la folie n'a pas exhumé
diverses tombes
la plus cachée innove toujours le cœur et le cœur
innove toujours plus d'un qui ne s'arrêtera pas qui
*
opium 24 juillet
grandiose élégie consacrée à la déesse de la fertilité
la chambre dans la chambre libations rituelles
la flatterie ne m'impose pas d'écrire
le tout est de reconnaître ses propres pas
dans ce qui a déjà été écrit
tes yeux sont comme l'écume de la vague
chaque jour est un nouveau présage
de l'arrêt abrupt de la phrase
*
ou bien ces mêmes champs de blé
à la lueur des bougies
et le ciel plus calme sous la montagne
et la montagne plus légère en tant que silhouette
ou bien ces arbres délavés dans la lumière
ne plus prononcer autre chose que la beauté
ne pas s'attarder durer
*
mais dans l'épaule enrubannée d'aurore
au grincement des coquillages dans
l'écume de la vague
entre le sable
et l'écume de la vague
entre le sable et le sable
en bloc
*
comme prélude
à tes mots
le oui
aux branches de l'arbre
et le soleil
à tes yeux
comme prélude
au moins le prélude en forme de oui
*
o chienne protège ma fertilité
le vin est répandu pour te fêter
o chienne protège-moi
de couper court à la conversation
tenue avec les poètes
ne te détourne pas de mon chemin
elle est captive du temple
et nue malgré les regards
dans les pas de l'oiseau
la nudité des filles
que le temps a acheté aux familles
*
ne crois pas soustraire
tes visions à la montagne
il est temps de mémorer
l'intrusion du parfait dans le quotidien
la fille aux cheveux de bistre
a ancré nos cœurs
de l'encre la plus noire
ne crois pas mentir à la face des mers
ne crois pas mentir aux mers
qui t'ont donné le jour
les vignes n'ont pas fertilisé l'esprit
les champs de blé n'ont doré que le corps
il est temps d'en finir avec les dieux
les chefs-d'œuvre de l'homme
n'ont plus droit de cité parmi les hommes
*
o rose enclose à même l'heure
de ne durer toute la vie
n'est-il pas quelque amie qui pleure
dans la poignée de terre
o quelle fleur se meurt d'amour
aux parures dans l'ombre nue
quelle fleur est une fleur d'amour
de rasséréner le soleil
*
n'éclaire qu'un côté de l'arbre
tombé dans l'ombre du même arbre
o dis-moi la mère éblouie
de tant de filles dans la maison
change au chant le plus haut
les parures de pierre à ton ventre
*
il n'est pas de nuit plus légère
au jour sacrant la pénultième
la tour est toujours plus altière
ne me dis pas la haine
o ne me dis pas l'amour
ne me dis pas la même amante
*
les murs n'ont pas
toute la blancheur
de ton regard hélas
l'aïeule est toujours la plus vierge
dans le nacre des dents qu'on sème
pas même le jardin qui pleure
au pleur de la belle captive
pas même un sourire
*
ira-t-elle s'enivrer de ce vin Dionysos
l'avons-nous bu nous-mêmes
non et non
car le cratère est aussi sec que tes yeux
ou seulement baigné au bond de la lumière
qui environne son repos
lente maintenant de se taire
de s'être toujours tue
au mouvement qui l'anima
un temps peut-être reculé
quel est ce vin que tu nous sers o Dionysos
quel est ce pain que Kérés a rompu
est-ce un seul repas qui se remémore
la lumière a-t-elle sublimé son visage
au portrait qui l'eût éternisé
peut-être
si le voile ne cache un enfant mal aimé
*
les dieux n'ont-ils pas voulu de tes libations
ou les morts
les morts peut-être plutôt que les dieux
les morts sont plus exigeants que les dieux
les dieux se foutent trop des morts
*
on y enterrera nos morts après les avoir brûlés
on criera de nouveaux cris pour la mémoire de nos fils
on fermera la grille au coucher du soleil
pour les protéger de la nuit
*
il suffit d'écouter de s'asseoir
et d'écouter car c'est un chant
toi qui me lis toi
qui m'écoute me lire
ne réponds pas
si le chant s'est obscurci
il suffit de se taire
quand l'autre parle
s'il chante
*
le symbole est un arrêt nécessaire
je dis vital
non pas l'arrêt de ce qu'il signe
à la lettre
l'arrêt de soi-même
au seuil de l'idée
le pivot sur quoi repose ce qui va changer
*
toute parole à tes yeux accrocheurs
d'amers regards dans le passé
espace les jours dans les jours
brille de l'éclat du midi
o nuit
calme
soutiens le oui où elle honore l'avenir
*
tu reposes au travail
des jours dans mon âge
o morte avec lenteur
amante aux arbres noirs
que j'entoure d'un jour
où m'espace la grille
mon pas n'est plus le même
j'ai changé la sonorité intérieure de mon recueil
*
le caractère écrit n'est-il
pas un oiseau dans la neige
pourquoi un oiseau dans la neige
pourquoi la légende
*
le soleil s'est à peine levé
il y aura longtemps
si longtemps
pffft que le pas réveille
hâtons-nous de rentrer
il fait à peine jour
houm delecta
résumer le peu d'oracle
dans l'impouvoir du devin
résumer l'impouvoir dans les abus
dans l'injustice et les meurtres d'intrigues
*
au précipice de soi
se mordant la paume de la main
les yeux jetés du côté des nuages gris
que le vent agitait
comme des feux de campagnes
leurs tendres corps comme la moelle du cœur
*
le rhizome communique avec l'au-delà de l'érotisme
je voudrais que le pollen clore tes paupières
et la culbuta dans un bordel pas loin du soleil
*
l'idée nous ressemble
la qualité technique
seul moyen d'isoler l'œuvre du temps
les œuvres d'écoles n'ont jamais d'intérêt qu'historique
les œuvres de soi au hasard du temps vécu
ont des résiliences d'histoire
rapport de la partie au tout
on entre à l'école à coup de pied au cul
on en ressort sourire aux lèvres
cons
pas mal de haine
*
je ne prêche pas l'originalité à tout prix
l'originalité est une question d'esthétique
la pensée n'est jamais originale
je veux dire la pensée bienvenue
les philosophes sont des cons
ou des joueurs c'est à dire des tricheurs
leurs femmes sont de petits boudins
*
o belle épousée
prend mon bras
et m'entoure de tes mots
au moment de passer le seuil
de la maison de ton père
o belle épousée
arrache le masque
aux fenêtres que dorent
les yeux d'une mère dans mon épaule
et en rit
*
non je ne suis pas poète
la poésie m'en garde
je n'ai qu'une heure pour dire un mot
au point de rencontre
de la parole donnée
avec ma folie
trop d'œuvres d'art ont dérouté mon esprit
du chemin de la perfection
dans la beauté et l'éternité
je ne ris pas
je n'en ai pas le temps
l'art n'est qu'un arrêt de l'esprit
au seuil de la mémoire
et l'esprit ne rit pas
où l'oubli le refuse à la vie
ce rire sur mes lèvres
est un effet de miroir
mais je n'y suis pour rien
non je ne jouerai pas le jeu
lyre et peut-être le temps et peut-être l'amour
et la blanche cité sous le soleil
j'irai cueillir la dernière fleur pour toi
*
je pincerai la dernière corde
au baiser de ta bouche
dans les boucles qu'elle soutienne si je joue
peut-être tout près
tout près de l'eau
mais tu n'iras pas reconnaître d'autres chemins
où le cri ne module plus la douleur
module la transe au point de rencontre
de la folie et du langage
tu auras rêvé la plus grande libation aux morts
*
écoute-moi
ne me lis pas
regarde-moi
sincérité
peut-être l'idée
une métamorphose de suite
ne me lis pas
ni livre
ni recueil
n'entre pas
sincérité
homme-loup
*
à bout de force
à bout de peine
si jeune
peut-être beau
entrant à peine
entrant de force
s'aboucher vieux
avec la laideur
le temps n'est pas si doux
o lente habitante de l'enfer
le temps est immobile
*
il y aura toujours une clé
mais pas la bonne
à ouvrir l'esprit
au moment voulu
la clé n'est pas la clé
ce n'est qu'une clé
au choix du voyeur
en échange d'un rond
l'amour n'est pas bon marché
pas assez d'publicité ou trop d'pauvreté
la porte n'est pas la porte
trop de rêves trop d'absences
*
l'aurore plus douce
plus légère que ton regard
c'est dire que je m'y chante plus doux
plus léger que dans l'amour
c'est dire que tu es l'ombre dans ma lumière
o ne t'éveille pas dormeuse le jour
*
doucement m'inonde
du sang versé
pour un peu d'amour
où cristalline
je te vois absorber
le fond de mon verre
*
tu n'as pas reconnu
ce seul visage
au point de mesurer
la mémoire d'un père
ton regard est celui d'une morte
dans les absurdités de la légende
avec la femme comme une fourmi
qui a élu le règne des géants
ce ne peut être qu'un reflet
qui vient me hanter
où ma mort me tranquillise
et du reflet
peut-être l'argile
avec la femme
qui enfante d'un dragon légendaire
*
des jours
des jours
mais rien
mais rien
des jours
à regarder
et rien
à voir
l'infortune
le dernier cri descend !
descend en moi
descend !
et m'innove
dans l'heure qui ne changera pas
*
ce qui importe n'est pas la mer
ce qui importe n'est pas les îles
ce qui importe n'est pas l'ha-pas l'habitante
ce qui importe n'est pas le seuil pas la maison
ce qui importe c'est qu'on y soye reçu comme un fils
comme un fils qui s'ra rev'nu d'la guè-ère
*
ce n'est qu'une tour
ce n'est que l'ombre d'une tour
dans la lumière
ce ne peut être que cela
pour reconnaître dans l'ombre
pour saluer ce qui approche
de loin et blanche
ce n'est que l'eau
ce n'est que le jet d'eau
qui s'arrête au passage
où la vie est visible
io ce ne peut être que cela
non pas le miroir
l'eau qui n'a pas mouillé
l'eau qui n'a pas ondé
ondé les yeux
ondé les lèvres
ondé l'onde de ton corps
*
d'autres oiseaux
les plus secrets
elle qui sommeille
dans le creux des racines
son sein n'est pas plus doux
son œil n'est pas plus hagard
elle a de bonnes raisons de vouloir supprimer l'enfer
*
o tombes o oiseaux
aile légendaire
la gloire te ment
l'immense reconnaissance du savoir
les bleuités rampantes du couchant
au rouge continent perdu
*
le rire pourrissant de la tragédie
n'a pas fini d'irriter l'œil du bourgeois
sur la scène des poupées de carton
renvoient la verdeur du propos des poètes
des poètes reconnaissants
je ne salue que l'immensité de langage
par exemple e.p.
Mme E. cligne des yeux sous le porche
je ne salue que les plages de sable blanc
où s'ébat la beauté de mon propre salut aux poètes
je salue ce qui reste après le naufrage
je salue ce qu'ont élu les poètes
je salue la négation dans la publicité
un serpent dans l'aurore aux ongles blancs
les prêtres hors du temple
*
je ne vois que ton corps nu
dans les jeux
de la lumière
avec mes mains
qui es-tu
blanche écartée
comme un renoncement
jeune putain
mon sexe raide
et mon cul dilaté
je bats toutes les transes
au jeu de la maison
je bats
et je paye
à ton cul
à ton sexe
à ta bouche
à tes seins
tu as l'odeur
de ce que je te dois
même si ce n'est pas poétique
*
notations finir l'œuvre en cœur ouvert pour l'amour
notations pour une fille plus belle que la vie
notations pour un corps redonné notations justice notations
*
l'apparence sur ton visage
comme les portes d'une cellule de prison
toutes verrouillées de l'intérieur
mais qu'on ne peut ouvrir que de l'extérieur
l'araignée mangera sa toile
l'oiseau changera de branche
à l'égard des arbres de ton jardin
de la maison aux portes closes dans ton jardin
le seul souci o belle épousée
est de n'en paraître pas affecté
au moins le temps d'oublier que tu as existé
o mes mains sont l'argile de ma volonté
mon cœur à nu contre
le cœur peut-être deux
si le temps me laisse la peur
si le temps m'abandonne à eux
il y a les muses là-bas
au moins la muse arrondissant son chant
au chant du soleil
je reconnais les pas d'une autre
o feux de quels dieux au nectar d'herbes
*
une fleur aura résumé mes pas
une fleur comme un cri
j'ai regardé dans l'eau
c'est le feu
la juste quantité nécessaire
pour abolir la pierre dans la terre
pour recréer de vagues paysages
peut-être le temps de lever la tête
pour les voir passer
comme un visage
comme un seul œil
comme tous les regards
— m'avez-vous entendu ?
*
inix limite gira dans l'fond
s'y joua du jouet même
l'ordre des heures en fichu de vieille dame
mélancophase vitépurant en sus
échoua sul'sable
et s'ouvrit l'poignet avec un coquillage
lequel sa' bu toul'sang
et laquelle s'y abreuva pas seulement d'silice
si l'est avis qu'ça dur'ra pas
*
puis le temps des étrangères
le temps de l'habitante redoutant
d'autres étrangères
d'autres fleurs
les dieux agacés
les dieux au bout de leur voyage
*
le jour et l'heure
l'attente et l'inattendu
la lassitude et les regrets
la solitude
les bûchers divers de l'esprit
d'autres bûchers
entre le possible et l'inexprimé
des royaumes des pierres des siècles
quelques anecdotes
*
o dragon sacré
fume encore
d'étouffer le cri
aux bases de ce temple
fume encore
et refume m'encore
entre ces lacs de colonnes
insignifiantes
aux verticalités fume et refume
de coucher ce qui dort
de coucher ce qui pense
de coucher ce qui croit
o dragon sacré m'inspire le retour
le secret des retours
le secret à la clé
de chacun des retours
du poète sur ses pas
m'inspire et me damne
de n'avoir su brûler
au moins à l'heure prévue
l'or et non l'idole
l'or et non la présence
l'or recommencé avec l'heure prévue
o dragon m'inspire la plus totale des saisons
dans le sang et la soif de recommencer
*
lignes où la main égare
le sens de sa rotation
autour du corps endormi
qui ne se réveillera pas
ni demain ni le jour
où mes fils rediront les paroles
que mon père a prononcé
sur le corps de ma mère
*
le dernier voyage
à peine le retour
une dernière vie
avant la première mort
les mamelles élevées
au regard doucement
son sexe qui s'écarte
à la rencontre de ses pleurs
ou par-delà la cuisse parcourue
d'une main à venir
toute la mort dans les yeux
de celle qui aimera un jour
Sapho toujours plus belle nue
que sur son trône d'étoile poétique
*
longuement j'ai regardé
mon regard dans le miroir
longuement j'ai effacé
les traits qui me dévisagent
lentement tu m'apparais
mes yeux à la place de ta haine et de mon amour
*
perdu toute trace d'homme ici même
un reste qui semble rester
perdu à jamais la fourmi
et la mère au vertige de l'enfantement
*
ne doit rien ni à l'infortune
ne s'est donnée que pour renaître informe
comment ne pas l'être avec le temps
avec chacune des filles que la mère isole
dans un chant annoncé tout bas
o rien n'est pur qui me console
*
chante o chante o poète aimé
ne chante que l'amour
chante qu'il est temps
de chanter l'amour
chante l'amante aux yeux de nacre
le corps ébloui qu'on le sacre
chante les yeux surpris
au sel qui m'a souri
o chante les plus belles nuit
o nuit qui redorent l'ennui
au soleil des jours
o chante l'amour
chante la morte
au cœur de pierre
chante la pierre
au cœur de terre
o chante-moi le cœur
au-delà de la peur
redis-moi la proche saison
les visiteurs mourant le long
o chante l'amour
du sol alentour
chante la putain endormie
seule dans la dernière nuit
o chante la putain redorée au matin
o chante un peu tous les soleils éteints
de la rue aux sommeils
répète-toi pour me chanter l'amour
*
la mort n'est pas si belle que le sang
le sang n'est pas si beau que le corps
le corps n'est pas si beau que sa chute
toutes les chutes sont plus belles que l'ennui
plus belles que la mort
plus belles que le sang
plus belles que le vin
plus belles que le vertige même
o plus belles avec l'infortune dans la tour
*
je ne dis pas ce que ça dit
je n'insinue que l'inachevé
en quoi peu importe le détail
peu importe la matière
je ne dis que la présence
non la beauté ni le sens
en quoi je vous salue et me va
*
l'escalier qui ne tourne plus de monter si haut
le sacrifice de beaucoup de soi-même
au profit des œuvres non léchées
qu'un champ de blé a résumées à un coup de feu
ce n'est pas de la flatterie
nier peut-être le coup de feu
sur la montagne qu'on pleure désuète
et peut-être en allée
avec les retours de la dernière saison
une bonne dizaine de putains
occupant le dernier étage de la maison
*
les songes que l'hiver
a parés de la dernière odeur
aussi bien que les mots
qu'elle a chantés
la mort dans les ronds
dans l'eau
du soleil
au jet d'eau qui l'exalte
*
tu m'entoures de flammes et moi
je pétille comme un sarment
buvant à ta bouche le vin chaud
maintenant de ton sang
o je t'aime comme la fourmi
o je mesure le moindre de mes mots
à ta taille de géante
o je n'enfante que des cris
hoooooooooooooooooooooo
*
n'attend que l'or à
même de s'y brûler le cœur
elle n'est pas moins seule
avec l'autre attente
tout le feu répandu
à sa gorge qui triomphe
même en gloire n'inverse
que la face cachée
une rivière en deux doux ventres
au moins une génération d'insectes
*
o ce cœur
qui me sépare
de ne rencontrer
que l'instant
dans l'instant
d'autres vieux
sophismes chinois
à la clé
d'autres vieilles
histoires de chaudron
à même de repeupler
les œuvres éternelles
toute la fresque à peine entrevue
l'autre montra
son sexe à l'exilé
dont les hôtels ne voulaient pas
« a eu des histoires avec dieu »
*
mais le temps n'a pas été bon pour nous
tout le long de ce périple à travers les âges
et je pouvais voir des masques se répéter
sur l'envers des médailles
que les femmes ajustaient sur leurs seins
« ne rie pas de me voir ainsi dénudée »
paya en monnaie de voyage tout le repas
et H.D. essuya ses lèvres ensanglantées
en proférant des menaces à l'envers
de la fille qui riait à l'autre table
à l'autre bout de la table
et il renversa la chaise sur les choses les plus légères
Dirké renvoie la lumière des linges mouillés
« essaie un peu m'escargot d'accrocher mon regard »
dit la putain en nous narguant
l'esprit n'est plus ce qu'il était
*
peut-être si la nuit me console
d'avoir pleuré les morts
au nom de quelle idée
je demande au nom de quel amour
la nuit me console
aux pleurs jetés dans les mots
me console du vif déserté momentanément
*
ce n'est pas une autobiographie
ce ne sont pas des dates
c'est un temps qui a toujours été
aussi vrai qu'Ulysses par Nékuia
ou l'idylle de mon père et de ma mère
sur l'autre écueil
aussi vrai que le vent
aussi vrai que l'écriture comme moyen de luxure
la fourmi qui dévore l'œil
et commence par-là
et seulement par-là
que sont mes souvenirs
*
pour ceux qui ont commis des lâchetés
puis les incontinents
les non baptisés
luxurieux
gourmands
avares
prodigues
coléreux
moroses
hérétiques
violents
contre le prochain
contre eux-mêmes
contre dieu
la nature
l'art
bolges des
ruffians
séducteurs
adulateurs
entremetteurs
simoniaques
devins
concussionnaires
hypocrites
voleurs
conseillers perfides
semeurs de discorde
faussaires
les zones des traîtres
contre leurs parents
leur patrie
leurs hôtes
leurs bienfaiteurs
pour celui qui appelle sans répondre
*
le chant ne se brisera pas
au pied des œuvres d'art
le chant n'est pas une flatterie
le chant sans doute brisera le cœur
de ne pas le flatter
mais le cœur ne le brisera pas
le chant n'est pas un amant
le chant ne brisera pas l'esprit
l'esprit ne flattera pas le chant
il le brisera peut-être à la fin
mais pour des raisons divines
le chant se brisera peut-être
si l'esprit le veut
*
mes mains ont donné la terre
à la forme de tes formes
mes yeux ont donné le soleil
à l'ombre de tes lumières
ma chair a donné l'eau
au passage de la mort
mon cœur a donné le cri
à ton ventre de femme
*
les maisons seules
sur la colline désertée
et les arbres plus beaux
dans ma solitude
Toukaram
sur le bord de la route
et Sophros
bourrant sa pipe en parlant de cul
et la fille
aux cheveux de colonnes
et la lumière
et le soleil
et l'ombre vive
la fraîcheur reposante de l'ombre
dans l'ombre des murs blancs
et je suis là à contempler le ciel
« d'un point de vue technique seulement »
mais l'œil compose mieux que la main
l'erreur est de retourner sur ses pas en étranger
*
elle a simplement ôté son masque sans histoire
comme une peinture
simplement pour montrer son visage
les filles qui jouaient nues dans la rivière
leurs cris contre l'eau
leurs cris dans les feuillages
mais le cœur n'y était pas
il s'ouvrit le poignet comme on ouvre une porte
*
au diable les lettres à la clé
au diable joyce mallarmé roussel pound a quelques excuses
la vie bordel du diable
la vie nous avons besoin de la vie
nous ne mourons pas avant que d'avoir vécu
hé hé les chants dans l'heure sont-ils purs
assez pour renaître avec nous
chants sans brisures intraduisibles
le livre ne sera pas écrit
o laisse-moi le temps de chanter
il n'y aura pas de livre
pas de recueil
juste un chant brisé
ça ne chantera pas
ça voudra dire n'importe quoi
pourvu que ça se chante
que ça dise au moins l'instant du chant
non dis-je tu ne me liras pas
*
tu n'as pas dit ce que tu enfantes
o mère de tous mes vertiges
peut-être la douleur
la douleur au coin des lèvres
que tu n'as pas ouvertes dans mon cri
j'ai mal o mère pensée de t'en avoir trop dit
j'ai mal d'être l'enfant au degré zéro de ton amour
*
le mal pour soulager
il regarde les montagnes
l'esthétique est fragmentaire
parce que l'art est absolu
réclamant sa propre tête
au nom d'une belle dame sans mercy
un point de départ de la plus haute qualité
figurer dans les époques creuses
la lune peut-elle se soustraire
à mes vols d'instruments
au moins la plus abstraite imitation
le moment où l'une des portes cède
comme un fantôme à Rapallo
le moment où la servante déplace
le pot de fleurs au-dessus du lit
où le pot de fleurs se détache en contre-jour
dans le carré des fenêtres
et le cri du souffleur
qui met un point final à la scène
figurée par une chanterelle
après avoir vidé ses couilles dans un bordel
le même cri mais dans la chute du corps
figuré par la même chanterelle
fragmentaire sans ordre de fragments
la critique n'est valable que sur le mode lyrique
*
y a-t-il une raison particulière
à ce que je ne dérobe pas le soleil
aux intrus du type rencontré
peu après que la maladie
eut montré des signes de faiblesse
par rapport à ce qu'elle avait été
dans ses meilleurs moments
du temps où j'avais le courage
de l'annoncer en guise d'invitation
y a-t-il une raison
la tête de Jean
y a-t-il une raison au soleil
*
au moment où le vieil homme
s'assoit sur une pierre
pour se reposer
sa fille reste debout
étrangement belle
d'un point de vue purement littéraire
*
peut-être parce que le temps
résiste à l'écriture
et que l'écriture lui résiste
malgré la mort
et malgré l'oubli
peut-être les replis de l'esprit au sommet
n'isoler que la trame
comme sur une toile
mais sans effet de matière
je veux dire :
éviter tout effet de matière
de dessin
de composition
isoler ce qui est littérature
en dehors de tout impact esthétique
éviter par exemple la mise en page
la littérature doit raturer
tout ce qui n'est pas idéal
c'est contraire à notre époque
la trame est visible ou transparente
y arriver par l'imitation
la raillerie imitative
*
à la pliure atroce
de mon esprit
dans la pierre
qui me déserte
toute l'infirmité
de ton corps
que soutienne un doute
dérange au moins le sort
qui l'a élu au passage
d'oiseaux de proie
*
je n'ai pas la pierre temps retour
je n'ai pas le nom vents marées
je n'ai pas le pas tranquille de l'oiseau élu pour une écriture
*
mais la douleur
la douleur du moment
le moment le plus proche
qui vise le nombre
le rassemblement
je me perds
dans un fatras de beautés
ou alors je n'ai plus rien à dire
l'écriture
comme un appel au dehors
que justifie la peur de la maladie
la peur de la mort
la peur de la peur
*
o me perdre mais pas pour m'oublier
me perdre pour me perdre
avec le souvenir ancré
avec le souvenir décrit
me perdre mais
pas pour me retrouver
me perdre
parce que la maladie abolit l'instinct
parce que la mort est un trou de mémoire
me perdre avec la peur d'avoir peur
par exemple le vieil E.P. dans sa cage à Pise
*
« la liberté dans la lumière »
et il pouvait voir
la dernière journée
s'en vêtir
laminoir
le classique découpage en colonnes
M.Butor T d'A
*
le poète à l'écriture de transes
chante ce qui est chant
figure ce qui est figure
isole ce qui est pensée
le poète à l'écriture de cochon
les ténèbres couvrent ton visage
le poète à l'écriture d'amour
inscrit la vie dans le symbole
loge dans l'épiphanie
les mains de son désespoir
il croît avec l'analogie
il se rassérène dans l'idéogramme
*
o très douce dormeuse
à ton sein le lierre
en mur se change
et me prolonge
et le jour inonde
le repos sur tes lèvres
et la nuit est un rêve prémonitoire
et l'aurore est une mort tranquille
*
ce n'est pas la danseuse
aux cheveux de colonnes
qui a passé sans me voir
mais qui a salué
mon ombre sur les murs
o soleil ce n'est pas moi
qui me salue
dans les seins que j'avance
ce n'est pas moi
dans les lacs de l'inattendu
o danseuse danse-moi dans mon ombre
danse-moi sur les murs de mon soleil
*
o sois la bienvenue
dans les pas que je saigne
et redis-moi la mort
o redis-moi les heures
dans les pas que je saigne
redis-moi ce qui vient
solitude ma fille
solitude où meurs-tu
*
le passage
et non l'arrêt
du rêve à l'acte
un pacte avec les hommes
je n'écrirai pas de livres
à peine les fusées
de mon cœur mis à nu
non je ne sais pas peupler le temps
branler
*
régler un compte amer doux
avec les hommes
avec moi-même
avec l'amour
avec la haine
l'amertume
et la douceur
régaler l'esprit
à reluquer les filles
hanter les maisons
je m'obstine dans l'erreur
avoir peuplé avec des morts
ce qui n'a pas été vécu
rassemblé toute la vie au seuil de la mort
tu m'as salué d'un œil qui change
*
ce n'est pas un livre
pas un recueil
pas un mémoire
c'est un abîme
où je rassemble les morceaux
de ce qui ne pouvait ressembler
à autre chose
*
jamais la même
sans issue que sa propre métamorphose
sincérité
toute une carrière foutue
parce que la pierre est mauvaise
un rêve de maison
un jardin pour la protéger des bourgeois
pierre
tombeau
nuit
*
m'est avis que c'était foutu d'avance
peut-être un arrière-goût de naufrage
au commencement avec le verbe
avec le verbe
— toutes les erreurs ne sont pas pardonnables
le seul moyen de s'en sortir
avec toute la fierté possible
toute la fierté dans une sentence
pauvreté poétique des tribunaux
nul ne pardonnera à la fin — clarté
*
né de la fourmi
la moins féminine
aimée un temps
versé toute la haine
au corps
mais à l'esprit itinérant
comme un regard
une feuille d'arbre tombée
tant d'injustes regrets
où est venu le temps
*
à peine le regard
que j'oublie d'innover en cœur
m'arrache la plus légère
et la plus douce des cantilènes
ou l'esprit en sommet de pâmoison
à peine les yeux lâchés au spectacle de la mort
*
je fus moi
tu fus toi
elle fut elle
qui est qui
le khan des écrits
sim
l'œuf nommé par le signe qui le réduise
le cri dément émané de la terre
un charmant pays
contemple l'œuf et l'eau
les éléments premiers
hérésiarque au point de vue poétique
et tel
j'dis pas que l'infortune s'y change
comme moi elle a tiré l'épée de son sein
l'errance dite fascinosus
par la hsien
une des facettes
du parler qui s'authentique
au royaume de Lykéios
quos vult perdere
elle déplace un fard
et la voilà métamorphosée
une renaissance toute en heure
père et fils
selon qu'il subjugue quand il ouvre la bouche
*
u luumil kin
le soleil parut dans les arbres de mon jardin
« je veux me confondre avec ma résolution
innover innover seul mon cœur »
elle y procède de la saison des pluies
le périple n'est pas plus grand avec Hermés
*
tu m'iras chanter o lézard
après qu'mon champ s'ra labouré
tu m'iras chanter dans les maisons
quand moi je suis seul à pleurer les morts
tu m'iras chanter très haut
aux oreilles d'une épousée
tu m'iras chanter o lézard
et p't'être qu'la terre pouss'ra sous mes pieds
*
o va le vent suivant
les rives de nos laveuses
elles sont nues
leurs bras sont blancs
le vent y court
o va la pluie et la calamité
dans le ventre de notre propreté
o va le vent qui n'attend pas
qu'elle ait achevé les derniers restes
*
et l'arbre comme un trou
au ciel qui le ceinture
et chair comme une eau
qui va la morte va où je chante
et la rivière qui se pleure
dans la terre qui la répand
et ton esprit comme une herbe
et l'herbe comme une fourmi
*
et voilà que tu pleures
sur le bord de la route
à cause du mauvais temps
et de la solitude dans ton cœur
encore un arrêt
et ton esprit s'abolira avec la mémoire
encore un arrêt
et ton corps n'a jamais existé
*
relève-moi dans mon corps
o passage du vent sur ma maison
d'un coup de vent
relève la mesure
de mon corps dans la pierre
et m'arrête dans la croissance
des arbres autour de mon sommeil
*
mesure ton langage
dans les pas que je fonde
à même ta mémoire
o fille de tous les temps connus
respire en mon ombre la lumière
où je voile les jours à venir
avec le sang qui m'a élu
o chante une nouvelle fois
toi l'épousée dans la lumière
le chant au cri du désespoir
où la vie est une reconnaissance
o les dieux triomphent
o les démons sont vaincus
*
tu crieras pitié
o la plus longue des nuits
mon âme se rassemble
aux moiteurs emmerdées de l'attente
et je suis seul
et je suis fou
o pitié
mais le rire aux dents
hélas sur moi
mon esprit absorbe mon corps
je m'isole maintenant
la mémoire m'absente
c'est un rêve contre la nature
contre l'art
contre la femme
o pitié
tout le mal est d'avoir violé une muse
contre la mémoire
o mère tu n'as pas de cœur
et mon cri n'a répondu qu'à mon cri
*
toute mon écriture est une approche de la mort
et je chante le temps
d'une mort à petit feu
à petite angoisse
au carcan de la vie
petit petit
à mi-chemin de la mort
mon écriture m'éloigne de l'art
je ne chante plus pour charmer
je chante pour conserver mes distances
je chante pour me protéger
mon tombeau ne sera pas de pierre
*
hélas sur moi
la tour est assez haute
même vue d'ici
hélas sur moi
la nuit est assez noire
et le vin est assez doux
hélas sur moi
qui me redis tout bas
que la nuit est une fête
que la fête est la dernière
hélas sur moi
les dieux ne sont qu'un jeu de l'esprit
*
ce n'est pas qu'au bordel on juge
ce ne sont pas des juges qu'on paye
rois au salaire des dieux
le sexe de la plus belle des putains
non qu'on la pende à l'ombre de la tour par les chevilles
non pas qu'elle pourrisse le temps d'une génération
louons nos dieux
*
j'ai visité le temple où tu dors
— le prêtre me l'a dit
j'ai visité le temple où tu dors
— la maison que le soleil éclaire du côté de la fenêtre
*
j'ai vu l'arbre dont tu m'as parlé
je l'ai vu tomber sur mes pas
et ils bâtirent un nouveau temple
sur les fondations de l'ancien
et judica causam tuam
*
la femme dans l'eau
ses parures de pierre
ses parures de métal
que le sable a mêlé
la femme dans le sable
la femme que le sable mêle
à la pierre et au métal
la femme dort dans ses mains
la femme sur le chemin
la lumière dans les linges
et l'ombre de ses bijoux
les peintures sur sa peau
que rature le bijou
la femme dans la maison
*
mes pas sur tes pas
et ma main sur ton corps
les chemins
le soleil
ceci est le lieu du seul repos
du repos seul
ne m'ignore pas
mes pas dans les pas de ton ombre
le soleil dans l'ombre de mon ombre
*
l'espoir aux dents
comme le lézard
au sable bleui de mes rêves
je n'y vois que l'inattendu de ta présence
comme le lézard aux rêves de sable bleu
*
laisse aller les changements
au fil de la mémoire
comme un rocher dans la vague
se rêve en écume
au blanc des yeux n'ajuste
qu'un regard inattentif
ayant dit oui
à ce qui est venu sans bruit
*
je t'aime doucement ton corps récent
à même de prédire ce qui va suivre
dans l'éclatement de nos figurations
je t'aime doucement comme le rêve
je t'aime doucement comme un présage
au rêve le plus fou de savoir
je t'aime à même l'heure de s'ignorer
voire de m'oublier
voire de me redire encore une fois
une fois de plus t'aimant tant doucement
que c'est à peine un jour dans les rayons
que c'est à peine si je te retrouve
de m'ajuster au sort le plus infortuné
je t'aime doucement de ne pas m'arrêter
*
la chance n'a souri qu'aux jeteurs de sort
la chance est reluquée de tous côtés
la chance n'a souri qu'aux joueurs de cartes
la chance n'a souri qu'aux diseurs d'aventures
la chance n'a souri qu'aux mangeurs d'opium
la chance n'a souri qu'aux tricheurs
la chance n'a souri qu'aux tueurs
la chance a-t-elle souri aux bâtisseurs
la chance a souri aux menteurs
la chance n'a pas souri aux poètes
la chance n'a souri qu'aux semeurs
la chance a-t-elle souri à la mémoire
l'infortune a-t-elle le sourire aux lèvres
la chance n'a souri qu'à l'oubli
la chance n'a souri qu'aux médecins
la chance n'a pas souri à tout le monde
la chance n'a souri qu'à l'homme cultivé
*
si je ne t'aimais autant
je dirais que tu es une conne
et que seules les connes m'excitent
et tu t'imaginerais
o toi la conne
de ton lit d'hôpital branlant maintes fois par jour
en souvenir de nos escapades dans les musées de l'amour
mais je t'aime
car tu crois aux oiseaux créateurs du ciel et de la terre
*
je déteste ta maladie parce qu'elle me ressemble
je déteste ton cri et ta douleur
n'espère pas la guérison ni l'éternité
je suis le masque ressemblant
o toi l'odeur
je suis le masque qui ressemble
au mur qui t'arrête au seuil de la maison
immole-moi dans ton conin
*
peut-être les parures
dans le corps qui redort
long d'usures
dans les chants
les ors déterrés avec l'âge
la terre est arrêtée au seuil
même une morte me salue
donc aimée où la lueur la morde
ouverte dans la pierre
qui para le plus beau
à l'œuvre d'un tombeau
*
peut-être les secrets de l'œuvre
au chant qui ne les chante pas
tout l'amour en avant qui s'ouvre
sur l'idée là-bas peut-être
*
parce que tu n'es pas dieu
ou parce que la mort est douloureuse
parce que tu n'es pas dieu
ou parce que les choses ont foiré dès le départ
parce que tu n'es pas dieu
ou parce que la pauvreté a fait place à la solitude
o Kérés tes champs de blé
sont plus dorés que jamais
parce que tu n'es pas dieu
au seul degré qu'il importe d'atteindre
du point de vue littéraire
parce que tu n'es pas dieu
notre temps repose dans la mort de dieu
notre temps est mort avec son dieu
notre dieu ne se relèvera pas
parce que ta voix n'est pas la seule
à hurler de douleur dans la nuit
ne rie pas qu'on t'apporte un enfant né du désert
ne rie pas de la femme qui l'a enfanté
ne rie pas d'avoir oublié cette nuit de beuverie
n'oublie pas ta connerie soldat !
notre dieu est un rêve d'hommes cultivés
*
éloigne-toi o belle épousée
mon esprit ne cherche que ton corps
o laisse-moi te conduire
aux formes de la chair
laisse-moi me nourrir
aux formes de ton cœur
o belle épousée qui es-tu
n'est-ce pas le masque
que ma main reforme
aux formes de ta différence
o je t'ai reconnue belle épousée
tu es la fourmi solitaire
et moi je suis le gnomon
*
toute la route est un rêve de distance
et la mort y installe son royaume
toute la route est mesurée dans ton cœur
et la mort a déserté d'autres routes
toute la route me retrouve où je meurs
et la mort est un rêve de distances
toute la route est un tombeau de pierre
et la mort se mesure à ton cœur
o la route est un écrit que le feu absorbe
et la mort est un soleil au masque de la lune
*
tu n'as pas la chance aux tripots
o ma ronde dans la folie
aux vieux tripots dans la rue basse d'ombres
aux amours mortes dans la rue
à ce qui pue
dans l'odeur de l'amour malade
aux amants
tu aurais voulu qu'elle rie
au lit abandonné
au sort d'une autre nuit d'été
aux amantes aux passages d'un autre âge
elle n'a ri qu'à ton vieux cul
au matin pauvre et à la gloire
au jour plus léger que tes yeux dans mon regard
aux vieux grimoires d'amour dans le lit de nos dieux
elle n'a ri que pour la forme
*
nulle saison n'est plus légère
à l'esprit d'autres sources
nulle saison n'est plus amère
toutes les sources sont la source
*
c'est de l'écriture pure
qui appelle
pour être comprise
autre chose que la lecture
l'écriture à ce moment appelle l'écriture
*
la terrible individualité du créateur
il est dit deux en un
il n'est pas dit
on se cache de dire
le mensonge est une pratique courante chez les poètes
c'est aussi une excuse
quelquefois un propos
*
la cage pendue au chambranle
oublie car la mémoire y prélude
*
se déchire puis oublie
et le soleil calcine ces fleurs
et ton livre renverse le tau
et la juste raison de confondre la croix
*
peut-être né de l'eau
où la métamorphose le plonge
d'un père amoureux
ou simplement en rut
d'où la haine et le désespoir
la hantise qui s'interpose où la mort le sacre
comme une insomnie au cours de la nuit
comme l'impossible au seuil de l'ennui
comme le hasard au sein de la mort
l'a vu naître de l'onde au rond qui va le ceindre
comme un nom pour toute la vie
*
dès les premiers jours qu'on couronne
au vin d'autres amours
noie le noir de la couronne
dans la pierre oublieuse
noie le noir et la pierre
dans la terre
c'est la mort que j'épouse
c'est la mort qui m'épouse
maintenant est venu le temps de haïr
une situation dans l'enfer
*
il y a la mère des muses
facile d'oublier les portes du soleil
au souci qu'anime le regard
avant qu'elle sorte de tout ceci
avec les dieux ricanant dans l'ombre des murs
qu'elle a créée malgré l'usure
*
o sois la bienvenue
o mère
toi l'insouciante avec les dieux
bienvenue
au sein de notre terre d'ombre
à l'or
au poème d'amour
avec les jeux sur la montagne aimée
toi saoule
*
plana avec d'autres planètes
trame
ustensile
redira l'arrêt
regarde si c'est la même
arrêt au monde
cul de la même rue
sacrée entre toutes les rues
cependant la même heure
très bas d'abord le temps
pierre
fuseau
délave les vieux linges riblant
divers tombeaux
Io elle parle haut trop haut
*
ramenez l'honneur de notre langage
où vous l'avez laissé
ramenez si ça vous coûte
lumière bleue se lave
au son des nouveaux paradoxes
ou alors verticalité le mot
au moment de baiser avec la plus chère
verticalisez le groupe de mots
la dernière possibilité n'est accessible
qu'aux fins du fin
s'agit de clouer le bec à la pécore
et d'y dénicher le secret
sans avoir à perpétuer la race
vous m'avez compris
*
il y a un oiseau
sur le toit de la maison
la hyène ricane
l'oiseau rassérène
une partie du cœur
nulle complainte
n'est plus douce
que la sienne
oh nulle complainte n'est plus douce
écoutez la voix
qui se chante et s'explore
l'oiseau virevolte
encore une fois
la hyène est plus légère
qu'une rosée d'aurore
oh plus légère qu'une rosée d'aurore
un oiseau parmi
les branches du soleil
la hyène ricana
de nouveau dans l'herbe
l'oiseau roupille
dans le creux d'une feuille
l'hyène est une attente
sans le réveil
*
au point où la référence
sépare l'écriture de la lecture
le poème peut s'abîmer
ou se relever éclatant
la référence n'a pas de raisons culturelles
a d'autres raisons
le poète a cessé d'être un jongleur
*
je préfère un livre qui soit une lettre
un peu moins de littérature mais de la sincérité
une conversation
avec aux arrêts respiratoires quelques chants
pour illustrer
pour changer
pour une raison ou pour une autre
ou pas de raison
quelquefois la folie
un moment de rencontre
hors de l'école
allure pointillée de la conversation
autour d'un verre ou dans un lit
*
et le gypse au cœur si tendre
me rappelle le son de ta voix
la si douce langue
tournant sept fois
avant de dire l'avenir
pourtant le séducteur au cœur séparé
se conjugue au même temps
au même mode
*
ira-t-elle puiser dans le puits
des vertus inattendues
au crépuscule levant
sa robe de rosée sur nos regards
et l'écume de ton visage
est au moins aussi légère
que tous les pétales du mensonge littéraire
à la gueule de celui qui dérive
*
là-haut j'ai vu combien
la nature peut être douce
sans jeu de mots
sans poudre aux yeux
et l'oiseau dansa d'une branche sur l'autre
et Zeus nous rendra fous à force de périple
la chambre dans la chambre
un jardin de pierreries très précieuses
et là le sexe vendu pour un rond
c'est le point de chute le moins propice
on croira à un accident
au plus haut degré de beauté
où la forme n'est forme que d'être vue
*
comme s'il n'était pas plus simple
d'établir une fois pour toutes
le rapport de force musical
qui existe entre l'œil et la main
ainsi concevoir autre chose
que le cadre des rencontres fortuites
où s'opère après tout
ce qui n'est que publicité
une forme de blessure
au cœur de chaque point qui se rencontre
dans sa désuétude de continent
ou quelque ancienne blessure de guerre
dégoûtante à reconsidérer la question du beau
il est facile une fois toute théorie exclue
de glisser de la table de dissection à l'autel
et de l'autel au sacrifice
du sacrifice à l'effusion de sang pure et simple
et d'y ajuster le decorum rococo
de la quasi-totalité des oiseaux de proie en mal d'amour
*
où le poids écrase l'esprit
tu suis amicalement les lignes
dans le mot à mot
et plus tu avances dans le texte
moins ton esprit
malgré de louables efforts
s'y accroche
dérouté par le noir d'encre
des mots hors jeu
par rapport à l'exigence du texte
pourquoi
parce que tu es seul
*
le poète n'écrit que pour être lu
pour mémoire
toi docile
jouant le rôle proposé jusqu'au possible
limite maximum de compréhension
qu'un lecteur peut avoir de son texte
au-delà la lecture n'est plus possible
*
si bien que le temps
s'infortune avec le temps
de descendre au même temps
soleil et lune
mais dieu rend fous ceux qu'il veut perdre
*
o porteur des feux de Dité
l'esprit a beau jeu
toi l'exilé
ne rencontrant que la fortune
ce sont les fruits
d'une importune amante de cœur
comme au cèdre dans les jardins
plus loin que l'or qui honore
*
voix tu es voix
vois je ne te vois pas
je suis muet je change
*
le nord à ma fenêtre
le nord sinon je hurle
état poète pierre
renoncer saule redouter
tu ne gis pas au nord
regarde-moi revivre l'instant
c'est ta mémoire qui œuvre en moi Io
balance-lui sa vertu mais nom de dieu balance-la
*
l'idée chérie
l'idée non point la mélodie
ni l'image
la mélodie
laisse-la aux musiciens
aux esthètes l'image
pour charmer seulement
à cet endroit du poème
ajuster la mélodie l'image
la poésie doit charmer
doser le charme
*
l'esthétique ne soutient pas l'idée
ni ne la contient sans fissures
purulences autres parfums
la mélodie est une question d'écoute
l'image est une question de regard
il n'y a pas de règles d'éducation
de l'œil et de l'oreille
tu ne comprends pas forcément l'idée originale
cuisine composition
la matière disponible dans l'époque le lieu
*
nul ne saura si la rivière l'a conté
si la rêveuse rivière est morte
d'avoir conté l'amour
pas même le vent
pas même la pluie
ou peut-être le temps de se remémorer
le pacte injuste conclu au temple
ne te retourne pas o pas maintenant
ne crois pas y voir autre chose que le désespoir
n'arrête pas ma course que je m'y abreuve
*
ne cesse d'abreuver le sol de tes libations
la femme que j'ai vu caresser son sexe dans le temple
ne me dis rien qui la regarde
ne me dis rien ni de ses yeux ni de sa voix
qui baratta le reste
sinon le cœur
qui s'y écœura une nouvelle fois
l'heure n'est pas de saigner ma lampe
j'écris pour le temps dehors
je ne me vois pas
je m'imagine
je me rêve doucement
et je déchire mon image au cœur d'une autre image
je ne coucherai pas dans ton lit o habitante désolée
je ne t'aimerai pas dans le deuil de tes filles
*
ce que j'arrache au silence
tes lèvres ne l'ont pas maudit
ce que je chante en silence
ton cœur ne l'a pas déserté
o belle épousée
c'est ton ventre dans la voix
c'est ta voix dans la terre
o belle épousée
ce que j'inhume n'est pas mort
et ta main ne l'a pas saisi
ce que je pare n'est pas vain
et ton regard l'immobilise
o belle épousée
c'est le ventre de toute la terre
dans la voix qui me rechante
et me charme au proche départ
*
ce paysage peut-il être l'offrande
de tes yeux à mon propre regard
retiens cette ombre
cette lumière n'attend pas le baiser de nos corps
pour me redire toujours
ce paysage où je meurs et revis
d'être toujours le nom que tu portes pour moi
*
comprenez-vous Myrtho
ce n'est pas une question de volonté
seule la lumière peut le dire
l'orgueil des poètes ne se rabaisse pas au niveau de la mort
j'veux dire la même à l'œil fixe à l'arrêt d'une rue
n'est pas la seule raison de la mort en chambre
*
l'heure en soi
lumière s'y défilera doucement en heurt
aussi sûr que demain
aussi sûr que mon fils au milieu des soldats
l'heure en soi
l'ombre doucement n'y redira que le nombre
mon fils au casque d'or à la tête de cent guerriers
le corps couvert de blessures
adoré par les femmes des autres
l'heure en soi
et ma fille baisée par un troupeau de dragons
*
le drame de la captivité
au sein d'un livre qui n'en est pas un
absorbe dès le début toute l'œuvre
qui tente de lui échapper
cruellement cruellement
ne s'achève que dans la folie
ou avant la folie avec la mort
c'est un feu pour la littérature dérisoire
*
o mère amère dans ma douceur
chaudes mamelles
le temps a été cruel pour toi
pour ton vieux sexe qui n'a pas enfanté le monde
o mère de toutes les présences
ton corps est un règlement de compte d'homme à homme
laisse tes bras
m'entoure au creux de toi
la nature est plus belle avec la solitude
ce n'est que la terre endormie
ce n'est que ma semence répandue
où la fourmi bâtit des rêves de géants
*
la mort n'achève pas la mort
n'achève pas la mort qui a aimé
recrée ce qui a été créé
en commençant par le commencement
c'est à dire le verbe
c'est-à-dire mon cœur et mon cœur
c'est-à-dire mes regards aux quatre bornes
peut-être au premier temps de mon père de ma mère
du temps de l'idylle qui me séparera un jour
le jour me nomme dans la mort de la nuit
celui qui aima aime toujours celui qui aimera
celui qui aimera aime toujours d'être aimé
*
le désespoir n'a pas fini
de n'achever que les sentences
oubliées en ariettes
à même de n'y consacrer que l'ennui
ou d'approuver à l'occasion le suicide
dans un cri l'approuver
et y renoncer comme une solution universelle
mais quoi y concevoir dans l'ennui
sinon le désespoir comme une sentence
et le suicide comme autant de juges
que l'esprit a rassemblé
au haut le plus haut de toutes les montagnes
où l'homme n'est nu que de paraître
le vide n'est pas synthétique
et patati et patata
*
un drame peut-être où se joue la farce
un mot où se joue la mort
de quoi fertiliser au moins la terre
dans la femme qui s'est donnée
un drame non une mélodie
où l'événement est secondaire comme l'opium
comme le jour
la terre a bu
ce qui n'était que matière répandue
l'esprit est resté en suspens
au moins le temps de se jouer du temps
au moins le temps de ne répandre que l'ennui
sur les lieux qu'on célèbre
*
ta bouche est une perle de sang au bord de ma blessure
o baise-moi à la rosée de ton ventre
ta bouche est une plaie sanglante dans mon visage
ouvre-toi ouvre-toi doucement
l'aurore est proche et le soleil m'arrête au seuil
*
ton rire annule les reflets
de l'eau dans mon regard
o m'onde d'un cercle
et m'y repère
au point de chute de l'amour
en mort buvant le secret
d'un dieu révélé pour la haine
o rie o mare reflétée en mon absence
rie et t'isole dans tes chaînes
*
je t'aime
où ton corps
peut m'aimer
à même la vie
si c'est connu de mémoire
je t'aime
où peut ton corps
comme la légende
de bouche en bouche
à même la mort
et la mémoire est un signe de reconnaissance
*
même un compte avec les dieux
du haut de la tour
c'est-à-dire du haut de mon esprit
à l'ombre d'une même tour
même une rencontre avec les dieux
avec la toute-puissance des dieux
au soleil d'une autre tour
même un salut aux dieux exilés à jamais de l'esprit
même ça o filles de mémoire
*
toutes les voix
sont dans la voix
qui me parle
qui me console
toutes les voix
ne sont pas la voix
ne sont pas le cœur
qui me console
toutes les voix n'ont pas le cœur
de me consoler
toutes les voix c'est ta voix
mais c'est sous terre
*
nous n'aurons pas ta voix
lumière sur l'immensité
nous n'aurons pas ton cœur
o dernière beauté
mais nous aurons le cœur
de te dire que non
assez de cœur ça oui
car notre parole est d'or
mais referme tes yeux
dans le cœur de la femme
referme-les lumières
et m'éclaire enfin
à ce qui croît avec la mort
au fond de nous
le regard muet du père avec ses femmes
o nous n'aurons pas ton sang dans le soleil
*
le soleil n'arrête qu'une feuille
au bout de la branche
qui sépare ton visage de mon regard
et tes yeux ont rencontré les collines
sur mon épaule couronnée de lumière
et ton silence remue l'amère vérité
*
tes yeux n'ont plus le regard donné
en murmure pour soi
n'absorbent qu'une transe
et rediront peut-être avec les jours
les légendes désuètes de leur temps
avec le sourire des vieilles femmes nues
au moment de se donner
à la dernière eau qui les purifiera
dans les mains des jeunes filles
élues pour l'amour ou la maternité
tes yeux n'ont plus le choix
dans le regard des dieux
*
n'avoir su redorer le blason
le vieux blason de ta mémoire
cela importe peu en regard d'un temps
qui n'a pas eu lieu
tes yeux n'ont souri qu'aux regrets
tes mains n'ont caressé que l'oubli
*
elle est si nue
dans la pierre noire
de ses yeux clos
à peine esquissée
au regard que je parcoure en moi
o chère si l'absente
la moindre parole de travers
par rapport à la verticalité de son regard
*
au moins résume
le peu qu'il chante
résume le cœur
qui la hante
d'un cœur plus pur
ne sachant où il va
où il meurt
au chant qu'il n'aura pas chanté
peut-être mort
de n'avoir su donner au moins un sens à son enfer
*
o toi la femme assise
toi tant aimée
o peut-être moi
que le cœur n'a pas enrichi
d'autre chose que d'un peu d'imitation
ne me regarde pas
vieillie d'au moins un temps
*
l'amour
à la morsure
des dieux en soi
la morsure
en chemin
d'îles rêvées
un chemin
en trace
de dormeur invisible
et les pas
de qui danse
à l'orgueil à la justice
*
tes longues jambes blanches
à la ligne des pas
ponctuées d'ombres dansantes nues
comme à mes yeux chercheurs
elles inondent les rêves
d'une eau recomposée
avec le corps enfin qui trace
des harmonies de reconnaissance
en lieu de chute dans l'air
et le sol qui s'arrache à sa loi
par le sein élevé clair d'un voile
en main qui s'y retrouve
des mots que ta bouche a cédés
au spectacle donné à l'œil
par quoi ta chair m'arrête
et m'y résolve en cœur
de me dire que le temps
n'est pas de donner raison à la raison
*
et c'est déjà
l'automne aux mains de vieille
jetée au feu de la maison
et qui crépite dans mon rire
avec toutes les vieilles
qui ont été belles
et c'est déjà
l'automne
aux pieds de jeune fille chatouillée
dans le lit
et qui rit où je dors comme à la mort
*
peut-être rit-elle encore
o ruisselle d'une feuille
i's'peut que l'temps nous rassérène
une bonn'fois pour toutes
rit-elle au moment
qu'elle s'isole d'un arbre
rit-elle de mouiller les pas rit-elle
o rit-elle
si tous les dieux sont contre nous
o combien de temps encore dans la colère des dieux
combien de temps dans la bêtise des hommes
m'est avis qu'nous faut'rons avant ça
*
voici le dernier rayon de soleil
pétaler à l'horizon
avec corolle de sang
c'est vaginal que j'veux dire
*
et la fille réclame un pourboire
au portier qui se rassérène
passe un cul-terreux à l'œil morne
au bras d'une putain
les jolis mariages consanguins se portent mieux
avec l'augmentation du salaire solaire
*
j'écris à même ce qui pue
parce que l'écriture est merdeuse
d'être le trompe-l'œil de nos exigences
et je ferme les yeux
j'écris ce qui vient
ce qui ne se refuse pas
ce qui me joue des tours
me laisse écrire au contrepoint
l'heure présente ne descend pas du père qui la heurte
n'enfante pas l'art ciselé
l'heure convulse le calme des dehors du sommeil
tout est déclin
*
ses ongles sont sibyllins
ses doigts sont aériens
ses mains sont électriques
ses bras sont fulgurants
son épaule est magique
son cou est ariane
sa bouche est miraculeuse
ses seins sont insolents
sa langue est immolée
son ventre est enfant
ses yeux sont vibratoires
son sexe est orienté
son front est véloce
sa croupe est le midi
ses cheveux sont dianes
ses jambes sont occidentées
ses pieds sont le nord
et son amour le juste milieu
*
mais j'entends quelqu'un
ça s'rait-y mon père mon pè-ère
prononcer la sentence
sans se référer au juge
la guerre est moins cruelle
quand la maison s'isole dans la campagne
*
il est dit que les futurs alcyons
grandiront avec l'aurore
est-il possible que la chatte glougloute
sans que le vent ricane en coin
la rumeur sans entrailles est étendue avec les morts
la moitié de l'Autriche baronne du sang défile
*
intérieure
o le mal est d'avoir détruit la fourmilière
d'un coup de pied
o intérieur comme elle dit
peut-être piroguant dans la rivière
où la ville se jette
o le mal est d'avoir oublié comme elle rit
d'être la grille seule
o peut-être si belle
une feuille à l'automne n'est pas plus légère
*
peut s'la coco
peut s'la coller
ou qu'ça lui plaît
c'est pas moi qui médira
même à s'chacha
chatouiller l'con
c'est pas moi qui maudira
dira c'que ça
c'que ça veut dire
c'est pas moi qui déserta
je n'ai chanté que le moment
je n'ai tué que le temps
c'est pas moi qui poétise
*
je t'aime autour de moi
comme on aime les insectes
o toi la fourmi
ne travaille qu'à mon amour
ne t'épuise qu'à m'aimer
je ne connais que l'ombre de ton corps
s'il est nu à me regarder
je t'aime de t'ignorer
où tu égales les dieux
*
ceci est le masque
dérive avec le masque de la reconnaissance
toute la lumière postule
aux reflets de mes dimensions
dans la mort rêvée
l'ombre n'est que l'étendue de ta robe enlevée
avec ton corps
aux cris d'amour des insectes
dans la branche de l'arbre
masque y pérénère
je n'ai pas l'or pour le dire
ou tout au moins le donner à penser
*
il dériva avec son âge
ou dériva avec la mort
de l'une et l'autre
il dériva et s'égara
est-ce l'âge
est-ce la mort
du cœur et du cœur
ce n'est pas l'âge
ce n'est pas la mort
c'est le reste
*
la mort la plus simple
la mort dans la main
lentement la mort
dans le miroir de ma main
la mort qui se rencontre
dans la mort des rencontres
la mort avec le temps
la mort qui se prépare
la main dans le miroir
de mes yeux dans le miroir
d'autres yeux que je dérobe à la vie
*
recueille-moi où je disperse
les raisons de l'écriture
en livre humain m'innove
d'un titre et d'une dédicace
au moins me soustraire avec amour
à l'éternité de tes doigts sonores
*
o l'amante déserte
chante-moi le désert
outre dans mon sommeil
redis-moi l'abandon
de ton cœur à l'aurore
o dévore mon sens
dans la plaie de mon corps
que ta chair s'innove deux fois
o l'amante déserte
rêve au creux de ma mémoire
le troisième aura bu l'essence de ma chair
où je renais plus beau de te vieillir au seuil de la tombe
*
où as-tu caché
ton escargot
ta limace
et tes cornes œillées
un oiseau
aura-t-il le temps
de lever sa queue
déjà elle penche
du côté de la mare verte
où croît l'arénicole
à l'oîdé de sang
*
la chasse au sens est démoralisante
mais il importe peu que la morale
ne se résume pas au long vol
du courlis sur la plaine
car la saison des pluies et des vents
s'annonce dans le chant du crapaud profané
*
maintenant tout mon corps coïncide
avec une belle légende retrouvée
maintenant mon corps n'est plus mon corps
et la légende n'est qu'un vieux souvenir
ma mémoire se refuse dans la mémoire d'une morte
et lentement j'ai salué la dernière famille
*
o nuit emporte la pire des légendes
n'emporte que le sens de la mémoire intérieure
o nuit comme le cri changé en tache d'encre
au ciel qui me sert de spectacle
*
gloire
fille du sang
mémoire
hommage
conquête
mé
un bon livre est une utopie
de taille à renverser les pouvoirs en place
le poète croît avec son désespoir
avant tout l'utopie qu'il ne partage pas avec son hôte
o vienne le moment désespérant
Sur les pentes où croît la neige
de cristal en cristal refondue
pour que tu paraisses moins fortuné
tu choisis
Une abeille a creusé un trou avec sa dernière chaleur
De même le fruit sec d'un hêtre sous les ruches
Tu promènes ta lassitude d'ouvrier
et tes espoirs de poète
ta lassitude et tes espoirs se minant des mines stériles
Ça ne parle pas
faute d'extraire autre chose que des mots et des verbes
qui ne s'extraient pas tout seuls de la froidure
Comme il neigeait !
et comme le froid pleuvait !
les genêts se sont couchés en travers du chemin
la bruyère est muette
Des skieurs sont passés par là
..........................................
sans issue
Comme ce vieux, très vieux,
lequel avait cassé sa pipe,
condamné à la mauvaise fumée
pour le restant de ses jours,
à coup sûr comme ce vieux-là,
rabougri comme peut un arbre seul.
Rabougri, je vous dis,
avec une pipe qui ne vieillira pas,
avec en quelque sorte la jeunesse toute chaude entre ses doigts,
quand sa pipe était froide,
et la fumée savoureuse,
et la dernière bouffée devait être la meilleure
— excepté que je ne fume pas,
faute de feu, de peu de feu.
La mort, cette fois, en est malade.
Malade aussi la vie,
et l'homme, le cœur, l'esprit,
malades comme tout ce qui peut croire en dieu,
comme tout ce que dieu a cru bon de créer,
là, entre deux lignes distinctes où j'ai trouvé du rythme,
de la poésie enfin
— pas toute la poésie, mais rien que la poésie —
rien d'autre, rien, pas même un métier,
une famille, une patrie, une histoire,
que sais-je encore ?
Je suis un tas de choses qui me font dire
que la mort est malade,
et que je n'y peux rien,
même un poème, surtout un poème.
Alors j'écrirai des chants
pour la compréhension de tout le monde,
y compris les fadas,
et les salauds aussi comprendront mes chants.
Il y aura de la maladie
partout où la mort périra par le texte,
et tout le monde comprendra que je dis la vérité,
même les fadas, même les salauds le comprendront
— parce que j'aurais atteint le point d'indicible clarté
par quoi tous les hommes sont des hommes,
et chacun sera rongé par le mal dont la mort se meurt.
Et quand je dis que la mort est malade,
je suis en dessous de la vérité,
mais tout juste dessous,
juste assez pour que ça ne soit pas un mensonge.
Nombreux sont ceux qui comprennent
ce que je veux dire par là.
Je te dirai encore des fables
telles que les hommes aiment à les entendre,
mais le temps est loin,
si longtemps à se remémorer d'abord le présent,
tout près de nous le présent
avec sa mort mal en point,
la mort comme la plus mauvaise des littératures,
malade dans ses mots,
malade jusqu'à la mort,
usure après usure,
lentement, décomposant ce que les hommes auraient souhaité entendre
de la bouche des poètes ;
et les poètes sont les plus vieux des hommes,
et les plus malades,
les plus proches de la mort,
sauf qu'un coup de fusil couvre le son de leur voix,
car ils sont l'artifice de la maladie dont la mort se nourrit :
« Ariel ! Ariel ! le son de la voix
c'est sous terre
qu'on l'entend le mieux. »
Des fables, j'en connais,
de quoi raviver le cœur d'un homme,
sauver peut-être le cœur
d'une femme condamnée à errer,
même un enfant,
ivre d'apprendre à vivre,
et d'opium aussi dans la pipe du vieux
où la vieille se retrouve quelquefois.
Quelquefois, pas toujours,
si ses dents gâtent tout ce qu'elles mordent,
que ce soit mes fesses par amour,
ou le vieux au lobe de l'oreille,
pour je ne sais quelle raison — quelle raison ?
Elle est aussi folle aujourd'hui
qu'au jour de sa première apparition,
et lui,
c'est le gardien jaloux des péchés
par quoi tout s'explique,
même qu'une mort ait changé sa peau,
même le temps où cela s'est passé pour la première fois
à la grande frayeur de chacun,
même celui, ou celle,
qui en eut à subir le premier la hideuse métamorphose
— ainsi qu'un traité sur la putréfaction, naguère, en témoigne
— ou bien, c'est qu'une fable m'a ému plus que les autres,
peut-être celle où l'on voit
d'étranges et naïves métamorphoses
se succédant au rythme d'une histoire
qui est la mienne revécue cent fois,
rabâchée, d'un cygne à l'écorce d'un arbre,
ou d'un loup, n'importe quoi faisant l'affaire,
puisque la chose n'a pas de prix.
Et soudain un grand écœurement me soulève l'estomac,
comme ça même,
comme une fumée épaisse de trop de bruyère,
trop de bruyère, à jamais !
C'est à dire quelque chose comme le NEVERMORE du corbeau,
à croire que j'ai quelque raison d'augurer
entre une fenêtre ouverte
et l'austère présence du savoir en cours de formation.
Là même, et c'est un signe plus funèbre,
au refrain : Ariel ! Ariel !
le son de ta voix,
c'est sous terre
qu'on l'entend
le mieux.
Tant il est vrai que le crêpe
se vend mieux qu'une poignée de main,
sur la couverture d'un livre
beaucoup mieux qu'une franche poignée de main.
Avec un regard tout tristounet de poète
qui va faire un chef-d'œuvre,
oh ! que faire est indigne de tant de tristesse
et de savoir-faire !
On dirait qu'un coup de vent
va soudain l'arracher à sa rêverie,
par la fenêtre l'arracher définitivement
du quotidien qui le justifie,
et le jeter au loin
dans la cime d'un bouquet d'arbres
qui l'absorbera jusqu'à ce que ses fleurs
ressemblent à ses fleurs. Justice !
Sans parler de la beauté,
toujours froide parce que son plaisir est d'être
au lieu que le plaisir des humbles est de devenir.
Vrai aussi que la brute bande mieux que la bête,
et que c'est tout vilain à voir,
ce témoignage d'amertume qui se fait un plaisir
de porter plus d'ombre,
et par conséquent plus de lumière,
si cela se porte mieux toutefois
que l'immanquable obscurité des poètes
qui ont atteint le sommet de l'expression...
Vrai aussi qu'un cadavre vaut mieux
que l'idée qu'on se fait de la mort
quand elle se porte assez bien
pour paraître dans les œuvres d'art.
À la fenêtre, mon âme penchée, égrène des mots !
des mots ! des mots !
Au lieu de ça,
au lieu de cette poussière qui est celle des hommes
et peut-être aussi celle de dieu
— pourquoi pas ? —
au lieu de cette poussière
j'ai imprimé la trace de mon pas,
droit vers la porte,
pas un moment titubant ou manifestement tremblant
— rien de tout cela —
et la porte,
je l'ai ouverte d'un coup de pied, et ce foutu vieux escaladait les rochers vers la maison,
le foyer dans une main
et le bec dans l'autre,
proférant diverses insanités
à l'adresse de ses propres pas
qui le rapprochaient de moi,
et à cet instant,
comme quelque buste se fracassant par terre,
ou quelque oiseau funèbre
qui a perdu l'usage de ses ailes
et brisant son bec sur le rebord d'une console
— mon âme s'est craquelée plutôt,
comme un tableau,
à croire que je manquais de suffisamment de technique
pour entreprendre ce qu'un refrain
m'avait inspiré
à rebours de sa même signification.
Et il s'en est fallu de peu qu'on m'encadrât,
et qu'on m'accrochât au mur le plus proche,
avec ma signature sur le ventre,
et deux dates indiquant que j'avais vécu et que j'étais mort.
Ris. Et dire que j'ai eu l'audace
de lui en offrir une toute neuve,
avec une étiquette sur le bec,
et une marque gravée sur le foyer,
et rien à l'intérieur
que l'évidence de son désespoir
— somme toute un parfait assassinat,
sinon il eût péri prostré sur une chaise
avec les débris entre les doigts
— ainsi, il meurt comme il a vécu,
sauf qu'il vivait.
Voilà ce que c'est qu'une mort fiévreuse,
une mort qui s'infecte,
ivre mort qui purule,
qui se recroqueville dans la pourriture,
et c'est cette mort-là
qui attend n'importe qui tente l'impossible
avec une haute idée de la chance
qui ne peut pas, ne doit pas tourner.
La vieille fumait rarement, je l'ai dit,
et quand cela lui arrivait :
« Ariel ! Ariel ! le son de ta voix,
c'est sous terre qu'on l'entend le mieux ! »
Si cela lui arrivait,
c'est que le vieux dormait, paisible,
avec sa cicatrice au lobe de l'oreille
depuis qu'elle n'y mordait plus,
même une légère morsure au coin de la lèvre oh !
un petit excès d'amour,
pas plus, rien de plus qu'une petite colère sans importance
quand il lui avait touché les seins
avec sa main qui sentait le tabac
et qui avait l'air d'un culot de pipe.
Alors l'odeur même de la fumée était différente,
comme si elle ne comprenait pas,
comme si elle eût pu fumer n'importe quelle pipe,
peut-être même à n'importe quel moment
pourvu qu'il dormît,
et l'odeur de la fumée n'incommodait pas le vieux dans son sommeil
simplement parce qu'il dormait,
et qu'elle veillait
à peine somnolente
entre la crainte d'être surprise
et l'horreur d'être si seule.
Et à midi, midi au soleil,
il ferme les yeux,
elle ferme les yeux,
et je joue.
Je joue à la pipe,
à la pipe qui ne fume pas.
Je fume la fumée de mes yeux,
et je les frotte avec mes poings.
À l'angle de mes poings,
je rêve.
Un rêve et un soleil,
ça fait deux : je ne suis pas seul.
Je suis rarement seul
quand je joue seul.
Je suis un enfant,
c'est-à-dire que je n'ai pas de souvenir.
Je remplis ma mémoire,
je ne m'en sers pas ;
sauf pour faire pipi,
ou mettre la cuillère dans ma bouche.
Je suis un catalogue.
Je m'imprime. Je serai poète.
Quand il rouvre ses yeux,
elle ouvre les siens,
et il fume sa pipe.
Elle le regarde fumer,
et je joue à casser la pipe,
simplement pour faire le mal,
le mal incurable,
le mal interdit,
le mal qu'on ne pardonne pas
et qu'on punit,
le mal qu'on n'arrive pas à supprimer,
parce qu'une bonne pipe est fragile,
et que plus c'est fragile,
et plus c'est sain,
plus c'est vivant ;
c'est loin d'être mort,
tandis qu'une pipe indestructible,
c'est brûlant comme l'enfer,
ou éteint comme la mort.
Et il mêle la mort et l'enfer
dans une même pensée.
Et elle le regarde penser.
Alors j'écris des images dans ma mémoire,
avec ma solitude qui s'étale comme de l'eau,
comme une rivière ;
et le poisson dans la rivière,
un poisson-pipe avec un bec comme un oiseau,
et un foyer comme une maison,
et peut-être aussi une fenêtre,
où plus tard j'écrirai des livres,
et une porte, pour la fermer.
Nous aurons même le temps d'aimer
ce que le corps permet,
entre nous deux,
pour nous deux.
Nous aurons ce temps-là pour jalouser les morts,
là où la pierre pousse comme de l'herbe.
Et de ce temps, chérie, il ne restera rien,
parce que le temps est le temps, un point c'est tout.
— Je fume la pipe comme un homme.
Ne la laisse pas s'éteindre.
C'est alors que j'aperçois la guêpe,
comme une tache de lumière la guêpe,
une tache de lumière ou une tache d'ombre.
Je choisis la lumière, parce que je la vois.
Elle se pose.
Pas loin, il y a ton sein.
Il y a du coton sur ton sein,
et du soleil sur le coton,
et la guêpe s'en aperçoit.
Elle est jalouse.
La guêpe est jalouse.
Elle te piquera.
Elle s'envole.
Ton sein est toujours là, obèse.
Le coton aussi, là,
avec son soleil,
avec son ombre,
et un dard au milieu de l'ombre.
Je vois bien que tu rêves d'amour.
Tu me piqueras.
Je l'entends.
Cette fois, elle semble s'intéresser à mon ventre.
Il y a du sucre sur mon ventre.
J'ai renversé mon café tout à l'heure,
et tu n'as pas accepté mes excuses.
Tu t'es endormie
au beau milieu de mes excuses,
et j'ai guetté la guêpe
dans l'espoir qu'elle te pique
et t'arrache au sommeil
et à tes rêves d'amour.
Elle est revenue,
et son dard me menace.
C'est ta faute.
Si tu avais accepté mes excuses,
j'aurais lavé mon ventre de son impureté,
et elle ne serait pas là à rêver de moi.
Elle est toujours là.
À quoi rêves-tu ?
Je m'éveille. Tu dors encore ;
« Pourquoi joues-tu ?
— Je joue parce que je joue.
Et je joue
parce que je suis un enfant.
Je suis un enfant
parce que tu es tu
et qu'elle est elle.
— Ma pipe est une bonne pipe.
Je te l'enseignerai.
Plus tard tu sauras reconnaître
une bonne pipe entre les mauvaises.
— C'est un enfant.
Il ne comprend pas.
Qu'il aille jouer.
Nous jouerons.
— C'est le moment.
Va jouer.
Ne te demande pas pourquoi.
Jouer c'est jouer.
— J'aime un autre enfant.
Dans mon ventre il y a un autre enfant.
Ou tu ne m'aimes pas assez,
ou c'est moi qui te manque.
— Je t'aime. Je t'aime. Je t'aime.
Et je sais que tu m'aimes.
Les enfants sont la preuve que l'amour existe.
N'avons-nous pas nous-mêmes été enfants ?
— Ou bien je préférais dormir.
Je ne sais pas si c'est le sommeil
ou l'amour.
Ou bien c'est le soleil,
c'est toi, c'est tout.
— Va jouer.
On ne peut pas jouer
si tu ne joues pas.
Et si tu ne joues pas,
tu joueras seul.
— Je ne veux pas jouer tout seul.
Je veux jouer mais pas tout seul.
Jouer tout seul c'est pas jouer.
Ça rend aveugle et fou.
— Tout compte fait,
c'est le soleil,
ce n'est pas toi. Mon corps est une paire de seins
que dore le soleil dans mon ventre.
— Mon corps ! Mon corps ! Mon corps !
Je veux jouer avec mon corps
mais pas tout seul.
Elle peut jouer.
Tu peux jouer.
Tout le monde peut jouer avec.
— Ma pipe est moins ingrate.
Elle fume, elle,
quand ma femme se bronze
et que mon fils s'amuse.
Ma pipe est une bonne compagne.
Elle m'accompagne, toi, ma femme.
Je voudrais jouer avec ma pipe,
mais tu souffles dessus.
— Est-ce que je peux souffler dessus ? »
La fumée s'entortille dans l'air.
C'est un jeu fantastique de s'y reconnaître.
« Mon corps est une vulve.
Je suis une vulve.
Je caresse ma vulve.
Je joue avec toute seule.
— Ce n'est pas comme ça qu'on fait les enfants.
— Ils naissent dans les choux.
— Et ils gardent longtemps l'odeur des choux.
Ça sent mauvais mais ça soulage.
— Infâme ! Tu es le contraire de ce que j'espérais.
— Ne souffle pas sur ma pipe.
Tu n'en as pas le droit.
— Moi aussi je veux souffler.
Je veux dessiner
des seins des hanches des culs des cuisses,
avec de la fumée.
Je veux dessiner des jeux passionnants.
— Qu'il aille jouer ! Qu'il aille jouer !
Et toi va fumer plus loin.
Que l'ombre est détestable.
Je me supporte à peine.
— Souffle, et vois comme c'est beau.
Ça à l'air d'une femme,
et ce n'en est pas une.
C'est simplement de la fumée.
— Soleil ô soleil !
Je suis si seule.
Parfume-moi, embaume-moi.
Je serais morte avant demain.
Je veux mourir avec ce plaisir-là.
— Un et un, ça fait deux,
c'est-à-dire que ça ne fait rien.
On fera avec,
puisque rien n'est possible autrement. »
O haïssable nécessité, écrirai-je plus tard.
On peut jouer avec la terre, mais pas longtemps.
On se fait prendre tôt ou tard.
Tu dormais.
Pourtant le soleil n'était plus que lumière,
et le vent poussait la pluie vers nous.
Le vent poussait la pluie.
L'eau ne t'éveillera pas.
Ton rêve sublime la réalité,
mais j'attends toujours que tu t'éveilles.
Avec ma pipe qui fume, j'attends.
Ton corps ruisselle,
ton corps est une rivière,
c'est la mer tout entière
et je deviens fou.
Je viole ton sommeil.
Je le viole,
et ma pipe fume toujours.
Ma pipe fume dans la pluie.
Maintenant, ton corps est violé.
Ton sommeil est violé.
Ton rêve, surtout ton rêve, est violé,
et la folie ne m'a pas quitté.
Tu me regardes parce que je suis fou.
Tu ne me regarderais pas si j'étais raisonnable.
Ton regard me raisonne en vain,
mais tu sais qu'un regard n'y peut rien.
Un regard ne suffit pas, même ensommeillé.
Oui, il pleut, et cela te dérange.
Le soleil n'est plus.
Tu vas coucher dedans.
Tu aurais voulu que ça dure.
La pluie durera longtemps.
Il pleuvra aussi dans mes mains,
et je viderai ta solitude,
je noierai ta solitude.
La mienne est insupportable,
parce que tu supportes la tienne.
La mienne est une vraie solitude
qui ne couche pas dans le soleil.
D'ailleurs je ne dors plus.
J'ai trop mal de tenter le sommeil où il n'est pas.
Cela fait mal, et je veille.
Au moins ce soir tu ne dormiras pas.
La pluie t'a arrachée au soleil.
Comme une herbe, elle t'a arrachée,
et ma maison est la plus accueillante.
Peut-être y veilleras-tu ce soir,
toute nue et humide encore d'avoir été déçue,
comme une herbe déçue que la pluie ait raviné la terre,
o désolée que le soleil se soit montré impuissant,
dans l'eau, et dans la terre,
et dans le feu qui m'anime.
Il pleut.
Tout un jour magnifique gâché par une averse
qui n'en finit pas de leurrer le soleil au fond de mes yeux.
Bien sûr, elle dormait,
et il fumait, mais je jouais.
Je jouais seul, mais je jouais.
Et je peux dire que j'étais heureux, même seul.
Maintenant, elle cuisine.
Elle a mis un tablier sur son ventre doré,
et il fume,
et je peux le voir qui m'observe à travers la fumée.
À la hauteur de ses yeux, je suis immobile.
Je me confonds peut-être avec la fumée
qui s'étire vers le plafond.
La pluie pleut.
Papa peut.
Maman meut.
Je jeu.
Je ne suis pas encore poète.
Je ne sais pas encore jouer avec les mots.
Je joue avec des jeux.
Je ne fume pas,
et je ne connais pas les femmes.
La pluie est une veuve
papa un tortionnaire
maman est une couleuvre
Je suis mort.
Je ne suis pas encore poète.
Les images, je ne les mérite pas.
Quand je serai poète, j'aurai beaucoup d'images,
des images à pleines brassées,
les images que je voudrais.
Je voudrais les images les plus fortes,
les plus folles, les pluies-fall.
Comme une couleuvre,
elle ne pique pas, elle crache.
Elle empoisonne la cuisine.
Il ne mangera pas ce soir.
Il maigrit à vue d'œil,
comme s'il s'envolait avec sa fumée.
Un jour, je lèverai les yeux pour le voir,
tout noir et difforme,
avec des craquelures qui le soulèveront sur les solives.
Par endroit, sur les solives,
il se soulèvera pour bâiller.
Pleut.
Soleil brisé.
Pleut.
Je ne me ressemble pas.
Papa joue à la mamelle.
Maman joue à cache-tampon.
Moi je suis un oiseau viol.
Si je joue c'est pour mentir.
Papa dit qu'elle est belle.
Maman dit qu'il est bon.
Papa juge et maman jouit.
Si je joue, c'est pour le dire.
Papa fume à la cuisine.
La cuisine est à maman.
La maman elle est à moi.
Si je joue c'est pour partir
un jour.
« Je ne suis pas encore morte,
et tu vivras longtemps.
Mes seins frémissent à cette pensée,
d'autant que j'ai passé l'âge des chatouilles discrètes.
— Dis-tu que c'est oui
que c'est pour ce soir
qu'on va s'y mettre ensemble
et que rien ne s'y opposera
oh ça fait si longtemps
est-ce la pluie dis-moi est-ce la pluie ? »
J'ai sculpté une vague tête dans un morceau de bois.
J'aurais voulu qu'elle soit ressemblante,
mais c'est raté.
Ça ressemble bien à quelqu'un,
mais qu'est-ce qui lui prend de se mêler de mes affaires ?
Je le connais si peu d'ailleurs.
Un vague voisin,
que fait-il dans ma main,
à me regarder avec des yeux creux
que j'ai pris tant de soin à tailler ? Qu'a-t-il donc, cet indiscret ?
Cherche-t-il à savoir quelque chose que je ne sais pas ?
« Je ne serai jamais vieille, ni morte,
et tu ne mourras pas d'avoir été si jeune caressée.
Je me souviens, mais ça ne suffit pas.
Tu dois m'aimer.
— Sûr que c'est la pluie
la pluie après le soleil
sur tout ton corps brûlant.
La pluie a tempéré la solitude
la pluie est une bonne pluie
il pleut encore
il pleuvra longtemps. »
Je l'ai jetée au feu où elle crépite maintenant.
C'est cruel de brûler ses voisins,
mais je crois que c'est juste.
Pourquoi regarderait-il ce que je ne peux pas voir.
Cela ne le regarde pas.
Il brûle, et je brûle de savoir,
alors je le retire du feu à mains nues,
et je brûle mes doigts.
Ses yeux se sont éteints. Il ne parlera pas.
« Je durerais. La nuit commence à peine.
Je commence avec elle. La nuit est à moi.
— Je te la donne ! »
Je te donnerai tout ce que tu voudras,
même la pluie, même le soleil et la terre,
et il pleuvra pendant tout ce temps.
Oui, la nuit est à toi.
Prends-la, mais prends-la.
Mais vas-tu parler à la fin ?
Vas-tu me dire ce que tu viens chercher ?
C'est l'heure de dormir,
pas de fouiller dans l'intimité des gens.
Et je voudrais dormir,
et tu viens déranger mon repos.
Vas-tu parler, créature de mes mains ?
Vas-tu me dire ce qui se passe et que j'ignore ?
Est-ce une raison, le feu qui a crevé tes yeux ?
Est-ce une raison, ma main sur ta bouche ?
Il n'y a pas de raison.
Parle, parle, mais parle !
Maudite créature de mes mains,
qu'es-tu venu me révéler que je dois ignorer ?
tu revivras demain,
créature de mes mains,
et cette fois je te ferai un corps,
et tu coucheras dans mon lit.
L'heure venue, tu parleras !
Je ne dormirai pas ce soir.
Papa est descendu à la cuisine
pour manger des tranches de saucisson
soigneusement calées sur une mince couche
de beurre avec du pain dessus
dessous pour ne pas se salir les doigts
et pour que ça soit meilleur il
fait d'une pierre deux coups il
est malin papa et maman
fait couler de l'eau et elle
agite de l'eau et je
sais parfaitement que c'est son
cul qu'elle lave parce qu'elle a
fait caca dans le lit et alors papa
dégoûté est descendu à la cuisine pour manger du
saucisson avec du beurre et du
pain autour pour que ça fasse deux
coups et une pierre rien de moins.
Moi, j'ai détruit ce que j'avais créé.
La ressemblance n'y était pas,
et j'aurais dû me foutre de la ressemblance,
mais je ne m'en suis pas foutu sur le coup,
et ça m'a valu cette stupide destruction qui mène à quoi,
à rien, à rien. Je n'ai pas avancé d'un pouce.
Papa mange du saucisson et maman lave son cul,
moi j'ai détruit ce que j'avais créé, je suis con,
et papa se bourre de saucisson,
et maman n'arrête pas de chier et de laver son cul,
et je suis toujours aussi con ;
un, parce que je ne dors pas ;
deux, parce que j'ai créé et que j'ai détruit.
Comme dit papa,
je serai aveugle et fou,
mais je m'en fous.
Je serai ce que je serai,
un point c'est tout.
Je ne vais pas commencer à m'emmerder l'esprit
avec des histoires d'aveugles et de fous.
Ce n'est pas de mon âge.
Plus tard, je mangerai du saucisson
chaque fois que l'élue de mon cœur
chiera dans mon lit.
Je m'en irai d'un air dégoûté
dans la cuisine,
et je n'écouterai même pas
le clapotis de l'eau entre ses cuisses.
Je me foutrai de ses cuisses merdeuses.
Et qu'est-ce que ça aurait changé,
que ce soit ressemblant ?
Rien. Ça n'aurait rien changé.
Je serais toujours aussi con,
à écouter le clapotis de l'eau entre ses cuisses,
et les dents de papa pleines de beurre et de saucisson
qui s'entrechoquent dans la cuisine.
On dirait, pour rire,
qu'il a peur qu'elle se noie.
Il claque des dents,
mais au lieu que ça soit pour manger,
c'est parce qu'il a peur,
et comme cela l'effraie,
elle chie de nouveau dans le lit et hop !
voilà papa qui redescend à la cuisine,
et maman qui fait couler de l'eau et l'agite,
et moi toujours con,
con d'avoir détruit ce qui n'était pas ressemblant,
comme si c'était une raison suffisante.
J'ai eu tort, je m'en veux,
et je me promets de ne plus recommencer,
mais je ne me crois pas.
C'est toujours ce que je me dis,
et je recommence,
toujours de la même façon,
à croire que ça me plaît,
à tel point que je me fiche
de devenir aveugle et fou...
Être aveugle et battre les murs
parce qu'il faut bien marcher,
passe. Être fou et battre les murs
parce qu'il faut bien vivre,
passe encore. Je peux vivre et marcher sans yeux et sans raison
— mais SOURD ! Sourd comme une rivière,
comme un arbre,
comme une fleur,
comme un tas de ces choses qui traînent dans la nature,
et qui n'y entendent rien — SOURD !
NON ! Je ne veux pas devenir sourd.
Surtout, je veux entendre,
je veux tout entendre,
je ne veux rien rater de ce qui se dit,
je veux tendre l'oreille comme ça me plaît.
Oui, c'est mon plus grand désir de tendre l'oreille.
Je ne veux pas gâcher ce plaisir.
Je n'en ai, même, pas le droit, voilà.
Il est vrai qu'il arrive qu'on me casse les oreilles.
Difficile de fermer les oreilles.
On ferme les yeux, on ferme la raison.
Il y a des portes pour cela,
et de bonnes serrures qui ne cèdent pas,
mais il n'y a pas de porte à l'entrée d'une oreille.
Si l'on ne veut rien entendre,
qu'on se laisse assourdir,
ou qu'on s'assourdisse soi-même.
Mais on ne s'assourdit pas impunément.
On s'assourdit pour la vie,
et je ne veux pas vivre et marcher sans mes oreilles.
Qu'on me coupe une oreille,
je titube, je tombe, à moitié mort,
la moitié de ma vie tient à celle qui reste,
et comme la moitié du tout est une approximation,
je n'entends plus la moitié de ce qui m'arrive,
je deviens con.
J'étais con, je suis con,
j'ai dû l'être entre temps.
Je n'ai pas cessé d'être un con.
Y a-t-il quelqu'un pour m'expliquer la vie ?
Être aveugle, et battre les murs ;
être fou, et les battre plus fort,
être sourd,
et ne pas les entendre hurler de douleur
— où est la vie ?
Je l'ai gâchée.
Je la tenais là dans ma main,
et elle m'a échappé.
Est-ce que ça me ressemble ?
Il fait nuit, et j'ai froid,
et il pleut dehors, et j'écoute,
plus tard j'écrirai des dialogues.
L'aveugle sera peintre.
Le fou sera curé.
Et le sourd poète.
Je ne vois pas.
J'ai froid.
Je parle tout seul.
J'ai grandi d'un coup,
et je me suis retrouvé dans le lit d'une fille
qui voulait faire l'amour,
sans le faire, tout en le faisant.
Je n'ai pas résolu son problème. Le mien non plus.
Pour lui, j'ai cassé sa pipe.
Pour elle, j'ai violé le secret.
Pour toi, je me battrai avec un tigre féroce
— la mort en est malade.
Si le tigre périt,
je te ferais un enfant.
S'il survit à ses blessures,
je t'en ferais deux.
Trois si tu me blesses un jour,
et autant chaque fois que tu me blesseras.
Tu repeupleras le monde dans mes blessures
— la mort en est malade.
Si le tigre me mange,
il te violera, il te mangera,
et il fera des enfants à la tigresse.
Les hommes seront des tigres.
La mort en est malade.
S'il ne te viole pas,
le monde périra,
et tu pourriras,
malade, malade la mort.
Je me battrai avec tous les tigres du monde.
Je violerai le secret des femmes.
Je casserai les pipes des hommes à la retraite.
La mort me vomira.
Mais n'anticipons pas.
Je vis Dieu.
Je vis un homme qui se disait tel.
Il me le disait. Il se le disait.
Il était seul à parler.
Il parlait de Dieu. Il parlait de lui.
Enfin il parla de moi.
Il me parla du mal, bien du mal,
aussi bien du bien, mais je n'en juge pas ;
je ne suis pas assez bien pour ça.
« Parlons du mal, de mon mal,
celui dont je peux parler car j'en ai l'expérience.
Est-ce une faute, ce mal ? dis-je.
— Est-ce un mal de fauter,
car vous fautâtes, puisque c'est faux. Si c'était exact, il n'y aurait pas de mal.
Où avez-vous mal ?
— Là, docteur.
— Appelez-moi : mon père. »
Je vis Dieu.
J'eus beaucoup de mal à le voir,
mais je voyais bien que c'était lui.
Il était comme je me l'imaginais quand j'étais un enfant.
J'avais beaucoup d'imagination
comme tous les enfants qui ont un père.
J'avais moins de raison cependant
que les enfants qui n'ont pas de père,
et avec beaucoup d'imagination, et un peu de raison,
j'ai grandi, j'ai poussé,
je me suis cultivé, je me suis arraché à la terre,
et Dieu m'est apparu,
flattant mon imagination, consolant ma raison.
Et d'un petit mal que j'avais,
il en fit tout un monde,
et j'en vis alors l'importance, la coupable importance.
« Que de mal, dis-je, j'ai !
— C'est un monde, dit-il, et vous ne le saviez pas.
Vous avez trop donné à l'imagination,
et pas assez à la raison.
Tenez, vous êtes comme ces poètes...
— Mais, mon père, je suis poète.
— Alors tout s'explique, dit-il.
Si vous êtes poète, ce que je crois,
vous êtes normal.
— Mais c'est que j'ai très mal.
— C'est normal.
— Mais c'est anormal d'avoir mal.
— Pas pour un poète.
— Mais c'est mal et pas normal.
— La vie est ainsi faite. Je n'y peux rien. Pas même Dieu. »
J'ai vu Dieu, mais ce n'était pas Dieu.
C'était un homme comme les autres.
Il n'avait mal nulle part.
Il n'avait pas d'imagination,
et toute sa raison.
*
Maintenant, on dirait que tu poses, et je peins.
Je peins des faims de chair, des soifs obscènes.
Ayant posé ma cigarette et mon crayon,
je plie les formes, les reforme,
semblant que tu lis, au lieu que tu poses.
Mais je crois à ce que je vois.
Je ne crois pas à ce que tu lis ;
bien que je sois l'auteur de ce que je crois,
je vis un moment de rêve,
une odeur de peinture.
Soit mon fard,
soit le mien au bord d'une mer qui s'arrête
quand je fais du tort à la poésie.
Puis elle referme le livre,
referme sa main sur le titre, l'auteur,
referme son esprit,
goûte un instant le bûcher à ses pieds.
Moi, immobile, j'écoute ce qu'elle regarde,
un feu qui démarre de la braise,
éclairé de craquements comme les portes,
l'endroit, l'époque,
et même aux fenêtres sans lune,
un vent qui se lève
à l'heure où l'esprit se couche.
Mais ne dors pas.
Écoute le livre refermé sur les genoux.
Elle pose ses mains sur le livre,
ses pieds sur les chenets,
sa tête sur mon épaule,
son corps pour le tableau,
et j'hume la même odeur,
le nez dans la palette.
Un pinceau maquille mes sentiments.
Mon cœur est une braise. L'odeur d'une châtaigne, c'est l'automne.
Chaude châtaigne entre mes doigts,
je la dépiaute, et je l'offre.
Sous cette fumée.
Est-ce que la lecture t'a plu, charmé la lecture ?
Sens comme les châtaignes ont bien l'odeur de l'automne.
Mais elle jette le livre au feu, il brûle,
il réchauffe. Je n'en mourrai pas,
les larmes ne peuvent rien contre les poètes.
Le soleil comme le clou du spectacle,
là-haut vivace et clair.
Rien moins qu'un rite païen,
par exemple pour les vendanges,
ou la messe des fous donnée par des sots.
Ceux qui sortent du temple ont les cuisses chaudes,
et la gargouille décrochée est un superbe diable
ou l'athanor secret de ceux qui sont restés.
« En bref le cheval avançant porte sur lui le tronc d'un homme,
et la première date avancée pour la guerre est une erreur,
non pas qu'on exagère maintenant le nombre des désertions.
Rien n'est mieux prévu que la façon de le réduire
dans des proportions raisonnables
pour le maintien de la république.
La désertion ne fausse pas les dates,
mais on ne peut évaluer l'exacte participation
de l'homme de la rue au conflit rituel
qui aura lieu sans qu'on puisse en fixer la date. »
Ce rite nécessitait la présence d'un cheval et d'un homme armé,
et le soleil est une façon comme une autre
de regarder la mort en face.
Sa vivacité est un signe du déclin de la lumière.
Je veux dire de sa clarté.
Ce que je vois de cette clarté qui m'aveugle
au moment que je ne sais plus qui se bat et pourquoi,
c'est l'athanor toujours secret de ceux
que la vie a cloîtrés dans les murs d'une prière
aussi vieille que le monde,
c'est-à-dire avant qu'un rite païen
se retrempe aux sources du vin
et du blé qui le dore
avant qu'un diable arrêté dans la pierre
cesse de cracher l'eau
qui le justifiait aux yeux du passant ;
et celui-ci devra se battre pour sauver sa peau,
et un moment son geste de défense est suspendu
dans l'éclat de verre d'un soleil déchaîné
qui l'éclaire et l'innerve,
et la mort n'est plus une certitude,
tout au plus une probabilité qu'un homme seul
et par conséquent sans défense
a le droit de jouer contre sa propre existence.
Certes un déserteur ne tient pas compte
du parallélisme de la lumière ainsi déjetée,
mais parce que son éclairage est un feu d'artifice
dont la postérité seule dira la hauteur
dans la nuit de l'histoire passée
et vécue par d'autres qui ont légué ce qu'ils ont pu,
athanor hermétique de pierre en pierre
où le diable s'accroche dans les postures les plus anciennes,
les membres soudés à la mémoire de ce qu'ils ont embrassé de nouveau,
par exemple aux vendanges,
avec un fer à cheval pour conjurer le mauvais sort
dans le moindre millésime,
aux sources du vin que la terre n'a pas nourri
sont les pluies et le soleil qui les ravale ;
aux sources du pain que la terre n'a pas enfanté
sinon le soleil et les pluies qui le secrètent,
à l'athanor voyageur dans la terre impure
et sur les eaux purificatrices ;
et à sa fumée aux yeux de l'homme de la rue
qui vient de rater le dernier omnibus
à l'heure de la pluie et du soleil,
au moment que le voyage annonce une fin mémorable.
Enfin, ce que la mémoire d'un homme usé par le sang
peut retenir de la trajectoire de l'éclat
du point de chute à l'homme en guerre.
Ici, le soleil apparaît comme la dernière lumière,
par exemple à l'angle du métal
à tous moments de sa distance,
et l'ombre portée sur n'importe quel support
est à la mesure du parallélisme approximatif
dont l'œil accommode sa vision.
Enfin, la lumière est jetée
sur la proximité menaçante du feu,
la présence indispensable d'une bouffée d'air frais,
la vitesse de croissance de la terre,
et sur la croisière que l'eau aventure dans le périple hallucinant,
sonore et idéal de la vie vers la mort.
Telle est la parodie jouée une fois l'an
dans le temple toujours sacré
mais soucieux de la solidité de son pouvoir sur les hommes.
Ici,
j'ai révélé la nature d'un soleil à l'approche de la mort,
phanodrame par quoi Dieu a peut-être créé l'homme de toutes pièces ;
mélodrame où le verbe est entré dans la bouche de l'homme ;
logodrame que l'homme a joué pour en suspendre le goût
dans la conversation de ses contemporains,
et l'ombre est portée par n'importe quel support,
pour le prix d'une vie qui serait celle du fils de l'homme,
et l'usure est une poignée de la monnaie frappée
dans la mémoire à l'approche de la mort véloce
et voyageuse humée de loin ;
la mort à la pointe de la lumière,
comme si Dieu avait planté son glaive dans la terre
et que les hommes s'en fussent servi
pour crucifier un de leurs frères,
planté un homme les bras en croix en une croix en forme d'homme,
ou une guerre où les hommes se croisent
et ne se rencontrent pas ;
le feu au bûcher sur la place publique ;
les pigeons des places publiques ;
les allées des places publiques,
et ainsi toute chose publique
qui se réclame des droits de l'homme.
La trajectoire n'est pas un banal problème
de balistique ni de criminologie.
Il n'y a plus de bûchers sur la place publique ;
il y a des pigeons qui battent de l'aile ;
il y a des allées pavées de douleurs ;
il y a de l'eau dans les bassins,
et ainsi toute chose publique.
Et la trajectoire est une réponse à la mort,
la mort des asphyxiés,
la mort des enterrés-vivants,
la mort des noyés ;
on ne meurt plus dans le feu des places publiques,
et la date avancée pour la guerre n'est pas celle des exécutions
où le feu renaîtra dans toute sa splendeur,
ni celle du premier coup de feu
et de la première tombe
et du premier éclat
dans l'angle métallique d'une lumière naissante.
Et de distance en distance comme dirait Zénon d'Élée :
Integritas. J'ai vu
ce que pouvait donner une pareille pensée
dans l'esprit des pauvres d'esprit,
et mesuré l'illusion de la vie dans leurs yeux
cristallins comme les sonorités du cymbalum, ô monde.
Il y a des pigeons,
des allées, des bassins, et le feu
dans l'athanor secret de ceux
qui n'ont pas fait un geste pour se tirer du pétrin.
Et cette année-là,
le pain fut de mauvaise qualité,
aussi dur que la pierre au troisième jour de son existence.
C'est un acier finement ciselé dans la pensée humaine.
Il décrit comme un mot dans les airs trembleurs.
Il taille avec ce mot l'oblique rayon de la mort.
Un ancien combattant à qui il faut arracher
les mots de ses lèvres avares
me dit des anecdotes dont je ne saisis pas le sens,
par exemple des torches vivantes
s'extrayant de la coque brûlante
et déchirée des chars d'assaut au moment d'un maréchal Juin,
et ses yeux qui n'en peuvent plus de ne rien pouvoir,
ou se toucher les couilles parce qu'un général de Lattre
a fait signe vers la mine que la terre secrète
devant l'impatiente colonne, et dix autres cadavres
au bord de dix autres trous,
et peut-être cent autres mines,
et un même nombre de types à se toucher les couilles
en signe de croix ;
par exemple
l'inquiétante présence d'un sein nu au pied d'un mur,
et plus loin une fillette
qui se tient la poitrine en hurlant de douleur,
les mains brûlantes de son propre sang
qu'elle perdra de toute façon ;
par exemple un verre de trop,
et un ancien combattant s'inquiète
de ne plus rien entendre de sa propre respiration,
et à peine sur fond d'arbres calcinés,
l'oblique raison que l'esprit devine sans que l'œil ne l'image.
Du point de chute à l'homme,
l'obscène défilé des atrocités de la guerre,
d'un chant d'entrée à la bénédiction finale,
comme un mot, et l'air tremble ;
soleil,
lumière rituelle,
forme rituelle,
lieu rituel,
soleil Saint-Jean,
dit le poète,
se souvenant peut-être de telle figuration
qui enfla son sexe comme une baudruche.
Et un cheval avance,
portant le tronc d'un homme qui ne brandit pas la croix Soleil.
J'ai mal d'avaler mes mots,
mal au passage des mots,
un angle mort dans la pensée humaine
qui l'occulte d'un éclat de lumière.
J'ai lu beaucoup de livres, pas tous ;
des livres de guerre surtout, pas tous ;
la douleur, pas toute ;
l'attente surtout, pas toute l'attente,
un moment de l'attente,
mais c'est déjà beaucoup de savoir que ça peut arriver à n'importe qui.
C'est une terrible pensée,
plus terrible que la mort qui l'occupe pourtant infiniment.
Je ne connais pas de pensée plus cruelle,
et j'ai mal d'avaler mes mots
pour ne pas déranger l'ivresse où je ne bois pas.
Je voudrais être poète.
Je voudrais pouvoir déranger,
mais je ne dérange pas.
On me fait même une place.
Certes pas beaucoup de place dans ma place,
mais une place en forme de place,
avec des airs de places et des fêtes publiques et intimes.
Je pourrais être poète, mais je ne dérange pas.
J'ai ma place. La guerre aussi a une place,
mais ce n'est pas pour tout de suite.
Elle dérangera beaucoup.
Elle changera les places respectives,
et elle aura ses poètes, et je perdrais
tout espoir de l'être moi-même un jour.
Ici, le soleil a gagné
le point le plus haut de son éclat,
dans l'angle d'un acier que la pensée humaine
a forgé à force de mathématiques.
On devine l'impossibilité d'un retour en arrière.
On croit maintenant à l'irréversibilité du mouvement.
Un déserteur m'a confié qu'il avait agi par amour,
et il exhiba une photographie pour témoigner de cet amour,
mais l'amour n'est pas un droit,
ni la photographie une preuve.
J'ai connu un objecteur qui avait un corps.
Puis l'ancien combattant retrouva ses esprits,
et me reprocha de l'avoir écouté avec autant d'attention.
*
Et pourtant à qui parler sinon à Dieu ?
Il n'y a personne ici, et la nature est muette.
C'est le moment de croire que Dieu existe,
au moins comme interlocuteur,
le temps d'une conversation qui tournerait autour de la vie éternelle,
entre le point de chute et l'homme en guerre,
juste le temps, avec l'image,
de tracer les grandes lignes d'une conversation qui serait éternelle ;
et personne pour écouter ce qui se dit,
la nature réduite à un simple décor sans intérêt sinon géographique,
seul avant Dieu
dans la première instance de la conversation,
puis le métal
imprimant à la chair la marque de la haine des hommes
au commencement de Dieu
qui parlera peut-être,
parce que le verbe est au prix de la mort de l'homme ;
nécessairement à ce prix,
où la pensée peut trouver à redire dans et hors les temples ;
et un corps immobile
où la vie est désormais impossible
sans qu'on puisse dire s'il conditionne l'existence de l'esprit,
c'est à dire tout compte fait de Dieu lui-même,
au passage dans une pluie de terre
qui retombe à sa terre
rencontrant un cadavre
qui soulève le cœur
et à la recherche du refuge idéal
où sa vision se change en obsession ;
et non pas une conversation qui aurait les qualités d'un poème,
et l'éphémère de son pouvoir
dont chacun peut juger de l'écouter religieusement,
la nature dévorant tout l'espace
jusqu'à l'occuper au premier plan à travers quoi
la pensée est taxée d'obscurité
au lieu d'être en cheville
sinon avec le mal
du moins avec le plaisir.
Et de retour,
ayant perçu de bout en bout la trajectoire
toute de lumière éclatant,
SE SOUVIENT QUE CE N'EST PAS LUI,
et donc que dieu n'existe pas ;
à moins de faire durer,
par quelque artifice,
malaxant le Savoir, la Beauté et la Justice
dans la même gamelle
qui ne démontre pas ses origines ;
faire durer et faire croire
mais pas à tout le monde,
ce qui mérite un prix qui n'est pas la mort de l'homme,
mais sa prétention à la mémoire ou à l'éternité,
selon que l'on croit, ou qu'on ne croit plus.
*
Vers une mort sans brumes,
mais fulgurante abréviation d'un jeu,
d'un trait en chemin
j'ai pu recomposer la moindre nuance,
du coup, elle s'est envo-envolée...
Et moi de rejouer au même,
peut-être une malformation dont personne ne s'est inquiétée jusque-là,
je veux dire que quelque chose ne s'est pas formé,
d'abîmant le soleil
par quoi je veux symboliser une mort comme une redite,
au retour du refrain,
sachant que c'est une redite,
et que c'est mal venu,
de redire toujours la même chose.
Par exemple au bordel, ou si j'y suis allé, monotone,
oui tel que si je devais en finir,
avec un sexe, ennuyeux de mémoires,
et sans doute de rêves bercé,
avec de la morgue de la tête aux pieds,
pour parfaire le personnage que j'étais.
Je me souviens d'avoir tremblé,
et que les mots, au bout du compte,
disaient ce que ça ne voulait pas dire,
que c'était à refaire avec n'importe quelle femme,
pourvu qu'elle soit pute assez pour se contenter d'un juste salaire,
si juste que je le demandais.
Nul mystère, à part que c'est une femme,
et non point comme au pubère plaisir,
et pas plus de raison,
même nue, souriante, et offerte.
Ce que c'est que la mémoire !
Et que l'inattendu, ici bas !
Mais je ne puis me résoudre à ce qu'une rencontre ne dure pas,
même si c'est un bordel qui ne s'ouvre pas que pour l'amour.
C'est un jeu de tricher avec la mémoire,
et de noter l'instant où c'est pipé,
monotone, tel est l'ennui,
de baiser ton ventre pour qu'il n'en sorte rien.
Anneau, personnage par lui-même,
et marqué dans la chair,
c'est un anneau qui ne signifie rien,
pas même un désert de l'amour,
à peine dérobé par le mensonge et le tact,
un sein peut-être rebelle à ce qu'on le pelote, comme on dit,
et qu'on se satisfasse de reformer l'obsession ;
sein, pas tant que ça,
puisque c'est le lait et le poison de l'humain ;
et c'est un charme de le préférer
à l'angle d'un miroir se refléter nu et parfait,
mais d'une nudité qui cache quelque chose,
et d'une perfection qui ne veut pas la dire.
O miroir, à dos avec la réalité qui nous porte ici,
pour éteindre, à claquer les volets avec force,
parce que c'est moite,
et que ça devient progressivement hydrifiant.
Mmmmmm... tu es plus douce que le vent
et que le sable
et que l'eau,
et j'ai peur d'en manquer,
tant j'ai peur de me réveiller autre,
et de te plaire dans une peau de caméléon ;
et tu es plus obscure qu'un œil fermé à ce genre de plaisir,
noire comme une ombre jetée,
où je devine des pas, des quantités de pas que prolonge ton corps
debout entre moi et le miroir, moi,
à l'endroit du reflet où je ne me reconnais pas.
Dire que c'est la nuit,
et n'en rien dire pour te plaire
et que tu te dévêtes !
Et je ne brûle pas, ni même j'ai froid
— mais je suis une couleur,
entre une île et un royaume où tu m'attends, oh !
je te sens lascive, dans l'attente où je rentre,
mais pas tant qu'un enfer m'ait stigmatisé
au point qu'on l'y reconnaisse en moi,
implacable roman à ne pas mettre entre toutes les mains,
qu'elles y maudissent leurs destinées.
Et tu attends que l'attente finisse,
comme toutes les femmes que j'ai choisi d'aimer,
comme toutes les femmes qui rêvaient qu'un enfant les égrenât,
vieux chapelet où j'ai du dégoût,
quoique je t'aime.
Et une vieille église comme une pissotière sur un trottoir,
où je prie, pas n'importe quel dieu,
car je ne pense qu'à moi,
de soulager le mal d'un coup de rein,
et de reparaître au public ajustant les derniers plis
que l'obscurité avait soustraits à ma vigilance ;
je t'ai laissée béante,
et je n'ai retrouvé mon souffle que sur une place publique.
Chchchchch... cheuh ! c'est le moment d'une aventure
qui pourrait tourner court,
n'était, de ma part, une immanquable propension à l'oubli majeur.
Et je dis que c'est aussi le moment de nous quitter
sur un air de fête.
— À demain, et demain, si tu embaumes ma mort
avec des jets de sang,
demain tu seras la femme de ma vie,
et plus belle de l'être, à mes yeux,
quand d'autres pourraient supposer qu'il s'agit d'un boudin -.
*
Un à un, ou deux par deux,
mais l'enthousiasme ne dure pas,
ayant tous accepté la nécessité du secret,
la morose délectation qu'elle suppose.
Un tramway traversa le carrefour.
C'était une belle soirée pour se balader.
Devant la devanture d'un magasin de chaussures,
on peut regarder son reflet.
Mais quelques mots, les promeneurs et les femmes,
cette sensation de liberté,
les coudes de la foule,
le ventre des murs répercutant le chahut.
Évidemment en retard d'au moins une heure.
Un geste de courtoisie tout contre mon visage,
sur le même trottoir où j'ai rencontré l'amour.
Ces réunions sont prévues d'avance,
servies par une femme de charge, lourde chaîne,
avec prudence toutefois, au sens propre du terme,
avec prudence dans l'allée.
Un escalier en spirale au troisième étage,
diverses figures déjà connues en d'autres lieux moins fréquentés.
Présentations.
À l'encontre de bien des gens,
quelques douzaines secouant les cendres
sur le tapis d'orient comme le cymbalum mundi de quelques mémoires.
Des quantités de gens,
mais je préfère vous passer la parole,
je préfère passer la parole au spécialiste que vous êtes.
« Elle a toujours été mortelle, non ?
— Mortelle ? Non.
— J'aimerais en savoir un peu plus long, vous comprenez ? »
Ils ne donnent pas volontiers de détails.
Ils auraient du mal à détailler l'ensemble.
Tout au moins pouvaient-ils le tenter.
Au courant depuis le début.
Au courant de quoi ?
Un grand nombre d'entre eux de l'autre côté de la terre natale
pour solliciter l'autorisation de parler.
« Que dit-il de cet assassinat ? »
Oui, que dit-il de cet assassinat ?
Peu de choses, sinon que ça l'impressionne.
« Bien entendu, aussi délicatement que possible. »
Il faut compter sur la logique comme sur soi-même,
peut-être le coupable.
« D'autres renseignements, moins essentiels,
mais en comprenez-vous la nécessité ? »
C'est ce que je supposais, juge impartial.
Devant la cheminée, chez moi,
il rassérène les cours de la langue,
les volontaires à la cheville du premier suspect qui ne lui revient pas,
histoire de se faire la main sur un personnage secondaire ;
et des admirateurs de notre système
peignant des Christs suppliciés dans la foule
et les fortunes de ce monde,
comme au rayon de lumière qui pardonne à Judas.
Intimement, intimement cependant, le genre de vie ;
bons résultats pourtant.
Les journaux ont fait grand cas d'une rafle dans une maison :
la puce à l'oreille.
Le lieu de rendez-vous surveillé par des salariés,
et des fils de salariés
mordant le téton de leur mère douloureuse,
le premier d'une longue série.
Un ou deux conflits de grande envergure,
une proie facile
dans la lande livrée à la bruyère sauvage
qui donne un si mauvais miel.
Grands services. États de service. Opérations.
Un espion chez nous trichant
sur la valeur du renseignement
avec le consentement d'un type qui fait la manche au coin d'une rue.
Sous sa manche, son désespoir,
un désespoir en forme de lumière oblique sous les vitraux.
Être mêlé à des crises au dénouement heureux,
ou refuser d'être mêlé aux évènements
dans un monde où il n'y a pas de situation définitive ; ou reconnaître ses torts,
se damner publiquement dans toutes sortes d'aventures,
heureux d'avoir pris une telle décision,
malgré le tort causé à l'amour,
uniquement en cas d'urgence.
Vous et moi, une aide immédiate
chaque fois que vous le jugerez nécessaire.
Voyez-vous (je cite n'importe lequel de nos bons écrivains)
l'avantage, dès le début,
du côté de cet homme qui tente de nier l'évidence
avec la conviction d'un charmeur de serpent.
Du côté de la travée,
comme si tu disais adieu aux voyages
ou à un étranger,
même si l'étranger est un allié du type
de ceux qu'on peut se faire à une pareille époque.
Ne pouvoir rien en dire d'avance
— prédire — sauf l'heure d'arrivée,
l'endroit de l'arrivée,
et le goût du café,
là-bas, aux Tropiques.
Les rues les plus animées
sont au centre de la ville.
Les rues les plus mortes entourent la ville.
Ailleurs, les rues sont tristes.
Un ton confidentiel,
les yeux sur le téléphone
avec une pointe d'inquiétude sur des papiers, des livres, des signatures ;
une pointe d'inquiétude dans la faîtière
qui a tenu le coup malgré la pluie,
et ce vent qui n'a pas fini d'usurer notre solitude
au devant une poupée,
sans presque remuer les lèvres au mouvement de ses lèvres,
se remémorant chaque quatrain,
et ces livres répétant qu'elles n'y sont pour rien.
Je ne savais pas.
Je reviens tout de suite.
Un peu de sa dureté, un peu de son effroi,
et sa totale indifférence vis-à-vis de ma propre vision.
Pour le moment, compter sur la moindre logique,
car nous avons à parler à la même table,
comme au temps où le café avait le goût de l'orage.
Le premier nuage de fumée
tenu à l'écart sous sa surveillance
ne m'a pas cru quand je lui ai dit
que j'en avais perdu le goût ;
« Je suis sûre que vous en savez plus long que moi.
Je suis sûre que vous ne direz rien,
mais je serais bigrement heureuse
si vous m'ouvriez la porte. »
Longtemps à comprendre la raison de son voyage
à l'autre bout de la raison,
mais s'il fallait forger un lien entre le rêve et la réalité,
est-ce vraiment urgent de venir me dire un mot,
ou neuf fois composer un autre numéro au cadran solaire.
« Vous saurez y aller ? »
Autre sensation que de l'inquiétude.
« Vous ne m'avez pas dit toute la vérité. »
Autre sensation ; inexprimable,
sinon l'odeur des feuilles mortes bien des automnes après.
Derrière le verger de la ferme,
la blancheur, la dissimulation de la blancheur,
l'épanchement de la blancheur après la vie, une fois consommée.
Nous sommes tous nés de cette horreur.
Toute l'écriture est de la cochonnerie.
Je n'écris plus. Je dicte
— et vous prenez note de la ponctuation,
à l'instant éveillée d'un cauchemar,
avec un soupçon de chance
au mur qui me servait d'arrêt avant même d'entrer.
Ce goût dans ma bouche, et ce manque de soleil,
je sens venir la guerre.
Ce goût, et ces fleurs, et ce torrent de printemps,
je sens venir le temps d'un peu moins de clarté,
de beaucoup plus de mort, de mort dans tes cheveux.
La mort nouée en flèche à tes cheveux.
O qui donc a tué mon vide parfait ?
Qui donc m'arrache à ma pensée ?
Qu'es-tu, toi, porteur d'Éternité ?
Pourquoi brûler mes yeux au feu de ta virilité ?
La mort comme un nœud,
et ce goût dans ma bouche, dis-moi,
est-ce le souvenir d'un retour à rebours,
et le soleil me manque ?
Le soleil me sépare du reste du monde,
et tu mourras sans le soleil
parce que c'est écrit dans le ventre de la mère.
Soleil, dans le ventre de toutes les mères,
n'importe où quand s'ouvre ce ventre indolore.
Soleil, et quand elle hurle de douleur, venir,
venir le temps, la guerre et toutes sortes de calamités,
venir, venir et qui saura se taire, ô soleil,
qui respectera le silence pour les maudire,
maudire leurs mères et leurs filles, maudire,
maudire, maudire le soleil qui manque de lumière ?
dans le ventre d'une femme que je n'aime pas encore
et que je pourrais détester.
Ce goût dans ma bouche, certaines démarches,
un édifice de sept étages au coin de la rue,
nulle part ailleurs dans le monde où le soleil est déifié.
C'est aussi le quartier de la finance.
Si vous voulez bien venir
dans le silence profond du marbre
où tout nous invite à médire des autres,
c'est l'enfance je crois,
mais vous ne médirez pas aussi facilement.
« Je ne crois pas que ce soit possible.
Un homme comme vous a d'autres possibilités.
Pas le mal du pays, n'est-ce pas ? »
Dans n'importe quel hôtel, mal du pays ou pas,
je vous retrouverai dans le hall,
tu me retrouveras dans le hall,
et nous aurons d'autres conversations, plus intimes je crois ;
nous avons besoin de beaucoup d'intimité,
nous en tenir aux hypothèses,
entretenir une hypothèse,
cultiver le doute,
éviter les conclusions toujours hâtives.
Te souviens-tu de nos sordides conclusions ?
Ou acheter des renseignements à bas prix
sur les contrastes de la vitrine et du trottoir,
sur l'apparence de l'arrêt et la transparence du reflet.
« C'est pour me dire ça que vous me réveillez ?
Pour me dire ça vous me privez du sommeil
et me condamnez à l'oubli ?
Je ne crois pas à votre aventure.
Je ne crois pas à vos pygmées.
Je ne crois rien dans les chemins de fer de votre aventure.
Rien de positif dans les voies aériennes de votre livre.
Je crois à l'autopsie.
Je crois à l'empoisonnement.
Je crois mortel tout acide.
Elle a toujours été mortelle, non ? »
Toujours mortelle cette délectation morose,
et quand elle hurle de douleur,
ça ne vous secoue pas les tripes.
« Ça ne vous fait rien d'être un pauvre type
et d'enrichir les assassins ? »
Dites-moi que vous n'êtes pas insensible à ses cris.
Elle se trouve au bout d'un long couloir silencieusement sombre.
L'entrée principale lui est interdite.
Elle chante toujours sur le même mode qui lui réussit si bien.
Je crois que j'ai accepté par curiosité.
Le reste est sans intérêt.
Trois fois le tour de la terre.
Tu veux que je te parle de tes yeux chérie ?
Dis, tu veux que je leur parle de tes yeux ?
Tu veux que je leur dise tout même nos secrets ?
Tu veux me faire mentir dans un écrit aussi précieux.
Lorsqu'une figure éclairée doit se détacher d'un fond clair,
il faut nécessairement que cette figure,
qui n'a point d'ombre,
soit d'une couleur obscure pour qu'elle fasse un bon reflet.
C'est simple. C'est écrit
dans le grand livre des peintres
aussi bien que dans la série noire.
C'est écrit et j'y crois, chérie,
et tu voudrais que je parle de tes yeux
à ce tas de cochons qui pissent dessus. Tu voudrais que je fasse le tour de la terre
pour leur dire que tes yeux sont incomparables.
C'est simple, et c'est par là qu'il fallait commencer.
C'est écrit dans le grand livre des peintres
et je ferai ce que tu voudras.
C'est écrit et j'y crois comme tu voudras que je croie.
Les trams, les réverbères, les plates-bandes, les guéridons,
tout à l'exception des boîtes de nuit dans la vitrine,
et tous les flics de patrouille demain gagneront aux courses.
Le bakchich est à tout le monde, ici.
Je goûte à mon verre.
Je ne suis pas condamné à mort, moi.
Je peux goûter l'intérieur de mon verre sans risquer ma peau.
Je peux m'attarder pour contempler tes yeux.
Je peux tenter de les fermer,
et ma dernière lettre est toujours la première.
Et l'écriture est un angle
dans le cercle inachevé de la pensée, de la pensée.
L'écriture est un angle autour d'un bon mot.
Toute lettre n'est que la lettre
que n'imprime pas le cœur
sur la page noircie de l'idée.
D'autres auraient préféré se donner du plaisir
plutôt que de passer par là.
La page relève d'une ponctuation moins approbatrice
que le métal transmué par la voie royale.
Et les affiches annonçaient un nu intégral
et un accouplement sauvage entre les tables.
Plus haute que toutes les tours bâties penche l'histoire.
On y verrait comment une fille aime à se faire aimer.
Je suis mort dans ton vin,
ô Circé aux boucles d'écume.
Je suis mort dans ton écriture.
On y verrait un sexe comme dans un écrin,
puis ouvert comme un écrin.
Je suis mort à l'angle mort de ton nom,
ferlé par la vague inachevée du sable à l'océan.
On a payé pour ça cher, très cher.
On a payé plus que de raison.
Mort peut-être du haut du manoir le plus haut
où j'imprime mon regard.
Et l'accouplement eut lieu devant plus de cent poivrots-poivrotes.
Tu ne respires pas de mes poumons.
L'or a peut-être violé ton cri
hors de l'ivresse qui me tue.
Et le nu intégral eut lieu devant plus de cent poivrots-poivrotes.
Toi, ne t'ouvre pas au cœur du rêve qui m'épuise.
Respire seulement l'air de toutes les libations laissées pour compte par nécessité
— par nécessité, pour obéir à la nécessité, la terrible nécessité.
D'autres filles exhibèrent la chair de leurs mères.
J'écris à l'angle même du cercle
où nul ne retire rien que sa mort.
Mort, peut-être un nom au moins le temps de la mort qui me nomme,
tel que j'ai pu mourir dans ta demeure.
Mieux valait boire que de rêver, mort,
mieux valait m'accrocher à la réalité de la masturbation —
sans honte, et je meurs défilé
dans ses ombres hagardes
que regarde le sang de la moindre bête sacrifié.
Ce qu'Ulysse n'a pas écrit,
ce qu'Ulysse n'a pas écrit faute de l'avoir vécu.
Par exemple cette grande fille nue
et le type qui la tranche avec un sexe d'acier.
J'écris le nom que n'offusqueront pas
les jeux de tous les héros fêtés dans la cité.
J'écris la mort des compagnes du héros vainqueur,
et la mort du compagnon qui cherche encore le lieu de son repos.
Je chante l'échec de l'artisan
— une légende veut que l'homme soit né de la terre
et la femme de l'homme,
une légende veut ce que des hommes ont patiemment souhaité.
Mais je préférerai toujours vous passer la parole.
Vous aimez mieux me la laisser. Oh Seigneur !
Oh Seigneur, on repart à zéro,
comme disait la radio du temps de mon père,
un peu après le temps de mon grand-père.
Soleil,
tu auras préféré la logique à une statue de pierre dans le parc,
incarnation de la promenade dans le parc qui en a vu de belles, oui !
Vous croyez que les gens savent ce qui est bon pour eux,
mais rappelez-vous :
« Je n'incarne aucune des promenades.
Disons qu'on me rend visite.
Mais tu peux te trouver toi-même en danger
dans la venelle obscure où personne ne t'entendra crier.
Telle est la sente obscure où je m'aventure.
Y a-t-il davantage de chance ailleurs.
J'attendrai ici qu'on vienne me chercher. »
Je ne veux pas précipiter les évènements
— un tas de types m'en voudraient à mort —
et dans la nuit du 24 au 25,
je fis un rêve savoureux.
Voici le contenu de ce rêve que j'ai noté tout de suite après le réveil :
Circé a dévoilé une mamelle.
Elle a décelé son sexe.
Il était sous terre.
Le galet a jeté son sexe dans le glaive.
Du sang perle sur son genou.
Elle me regarde en pleurant doucement.
Mais je ne la regarde pas,
car Circé a posé sa main sur moi,
sur mon sexe brillant comme un glaive.
Sa main, sa main branle, sa main branle sur le ventre.
Alors ils nous dirent que le père était de retour.
On avait aperçu sa barque au loin.
Au loin. Il ramait contre le vent.
La mer l'enfante, dirent-ils pour plaisanter.
Circé joue sur mon ventre,
avec l'insecte qui agace son œil.
Le sang cesse de couler en elle, et les larmes.
Elle a ri.
Elle a ri tandis qu'il luttait contre l'écume grise.
Ils nous dirent que la voile gonfle l'espar de son sexe.
Elle détourne son doux regard
parce que mon sexe a giclé hors de moi
et que Circé lèche mon ventre.
La barque a disparu sous la crête.
Elle se lève.
Dans le sang, elle se lève.
Alors elle prend le glaive en main
et tranche ses mamelles sans un cri
et ouvre son ventre doucement.
Elle tombe non loin de Circé,
non loin, proche de moi.
Ils dirent que la barque sur le sable,
sur la grève un corps mouillé,
et comme il respire, Circé s'en va.
Je reste seul.
Entre celle qui est couchée et celui qui se lève,
je reste seul,
un peu souriant.
Mon sexe est rouge.
Souriant mais amer dans l'équilibre du sang et de la mer.
Mère assise, ou femme assise,
on ne saura jamais, ni même toi.
Ni même toi, la femme, la mère, nul ne saura.
Elle est assise au seuil de la maison.
Elle regarde devant elle.
Moi, comme un coquillage avec Circé.
Circé batifole dans un champ de blé.
Et quand elle arriva au pied de l'arbre, elle dit :
« Regarde-moi. »
Alors je vois mon père au milieu des moutons,
mon père qui brille d'un regard dans le glaive,
tranchant l'histoire de part et d'autre
de celle qui est assise sur le seuil.
Elle me regarde pendant que Circé
d'un œil bleu module mon regard.
Celui qui approche,
un glaive étincelant au poignet,
dit : « Regarde-moi ».
Et elle a ri d'un rire de femme fatale.
L'homme a pleuré sur elle,
sur son corps de laine qui regarde celui qui joue avec le mouton,
et je dis :
« Ne t'en va pas, Circé ! »
car déjà elle s'envole au loin,
et ce cri me brûle le ventre,
mais elle me regarde toujours,
assise sur le seuil de la maison de mon père.
Elle a ri dans l'éclair du glaive.
Mon père a crié avec moi.
Ne t'en va pas, Circé, mais l'écume arrête mon cri.
Il se leva, mit le glaive à sa ceinture,
et le bouclier sur sa poitrine.
Il entre dans l'eau jusqu'au ventre,
et il prononce son nom.
Nulle réponse, car l'écume arrête son cri.
Nulle réponse. Circé marche au-delà de l'écume nacrée.
Me voilà de nouveau visité par le démon de la violence.
Je voudrais leur démolir le portrait.
Mais le moindre glacis me résiste.
Un à un, ou deux par deux,
mais l'enthousiasme ne dure pas,
ayant tous accepté la nécessité du secret.
Ils miment le sommeil aux yeux cernés de rouge,
et je traîne la savate
comme le meilleur des clichés en usage dans notre littérature.
Je me surprends à des pensées de ce genre :
leur culture ne me dominera pas.
Je serai plus fort que leur culture,
plus fort que le chômage,
plus fort que tous les ratages possibles.
Et maintenant, dans cet hôtel,
tu me dis que tu m'attendras dans le hall de l'hôtel le plus chic,
mais je n'ai pas de pognon,
je n'ai pas de famille,
je n'ai pas de filles,
bon dieu je n'ai pas de sexe à t'offrir
et tu me dis que tu m'aimes,
mais ça n'est rien moins
qu'un coup de revolver dans les entrailles de ma mère.
Mon copain dit qu'il n'a plus rien à espérer.
Mon copain est médiocre comme son apparence.
Il ne se suicidera pas.
Il boira.
Certes, il boira, mais il tuera si l'alcool ne le tue pas,
ou la morphine,
ou n'importe quelle idéologie.
Mon copain n'est pas un héros de poème épique.
Mon copain est une ordure dans un dépotoir sinistre.
Mon copain est un personnage secondaire
qui n'a pas la parole au moment crucial
— mon copain fréquente les bordels, chérie, les bordels —
comme si tu disais adieu aux voyages.
Tu ne pourras pas dormir ce soir.
Enyo — se régala d'un café-crème : « Au loin hurle la sirène... »
Ramplon « Bon sang ! Ce ne sera jamais que la première ».
Exhaussa la même.
Enyo — « Ton chant me crispe ».
Ramplon — consulte un énorme bouquin : donc vieux
« Voilà le cri de la mouette ».
Referma le livre.
« Jamais elle ne l'imitera pour moi ».
Enyo bousculant les tables « J'veux un'femme pour baiser ».
Batifola et passa une fille qu'il vit « Regarde mon escargot ».
La fille donnant le coup de cul « Conard ! va t'laver ! eh pioupiou ! »
« T'as vu ! t'as entendu ! »
S'assit de l'autre côté.
« M'a traité d'pioupiou ! »
Ramplon corna la page « Voilà un signe primordial ».
Enyo « Et nous buvons nos cafés crème ».
Se leva de nouveau, pantela vers là-bas
« La fièvre est abyssale ou n'est pas ».
Ramplon « La cohérence est un signe de déclin ».
Enyo la tête dans les mains
« Elle préfère toujours un cul-terreux ».
Alluma sa pipe « Pense à moi ou brûle mes yeux ».
Ramplon ricanant sur la page « Il faudra que j'y éternue ».
Enyo « Je me remplis le ventre de tes cris ».
Un cul terreux entrompa la fille.
« Il l'a fait ! l'a tronculée ! businée ! raminée ! »
S'agita sur sa chaise.
Ramplon déchira la page.
« Omnia quae sunt lumina sunt. »
Se remplit les poches de pages
« La raison est l'officine de la folie ».
Enyo branlant sur sa queue.
« Puis-je postuler au titre d'officier ? »
Ramplon « Rien n'interdit un certain rapport ».
Enyo « Je condamne le lucre ».
Ramplon empocha la reliure et bailla
« L'écriture est d'abord lucrative ».
Contempla le coït là-bas sur la table.
« L'amour, je veux dire l'acte sexuel,
est un point de rencontre absolu,
le métacentre de tous les ordres de vie. »
Enyo chercha le livre autour de lui
« Et du savoir ».
Fouilla dans la poche de Ramplon
« Du Savoir et de la Métaphysique ».
Ramplon balança un chapeau quelque part,
passa trois jours à réparer le mal orchestré en ces lieux.
Un général meurt-il dans son lit ?
Confucion de taille de guêpe.
Il tapagea à la place de l'orchestre même,
passez-moi le mot,
d'ordinaire il change avec la saison ou l'heure.
Ovide dit : tout principe est une dimension suffisante
pour recréer le temps ou confondre l'espace
— aussi introduis-je le Dieu très haut et tout puissant,
le Dieu de ma jeunesse,
ô ma jeunesse très haute et toute puissante,
ma jeunesse au pays des matamores
et des belles dames sans mercy au balcon,
quelque part dans l'endroit
le plus propre et le mieux éclairé du monde.
Et le soleil n'est pas plus beau à l'orient
quand je t'écoute me dire ton sens de la poésie,
toute nue quand je t'écoute,
nue comme les arbres qui ponctuent la route.
Kisthène ? Tu dis Kisthène ?
Non, pas à Kisthène, mais pas loin, oui, pas loin,
nue comme les taillis entre les arbres, à l'ombre de la ville.
Non ce n'est pas Kisthène, mais pas loin,
pas loin de Kisthène je crois.
Aussi nue que la moindre des fleurs
quand je l'effeuille une à une,
à l'ombre des grands murs de la ville.
Et je me souviens de ton pas
où j'inscrivais mon pas comme une lettre.
« Seigneur, j'ai beaucoup péché,
et j'ai gagné beaucoup d'argent.
Seigneur, j'ai tout ce qu'une femme peut souhaiter.
Seigneur je suis heureuse de la vie,
mais j'ai tant péché oh Seigneur ».
Ainsi le jour de ma première chaude-pisse
et les suivants.
Et cette moisissure agissant en moi,
dans toutes mes fibres au plus profond de moi.
C'était à Kisthène un jour de très grand vent.
C'était à Kisthène du temps de ma jeunesse,
et mon sexe était malade de la maladie de la femme.
Elle a beaucoup péché, Seigneur, tant péché ;
à peine plus âgée que moi
et déjà souillée par tous les péchés du monde.
Et mon copain se branlait quand je faisais l'amour,
et la maladie s'est ancrée au bout de mon sexe,
et mon copain utilisait des capotes anglaises
parce que sa religion lui interdisait le port du prépuce.
Et elle a pénétré en moi,
lentement sournoise,
et la médecine est efficace dans ce genre d'avatar,
mais la chaude-pisse ne guérit pas la maladie mentale,
ni les péchés de la femme.
Oh Seigneur, introïbo ad altare Dei,
près du Dieu qui réjouit ma jeunesse,
près du Dieu qui n'a pas manqué de réjouir ma jeunesse
— judica me. Et ne crains pas de te montrer cruelle.
Les deux versants de la même colline sous le même soleil,
un soleil de plomb,
et quelques types en mal d'aventures,
en conversation avec la nature et leur nature.
La lune ni œil ni trou pas même une bouche.
« Il a fait le ciel et la terre. »
Et ils comblent le silence avec pas mal d'esprit.
Puis la mer,
puis la mer aussi suave que ton souffle,
la mer contre la flamme qui secoue ton ombre
sur les murs de n'importe quel toit où tu n'es pas chez toi.
Ton ombre, une révolution aussi rapidement que possible
autour de la seule fleur digne d'intérêt,
une au bouquet dérobée sous les yeux qui te contemplent,
immobile dans l'armure de ton langage.
Et j'irai vers l'autel de Dieu.
À l'angle d'un pilier je reposerai,
la tête pleine de la mort
qui m'a ouvert la porte — ad vitam aeternam.
Tu seras la plus cruelle de toutes.
Les deux versants de la colline sous le soleil,
et toi descendant à l'ubac
entre les cadavres de tes moutons morts de la rosée du soir.
Et la lumière dans la pierre qui s'éternise,
et l'ombre en saillie de l'autre côté
d'où peut-être est né le seul arbre,
et une fleur butinée sur le versant ensoleillé de ta pourriture.
O que mes dents s'accrochent à tes dents,
et que mon cri parvienne jusqu'à toi.
L'usure a patiné la pierre de ton autel
beaucoup plus que les offrandes,
moins toutefois que la justice des hommes.
DIEU, comme au coquillage
où mon oreille absorbe l'éternité sonore
de la vague dans le corps abandonné d'une algue.
DIEU, et comme au creux de la main,
la respiration lointaine et la mémoire alambiquée
de ceux dont les reliques sont ici.
DIEU, grand reliquaire du désespoir,
Dieu fourmilière,
Dieu termitière,
Dieu ruche,
Dieu collecteur de prépuces,
Dieu bon et miséricordieux,
Dieu sturm und drang,
Dieu du fond de la nuit,
Dieu des voyages,
Dieu des tombes,
Dieu : la terre est une autre relique.
Dieu : l'air est encore une relique.
Dieu, et l'eau, et le feu.
Dieu des bons et des méchants sur cette terre
où je me sens unique parce que je suis solitaire
ou parce que j'ai un nom.
Dieu du sacré et de l'écrit sur cette terre
où je cultive le pouvoir et l'argent.
Dieu,
avec la guerre,
avec la douleur,
avec la mort,
avec la maladie,
avec l'infirmité,
avec la vieillesse,
Dieu aux quatre portes de l'univers et de la ville,
comme l'algue et la vague.
Dieu, et la mémoire alambiquée
de ceux dont les reliques sont ici,
sans nom, sans fleurs, sans visiteur, sans amour.
Dieu, ce sont les reliques des compagnons d'enfer,
un à un,
ou deux par deux,
ayant tous accepté la nécessité du secret,
avec quoi se meurt l'enthousiasme d'abord supposé.
Immédiatement après les jours,
les quatre portes du prince
qui sut si bien s'expliquer sur les raisons de son acte.
Dieu dans l'infini éternel univers,
et sur la plage d'Hendaye
j'ai écouté le cri de la mouette.
Ma voix contre les vagues sonores,
j'ai plagié le cri de la mouette sur les rochers.
Des coups de feu m'ont secoué le ventre.
La mouette s'affola.
Et de l'autre côté du bras de mer,
des coups de feu sur la place publique
venaient secouer le ventre que j'offrais à la poésie.
« Toi, tu mourras dans une arène sur la terre d'Espagne
en criant Vive le Roi.
Toi tu mourras dans la plus sordide des arènes
au Royaume d'Espagne en chantant Vive le Roi.
Toi, tu mourras dans la corne des taureaux espagnols
en te disant que le Roi
est la plus belle des choses qui te soit arrivé.
Moi, je mourrai au bout d'un infect fusil
avec lequel j'aurai pu tuer le Roi
si tu avais été mon frère
ou si je t'avais mis au monde :
confunden libertad y libertinaje ! »
Paradoxalement, quand ils passeront là,
en apparence,
tout en restaurant leur prestige,
paradoxalement, paradoxalement,
quand ils passeront là,
les sédentaires aux dents longues,
sur un mot à la mode « Je veux parler de la France ».
« Moi je parle du monde entier,
y compris les étoiles,
ceux qui se prennent pour tels ;
un monde mort. Est-il assez glacé ?
— Vous parlez de l'Église ou de la France ?
— Je vous dis que je parle du Grand Tout.
Vous êtes bien placé pour le savoir.
Vous êtes bien placé pour savoir ce qui vous chante,
et par quoi vous mourrez.
Prenez l'exemple d'Homère.
Un homme n'écrit bien sur la guerre que s'il est médecin.
N'écoutez pas les poètes de guerre,
ni les poètes de la résistance.
N'écoutez surtout pas les bouchers,
pas tant que vous ne l'avez située (la guerre)
dans votre mémoire (la tuerie).
Mais rien n'a encore été découvert pour mieux la posséder.
— Mais qui affirme la connaître ?
— Ça pourrait arriver.
Il y a un moment pour toute chose,
y compris la guerre.
Et si j'en fais une question de principe...
— Voyons ! Surtout pas ça. N'alertez personne.
Détruisez votre corps à défaut de détruire votre pensée.
Ou bien ne vous faites pas d'illusions.
Je vous sais de taille à vous défendre.
Mais n'utilisez pas la force de vos principes.
Prenez l'exemple d'Homère.
— C'est un montage que j'ai fait à votre intention.
Je ne cherche pas de travail.
Vous savez bien que non.
Et tous les espoirs douteux d'un Aragon, hein ?
Il fallait bien que tu en saches plus long.
Par exemple le regard le moins visible dans le groupe des Érynies. »
Nous nous connaissons depuis si longtemps, si longtemps.
Au cœur de nos problèmes,
quelques bouffées d'une cigarette involontaire
qu'on n'a pas le temps de se reprocher.
Ne parlons plus de ça, voulez-vous ?
Un train de nuit pris au carré de la voie sonore.
Le ballast immobile dans l'immobilité de l'ombre.
Quand ils passeront là,
une faille dans le personnage,
et nous ne répondrons pas de nous.
Deux pans rouges dans la nuit, immuables, sur un mot à la mode.
« Vous rappelez-vous la leçon d'un Pyrrhon ?
— On épluche vos origines,
l'origine de votre nom,
l'origine de votre corps,
l'origine de votre originalité,
probable quatrième siècle avant Jésus Christ,
sur un mot à la mode, une affiche sur le mur.
Nous voulons vous obliger à vous engager avec nous.
— Expliquez-moi l'homosexualité chez les militaires.
Tel est le paradoxe qui nous préoccupe ici.
Primo. Segundo. Je veux dire :
en premier lieu. Je veux dire :
en second lieu. Eut égard
à la visite discrète dans mes appartements —
il pleuvait ce jour-là ; ça ne vous dit rien ?
— Après l'attentat, après l'attention, après l'attente, après tout.
Un type écorchait les murs du regard.
C'est comme les noms qu'ils nous donnent.
Encore qu'on soit plusieurs à porter le même.
Des milliers peut-être.
Mais on arrive à se reconnaître
— je vous dis qu'il pleuvait —
— Votre nom n'est pas unique.
— Je salue tous les noms que je porte.
— Votre corps ne suffit pas,
pas même la couleur de votre peau, ni celle de vos yeux.
— Je salue l'arc-en-ciel humain.
— L'Histoire est la même pour tout le monde.
Cauchemar ou pas, continuez de dormir.
— Je salue ceux qui dorment déjà. »
Quand ils passeront là,
c'est quelque chose qui nous dépasse.
Ce n'est pas Dieu. C'est demain.
Aujourd'hui, non, je ne cherche pas de travail,
pas tant que ma mémoire ne l'aura pas située (la guerre)
dans votre mémoire (l'innommable tuerie).
Alors, pantins !
« Vous cherchez peut-être le moyen de vous en tirer.
Inutile, mon vieux.
Nous n'avons rien à vendre,
surtout pas nos musées.
Ils brûleront demain.
— Non, non ! Demain est un jour tranquille,
avec un soleil à l'aurore,
un soleil à midi, un soleil
qui se couche et une lune
qui se réveille. Demain
est une nuit sans histoire (sous-entendu sans cauchemar).
Je vous donne le sommeil et vous me le rendez.
Vous me rendrez le soleil et la lune.
Demain, et demain, et demain.
— Et si vous n'arrivez pas à vous endormir,
accusez votre femme, ou vos enfants.
Accusez votre sexe.
— Demain est un jour tranquille. »
Quand ils passeront là, avec l'espoir de revenir,
alors pantins ! demain
ils passeront là, avec leur musique,
avec leurs chants, leur ordre serré le long des murs.
Alors pantins ! demain est un jour béni entre les jours,
et si vous ne trouvez pas le sommeil,
cherchez-le dans les entrailles de votre femme.
Un rêve. Un choc. J'ai cru mourir dans mon sommeil.
J'ai tremblé pour la première fois.
Je dormais du même sommeil.
J'ai reconnu le casier à pilules sur le même comptoir
qui pourrait tenir des conversations entières,
et d'un bout à l'autre,
toutes les conversations se ressemblaient comme vous et moi.
Un à un, ou deux par deux,
comment leur enthousiasme aurait-il pu durer ?
Puis le mystère, le vide enfin.
Un tramway traversa le carrefour.
C'était vraiment une belle soirée pour se balader,
tranquillement seul en ce beau jour d'automne.
Enyo et moi vidions le magnum sacré,
quelques mots,
et cette sensation de liberté à fendre la foule de loin,
du guéridon où trônait le magnum sacré.
Plus tard, sur son lit de mort,
il m'avoua la vérité au sujet de son âge,
qu'il ne paraissait pas,
et qu'il avait plus de mille ans,
et qu'il était la réincarnation d'un disciple de Jésus,
et qu'il avait connu Napoléon au temps de sa splendeur,
et qu'il s'était chamaillé dans le désert
avec un poète au sujet du prix d'un pot à hydromel.
Il avait plus de mille ans.
Je ne connaissais pas cette vérité-là.
J'en connaissais une autre,
moins belle, beaucoup moins belle,
mais qui ne concernait pas son âge.
Et sur son lit de mort,
il avoua cette belle vérité,
avec des mots familiers qui m'allèrent droit au cœur.
Il y mêla beaucoup d'Hébreux que je ne compris pas.
Maintenant un tramway traverse le carrefour,
et je regarde l'église
où le prêtre a juré sur son cercueil qu'il ferait tout
pour qu'il nous revienne,
un de ces jours que dieu fait.
Il n'est pas revenu, il s'en faut.
Il a dû pourrir comme tous les morts.
Je n'aime pas parler de cette pourriture,
mais il faut en parler quelquefois.
Hemingway a écrit là-dessus une fort belle histoire naturelle de la mort.
Je ne suis pas seul à me souvenir de lui.
Il y a un tas de gens honnêtes qui se souviennent de sa folie,
et de ce qu'elle a coûté à la société.
Je ne suis pas seul mais je me sens seul,
si seul que je me crois fou,
mais la société n'en sait rien.
J'ai vu sa tombe.
J'ai pris le train,
puis l'autobus,
et j'ai continué à pied, comme un fou, jusqu'à sa tombe.
J'ai marché, j'ai vu ce qui lui arrivait.
J'ai songé à la pourriture de son corps.
J'ai vu les libations.
J'ai vu les témoignages.
Et j'ai remercié la pierre dure de m'avoir conduit
jusqu'ici sans trop de mal.
Quelques promeneurs m'ont tapé sur l'épaule, amicalement,
mais je n'ai pas pu mettre la main sur ce satané magnum sacré
— trait d'union de nos angoisses respectives.
Et puis un à un, et deux par deux,
ils m'ont dit que je devais être un brave type,
peut-être un poète, peut-être
mesdames messieurs mesdemoiselles ai-je pensé.
Je n'ai rien dit mais j'ai pensé.
J'ai pensé à mille ans de vie,
au voyage de Jésus-Christ dans l'Himalaya,
à Moscou en flammes, au désert,
au désert et à la vérité sans fin que je venais fleurir.
Cette mémoire sera toujours ta voix
au sommet de l'aurore qui appelle entre les arbres.
C'est ta voix à la pointe du jour
qui me nomme une dernière fois, une première éternité.
L'HIMALAYA, MOSCOU, le DÉSERT, mille.
Cette nuit je fête solitaire,
et la lune lampe-tempête au bout de la nuit, c'est noël.
Et demain, c'est Pâques.
Et après demain on va fêter nos morts avec des fleurs.
Plus de mille ans.
Ce jour-là, à Sainte-Quitterie,
il remarqua l'usure du sol,
et l'usure des boiseries,
l'usure de l'entrée à l'autel de Dieu,
et l'usure de la crypte où reposaient de lointains serviteurs.
Un autre jour, plus serein cette fois
(c'était il y a quelque temps déjà)
un autre jour il donna de l'argent à un pauvre,
de l'argent comme une rime au bout du vers,
après le rythme.
La lune à l'œil de pétrole lampant dans la nuit de Noël,
et le rêve atroce d'une destinée au bout d'un vers blanc,
après l'image.
Et demain c'est Pâques.
Et après demain on fleurira les morts dans chaque famille.
On aura des pensées pour nos morts.
Demain,
de l'usure de l'entrée à l'usure de l'hôtel de Dieu,
son pas sera tranquille avec la poésie de la ville.
Il n'y a plus de tramways comme dans les romans policiers.
Demain la ville sera pleine de poésie,
la poésie tremblante des jambes
qui se croisent dans les courants d'air,
de passant à passant,
et d'une passante à l'auréole d'un saint.
Je crois que j'ai pris un train en marche.
C'est tout ce que je crois.
Je crois aussi au meurtre.
« Je vous ai dit de me foutre le camp. »
Et h.d. replia son journal,
le déplia sous les yeux, puis le froissa,
et le balança sur le trottoir,
et elle se mit à rire,
et il leur demandait de foutre le camp,
et il s'amusait avec les journaux,
et elle riait, comme une femme sait rire
une nuit de noël,
et toute une année qui s'annonçait dans ce rire.
Un jour de Noël, puis la nuit.
« Comprenez-vous le sens de mon rêve maintenant, toubib ?
Comprenez-vous ce que je me suis dit dans le sommeil ?
— Surtout ne cherchez pas à me fausser compagnie.
— Demain est un jour idyllique.
Demain
tu connaîtras l'amour à l'ombre des rochers de ta mer.
Demain, quand ils passeront là, je serai là,
à contempler les diverses amours en question.
— Une culture hétéroclite qui sent comme les greniers.
Quelque chose de faussé. »
Une semblable attitude,
surtout à cause de cette rencontre
sur les boulevards extérieurs de la pensée
— un jour de pluie — préoccupé de conquête.
« La moitié d'un verre ?
— Pourquoi rejeter tout ça ?
C'est comme le progrès que fit faire Edison à la lumière.
Comme devant une œuvre d'art.
Mais perdre de vue les détails.
— La faille ? Les défauts ?
— Perdre de vue les moyens de l'achèvement.
— Inutile de vous dire que c'est
une question de temps, de circonstances.
— Oui, une simple question de rencontre avec le soleil.
— Impératif plus agréable encore
quand il s'agit de trinquer avec les crevures
qui mènent le peuple vers le soleil
dont je me fais fort de parler avec tant de chaleur.
— Ils se brûleront les ailes.
On ne vole pas impunément.
— Le plus long K.O. de l'histoire.
— Une belle fausse manœuvre. Et l'aurore.
— Il n'y a pas d'attente plus longue. »
Et moi, demain, j'arpente le bord de la mer.
Je touche l'écume du bout du pied.
J'ai faim de coquillages.
L'horizon m'épuise jusqu'à la cécité.
« Oh ! ils vous arracheront les yeux, les mots.
Ils sont parfaitement documentés. »
Je toucherai cette vague du bout du doigt,
et la vague me crève jusqu'à la surdité.
Je contemplerai n'importe quelle épave.
Ce n'est qu'une tache au fond de ma mémoire.
Et demain est un jour de calme et de beauté.
J'attends ce jour,
en attendant de trouver le sommeil et la mémoire.
Je suis loin de l'apparence.
La mer m'est plus douce,
plus chaude qu'une preuve d'amitié.
Je n'étage rien dans cette profondeur
rien dans la profonde sonorité de la mer.
Je suis carré, et je suis rond ( !) je suis triangle,
je suis géométrique.
Je suis la somme de toutes les vagues
dans cette profondeur qui s'est perdue.
Je suis une figure en formation,
en attendant d'être une relique au reliquaire ardent de l'oubli.
Et demain est un jour comme le sommeil.
Demain ne s'éveillera pas avec le soleil.
Je recommencerai ce que la mer a commencé.
Je rêve que je suis à Wagram.
Je suis à Midway.
Je suis à Suez.
Je suis à la guerre.
Je suis à l'aventure de tous les jours que Dieu fait.
Je suis à la recherche du sommeil,
de l'incalculable sommeil,
et cette nuit-là — j'ai rêvé quelque chose d'atroce,
quelque chose de fou, quelque chose de vain.
J'ai rêvé la fureur là où il n'y en avait pas.
J'ai rêvé la fureur dans
le corps de ceux qui étaient simples et doux.
J'ai rêvé mon erreur dans l'eau qui filtrait à travers mes poumons.
J'ai voulu me noyer dans l'eau la plus profonde
mais je n'ai pas vu la mer.
Elle n'existe pas.
Cette nuit ne me rappelle en rien la mer.
J'ai froid sur le balcon,
sous les étoiles que ma rétine a dévorées.
Et demain est un jour tranquille,
à l'aurore, au midi, à la fin, à
la lune peut-être que je cherche des yeux
maintenant. Demain est tranquille, loin, très loin au-delà du sommeil
que je ne trouve pas.
Le sommeil est comme la lune dans mon dos.
Demain, peut-être, je dormirai avec mon sommeil,
et j'aurai la visite de la lune dans mon lit.
Demain, derrière l'apparence de la mer et des troupes,
demain est un jour tranquille,
tranquille comme l'eau qui dort,
capable de tranquillité,
mais pas tant que votre mémoire refusera de me dire
quand ils passeront là.
Mais l'âge n'aura pas eu raison de votre sagacité,
et à Paris, elle voulait que je paye le prix de la solitude
et le prix de l'HUSTERA.
Mais votre esprit n'a pas besoin de convalescence.
Au moins le prix d'une époque,
le prix de la moindre publicité
et rien moins que ta mort.
Et je me souviens de ton pas
à l'ombre des grands murs de la ville.
De quelle ville me parlais-tu ?
C'était une ville fabuleuse.
Je n'en avais jamais entendu parler.
Je vois bien que tu inventes tous les détails.
« Oui, tous les détails. Et te v'là de r'tour.
Et c'est ta mère qui va être contente.
Ah il fallait bien que les choses se passassent ainsi.
Les choses ça oui les choses
et les mots n'ont pas été écrits pour rien
autre que ce moment délectable carcan carcan carcan
les choses mon fils les cho-oses
et c'te putain de mort à s'trimbaler toute la vie
c'te putain de vie à r'garder en face des trous
carcan carcan oui et te v'là fils c'est l'principal
c'est l'principal ça oui tout juste ! »
Alors les voix du dehors se sont tues,
et j'ai soudain volé beaucoup moins haut
parce que quelqu'un venait de crever
et que je voulais garder un bon souvenir de lui.
Et les voix du dehors se sont tues à jamais,
et jamais plus je ne recueillerai leur chant,
parce que quelqu'un venait de crever.
De l'autre côté du mur, on assassine.
On assassine et toi, tu n'as plus le droit de parler.
Et j'ai de sacrément bons souvenirs de ce temps-là.
Gorgias était prêt à s'exécuter.
« Ces fumiers-là sont capables de tout.
Ils ne la lâcheront jamais,
la poésie en question. »
L'avenue était donc plus noire,
les façades des maisons plus blanches,
les épaves plus grises que d'habitude,
et l'habitude manqua d'être efficace.
Je n'aime pas ces vivants contrastes.
Je frapperai à la première porte.
« Prenez l'exemple sur votre pote de tout à l'heure,
c'est à dire il n'y a pas si longtemps. »
La moindre idée arrêtée près de la porte de derrière.
Tuer d'un coup de revolver
le premier indigène qui se manifeste.
Mais dans la salle à manger de l'hôtel
ce jour-là, personne ne proteste,
pas même la grosse dondon qui sert la soupe.
Après, on est en train de jouer. On joue de l'argent.
Un coup d'œil dans le rétroviseur.
Personne ne proteste.
Mon pote de tout à l'heure n'est pas mon pote de demain.
Je ne savais pas à quel numéro appeler.
Il y a un tas de choses
que je devrais savoir et que j'ignore.
À quelle date eut lieu la représentation des Euménides d'Eschyle ?
Dans ma tête, seulement dans ma tête.
« Prenez l'exemple du pote
qui vous servait à boire tout à l'heure.
— Vous parlez d'un ami sincère,
pas d'une ordure,
mais je ne prendrai l'exemple sur personne.
Je ne prendrai son exemple à personne, surtout pas à un ami. »
Mais aucun d'eux ne leva le petit doigt.
en tout cas, cela va aussi mal que possible.
Dieu, répète-moi cette fameuse imitation du Cri de la Mouette,
cette fameuse nuit de Noël.
Il n'y a pas d'enseignes au néon.
Il n'y a pas de fenêtre.
Quelques vitrines restent éclairées.
Elles éclairent aussi.
Elles attirent.
Ces hommes sont comme des moustiques égarés.
Toi, tu es égaré comme une goutte de pluie après l'orage.
Un coup d'œil dans le rétroviseur.
Surtout, fais attention de ne pas bousculer
les pots de fleurs dans l'escalier.
« Ils veulent t'avoir à leur merci.
— Retrouver ces fumiers !
— Mais dis donc, où les retrouver sinon dans ce bordel ?
Chercher où ? Sinon dans ce bordel ?
— Si tu trouves quelque chose, essaye de m'appeler.
Si je ne suis pas là, téléphone chez ma mère.
Elle t'adore comme son propre fils.
Si ma mère n'est pas là, arrange-toi.
Et s'ils te trouvent, que Dieu ait pitié de ton âme. »
Et me revoilà au pied de l'autel de Dieu.
Aucune piste. Aucune piste.
J'aurais dû jurer mon horreur pour ce prix-là,
même au risque de me tromper.
« Des bouts d'empreintes.
— Ne pose pas tes pieds là !
— Des bouts d'empreintes sur un bout de quoi ?
— Par exemple la rampe d'escalier. »
La belle affaire que je fis, sur un bout de quoi ?
Et Zeus qui vient de détrôner Cronos.
« Chérie ? Te souvient-il
de la ville fabuleuse qui a nom Kisthène ?
T'en souvient-il, chérie ?
Ou quelque chose comme ça,
une ville fabuleuse qui a nom Kisthène ? »
À moins que tu exhausses le cœur jument tropique du capricorne.
À moins que... la saisir au cul.
Impensable de la part du type en question.
« Impensable, dit-il,
dans c'te fa, dans c'te famille,
on vote à gauche depuis des générations.
Ont connu la famine ! »
Et Sophros répéta : « Le peuple n'a pas de langage ».
Le peuple ne chante même plus
(j'lui laisse la ré-spon-sa-bi-li-té d'un tel propos).
Ou alors il est simplement question de converser avec les dieux.
« Ne t'instaure pas où les dieux ont bâti l'incroyance des hommes. »
Pas de langage. Pas même chanter.
Ni la poésie en tant que poésie c.a.d...
« Mais vous m'avez enfermé dans le cercle de votre mort,
et vous m'avez ôté l'envie de recommencer.
Et j'ai compris le désespoir de Pénélope
dans le grand lit qui lui servait d'oubli.
Et je n'ai pas oublié ce que votre mémoire m'a légué.
Je n'ai rien oublié de ce cauchemar sans nom.
Et voici que j'ai répandu mon sang par vanité.
C'est par vanité que j'ai osé défier les dieux.
— Pourquoi donc, lâche que tu es,
n'as-tu pas tué toi-même ce héros ?
Pourquoi est-ce une femme qui l'a tué ? »
Ah maudit sois-tu essaies au moins de te taire
c'est un père qui te parle essaie de croire
ce qu'un père te dit non pas que ça soit
la vérité loin de là mon fils loin
de là mais laisse-moi parler laisse-moi te
dire ces choses-là ne laisse pas passer cette
chance il y a une carcasse gelée et desséchée d'homme mon
père et nul n'a expliqué ce que cet homme
allait chercher à cet endroit Saint-Didier
plus haut que ça je n'ai pas oublié leur crêpe
blanc et noir mais quel feu aurait pu déranger ce soleil
qui n'éclaire aujourd'hui que leur cruauté
la même herbe retrouver sous le soleil
en été
le même ventre ouvert
une bonne fois pour toutes
la fresque de Francisco Réji
un jour après la porte à Foncaral
et ils avaient la manie de disperser leurs cendres dans les eaux du Grand Fleuve Purificateur
(entendez par-là que c'était le meilleur moyen de s'en débarrasser).
« Alors, mon père, mon chant concerne l'inégalité parmi les hommes. »
Mon père bénissez-moi, ô mon père bénissez-moi, bénissez-moi.
J'aurais voulu beaucoup pécher,
comme font les hommes,
mais je n'ai pas eu le temps de vivre comme les hommes de votre temps.
Oh le temps m'a manqué pour pécher.
Oh j'ai manqué d'être un homme.
Je n'ai pas eu l'orgueil oh mon père, comme l'ont tous ces hommes,
et je m'en repens amèrement, amèrement.
Mon cœur est rempli de tant d'amertume
parce que d'autres l'ont eu et l'ont fait savoir,
leur orgueil d'homme parmi les hommes.
Bénissez-moi, mon père, bénissez-moi.
J'aurais voulu m'enorgueillir,
mais je n'ai pas eu le temps de blesser quelqu'un
oh les mots m'ont manqué à ce moment-là.
Les mots m'ont manqué, quand tous les hommes les trouvent sans mal.
Je ne suis pas avare mon père,
comme sont les hommes, et je le regrette.
Je regrette de n'être pas un homme,
parce que l'or est un bien beau spectacle,
et l'homme un bien beau spectateur pour meubler la solitude,
mon père, pour meubler la solitude,
l'ennuyeuse solitude que ne supportent pas les hommes.
Bénissez-moi, mon père, bénissez-moi,
j'aurais voulu compter mes sous,
mais le temps m'a manqué pour tuer le temps
oh personne ne s'est langui de moi,
non personne, pas même les hommes.
Je n'ai jamais violé mes sœurs, mon père,
comme font les hommes, ni les sœurs de tes frères
et c'est dommage, dommage de n'être pas un homme,
parce que l'amour est triste à deux.
Deux à deux, c'est triste l'amour, mon père,
quand on n'est pas un homme,
quand la solitude est la bienvenue
et que les hommes sont si bien ensemble.
Bénissez-moi mon père. Mon père, bénissez-moi.
J'aurais voulu de cette fièvre-là,
mais il pleuvait, mon père, et je n'ai pas osé
oh j'ai manqué d'audace parce qu'elle m'aimait oui elle m'aimait.
Je n'ai envié personne, mon père, comme font les hommes,
pas même vous d'être si beau si pur, mon père, comme tous les hommes,
parce que la pureté est un défaut, mon père,
et la beauté une injustice.
Mon père, bénissez-moi, bénissez-moi.
Mon père, bénissez-moi, bénissez-moi, bénissez-moi.
J'ai tellement envie de vous,
de votre trône, de votre reine,
mais le soleil était si haut, mon père,
si haut oh si haut que le vent refusa,
et il s'est mis à pleuvoir,
et moi qui ne suis pas un homme,
jamais un mot plus haut que l'autre, mon père,
jamais, tant pis ! mon père, oh ça oui tant pis mon père,
parce que vous mériteriez ma colère,
ma colère et mes larmes de colère,
tant ma solitude est insupportable parmi les hommes.
Mon père oh mon père, je vous le demande :
votre bénédiction. Je ne suis pas un homme.
Ma langue fut toujours égale,
et le temps n'a pas voulu qu'elle change.
Oh personne n'a tenu sa parole,
non personne, pas même les hommes,
surtout pas les hommes.
Je ne suis pas gourmand, mon père, pas gourmand comme sont les hommes
et c'est bien triste, c'est triste à en mourir, triste triste,
mon père, n'être pas un homme,
parce que bientôt il ne restera plus rien pour s'endormir doucement,
plus rien mon père, pas même ça. Oh mon père !
Oh mon père ! Bénissez-moi, mon père, bénissez-moi, bénissez-moi.
Le sommeil va me lâcher dans la foule.
Oh je n'ai pas le goût des autres,
pas ce goût-là mon père.
Je n'ai pas ce goût divin.
Regardez mon travail.
Palpez-le comme je l'ai bâti.
Mon travail, ce n'est pas le travail des hommes,
mais quelle peine tout ce travail.
Quelle peine, mon père, et tout ce travail.
Tout ce travail qui ne fait pas de moi un homme,
parce qu'il ne vous fait pas souffrir,
mon père, parce que vous vous en foutez.
Vous qui êtes un homme, mon père,
bénissez-moi, bénissez-moi, bénissez-moi, bénissez-moi.
J'aurais voulu beaucoup pécher mais je n'ai pas eu le temps de vivre
oh le temps m'a manqué pour pécher.
Le temps, mon père, le temps, le temps m'a manqué.
O ma langue s'est enfin déchirée !
Dieu qu'il est doux de n'avoir plus de langue.
Oh je n'ai plus l'intégralité de ma langue,
et me v'là tout guilleret,
à l'idée qu'on ne m'entendra plus
et que je serais seul dans mes conversations, loin des hommes.
Ma langue s'est déchirée,
et je n'ai plus ce goût d'enfer dans ma bouche.
Proche des hommes,
oh je n'ai plus ce maudit goût.
Et me v'là pas capable de reconnaître un démon
à sa façon de me lécher la langue
et de s'étonner qu'il n'en reste plus beaucoup.
Loin des hommes, ma langue est une grande déchirure,
et ma bouche une flaque de sang,
comme un miroir
avec mon image dedans oh ma bouche est un sacré cratère.
Et me v'là à cracher du latin.
J'expulse un monceau de viscères
qui ne me serviront plus que de spectacle,
faute de latin, et de retenue.
Ma langue est un vieux souvenir du temps que je prenais la parole parmi les hommes
oh que je disais n'importe quoi.
Et me v'là plus muet qu'un muet,
à salement gesticuler autour de moi
pour signifier ma faim ma soif et ma fatigue,
loin des hommes.
Ma langue est un bouquin plus vieux que l'univers,
loin des hommes.
Dieu qu'il est doux de me lire dans ma langue,
dans la déchirure douloureuse de ma langue.
Oh qu'il est doux de ne plus rien comprendre.
Et me v'là ricanant
dans le dos de mon passé
parce qu'un objet n'a pas voulu se laisser manger
et a sorti ses crocs au bon moment.
Ma langue ne me traitera plus de poète.
Ma langue désormais saura se taire,
proche des hommes.
Oh rien ne manque à ma félicité.
Et me v'là à genoux au pied d'un arbre mort
à lui demander des nouvelles de la terre
et de l'eau qui a fini de l'absorber.
Et me v'là pas homme pour un rond,
o mon père. Mon père.
J'aurais tant voulu tant pécher,
mais je n'ai pas eu le temps de vivre.
Oh le temps m'a manqué pour pécher comme font les hommes
et il y aurait plus de mille fontaines de jouvence
à la portée du premier venu,
solitairement venu passer le temps dans cet endroit-là,
passer le temps avec des fuites dans les mots,
et tu boiras à la fontaine.
Dis, tu boiras le moment venu,
solitairement.
Il y aurait un tas de leurs longs élixirs
pour faire bander le peuple mécontent,
faute d'amour,
et tu boiras de leur vin,
dis, tu boiras, longuement solitaire.
Il y aurait au moins un bouquet de fleurs
que le plus con d'entre eux pourrait faner dans ses mains,
et tu boiras leurs larmes, dis,
tu boiras avec amour, avec amour solitairement venu là.
Il y aurait peut-être le plus beau des visages
à regarder de quel côté le vent tourne,
tourne de quel côté le vent ?
À regarder si tu es bien là,
solitairement grave et tu boiras dans son cœur, dis,
tu boiras de son eau.
Dans cet endroit solitaire où tu viens rêver,
il y aurait toute la gamme au doigt
qui l'invente et à l'œil qui l'évente,
et tu boiras de son eau, dis,
tu boiras de son eau.
Solitaire, et si grave, tu boiras
le moment venu, longuement, connement, avec amour,
tu boiras de l'eau, tu boiras de lo, solitaire oui,
mon père, mon pè-ère, l'eau, toute l'eau, toute l'eau.
Même demain, au jour tranquille, quand ils passeront là
avec des chapeaux sur la tête pour saluer le peuple
et demain, la Gloire, mon père, la Gloire me frappera en plein front.
Mais elle a ricoché !
S'est contentée de briser l'os du front !
de déchirer le peu de chair,
puis s'est allée perdre plus loin,
là-bas, dans le ventre d'un autre mort
sur un autre champ de bataille, dans un autre rêve enfin :
un rêve solitaire,
un rêve grave,
un rêve inhumain,
un rêve que j'étais à la guerre,
un rêve que je manquais de mourir,
mon père, un sale rêve dans l'enfance.
La gloire aurait pu me fracasser le crâne,
mon père, mais dieu ne l'a pas voulu,
et me v'là de retour parmi vous, guilleret.
J'ai une ridicule cicatrice au milieu du front,
comme une étoile mais ce n'est pas une étoile.
C'est un signe de ma défaite.
C'est un signe de mon manque de chance,
un signe de mon obscurité mon père ;
un signe enfin, le signe d'un sacré manque de chance.
Sacré, mon père, comme l'autel de Dieu.
La Gloire m'aurait creusé une tombe
pas loin du dernier champ de bataille,
pas loin des morts morts en bataille,
et elle aurait planté ma croix
et ma graine de poète, mon père.
Mais la tombe est occupée sans doute par une graine plus vivace.
Une graine qui poussera.
Une graine humaine.
Elle poussera la Gloire dans son néant
pour qu'elle couche avec les morts et qu'elle enfante le Désespoir.
Mon père, je mets ma majuscule à la Gloire,
j'en mets une au Désespoir.
Je n'en mets ni à dieu ni aux morts désormais.
Enfin je pèse le poids d'une majuscule.
Je pèse la moindre cicatrice,
mais je n'ai aucune idée, mon père,
non vraiment je n'ai aucune idée
de ce que peut peser ce qui n'a pas de nom
et qui en crèvera comme tout le monde crève,
solitaire, grave, inhumain, quand ils passeront là,
mon père quand ils passeront là.
Où est l'autel de dieu, mon père,
et ma jeunesse qui s'est foutue dedans ?
— j'étais un homme en ce temps-là —
Ma jeunesse, mon père,
avec son air de vieille fille qui n'a jamais fait le trottoir
parce que le cœur lui manquait ?
L'homme, où est son nom, mon père,
qu'on m'avait promis à la messe ?
dieu, il n'y a pas si longtemps,
quand il faisait le ciel et la terre
sur le claquement des doigts du prêtre
dans le ciboire où je n'ai pas demandé pardon de mes fautes
parce que je ne suis pas un homme,
priez pour moi. Priez pour moi, parce que je confesse,
et il vous pardonne. À.S.I. homme ou pas.
Où est le pardon ? Où est l'absolution ?
Où est la rémission ?
Je n'entends rien dans vos amen.
Et tu reviendras pour nous donner la vie,
et le peuple se réjouira,
les hommes avec les hommes,
heureux comme les hommes,
et tu nous feras voir ton amour,
et le peuple réclamera son salut,
et tu entendras ma prière,
et le cri du peuple parviendra jusqu'à toi et,
HOMME, je monterai sur l'autel,
et je le baiserai parce qu'il est sacré
— aufer a nobis.
Prends pitié ! Prends pitié !
Et Gloire à toi, car je vais prier.
« Mais je ne peux rien contre vous.
Et qui pourrait contre tant de lâcheté, tant d'ordre ?
— Ils ont de bonnes épouses.
Voilà ce qui les tirera toujours du pétrin.
De bonnes épouses aux larges hanches.
De bonnes épouses qui tiennent à ça
comme à la prunelle de leurs yeux,
comme leurs yeux sont éphémères !
— Mais puisque je vous dis
que je ne connais même pas
le goût de la chance,
puisque la collectivité le veut
et toutes sortes d'insanités de ce genre, pauvre Enyo !
Et pauvre de moi ! Je te plains
comme je plains toutes les vierges.
Je me plains d'avoir vieilli en 24 heures comme en dix ans. »
Une simple occasion, je vous dis.
Un mot de vous, toubib,
et j'abats le dernier mur.
Entendez-vous ? et B.A. Boxon
serait une maison hantée par les fantômes des filles
qui l'ont habitée et des mâles qui l'ont vécue
pour se trouver de la virilité.
Et toute l'œuvre d'un homme encore jeune
manquerait d'être éditée faute d'avoir trouvé un éditeur.
Je veux dire que l'angle est moins spirituel,
et votre analyse reposerait sur la fausseté d'un seul vers
que j'ai répété comme un refrain
tout au long de ce rêve exsangue,
et le prix serait toute la mort.
Toute la mort et rien que la mort,
et peut-être une morte
qui reste encore un peu autre chose qu'une pierre au jardin.
Et j'espère ne m'être pas trompé de porte,
toubib. J'espère ne m'être pas trompé.
Celui qui a compris peut me comprendre
quand je dis que je me sens frustré.
Volé, oui c'est cela : volé !
— J'admets que tout ceci correspond à la réalité.
Mais où cela mène-t-il ?
Je comprends le discours
et je reconnais que ma pensée s'en est trouvée sensiblement modifiée.
Même l'écriture y gagne de la poésie.
Mais sur quoi débouche cette réalité ?
Et pourquoi m'avoir forcé la main ?
— Je trépigne d'impatience,
mais je n'ai pas peur, et je n'espère rien.
— Triste allocution ! Pfff...
vous me faites froid dans le dos.
Citez-moi un passage d'Homère.
J'ai moi-même écrit un livre dans ma jeunesse.
Cela s'est mal terminé.
— Vous n'étiez pas fait pour écrire un livre.
— Toute la mort. Rien que ça mon vieux.
— Tout juste la mort, nous comme par la rotonde défilé,
ou par le chapitre XVIII de l'Apologie pour Hérodote d'H. Étienne (Henri)
« un détestable livre ».
Est-il un parmi nous occupé de reliure ?
O dieu de la géométrie.
Un livre est toujours détestable.
Des lions dorés demandant grâce aux Tueurs de Loups.
L'angle est moins spirituel vu de près.
I's'peut qu'on m'pardonne.
Et l'idée qu'on a de soi-même.
N'essayez pas de rabaisser notre sincérité.
N'essayez pas d'éclairer notre obscurité.
N'essayez rien contre nous
avant d'avoir acquis la certitude de votre savoir.
*
J'ai revu la fresque de Francisco Reji, par José del Olmo.
J'veux dire : ce 3O Juin 1680.
Grandiose cérémonie.
Une estrade de cinquante pieds de long sur la Plaza Mayor à Madrid.
Et le Roi au balcon, et le roi au balcon.
D'un côté, l'Oficio,
et de l'autre les Cortes, et de l'autre les Cortes.
Divers degrés dominés par le dais.
La tribune du Suprema plus haute même que le balcon.
Un amphithéâtre réservé aux condamnés, aux condamnés.
Un mois après l'Acte de Foi,
la procession ouverte à Santa María,
un mois après l'Acte de Foi.
Et défilent dans le cortège
cent Carboneros, piques et mousquets, et le bois.
Cent Carboneros.
Les Dominicains derrière une croix blanche,
les dominicains.
Le Duc de Medina-Celi,
bannière de la justice au cœur,
croix verte nouée de crêpe noir, justice au cœur.
Grands et Familiers.
Et le Marquis de Povar à la tête de cinquante gardes blancs et noirs,
cinquante gardes,
passèrent devant le Palais,
et se rendirent sur la Plaza, sur la Plaza.
Psaumes et messes de l'aube à six heures,
de l'aube à six heures.
Et à sept, le Roi s'amène avec cortège de qualité,
muses modernes, le Roi s'amène.
Et à huit, la procession s'ébranle de nouveau, à huit.
Et ils déposeront diverses effigies
à l'une des extrémités de l'amphithéâtre,
diverses effigies. Statues de cartons pour les morts,
grandeur nature,
portées en cendres dans des vases ornés de flammes,
et de divers proscrits en fuite,
grandeur nature. Vinrent ensuite
douze hommes et femmes,
corde au cou, torche à la main,
bonnets de carton hauts de trois pieds figurant les crimes, douze.
Cinquante autres brandissant des torches,
san-benito et croix de Saint-Didier,
deo datus, cinquante. Puis vingt encore,
récidivistes des deux sexes,
condamnés aux flammes,
san-benito et bonnets diables et feux, vingt.
Et à midi, lecture fut donnée aux criminels de la sentence,
jusqu'à neuf heures du soir.
Et alors le Roi se retira, le Roi se retira.
Et juchés sur des ânes,
ils franchirent Foncaral, et à minuit,
il n'en restait plus un, tous exécutés.
*
« À toi d'abord, Io,
je révélerai tes courses agitées.
Inscris-les dans les fidèles tablettes de ta mémoire.
Quand tu auras traversé le courant
qui sert de limites aux continents,
marche vers le lever flamboyant du soleil.
Après avoir traversé la mer mugissante,
tu arriveras aux plaines gorgonéénnes de Kisthene.
Kisthene où habitent les Phoskides,
trois vierges antiques au corps de cygne.
Elles n'ont pour leur triple usage qu'un seul œil,
qu'une seule dent.
Elles ne voient jamais les rayons du soleil,
ni l'astre de la nuit,
jamais.
Près d'elles sont trois sœurs ailées à la toison de serpents,
abhorrées des mortels,
qu'aucun homme ne peut voir sans expirer.
Voilà des monstres dont je te recommande de te garder. »
*
Et toute la boue répandue sur tes filles.
Toute la pureté dans la boue de ta rêverie.
Et la chance qui a tourné avec le vent.
Tu paieras tout ceci.
Tu paieras l'heure venue.
Tu paieras le prix, le juste prix.
Tu retourneras à la pureté.
ars magna e poi la luna
et tu crois pas qu'c'est une vraie girouette
têtu comme une mule quoi têtu comme une mule
t'as c't'idée orientale de l'argent
Ainsi le sénateur Bankead
Das Siegel des Vehm — Gerichts
par exemple le vieil E.P. dans sa cage à Pise
Ainsi n'importe qui poète au chômage
le Caractère Écrit chinois athanor
ce qu'en dit Ginsberg peut-être au moment de la guerre du Viet Nam
« ça leur pendait au nez »
grande Usure
le point crucial de cette guerre
et les grèves qui eurent lieu peu après paratge
et les partis utilisant n'importe quel prétexte
qui se solde par un échec de la vie devant la mort
de la vie devant la mort
à la fin c'est comme ça que je résume les choses
le poème de Blake au sujet de l'enfer il inferno
c'était écrit et l'occident répond
ou ce même Dante le nez dans l'alchimie du verbe
n'importe quelle loi martiale
n'importe quelle raison d'État
et la Démocratie qui fout le camp sauf l'honneur
les mêmes putains de la rue Quincampoix
et la tirelire de ce foutu Pinet
parce que l'enfer se fout de la Déclaration des Droits de l'Homme
et ce qu'on va chercher là-bas ne se cuisine pas
sur le réchaud d'un foutu président qui se prend pour la République
où en était Tulli de son periplum
quel était au juste ce sacré combustible ?
« ils croient pouvoir faire de la politique avec des hommes »
mais ce qui est possible n'est pas une simple migraine
un poème est possible
mais surtout pas les CANTOS
et Pound est impossible
et tous les poètes s'en mordent les doigts
ce qu'en dit Kafka
dont personne ne m'empêchera de dire qu'il était génial parce qu'il était juif
de même Kafka je veux dire un autre Kafka Franz
qui écrivait en allemand sans doute parce que ça lui chantait
et le Duce a faussé les choses parce qu'il aimait le pouvoir
et l'ordre était un rêve d'homme cultivé
mais la radio n'en a rien dit
ou simplement se souvenir que le meilleur idéogramme n'est pas celui qu'on croit
et SAINT-ELISABETH n'est jamais qu'un H.P.
un sale H.P. avec des murs de sale H.P.
et de hautes trahisons aux fenêtres barreaudées
et le meilleur idéogramme est bien celui qu'on voit et qu'on touche du doigt
ouais qu'on touche du doigt
MELOPŒIA air et eau e poi la luna
une lune aux joues bien rondes sur Taishan
toujours dans le même hôpital
ou un peu avant sous Taishan
short airfield for technical support D.T.C. de Pise
sats and sats attock in the Devil's heart
ce qui chante n'est pas un bruit de char sur la route
ce qui chante n'a jamais été du métal contre de l'asphalte
ce qui chante c'est le souci de ne pas se rouiller
dans un espace aussi réduit et dans un temps aussi long
« je m'éveille oui bon dieu je m'éveille ô gnose »
the duce not lover of power but of order
et il nous reste quelque chose qui doit être l'enfer de l'homme d'aujourd'hui
avec son besoin de purgatoire et ses rêves de paradis
sous Taishan ou n'importe quelle histoire
au fin fond presque au bout du chemin de Dité
et si un char est doué pour la musique hein un char ?
mais la radio ne dit pas le contraire
la radio se contente de poser des questions
et chacun défend son lopin de terre
chacun défend le temps passé à cultiver la prospérité de sa terre
au détriment des oiseaux de passage
et le soleil aussi comme un rappel de quelque chose
qui doit être très haut
mais le peuple le comprend comme une source d'énergie
ou comme une idole
dont quelques-uns sont les prêtres
alors que le soleil exige une guerre
et qu'on lui obéisse
ou qu'un prêtre profite d'une éclipse pour crier au vol
la différence n'affecte que les peintres
et un char est un bon musicien
ou tout au moins un mélomane
et les poètes de sonores gamelles
sur les murs de la Sixtine
sur le chemin de Dité
le type qui montre son cul est sur le point de tomber
et il y a de quoi se tordre de rire
mais ça doit être un effet secondaire du silence
et je ne peux pas m'empêcher de rire
c'est plus fort que moi
mais toute la fresque ne me tombera pas sur la tête
et c'était là-bas sous Taishan
peut-être un simple rapport jour après jour
de six semaines passées entre l'océan et le ciel
à bourlinguer après soixante années d'une vie dont les banques n'ont pas voulu
entre un nègre qui a violé Miss Monde
et un juif qui s'en est délecté
mais les interférences ont manipulé tous les circuits
et il n'est plus possible de savoir
si les diverses radios des divers mondes ont émis ce jour-là
et un vieil homme a regardé la terre et vu le feu qui la dévorait
et sa barque était taillée dans le même métal
qui est resté ancré dans la peau de toutes les routes de communications
PHANOPŒIA terre et feu
dans le même hôpital (section Rock-Drill)
et le même D.T.C.
sats sats sats creeps in this pity pace from day to day to the last syllable
la dernière syllabe muette d'être une simple image
un vieil homme qui s'escrime
et treize ans au-dessus de sa tête
juste le temps d'un maître à Florence
parce qu'on n'a pas trouvé autre chose
parce qu'il n'y avait rien d'autre sous notre main
de même Ben et la Clara a Milano
par les talons à Milan
parce qu'il n'y a pas de guerres justes
et que la fin de toute guerre est un troc
le désespoir contre une patrie
n'importe quelle patrie pourvu qu'on ait l'espoir qu'elle dure longtemps
avec des crève-cœur pour stigmatiser
et des bateaux de blés dans le port de Bordeaux
pour recréer l'économie contra naturam contra naturam o eleusis
et ils ont bien amené toutes les putains
et un tas d'ouvriers se sont laissés payés
et un tas d'autres se sont retrouvés sur le trottoir
à mendier au profit des démocrates
et toutes les publicités sur les murs
sont le seul moyen de communication
entre les patriotes vendeurs et les patriotes acheteurs
tout autre langage est rayé dans la pensée
et le fait d'être patriote se résume à un contrat de travail
à une promesse de vente ou à la perspective d'un héritage
et le meilleur mariage entre un homme et un pays
n'est jamais qu'un contrat entre deux parties
et comme l'église n'a pas perdu le contrôle de Dieu
l'état tient la patrie entre ses mains
et tout homme qui a sa propre idée et sur dieu et sur son devoir
est un homme fichu si son dieu est simplement un dieu
et son devoir partout et nulle part à la fois
parce que toute image est un principe fixe
entre le visible et l'occulte
et qu'il n'y a personne pour chanter
Parce que les moyens de sublimer l'image entre le visible et l'occulte
manquent à tout homme que personne n'écoute
LOGOPŒIA gemme et rien n'a changé
l'homme est toujours mal construit
et le jugement de dieu plus vivant que jamais
et les chefs-d'œuvre sont des best-sellers
et le marché se porte bien avec la bénédiction des syndicats
rien n'a changé mais surtout pas l'esprit des minnesängers
sauf que les choses ont vieilli
et notre patrie-moine culturelle plus que tout autre chose
vêtue de noir à Saint-Estelle
tout a vieilli et quelques uns sont morts
par exemple le vieil E.P. dans sa retraite à Rappalo
de la mort naturelle
assassiné par la nature
frères humains
et la res publica toujours debout avec ses exemples de morts naturelles
une pagaille d'exemples à la porte des palais de justice
et notre foutue justice d'homme sortis de la guerre
comme aux forceps
avec des blessures plein la tête
et des souvenirs dans toutes les mains
et des deuils dans tous les regards
et des trocs toujours les mêmes
la haute trahison contre l'internement psychiatrique
ou la potence dans les cas les plus spectaculaires
« et vous croyez qu'un fils peut oublier que vous avez été des chiens
et vous croyez qu'un fils peut obéir à des chiens
je parle pour toi capitaine et pour toi ministre professeur
je parle de tous les chiens qui ont fait la loi
quand elle s'est mise de leur côté
je parle de tous les chiens qui ont fait justice
quand l'injustice était crevée
je parle de tous les chiens qui font la morale et les monuments nationaux
je parle sans savoir d'une douleur insoutenable
mais je parle en connaissance de cause
pour nier votre justice et votre savoir
je parle de cette douleur parce que vous me l'avez léguée
et que c'est votre meilleur argument
quand il aurait fallu vomir d'horreur
vomir comme un homme peut vomir
vomir comme le désespoir fait vomir
vomir d'horreur et d'indignation
qu'un homme ait pu se tromper avec autant de sincérité
avec autant d'esprit
claritas et sinceritas
non pas coupable de haute trahison
mais usé jusqu'à la moelle de ses os
comme tout homme l'était à ce moment-là
ceux qui étaient du bon côté comme les autres
au moment où l'on pouvait saisir la chance
de faire crever le capitalisme dans sa boue
et le prétexte patriotique est le meilleur moyen de camoufler la vérité
surtout quand elle s'est fichue dedans
avec toutes ses tripes
et le diable de Rome a des souvenirs plein la tête
et quelqu'un peut-il dire ce qu'il reste du paratge
la guerre est finie
ils ont mis fin à la guerre de leur propre gré
et personne n'en est sorti
de ceux qui voulaient abolir le pouvoir de l'argent
en lui opposant le pouvoir de l'utopie
mais ils ont payé pour une faute qu'ils n'avaient pas commise
quelle que soit leur erreur voire leur cruauté
c'était une injustice d'avoir troqué le péché d'utopie
contre le péché de haute trahison
c'était une injustice d'avoir frauduleusement changé
le langage qui était en question
pour le monnayer
afin que chacun possédât un paradis peint au mur de l'église
et que la laine se vendit au meilleur prix
pour le bien du plus pauvre et la fortune du dessus du panier
et le paysan dit que le pauvre bougre s'est égaré
vous n'avez eu qu'une petite pensée à l'échelle de toute nation
qui ne pèse rien dans la pensée d'un poète
et tout son poids au moment de marchander la liberté »
et l'exemple du vieil E.P. dans sa cage à Pise
n'est plus qu'une anecdote
quand c'était le moment d'une pensée à l'échelle humaine
aussi bien que Mane
la Matière Première Cinabre Gelassenheit
toujours la confusion entre forme et éthique
sur quoi repose l'esprit d'une nation
et la cruelle absurdité de la Déclaration des Droits de l'Homme
et des nations qui se cachent derrière
la matière première est un enfer bien mérité
et j'crois bien que l'trismégiste est descendu sur la terre
pour répandre la pierre dans le sable de l'arène
telle les anciens l'ont prouvée
et telle aussi je l'ai trouvée ikhtiss
et que ceux qui n'ont rien à dire aient l'honnêteté de se taire
tel Iésous en Finisterre
Lequel mangea la cervelle de son fils à c'qui paraît
à c'qui paraît
Qui repose sous cette terre
toute cette profondeur s'est perdue maintenant
Mais ce qui pouvait paraître une bonne nouvelle
qu'était-ce donc
— à moins que —
ce qui est tout et ce qui ne l'est pas
Alors nous eûmes de longs jours de paix QU ?
la chance était de notre côté
j'crois qu'c'est parce que nous avons souri aux dieux
toujours présente de quelques destinataires
Ulysse a lâché le premier sourire
(m'est avis qu'Calypso était une sacrée putain du
type de celle qui piaulait á l'étage in memoriam)
Note :
tel est le laminoir
c'est là qu'il est destiné à aller
lors de notre rencontre avec le passé
j'veux dire : au moins cette bourse-là
Qui a vécu sous cette terre ?
Oui, ils savent que nous attendrons
c-à-d une bonne traduction est une création de l'esprit
au moins cela autant que :
so that the circuit seemed hardly to rise
lorsque nous eûmes effleuré le ventre d'une sirène
non qu'elle chantât pour nous charmer aut delectet
c'était aussi un grand type
où est le pouvoir
Mais Athéna guidait les traits
What might have been and what have been
un temps futur au premier coup d'œil
ce qu'annonce le printemps avec l'hirondelle
Pardon de te marchander mon offrande /
comment voulez-vous que l'on publie honnêtement
je sais bien tout ce qu'on peut dire honnêtement
ce que le peuple ne comprend pas
placandis narcissae manibus
Alors vous pouvez éviter la maladie en bouffant de l'oignon cru dans du lait
le goût que peut avoir ce qui est à l'image de l'esprit
But holy Saltmartin why can't you beat time
mais qui croira qu'il se sera contenté d'un boudin
the blue banded lake under aether
a u m
de sorte que ce qui est le plus parfaitement signifié
n'est pas le bassinet à crachats
du temps d'une plus parfaite conception orphique du monde
du monde
toute une vie allait être étouffée sans bruit
ego // sum pero fui
avant au moins un champ de bataille
où ce sont tes fils qui crèvent et pourrissent
Lumière !... ou toi la mort
exhausse l'idée moins que ta perversité
ah ça j'ai idée qu'ça dur'ra pas au-delà de la valeur d'un ticket
n'importe quel ticket
beginning with the simplest things
où est l'erreur par quoi on meurt
sinon dans l'orgueil mesurable des poètes
et la lâcheté du reste du monde
quatre(s)
je dis lâcheté et orgueil
C'est-à-dire un manque de culture
/ le sens de la grandeur /
Dis donc t'as appris à lire toi ?
1 à l'école
oué des lettres de dénonciations tout au plus
et la qui traîne avec sa rame sur l'épaule
2 digelp on a oublié de l'enterrer cestui-là
c'est Zeus qui va pas être content !
Mais qu'est-ce qu'un Dieu qui pique une colère
3 même un spectre qui vient te hanter
la cervelle a un goût de noisette
c'est tout
le suprême degré de la sagesse était d'avoir des rêves
4 appris à compter aussi et pas sur les doigts
pas seulement sur les doigts
j'veux dire même
même que j'peux compter mes mots /
pourquoi m'avez-vous laissé seul
mais ce qui a quelque importance ici-bas n'est pas mesurable
(quandbienmêmeilyauraitungrandcomptable)
sauf nos jours pour ceux qui restent
HUSTERA
et la gaucherie qu'on met à bifurquer devant un miroir
pas de place pour les oisifs en son royaume
le peuple a ses poètes mesurés
les poètes ont leurs princes immesurables
ego // fui non sum
ainsi parle le sang
la sensation de la certitude de l'impossible
la sens. /
ce que la Bible manque de dire
blind as a bat
Les poètes n'ont pas d'étoile au front
n'importe qui qui crève la faim n'a pas d'étoile sur le front
la blancheur que te confère la peur de crever
sans qu'un qui pourrait être ton ami
ton ami
t'entende pousser une chanson mémorable
as a poor player
tu n'auras bouffé que la cervelle d'un fils
ça je crois que tu l'as avalée sans un mot aimable
pour celle que tu as tuée
au moins les crucifixions se vendent cher
out out brief candle !
et même si le poète joue avec les mots
non qu'il s'amuse
il est ce qu'il est
il ne s'est pas nommé pour faire pleurer les ...
me flatte pas
Sophros surtout ne flatte pas ce qui est de l'esprit
j'crois qu'il est temps de semer la panique dit H.D.
partout où le travail donne droit à la propriété
— ces yeux dans lesquels le sort voulait —
tu as tué celle que tu aimas
tu as tué ce qui te restait de beau
tu as tué l'amour en cédant à la tentation
les temps ne sont plus le présent mémorable
ne flatte rien qui soit de l'esprit
simplement dire que l'art n'est plus populaire
I parce que le peuple est inventé de toutes pièces
II par une classe qui s'est inventé un royaume
III où le poète est la somme dictionnaire + grammaire
battre les morts sur leur propre terrain
ça doit avoir l'apparence d'une odeur
j'pense à la terre humide par la pluie que le soleil triture à travers les feuillages
l'odeur d'un pelage
ou l'écorce d'un olivier noir et blanc
mais c'est vrai que l'homme a une odeur
c'est vrai que l'odeur de la femme est différente
ah c'est vrai môme d'acier
et te v'là pas foutu de mettre un nom sur ces putains de visages
à croire qu'ils pourraient à la limite n'avoir pas de nom
c'est à dire pas de famille
où est la raison de l'erreur
et p't'être le fils de personne
entre les diverses écumes des diverses mers qui ont peuplé le monde
plé le monde
AH baise-le Circé
le laisse pas se tirer
hic cubat edilis
et v'là le cercle qui se referme sur ce qui ne peut-être qu'un poème de circonstance
errare
qu'est-ce qui reste du voyage
tels H.C.E.
c-à-d du B.A.Boxon (la bouteille ancrée) et du Blues à venir
cymbalum mundi et alp
lequel se s'ra fait piquer le grand livre du destin
par deux pendards lesquels ont roulé un dieu
ya pas d'quoi être fier
pas même écraser son orgueil sous le talon
manque de chance
pas forcément d'argent
simplement avoir dérouté la chance à cause de trop de clarté
tandis que nous ne parviendrons pas à dormir
ce qui manque n'est pas la pierre
ce qui manque n'est pas la maison
trop de clarté nuit dans une certaine mesure
je ne dis pas l'honnêteté
je dis la clarté
peut-être le fait de savoir
ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas
ce qui est autre chose que de la pureté
pas même la charité
savoir doser le charme
le moment d'un charme
au chant qui pourrait être lu et compris dans son intégrité
ce qui manque n'est pas encore l'amour
ce qui manque a-t-il toujours manqué ?
Manes !
manes was tanned and stuffed
chaque temps est retourné à sa place dans l'espace
tache
le passé est le passé
le présent est le présent
le futur sera le futur
ce qui manque manquera-t-il toujours ?
to have and have not
et j'ai touché l'épaule de Circé
et c'est à ce moment-là qu'il est tombé en poussant un grand hic
il s'est flanqué au bas de la tour
il s'est cassé le coup sur la pierre
et il était temps de mettre les voiles
et sa charogne a pourri au soleil
et la mer nous a portés sur les côtes kimmériennes
et les morts nous ont hantés
et il fallait que je dresse son aviron sur sa tombe en signe de reconnaissance
car je peux dire qu'il a été un bon pilote
mais la chance n'a pas voulu
la chance voudra-t-elle un jour
la chance a-t-elle au moins une chance
hush caution echoland
me reconnaîtra-t-elle
Homère et J.C. OV 19..
Scène première
Fausto
Sur la muraille, la nuit. Une sentinelle : Fausto.
FAUSTO
I
Mes poumons ! Je les hais, de rire
Pleins des froids brouillards automnaux
Par quoi détale le satyre.
Et seul j'arpente des créneaux
De pierres chaînées, tours très hautes
Dans mon crâne, fou par les fautes
Enfants, et par le repentir
Qui reparaît, fou d'en découdre
Avec le mal fané, la foudre
S'enracinant dans un soupir.
II
Au paratonnerre éclabousse
De feux vibrants, poitrine d'or !
Et cependant le cri s'émousse,
Éclat trembleur qui rompt le corps.
Le soleil en son anse couche
Proche qu'est la nuit, et la louche
Flamme qui s'éteint veille au soir,
À peine vue ! toute la force
Ancrée aux monts, creusant le torse
Rêveur qui verse dans le noir.
III
Gardien, je dors, ayant bu, l'âme
Rompue, membres brisés, gardien.
Et je couche auprès d'une femme
Interdite, et si douce. O bien
Des fois la femme se déchaîne,
Brise le vin, répand ma peine
Sur les dalles, d'un coup s'en va
Comme un jeu de l'esprit s'épanche.
Folle vision ! Gardien, la hanche
Sûre, le sein haut, ventre las.
IV
Flatte le ventre de ma cruche
O ma main, plutôt que d'armer
Le sommeil inquiet de la ruche.
Ma main, tu as le droit d'aimer
Le vin, les femmes et l'espace
Crevé, et la lune à la place
Du soleil. Bas salaire, o nuit !
Le vin a la couleur des pierres
Que j'entoure, mortier et lierres
S'étreignant comme ciel de lit.
V
Et je bois le vin que je paye,
Monologue morose, épars
Avec le peu de mots que veille
Ma conscience, comme les fards
De ta peau, traits, couleurs et taches,
Maigre trésor, trésor ! Tu caches
Le reste, et quel reste o amour !
Cœur sentinelle et la plus belle
Récompense me vient d'elle,
Charmeuse au sommet de mes tours.
VI
Je me penche, profonde terre,
Dans les profondeurs de la nuit.
Mes mains s'accrochent à la pierre
Et je ne vois pas, sombre puits
À mes pieds, loin de moi la source.
Sûr du contenu de ma bourse,
Je m'étire et m'aveugle, col
Tendu. Je mesure le vide
Réel dont je suis tant avide,
Moins toutefois que d'alcohol.
VII
Car toi, Alcool, Dieu d'étranges
Phénomènes dont je suis fou,
Quitte ou double reflet, toi l'ange
Ou le démon, dieu à tout coup,
Je te bois sans laisser de trace.
Ni vu, ni connu, pas de place
Pour le châtiment. Fou de Dieu
Que je suis, idole pansue !
Ce qui est bu est bu, foutue
Existence, amer repos, feu !
Il fait feu de son arme. Il s'affole.
VIII
J'ai tué un hibou ! l'alarme
J'ai donnée ! Je serais châtié !
Mais non. J'ai rêvé. C'est le charme
D'un incube ce soir. Allé
A la rencontre pour descendre
Aux enfers une fois, des cendres
Plein la bouche, et non pas le vin
Que je croyais boire sans peine.
J'ai tenu sa main dans la mienne.
Chaude, elle annonce le matin.
Entre Marie-Pipi la sorcière, belle et laide.
Scène II
Fausto, Marie-Pipi
MARIE-PIPI
IX
Suis-moi, soldat, ne te retourne
Pas. Suis mes pas, soldat, pareil
À mon ombre, viens qu'il t'enfourne.
Laisse les tours à leur sommeil
Et leur sommeil à leurs prières.
Je t'amène vers d'autres terres.
Les arbres poussent de travers
Quand le vent le veut, o démence !
Et si la mer se recommence,
Les fleuves coulent à l'envers.
FAUSTO
X
Je te tiens bien, o stryge, o anse,
Idole de terre et d'émail !
Autel sans tête ! Allègre panse !
Bouche brûlante ! Ardent sérail !
Je vole ! et le ciel se déroule
Comme une histoire, avec la foule
Des héros et des traîtres, pieds
Fourchus et poitrines sanglantes !
MARIE-PIPI
Encore un peu, soldat ! Attente
À ce jour qui vient t'éclairer.
Elle sort.
Scène III
Fausto
FAUSTO
XI
Malheur ! Malheur à toi, sorcière !
Je ne suis pas soldat pour rien.
Je connais les armes, arrière !
Arrière ! t'ai-je dit, ou bien
Je tire !
Il s'arrête, surpris.
Tirer ? Quelle bourde
Encore ! à cause d'une gourde
Que j'ai de la peine à vider.
Calme. Ferme les yeux, et pense
Au soleil. Et la lune avance
Son visage pour te baiser.
XII
Geins, ma douloureuse poitrine !
Emplis la nuit de ta douleur
Et de mon mal. Qu'elle patine
Jusqu'à la mort mon sang rêveur.
Ici bas, je rêve d'usure
Par dérision. Morose allure,
Manque de génie à coup sûr,
En quoi je suis la sentinelle
Et non le trésor, éternelle
Patrouille dans un sang impur.
XIII
Pleure, incolore poumon, pleure
En moi, et si l'air est glacial,
Bois. Mon vin est toujours à l'heure
Du feu en soi, o infernal
Vertige de l'oubli, je tombe !
Pour rompre le verre, une tombe
Qui vole en éclats aux beffrois
Se mêle, en silence m'isole
Jusqu'au matin, et pierre immole
La chair impie sur une croix.
XIV
Je m'évanouis, o ténèbres !
La bouche sur la terre, en sang,
Ayant rompu quelle vertèbre
À quoi tient la vie. Et je sens
Qu'on m'absorbe, goutte après goutte.
Fluidifié, je m'arqueboute,
Mais l'os est brisé à jamais.
Telle est la vie : morose usure
Ou irréparable brisure.
Et je n'ai pas le vin mauvais.
XV
Demain, en ciselant la stèle,
Le sonore burin dira
Ma vie, bref, peut-être rappelle
Un penchant, soif de l'au-delà !
Et une femme pleure à l'angle
De la pierre, dernier rectangle,
Excepté que ce sont des fleurs
Qui l'occupent, baume et figure
Mais à ses larmes. L'augure
Tel, qu'un ventre ouvert craint ses pleurs.
XVI
C'était hier, devineresse,
Au laboratoire du sort
Dont tu es la louche maîtresse,
Interrogeant un oiseau mort
Sur l'autel où croît ma semence.
L'oracle disait que la chance
Avait tourné comme le vent
Du côté de la mort violente.
Quarante pieds de chute lente,
Et le bec écrivait le temps.
On entend une plainte.
XVII
Ce n'est pas toi, pythie, qui pleure.
C'est la mère de mon enfant
Qui crie vengeance !
Entre Mirna.
Scène IV
Fausto, Mirna
MIRNA
O je m'écœure
D'avoir épousé par le chant
Vibreur du temple un tel ivrogne !
Crédule errant ! mais quelle trogne
Cet aveugle poursuivait-il ?
Qui donc, entre tes cuisses, stryge
Fatale, o stérile ! se fige
Comme le sang d'un mort, persil !
XVIII
Je t'ai nommé, yémon crotale !
Par les baumes de tes sabbats
Mille fois je fus la vestale
Jalouse à tes côtés, là-bas,
Les seins nus et la vulve rase,
Lorgnant ton infertile extase
Sur les autels blasphémateurs
Et les matrices déchirées
Par les écailles acérées,
Nous avons ri de tes ardeurs !
XIX
L'enfant que la nuit me pardonne
Pour le prix d'un époux, l'enfant
Homoncule, je te le donne !
Yémon, exsangue maintenant.
Et je bois cette coupe amère
D'un trait, inconsolable mère,
Veuve désespérée, o Moi
Que ta noire couronne châtre
Toutes les nuits, onguent et âtre !
Elle sort.
Scène V
Fausto
FAUSTO
Ma cruche o ma cruche, tais-toi !
XX
Tais-toi, perfide tentatrice.
Du vide je n'ai point horreur
Certes, mais y puiser délice
Et mort, peut-être la faveur
Du ciel, cruche mon infidèle
Épouse ! ne crois pas, ma belle,
Ma toute belle incube, o nuit !
Ne crois pas que je rêve, en butte
À l'ennui, d'une ultime chute
Me rompant le cou et l'esprit.
XXI
Ah ! ciel étoilé, nuit paisible !
Je respire, à peine éveillé
De ce cauchemar impossible,
L'air acide de la cité.
Et la lune porte des ombres
Dans la muraille épaisse, sombres
Monstres, étranges contresens
De la mémoire que j'éclaire
D'ivres feux, riant de l'impaire
Extase du vin dans mes sens.
XXII
Nuit, et l'aurore qui traîne.
La lune qui s'arrête encor,
Saoule de cratères, m'enchaîne
Au chemin, infernal décor
De mon gagne-pain en ce monde.
Et pâle j'arpente la ronde,
Invisible dans les hauteurs
Tant que rien ne se signale
De faux ni d'étrange, ivre phalle
Pour gagner, nuit, tes faveurs.
Entre Bortek, majestueux, vêtu comme un commerçant.
Fausto pointe son arme.
Scène VI
Fausto, Bortek
BORTEK
XXIII
Hé ! je ne suis ni capitaine
Ni brigand, simple visiteur.
Range ton arme pour la peine.
Ou rassure-toi si tu as peur.
Acceptes-tu que je m'abreuve
À mon tour au sein de la veuve ?
Il boit à la cruche.
FAUSTO
Je n'ai ni peur ni peine, intrus !
Que viens-tu chercher, à cette heure,
Hors mon vin ?
BORTEK
Il faut que je pleure
Ou que je boive tous les rus
XIV
Du soleil, tous les fleuves denses
De l'enfer, folles danses, seul
Et dégrisé par les silences
De la pierre comme un linceul
Sur mes paroles d'homme, mortes
De n'avoir pas le sens, aux portes
Que tu veilles, secouant les
Gonds qui ne cèdent pas, et l'âme
Putréfiée jugeant une lame
Qui ne tuera pas, je le sais.
Il sort. De loin :
XV
Dis-moi, veilleur ? Ce soir est-elle
Venue faire payer l'amour
Qu'elle me doit, ma toute belle ?
As-tu payé le prix ? car pour
L'impunité dont je t'assure
Il faut payer le prix. Rassure
Toi, je ne te demande pas
De doubler l'appréciable mise.
Mais pour le prix d'une chemise,
C'est peu payé, ne crois-tu pas ?
Scène VII
Fausto
FAUSTO
XXVI
Démon ! Tu as vidé ma cruche,
Pillé ma bourse, o Satan !
Et vers son enfer il trébuche,
Et me voici plus seul qu'Onan
À ne caresser que le rêve
Nu qui par sa faute s'achève
En queue de poisson — c'est l'iktis
Qu'on a crayonné sur ma porte
Hier, je crois, comme la morte
Était veillée, muet pubis.
Entrent les prêcheurs.
Scène VIII
Fausto, prêcheurs
PRÊCHEURS
XXVII
O la douleur t'égare-t-elle
À ce point, mon frère, que tu
Oublies jusques à l'éternelle
Raison, et par quelle vertu
La nuit peut-elle tant de charme ?
FAUSTO
Écartez-vous, prêcheurs de larmes !
Allez plutôt sonder les murs
Pour voir si j'y suis. Que vos crosses
Battent la mesure à mes noces.
J'épouse l'air, faute d'azur.
Il se jette dans le vide.
XXVIII
Azurs... o goutte de rosée !
L'amour, est-ce un goût de nectar
Où j'ai butiné la pensée
Ce matin, vivace, à l'instar
D'une abeille ? et l'épousée rit
Ayant ouvert la jalousie.
Une reine éclot sur ta peau
D'une autre faim, et matinale
Sort, ma compagne bucéphale,
Ma vie, tandis qu'on ferme un beau
XXIX
Tombeau, angle de pierre allée
À la rencontre d'une sœur
Arrachée par la mort ailée
Sur son balai, l'ivre liqueur
Sublimant dans son jeune ventre
Aux fiançailles avec le chantre
Exilé par les goupillons.
Et j'ai pétri le peu de terre
Qui te couvre, en un cimetière
Mais un jardin de roupillons.
XXX
Puis le soleil déjà décline,
En gargouille immonde se fond,
Vivant la pierre, et la patine
Au vol éternel d'un pigeon
Qui se nourrit de ta grimace.
Ce sont des morts qui te font face.
À l'entour le sang est une encre.
Tu n'es pas seule et je maudis
Ces signes plus où tu pourris,
Ces pages blanches où je m'ancre.
XXXI
Las, je me tais, et même un chancre
Que je destine au paradis,
Pitre céleste, incube cancre,
Puisant des stigmates ravis
Aux vaines ruines festivales,
Assoiffé des saveurs rectales
De ma fille, j'écris toujours
Borgne, une fois fermée la grille
Et, à travers l'ivre lentille,
Je lorgne les nuits et les jours.
XXXII
Il faut alors que je blasonne,
Sinon je rêve, et je m'en vais
Au diable, après midi le faune
Ayant bu ou non les mauvais
Vins de ton infernale algèbre,
L'herbe, le sang et les ténèbres
Dans le chaudron, le feu igné
Entre quatre pierres sacrées
Et le cul des vierges damnées.
Je tiens la pierre et je suis né !
Il s'immobilise dans sa flaque de sang.
PRÊCHEURS
XXXIII
Quoiqu'il ne mente, à dire vrai
Que peu, s'il grave l'épitaphe
D'une morte et cornu se plaît
À mordre un bouchon de carafe,
Le miroir savant s'est brisé
En mille morsures figé,
Et le grimoire ensorcelé
À l'heure où le hibou s'esclaffe
Avec son compagnon, o gaffe !
Page après page dispersé.
XXXIV
Et au ciel de vagues signaux
Dans des chevelures de lune
Multipliant le chiffre faux
Par les griffes des infortunes.
Et des cloaques triomphaux
Célèbrent ses chants saturnaux
Et l'obscurité de ses runes
Qui ne signifie rien, suppôts
Analphabètes. Des aulx
Secoués n'en chassent aucune.
Fausto relève une tête d'angoisse.
FAUSTO
XXXV
Prêcheurs, allez vous faire foutre !
Je me meurs, ils font des sermons !
Voilà l'épitaphe d'une outre
Pleine de vin, o moribond
Que je suis ! Quels mots me destines
Tu, toi, excepté les mâtines ?
Car ce que j'ai tant attendu,
Tant arrosé — Dieu me pardonne —
Commence de paraître. On sonne
La relève. Voici mon dû.
Entre Touma Folle, mi-sergent, mi-évêque.
Scène IX
Fausto, prêcheurs, Touma Folle
TOUMA-FOLLE
XXXVI
Pauvre diable ! Sombre démence !
Enfin... Qu'on emporte son corps
Et le soumette à la science
De nos médecins. Pire encor
Que le spectacle de la guerre !
Disloqué ! Ah ! quelle misère !
Maudits soient leurs charnels sabbats !
Le soleil est rieur, exemple
De la vanité de nos temples.
Heureux celui qui célibat.
Entre Marie Pipi qui retient les brancardiers.
Scène X
Fausto, prêcheurs, Touma Folle, Marie-Pipi, le bourreau
MARIE-PIPI
XXXVII
Le jour sera long, sentinelle.
Tu respires à pleins poumons,
Haut, sur la muraille éternelle
Qui m'entoure, la lumière, on
Le devine, que je dispense
À ta raison. Et elle avance,
Heure après heure, au blanc cadran
De la cité, noir ce soir, brave
Vigie, et plus noire l'entrave,
Comme une bête, ton élan.
XXXVIII
Suis-moi. Pour un maigre salaire,
Je te promets le paradis,
Ou l'enfer, comme tu veux !
Serre-moi, comme le fruit interdit
Arraché à l'ennui qui nargue
Ton esprit taciturne, et largue
Cette armure stérile au feu.
Exhausse-toi, o certitude
Inouïe qu'à pareille altitude
Le prix importe peu, si peu.
TOUMA-FOLLE
XXXIX
Oui, je la reconnais, c'est elle !
À croire qu'elle ne dort pas !
C'est l'égérie des sentinelles.
Il faut dire que ses appâts
Ont du corps ! C'est l'œuvre du diable
En personne !
MARIE-PIPI
Au diable ton diable
Et son œuvre !
TOUMA-FOLLE
D I E U !
MARIE-PIPI
Et ta sœur !
Je ne suis l'œuvre de personne.
TOUMA-FOLLE
Faites-la taire ! Elle raisonne
Trop bien pour notre pauvre cœur !
CHŒUR
(prêcheurs et brancardiers)
XL
Au bûcher ! l'ardente maîtresse,
Qu'elle danse sur les fagots
Comme elle danse dans mon stress !
Aux flammes ! que les viragos
Hagardes voient comme elle grille
Bien la plus belle de leur fille,
Le plus parfumé des sarments
Maudits ! et ses cendres au fleuve
Purificateur, qu'il s'abreuve
De la justice de son temps !
On installe un bûcher. Ballet. Le coeur s'augmente des ouvriers.
Dans le bûcher.
TOUMA-FOLLE
XLI
À ton cou, démon, que je noue
Ce lacet, si le repentir
Est dans ton cœur.
MARIE-PIPI
Non, je ne loue
Que les grâces du feu.
TOUMA-FOLLE
Périr
Sans Dieu, si tu as une âme,
Tu es damnée.
MARIE-PIPI
Et quelle femme
Je suis !
TOUMA-FOLLE
Corps ! tu es l'ivre feu
Que le feu absorbe.
MARIE-PIPI
Soumise
À l'absence de chemise,
Que pourrais-je contre le feu ?
Touma folle extrait son sexe long et droit.
TOUMA-FOLLE
XLII
À ton cou, Femme, que je lie
Ce phallus, avant que le feu
Ne t'immole.
MARIE-PIPI
Oui, je le veux, lie
Entre mes cuisses l'ivre nœud
Des flammes et de la fumée.
Touma Folle éjacule.
Crépitations intenses.
TOUMA-FOLLE
Telle est ma semence, damnée,
Corps de ton corps !
MARIE-PIPI
Et toi, bourreau,
Me veux-tu ?
BOURREAU
Non, mais par la croupe
Maudire ce serviteur.
MARIE-PIPI
Coupe
Les lui plutôt !
FAUSTO
De mon tombeau,
XLIII
Trop loin pour te toucher, ma femme,
Je ris.
MARIE-PIPI
Ainsi font, font les morts
À la mort de leur mort.
TOUMA-FOLLE
Infâme !
Que le feu détruise ton corps !
Le bourreau châtre l'évêque Touma.
BOURREAU
Maudit ! qu'il se nourrisse de tes couilles !
MARIE-PIPI
Oh ! feu ardent ! tu me chatouilles !
TOUMA-FOLLE
Et à la pointe de tes seins
Je nourris mon ardeur.
MARIE-PIPI
Mon ventre
Te porte.
CHŒUR
— Et maintenant elle entre
En enfer !
BOURREAU
Gloire à tous les saints !
TOUMA-FOLLE
XLIV
Mon dieu, pardonne-moi, pardonne
À mon feu qui m'inspire, o près
Du point zéro je m'abandonne
À de si coupables apprêts !
Après quoi tu peux brûler vive
Sur l'autel des douze convives,
O toi l'enchanteresse, amour
Du péché, que la cendre amorce
Ton retour parmi nous, et force
La nuit à nous donner le jour.
MARIE-PIPI
XLV
À défaut d'une main pieuse
Toi l'eunuque par le tison,
Accepte une croupe rieuse
De la vie et de la raison !
TOUMA-FOLLE
Le feu encore lèche ta langue,
Taris ta voix déjà exsangue.
C'est le serpent qui parle en toi.
MARIE-PIPI
Et croît son venin, pauvre Élie,
La brûlante paralysie
Et la mort au bout de l'effroi.
XLVII
Inévitable raison, flèche
Au cœur de ma souillure, o corps !
Je te perds, et le mal me lèche
Avec tant d'esprit, que j'ai tort
De brûler tout ce que j'adore
De ma nudité, mon beau dore
Navrant plus noir que mon péché,
Mon beau vertige sur la terre
Immobile, et je dois me plaire
Encore une fois, feu igné !
XLVIII
Sa verge est couverte d'écailles
Qui me déchirent, je ne jouis
Pas de ses froides épousailles.
TOUMA-FOLLE
Alors pourquoi l'aimes-tu, dis ?
MARIE-PIPI
Et son visage est à la place
Du cul, sa langue dedans, glace
Intense, reflet de la mort
Comme le lait qu'il éjacule.
Et à mes pôles s'accumule
Et croît un monstre de mon corps.
TOUMA-FOLLE
XLIX
Mais pourquoi l'aimes-tu, sorcière ?
MARIE-PIPI
Et il me consume à présent,
Quand la laideur pourrait s'extraire
De ma beauté, comme un enfant
Naît, mais comme le mal s'innove,
Stérile par ce feu qui love
Ses anneaux mensongers autour
De mon écorce putrescible,
Ma vermine dans la terrible
Ascendance de son amour.
TOUMA-FOLLE
L
Regarde mon sexe d'évêque !
Tout mon sang s'y retrouve, près
De l'absorber, bibliothèque
Sacrée et inspirée, arrêt
Divin pour que la beauté dure —
Divin pour que la beauté dure,
Et le charme et non la luxure
Et les malins enfantements
Qui ne sont de ton ventre enfants
Mais du phallus de cette ordure !
MARIE-PIPI
LI
Je te donne mon corps, mon père,
Prends-le, avant que le bûcher
Ne s'y mêle, et exaspère
Tes sens vers l'oubli du péché.
Ou bien romps-moi une vertèbre,
Étouffe-moi, que la ténèbre
Effroyable me mente et moi
Me crispe avant la mort.
TOUMA-FOLLE
Sorcière
À jamais nue, stérile mère
Ton fils est eunuque et décroît !
MARIE-PIPI
LII
Non, ôte la main de ma bouche.
Je veux hurler avant la mort,
Mêler les draps de cette couche
À mon corps vibrant qui ne dort
Pas déjà, mais qui peut se perdre
Encore une fois, et descendre
Au plus bas de moi-même, avec
La flamme qui l'éclaire, lente
De morsure en morsure, aimante
Et veuve au fond de son œil sec.
BOURREAU
Agitant un lacet.
LIII
Père, faut-il que je l'étrangle ?
Ce quelle dit, c'est l'repentir
Ou c'est tout comme ?
TOUMA-FOLLE
O vain rectangle !
Amour déchu ! Impurs désirs !
Unique Dieu ! Triste ciboire !
Monde nu ! Chiasme dérisoire !
L'erreur est de se pendre à ton
Cou et de baiser ta bouche, âme
Finie par l'infini, et femme
Suspendue au mot qui répond
LIV
À ton attente, ivre d'attendre.
BOURREAU
Je l'étrangle ou j'l'étrangle pas ?
TOUMA-FOLLE
Tel est le feu, telle la cendre,
Ce que le bûcher signe au bas
De nos écrits, fluide poussière,
La divinité circulaire,
De suaves et aigres fruits
Et l'autel de la destinée
À la fin, la page sacrée
Que ton sein sucré a nourri.
LV
À ce sein dressé je m'abreuve
Sans le désir, mais pour l'amour
De l'amour et de la vie, neuve
Jouissance, à peine le jour
Et déjà la nuit dans la couche
Où irrascible je m'abouche
Avec le ciel courroucé, mais
Las, n'espérant que d'aurorales
Patiences au soleil qu'exhale
Le temps, le temps que tu pourrais
LVI
Compter dans ton âme perverse,
Amour, si le feu n'y brûlait
Et si ton corps ne l'augmentait
De la cendre qui le disperse.
BOURREAU
Il fait trop chaud ! moi, je me tire.
Il sort.
Scène XI
Fausto, prêcheurs, Touma Folle, Marie-Pipi
TOUMA-FOLLE
Ainsi près de toi je peux lire
Dans tes yeux ce qui est écrit
Et ce qui s'effacera faute
De temps, excepté une côte
Arrachée à un pieux délit.
MARIE-PIPI
LXVII
Je ne t'écoute plus.
TOUMA-FOLLE
Moi-même
Je n'entends plus ce que je dis.
Le feu est si proche, je t'aime
Et je te brûle, écrits maudits
Que je n'ai pas chantés, plurielle
Voix, bouche que le verbe encièle
À ton sexe, comme ce feu
Symbolique qui nous encercle,
Nous le centre, et toi le spectacle
Que le vent tisonne avec eux.
MARIE-PIPI
LVIII
Je ne t'écoute plus. Je brûle.
TOUMA-FOLLE
Chair crispée ! Squelette hideux
Passé ! ainsi le feu t'annule
Et me purifie. Je le veux
Froid destructeur de ma folie,
Ma mort au-delà de la vie
Toujours reculée, o foyer
Où convergent mes passions, l'âme
Celée dans le cœur d'une femme
Brûlée vive sur un bûcher.
LIX
Hurlement de Marie Pipi.
Le feu a eu raison de l'ivre
Putain qui sommeillait en moi !
O le feu enfin me délivre
De ses rêves et de sa loi !
Et de ses douloureux stigmates
Il ne reste plus rien. Regarde !
Regarde ! Je ne brûle pas.
Le feu se fond à ma puissance.
Dieu est en moi, Dieu en instance
De justice et de faux sabbats.
Touma Folle disparaît dans le feu.
UN FRÈRE
LX
La voix de Dieu est un miracle
Dans le corps de l'homme, et la voix
De l'homme est un divin spectacle
Qui ne rime à rien, sinon bois
Et te grise à la cruche terrestre !
AUTRE FRÈRE
La voix de Dieu est ce qui reste
Après que le feu ait rompu
L'équilibre de la matière,
Mais la voix de l'homme est poussière
Comme la lie de son vin bu !
FAUSTO
LXI
Mes poumons, je vous hais, et pire
Je pourrais bien vous déchirer
Sur cette lame, et voix j'expire
Au lieu que la nuit va durer.
Ou bien ma cruche me délivre
Comme un poète dans son livre.
Et je bois plus que de raison
Jusqu'à ce que la nuit se crève
À la pointe du jour qui lève
Tous les soleils comme un tison.
LXII
Mais la nuit au paratonnerre
Accroche d'autres nuits, des sœurs
Au sein brûlé, toute la terre
S'éternisant dans les terreurs
Où le regard, hagard, excite
Ses visions, et je périclite
Ici-bas, le cœur usuré
Moins par l'alcool que par l'absence
D'amour, excepté la présence
D'un incube sur son balai.
LXIII
Autour de moi dans l'air qui tremble,
Elle vole comme un oiseau,
Et dans son aile qui rassemble
D'autres témoins de la nuit, beau
Ballet, j'exaspère l'ivresse,
Ivre proie de la chasseresse
Dont le sexe s'est entrouvert
Comme une bouche, et dans sa langue,
Chanter mes tristesses exsangues,
Dans le noir, le rouge et le vert.
LXIV
Raison, inénarrable vie
Des mortels, et temps, inexact
Compte, par quoi l'homme s'ennuie
À mourir de vivre. Quel tact,
D'où les puissances créatrices
Renaissent, peut-être propices
À l'éternité sonore, air
Vicié, feu éteint, terre vaine,
Enfin l'eau trouble. O rassérène
Toi, maudit, ce chant est impair.
Entre le peuple.
CHŒUR
Dans la nuit le feu allumé
Ventre de bouc !
Avec les filles du village
Hibou la lune !
Et toute nue longtemps dansé
Ventre de bouc !
Autour du feu longtemps baisé
Hibou la lune !
Et le diable m'a prise au cul
Ventre de bouc !
Cent fois c'te nuit m'a enculée
Hibou la lune !
Longtemps après j'ai accouché
Ventre de bouc !
Par le cul donné un enfant
Hibou la lune !
L'enfant ai m'né dans la forêt
Ventre de bouc !
Abandonné l'enfant aux loups
Hibou la lune !
Mais les loups ne l'ont pas mangé
Ventre de bouc !
On ne mange pas le fils du diable
Hibou la lune !
Les bonnes sœurs l'ont recueilli
Ventre de bouc !
Et l'enfant a grandi chez Dieu
Hibou la lune !
L'enfant est devenu curé
Ventre de bouc !
Au village la messe a donné
Hibou la lune !
Après la messe joli curé
Ventre de bouc !
Viens baiser le cul de ta mère
Hibou la lune !
Après la messe joli curé
Viens baiser le cul de ta mère
Ventre de bouc !
Hibou la lune !
Rideau
Il était une fois,
un oiseau blessé
qui soliloquait sur un rocher
la mer entoure le rocher.
L'autre oiseau qui volait
au-dessus du rocher
de l'oiseau blessé dit :
— Que t'est-il arrivé ?
— Ce qu'il m'est arrivé !
Ce qui m'arrivera...
Peu importe ce qui arrive
Ce qui est fait est fait
Je ne suis pas en mesure
de défaire ni de refaire
— Que t'est-il arrivé !
— Ce qui t'arrivera peut-être un jour.
L'autre oiseau s'enfuit, effrayé.
Mais il revient, intrigué
par la réponse de l'oiseau blessé.
D'un coup d'aile il revient
Virevolte, plane et revient
C'est un oiseau il vole
il peut revenir en volant
parce que c'est un oiseau
D'abord il était effrayé
et il s'est mis à voler par là
et voilà maintenant qu'il est intrigué
volant par ici
c'est par ici que ça se passe pas ailleurs
— Pourquoi suis-je intrigué
par tes réponses, oiseau de malheur !
— Oiseau de malheur toi-même
dit l'oiseau blessé blessé
quel malheur que tu sois venu
reluquer mes blessures
— En effet, dit l'autre oiseau
qui continuait de voler
ni par ici ni par là
voler en rond
faire des ronds avec les ailes
c'est amusant mais c'est triste
de reluquer les blessures
entre les plumes comme des bouches
muettes d'horreur et de désespoir.
— Je ne reluque pas vraiment
dit l'autre oiseau
il faut bien que je me rende compte
si je veux me faire une idée.
— Comme si c'était important
d'avoir une idée toute faite
sur mes blessures. Va-t-en !
Va voir ailleurs si j'y suis
d'ailleurs j'y suis
ce n'est donc pas la peine
d'aller y voir qu'y verrais-tu d'ailleurs
de différent
où que je sois je suis le même
dégoûtant parce que le sang
a séché sur mes plumes
et qu'il en coule encore
de temps en temps
Reste si tu veux rester
mais ne me parle pas de toi.
Je n'aime pas qu'on me parle de soi
cela me gêne
je n'aime pas qu'on me parle de moi
cela pourrait gêner
et je ne veux gêner personne
d'ailleurs je ne vais pas mourir
pourquoi t'enquiquiner
pourquoi embêter tout le monde
puisque la vie ne me quitte pas
elle ne me quitte pas non
elle m'enquiquine
elle ne se gêne pas elle
pour enquiquiner
ce qui va encore durer avec elle
elle fait ce qu'elle veut la vie
je l'aime parce que j'y tiens
j'y tiens des propos d'oiseau blessé
que ça lui plaise ou non
et je paye le prix pour ça
je paye ce qu'il faut payer
je ne volerai plus
c'est cher payé non
dis-moi que c'est cher payé
c'est même payer plus que le prix
j'ai vendu mes ailes
voilà la vérité
et elle me les a arrachées
parce que j'y tenais encore un peu
elle a eu peur que je m'envole
que je m'envole à tire-d'aile
au pays des oiseaux morts.
Elle a tiré dessus
en hurlant de plaisir
non pas de plaisir
elle ne sait pas ce que c'est le plaisir
elle le donne volontiers
ou ne le donne pas
mais elle ne sait pas ce que c'est.
Maintenant il y a deux trous rouges
à la place de mes ailes
le sang vient sécher à mes pieds
je marcherai désormais
c'est ce qui arrive toujours
aux enfants qui volent
il faut marcher un jour
et c'est dur de marcher
quand on a volé
c'est dur d'avoir perdu ses ailes
mais il fallait que ça arrive un jour
et il fallait que la vie
m'arrache mes deux ailes
il le fallait sinon
je serai resté un enfant
et un enfant
ça grandit ou ça meurt
la vie n'aime pas les enfants
elle les prend au berceau
et elle les fait vieillir
lentement lentement
pour qu'ils n'oublient pas leur enfance
pour qu'ils en nourrissent leur vieillissement
c'est comme ça la vie
on vieillit et le souvenir s'accroît
on s'enlaidit et l'innocence sourit
on fait un tas de choses de travers
en souvenir de notre enfance.
Sale vie la vie
j'étais un jeune oiseau
j'avais des ailes
et tu n'as pas entendu ma voix mon chant
ma voix mon chant ma poésie
qu'est ce que tu connais de ma poésie
Rien rien tu te fiches de savoir
ce que j'ai réveillé
qui ne dormait pas
mais c'était le sommeil
et je lui ai ouvert les yeux
ma voix mes mots mes images
et puis le temps est venu
alors dit la vie je te les prends ces ailes
ou bien tu veux t'envoler
vers le pays des oiseaux morts
je ne sais pas ce que c'est un oiseau mort
un oiseau mort ça ne vit pas par définition
est-ce que, par définition,
ça continue d'être un oiseau
— Je ne réponds pas à ce genre de question
dit la vie en souriant
Qui répond ?
Qui a la parole quand je la lui donne
Personne ?
Il n'y a que la vie qui parle
La mort se tait.
et ses oiseaux se taisent aussi
À quoi bon mourir
si c'est pour se taire
à quoi bon voler une dernière fois
si c'est la dernière fois
Mieux la vie
elle qui aime les ailes
les arrache au désir
au désir de voler
au désir d'en finir
au désir même de désirer
que le désir dure à jamais
Mais je ne suis pas dupe
Cette vie-là n'est qu'un sursis
je ne suis pas fou
je sais qu'au moment de mourir
Au moment de voler
vers le pays des oiseaux morts
à ce moment-là faute d'ailes
je pourrirai sur place
à la place de mon enfance
de ce qui aurait pu devenir un chant
On ne vole pas sans ailes
On ne meurt pas sans ailes
On pourrit que cette idée est douloureuse !
Pourrir
Manquer la mort
Est-ce qu'on sait ce qu'on rate
On ne sait jamais rien
On est le dernier informé
quand on est informé
et dans ce cas précis
on n'est pas informé
la vie dit : salut
on ne meurt pas
on n'a plus d'ailes
les cicatrices se sont refermées
on a oublié un tas de choses
peut-être tout
c'est trop tard pour recommencer
non pas recommencer pour recommencer
recommencer pour refaire bien sûr
mais refaire quoi
il n'y a rien à refaire
c'est un moment de sa vie
qu'il faut reconsidérer
se laisser arracher les ailes
ou bien voler vers le pays des oiseaux morts
voler une dernière fois
on espère que ce n'est pas la dernière
que quelqu'un quelque chose
décidera que ce n'est pas la dernière
mais une première fois
et recommencer recommencer
recommencer jusqu'à ce que l'éternité s'en fatigue
jusqu'à ce que l'éternité oublie
qu'elle ne peut pas oublier
et oublier pour mourir vraiment
Mourir pour de bon
mais en connaissance de cause
ne pas mourir bêtement
à cause d'une grande envie de vivre.
Je ne sais plus ce que je dis
d'ailleurs il est trop tard
je ne volerai plus
à moi le temps de la cicatrisation
j'ai mal
pas trop
moins que tout à l'heure
quand mes ailes m'ont été arrachées.
Mon dieu quelle douleur atroce
j'ai cru que j'allais mourir
mais c'était pour vivre cette douleur
parce que la vie est un plaisir
voilà ce que je me disais
voilà ce que je croyais
voilà ce qui m'est arrivé
ce qui t'arrivera peut-être un jour.
Mais l'autre oiseau volait déjà
vers le pays des oiseaux morts.
L'oiseau blessé jette un coup d'œil autour de lui
Rien à l'horizon
l'autre oiseau a disparu
L'oiseau blessé soupire
il n'ira pas au pays des oiseaux morts
il aurait pu au moins savoir
dans quelle direction il se trouve ce pays
il regarde autour de lui
c'est peut-être par ici ou par là
c'est n'importe où quelque part
je ne saurais jamais
j'aurais aimé savoir
Oiseau de malheur !
s'écria-t-il en songeant à l'autre oiseau
tu aurais pu m'écouter jusqu'à la fin
ensuite tu serais parti
en me disant adieu à une autre fois
peut-être qu'un de ces jours
mais tu es parti sans laisser de traces
rien pas même cette inutile trace
dont je me serais nourri jusqu'à la fin
à la fin de quoi puisqu'on ne meurt pas
à la fin quand tout est vraiment fini
quand il n'y a plus rien à faire
à la fin quand si ça dure c'est toujours pareil
à la fin l'ennui le désespoir
mais quel malheur que je ne sache pas
si le pays des oiseaux morts
est au Nord au Sud là ici là mais où
Fichu oiseau de malheur
Tu es plein de qualités puisque tu as choisi
ce que les poètes ne ratent jamais
Mais quel défaut ton impatience
quel défaut mon dieu quel défaut !
Ainsi se désespérait l'oiseau blessé
ainsi se désespérait-il
léchant ses blessures
et l'autre oiseau volait
vers le pays des oiseaux morts
C'est sans doute vers ce pays qu'il volait
pensait tristement l'oiseau blessé
vers quel autre pays volerait-il
il a du courage et je n'en ai pas
nous sommes deux oiseaux
un et un ça fait deux
ça fait trois quelquefois
plus si c'est le grand amour
ça ne fait jamais un
chacun vit sa vie
chacun vit sa mort
si tel est son choix
chacun vit son choix
s'il a choisi un jour
maudit ce jour
et la mère comme le soleil
entre les flancs de deux montagnes
elle illumine la vie
mais pas pour toujours
mais pas comme il faut
comme il faudrait
un soleil ça fait de l'ombre
et c'est triste l'ombre
c'est à l'ombre de quelque chose qu'on choisit
c'est dans l'ombre que ça se passe
un jour
à la fin de quelque chose
je ne dis pas que c'est l'innocence
je me fiche de l'innocence
d'ailleurs j'étais un enfant pervers
dans l'ombre c'est devenu sans relief
il fallait retourner à la lumière
s'exposer au feu à la tourmente au brasier
il fallait brûler vif sur la place publique
dire je suis vivant j'ai le droit de mourir
Brûlez avec moi mes frères mes sœurs Brûlez
mais c'était presque poétique
c'était risqué
La vie caressait mes ailes
lissait mes plumes sur mes ailes
sa langue m'enivrait
sa langue porteuse d'éternité
sa langue sans paroles
plus de chant plus de mots
la vie comme une femme se lavant
entre mes ailes de poète raté
une femme qui répand la vie
regarde comme c'est beau
Reluque un peu ma limace
hé escargot ? Tu te souviens
Sa limace...
Mon escargot...
Tu te souviens ?
Non je ne me souviens pas
je chanterais si je le pouvais
mais ce n'est plus possible
Mes ailes ! Ma claque ! Mon spectacle !
La limace est un insecte dégoûtant
L'escargot est un champignon vénéneux.
Les souvenirs sont les fleurs des talus
C'est joli c'est coloré ça décore
comme ça on ne s'ennuie pas
et à quoi ça servirait
d'avoir choisi la vie
si c'est pour s'ennuyer
Les fleurs sont des limaces
des limaces des escargots
et les escargots des souvenirs
qui se traînent qui se traînent
traîne la traîne d'argent et d'or
l'argent ne fait pas le bonheur
l'or oui.
Ce que je dis n'a pas d'importance
enfin, pas toute l'importance
que devraient avoir les paroles
le chant d'un oiseau blessé
le chant ?
Tu es gonflé mon bel oiseau
tu es gonflé
ce que tu es gonflé !
C'est que je ne m'attendais pas
à une telle douleur
quelle douleur que cette douleur
Arrête de chanter !
dit la vie en m'arrachant les ailes
je ne chante plus
et ça me fait mal
tu entends oiseau de malheur !
tu entends ce qui n'est plus un chant !
Et pourtant
je l'ai si bien chanté cette douleur
du temps qu'elle ne m'affectait pas
si bien chanté cette douleur
qui n'était pas la mienne
j'en avais des moyens à cette époque
de beaux moyens qui respiraient la poésie
la poésie ne pouvait pas me sentir
mais quiconque posait le nez sur moi
sentait bien que je sentais la poésie
à plein nez
rien ne disait que la poésie m'étouffait
tout disait que je la respirais
et que je devais la vie à cette respiration.
Des mots mélangés
des mots conjugués
il n'y a pas de grammaire
il n'y a pas d'orthographe
il n'y a pas que de la poésie
que c'est beau
que c'est beau
m'écriai-je
que c'est beau
écrivais-je
que c'est beau
que c'est beau
j'avais des ailes
je m'en servais
et la poésie n'aimait pas ça
la poésie n'aime pas
ce qui est poétique sans elle
la poésie aime beaucoup
qu'on lui doive beaucoup
c'est la poésie des marcheurs
des marcheurs en long et en large
ce n'est pas la poésie des voleurs
ne te trompe pas, bel oiseau
rien ne t'a encore blessé
tu voles voleras voleras
ce n'est pas de la poésie
c'est du vol
c'est mieux
c'est mieux que la poésie
c'est beau
aussi beau que la poésie
méfie-toi de la poésie
elle aime trop la vie
elle t'arrachera les ailes
méfie-toi des langues bien pendues
elles s'accordent à la même vie
ce n'est pas ta vie
c'est une vie sans importance
elle finit un jour
elle finit salement
elle s'arrête
ce n'est que du temps
un mauvais moment à passer.
Je l'ai passé avec toi
ce moment de ma vie
je l'ai quitté sans toi
pour un autre moment
L'oiseau blessé regarde les vagues
et songe un instant à s'y noyer
— À quoi bon !
c'est le pays des oiseaux noyés
c'est un pays de larmes et de sang
c'est un pays humide
il me rendrait malade.
Ma sœur y vit depuis longtemps
elle n'y est pas heureuse
elle y pleure parce qu'on y pleure
elle y saigne parce qu'on y saigne
elle a perdu sa beauté
ma sœur est une méduse
ne l'approche pas
sa peau est un immonde ulcère
et méfie-toi
sa voix est le plus beau des chants
un jour elle sera une sirène
on ne regrettera pas
de mourir dans ses bras
piégé par le plus beau des chants
mais elle n'est pas encore si belle
ce sera stupide de mourir avec elle
de m'infecter au contact
de sa dégoûtante peau de méduse
le pays des oiseaux noyés
est un pays de rêves trompeurs
il y a des sœurs qui sont des méduses
et des méduses qui se font passer pour nos sœurs
il y a bien quelques sirènes
au sein accueillant
mais une sirène n'est jamais
qu'une vieille peau
et puis on ne sait jamais
si celle qui chante
est bien celle qu'on cherche.
Éloigne-toi de ce pays
ne cherche pas à regarder
au fond de l'eau l'ondulation
d'un ventre qui s'ouvre
peut-être pour autre chose
que l'amour
pour autre chose que l'amour.
Quelle autre chose que l'amour ?
avec toutes ces histoires
je ne sais même plus
si je suis homme ou femme
c'est vrai que je suis un oiseau
un oiseau sans ailes
mais mon cœur
est-ce celui d'un homme
ou celui d'une femme.
Reviens, oiseau de malheur !
Si je t'aime tant
tu sauras me dire
Si je t'aime autant
que je dis
tu me le diras
si je suis une femme
ou si je suis un homme
si je suis un oiseau
ou une paire d'ailes
si je suis vivant
ou bien si je suis mort
si le pays des oiseaux morts existe
si les oiseaux sont morts
et si c'est ça la mort
si la vie est cruelle
si les femmes sont belles
et les hommes reconnaissants
si les enfants sont des poètes
et les poètes des vivants.
Oiseau de malheur !
Mouette ! Corbeau ! Reviens !
Viens m'embrasser sur la bouche
que tu sois homme ou femme
et tu me diras
si ma langue est amoureuse
et si l'amour est une femme
ou bien si c'est un homme
et si tu veux
si c'est possible bien sûr
que je te fasse un enfant !
Oiseau de malheur !
Je ne t'ai pas rêvé.
Tes ailes sont puissantes
belles tes ailes
et grande ta puissance.
Arrache à l'air trembleur
des cris de joie
des cris d'enfants
mes vieux cris doivent se retrouver
sur ton chemin.
Je sais que tu m'entends
je sais que je ne chante pas si mal que ça
que tu es sensible à mon chant
méfie-toi de l'éclair
du feu de la lumière
de l'eau du pays des oiseaux noyés
la terre c'est mieux ô mon amour
la terre c'est beaucoup mieux
c'est éternel la terre
c'est le vrai lieu de la poésie
et les cadavres d'oiseaux
sont autant de poèmes.
Je t'aime, mon bel oiseau
pense que j'existe
et que tu me le dois.
L'oiseau blessé envoyait des baisers vers le ciel
et pendant ce temps
le requin s'approchait du rocher
attiré par l'odeur du sang
le sang perlait sur le rocher
teintait l'écume
et le requin agitait ses narines
pour s'en délecter.
Pas question de manger
cet oiseau de malheur
se dit-il,
il me donnerait des boutons
j'en ai déjà assez comme ça
avec toutes ces méduses
je ne le mangerai pas
mais j'ai tout de même le droit
de respirer son intérieur
il sent bon son intérieur
on s'y reposerait volontiers
plutôt que de déchiqueter
et avaler avaler cette soupe infâme
qui vous refile la petite
et la grande vérole à la fois
encore que la vérole ma foi
on en meurt pas ou rarement
mais le dégoût c'est pire que tout
quand on en meurt
on se sent retourné
comme une poche qu'on vide
je ne veux pas mourir à l'envers
je ne mangerai pas de cet oiseau-là.
— Tiens, si dit l'oiseau blessé
en apercevant le requin,
tiens, se dit-il
voilà le pays des oiseaux écrabouillés
écrabouillés mastiqués digérés
pays d'ivoire
de muqueuses acides
de flores intestinales
de sangs renouvelés
le pays des affres biologiques
de la dernière odeur
et toujours la première
tiens, se dit l'oiseau blessé
je ne m'attendais pas à cette mort.
Il ne s'en désolait pas
il ne s'en réjouissait pas non plus
ce pays ne l'inspirait pas
ni en horreur ni en joie
ce pays ne me dit rien qui vaille
et je ne lui réponds rien
ni en horreur
ni en joie
ce n'est pas que j'en ignore la géographie
j'ai été à l'école comme tout le monde
depuis que l'école
est obligatoire
pour tout le monde
sauf pour ceux
qui n'ont aucune obligation
Je connais un tas d'histoires
d'oiseaux mastiqués
dans cet étau d'ivoire
ce sont de tristes histoires
elles commencent mal
n'ont aucun intérêt
et elles finissent mal
en principe
on ne raconte pas ce genre d'histoires
sauf à la télévision
on n'y pense même pas
on a de l'éducation
non vraiment dit tout haut l'oiseau blessé
non vraiment
je ne sais pas quoi dire.
— hé bien ne dis rien dit le requin
moi quand je n'ai rien à dire
je ne dis rien
ce qui convient
à mon silence
à mon trou de mémoire
et à mon trou de balle !
— Grossier personnage !
Ton haleine est si mauvaise
qu'on dirait que ta bouche
est une blessure qui pourrit.
— Voilà qui est parlé ! dit le requin
mais tu as beau m'insulter
je n'ai toujours pas envie de te manger.
Je mangerais bien l'autre oiseau ton ami
mais il paraît qu'il est allé mourir
au pays des oiseaux morts
et je ne mange pas les morts
sauf avec de la mayonnaise
mais il n'y a plus d'œufs
en ce bas monde qui a décidé de mourir.
Moi je ne mange que les vivants
les vrais vivants qui vivent
pas les noyés qui n'en finissent pas de mourir
pas les écorchés vifs qui apprennent à marcher.
Mon être se nourrit
de vivants bien en chair
que l'amour inspire
j'aime les amants
surtout quand ils s'aiment
j'aime en croquer les plaisirs
les jouissances impeccables
les vertiges les délires les semences
leurs sécrétions leur glissement
ça c'est la vie
ça c'est nourrissant
je suis un requin moi
un poisson qui a faim
pas un oiseau de malheur
qui court après ses ailes.
D'ailleurs tu as vite fait
le tour de ton rocher
il est si petit
qu'on pourrait l'oublier
n'étaient tes insupportables lamentations
à propos de ton insupportable enfance.
Cela dit, oiseau de malheur
si tu veux que je te fasse l'amour
tu n'as qu'un mot à dire
Et je me fiche de savoir
si tu es un homme ou une femme
moi je ne suis ni l'un ni l'autre
on verra bien ce que ça donnera
l'amour n'enfante pas les monstres
tu ne cours aucun risque
et tu ne m'en fais courir aucun
moi qui n'ai jamais eu d'enfant !
ce n'est pas faute d'avoir fait l'amour
j'ai fécondé tous les jours de ma vie
et j'ai reçu bien des semences
mais je ne sais pas qui je suis
je suis simplement ce que je veux
un enfant comme fruit d'un accouplement
moi le requin baisant l'oiseau
ou l'inverse si la nature l'exige
un enfant le nôtre tu t'imagines
sa bouche serait un havre de puanteur
ce qui lui interdirait la parole
ce serait mon héritage
ses ailes seraient une illusion d'optique
on croirait qu'il vole
et il n'en est rien
voilà ce qu'il te devrait
un enfant pas comme les autres
notre enfant, tu t'imagines
notre successeur sur cette terre
que tu as décidé d'arpenter
et dans cette eau
que je pourrais troubler
si je ne craignais d'y rencontrer des méduses
Oiseau de malheur, je t'aime
rejoignons-nous pour nous aimer
fécondons-nous pour continuer
ce qui commence avec nous.
Et le requin d'un coup de queue
secoue l'eau qui gerbe
L'oiseau blessé secoue ses plumes
ça lui fait un peu mal aux entournures
il serre les dents pour ne pas crier
un oiseau n'a pas de dents
ça ne l'empêche pas de crier
quand il a mal aux entournures
un oiseau ne crie pas
ça ne l'empêche pas d'avoir mal
on ne sait pas ce qui fait mal à un oiseau
Cependant son chant n'est pas le même
selon qu'il a mal ou non
et c'est le cas de notre oiseau blessé
son chant n'est plus le même
donc il a mal
et pas seulement aux entournures.
Il a mal dans sa tête
dans sa pauvre tête d'oiseau blessé
il y a bien sûr une blessure
c'est même la plus grave de ses blessures
plus grave que les moignons de ses ailes
plus grave que sa langue
qui n'arrête pas de saigner
dans sa tête il y a une blessure
une blessure d'enfance
c'est une blessure imperceptible
une première blessure
une tache dans sa mémoire
une tache immobile
une immobilité inquiétante
sournoise perverse cette tache
elle se voit à peine
mais il sait ce que c'est
il ne veut pas en parler
il n'en a jamais parlé
il n'en parlera jamais
surtout maintenant qu'il n'a plus d'ailes
il n'a plus d'ailes
plus d'ailes
une tache
une tache
ce n'est pas sale une tache
mais ça tache
et c'est là
comme un œil
au beau milieu de la mémoire
chaque fois qu'il se souvient
la tache tache
tache le souvenir en question
elle s'attache à n'importe quoi
il n'y a d'ailleurs pas n'importe quoi
dans sa mémoire
c'est une mémoire de poète
pas une mémoire de n'importe qui
une mémoire de poète bien mesurée
vers après vers mesurée
mais pas sans tache
voilà ce qui cloche
dans sa petite tête d'oiseau blessé.
— Je veux te faire un enfant
Je veux te faire un enfant
crie le requin dans un blues
et il asperge d'écume
le plumage triste de l'oiseau blessé.
— Me faire un enfant !
dit l'oiseau blessé
et puis quoi encore
je ne veux pas d'enfant
même à naître de mon ventre
et puis dis donc requin de mes deux
qui te dit qu'en pareil cas
si ça devait se faire veux-je dire
qui te dit que ce n'est pas moi qui te le ferais
— Que ce soit l'un ou l'autre je m'en tamponne
je veux te faire un enfant
même si c'est toi qui doit le faire
je me fiche de savoir
qui est le père qui est la mère
il n'y a rien d'anormal
à ce qu'un requin
s'accouple avec un oiseau
ou le contraire
C'est une chance inouïe
que tu sois amoureux de moi
parce que sinon
j'aurais été contraint
de me faire une méduse
et on ne sait jamais
ce que ça donne
un requin plus une méduse.
— Un requin plus une méduse
ça fait deux
et pour être un
il faut s'aimer
moi je ne t'aime pas
ça fait deux
tire-toi et ne reviens plus
si j'avais des ailes
je m'envolerais aussitôt
mais je n'en ai pas
toi tu sais nager
moi pas
tire-toi avant que un et un
ça face un demi.
— Je me tirerai si je le veux
la mer est à tout le monde
et plus particulièrement aux poissons
Personne ne m'empêchera de t'aimer.
— Aime-moi autant que tu veux
mais pour ce qui est d'un enfant
tu te fais des illusions
et n'était ton immonde bouche
je pourrais t'oublier
même si tu parles de nous au présent.
— Parler, parler, avec des mots bien sûr
puisqu'on ne peut pas faire autrement.
Je parlerai sans l'ouvrir
je parlerai en dedans
pour moi-même
peut-être m'écouteras-tu un jour
quand tu seras vieux et fané
triste à mourir
tu n'auras pas d'enfant
pour soutenir ton pas débile
et mon enfant aura la tête d'une méduse
ce qui me rendra triste
mais tu m'envieras
et tu lorgneras ma méduse
avec ce qui te restera d'appétit.
Le requin fait des ronds dans l'eau
De temps en temps
il jette un œil sur l'oiseau blessé
Le requin fait des bulles dans l'eau
et l'oiseau écoute le clapotis
il devine le regard
le pays des oiseaux mangés
n'est pas pour moi
j'ai cependant raté une occasion de me faire plaisir
cette pensée le fait un petit peu rigoler
pas beaucoup mais un petit peu quand même
On n'a pas idée
d'aller faire la conversation
à un vieux requin
qui pue de la gueule
non mais c'est une drôle d'idée
mais que voulez-vous
on ne choisit pas ses amis
et celui-là est pour sûr un ami
enfin il rôde
il va me demander
de jouer avec lui.
— Hé ! dit le requin
en détournant sa puante gueule
ce n'est pas exprès
que je te parle avec mon dos
c'est convenu entre nous n'est-ce pas ?
Que dirais-tu de te baigner avec moi ?
Faute d'amour
que dirais-tu d'un bain
Y'a pas d'mal
à boire la même eau s'pas ?
— Du mal il n'y en a pas
si ça se passe comme tu dis
mais non merci
je ne veux pas te tenter
tu pourrais t'en prendre à mon innocence
— Elle est bien bonne, ton innocence !
De quelle innocence parles-tu ?
Nous ne sommes plus des enfants.
Ce qui arrive est le destin
ce n'est pas un jeu
on se baigne tous les deux
et le destin c'est le destin
On ne viole pas le futur.
— Non merci, vieux frère
à la gueule puante, vieux compagnon
couvert de pustules dégoûtantes, ami
aux pensées inavouables, merci
Tes jeux sont des jeux de poissons
Les miens sont des jeux d'oiseaux
Encore que le vol m'est interdit
mais qu'est-ce que le vol sans ailes
Non merci, compagnon des méduses,
tourmenteur de sirènes,
joueur d'oiseau,
merci mais ça ne me dit rien.
— Décidément, dit le requin, quel four !
Mon estomac ne t'intéresse pas
Mon amour te dégoûte,
Mes rêves t'amusent,
Je ne suis rien pour toi
Très peu pour moi
Les poissons ne pleurent pas
comme font les oiseaux
ce que j'aimerais être un oiseau
pour pouvoir pleurer !
Mais ce n'est pas facile de changer
surtout quand on est un requin
et qu'on veut se changer en oiseau
Un requin, ça ne vole pas
C'est un problème de moins
Nous autres requins
nous avons très peu de problèmes
à part les méduses bien sûr
qui nous donnent des boutons
Mais qu'est-ce que c'est que des boutons
à côté d'une paire d'ailes
qu'est-ce que c'est que se gratter
à côté de voler
On ne peut pas comparer
On ne peut pas pleurer
On aimerait pleurer
mais on comprend
que ce n'est pas possible
Tant pis pour les larmes
tant pis pour l'enfant
tant pis pour nous deux
Je regrette sans larmes
c'est difficile à comprendre pour un oiseau
mais je regrette sans larmes
puisque je ne peux pas pleurer
et que je peux regretter
Si tu permets, oiseau mon amour
un baiser sur la bouche
me ferait le plus grand bien
Un simple baiser
pas un baiser d'amoureux
puisque tu ne m'aimes pas
et même si je t'aime
un baiser d'adieu
sur ma bouche puante
un baiser à jamais
sur ton bec saignant.
— Va pour un baiser
un seul d'homme à homme
ou le contraire je ne sais plus
et puis oublie-moi
oublie que j'existe
et qu'un instant
tu as existé pour moi.
L'oiseau blessé ferme les yeux
Il sent sur son bec
comme un goût de sel d'iode
d'étoile de mer et de chapeau chinois
de crème de bronzage et de pipi de chat
de graisse à pédalo
de couleur à parasols
d'été de bateaux de sable
de limonade de goudron
de pieds qui fument
de noyé qui glougloute
il est aimable ce requin, se dit-il
il est aimable
et personne ne l'aime
sauf moi
mais il ne doit pas le savoir
il en deviendrait fou
et je ne supporte pas les fous
leurs rires malades me crispent
et ce n'est pas le moment de me crisper
j'ai autre chose à faire que d'aimer
je dois apprendre à marcher
à marcher sans ailes
la vie continue
voilà mon choix
requin ou pas requin
oiseau ou pas oiseau
la vie continue parce que je le veux
et aussi parce qu'elle le veut bien
soyons modeste
L'oiseau blessé rouvre les yeux
Le requin est parti
Nul remous dans l'eau qui écume
il est parti pour toujours
enfin espérons
un embrun frais comme une pucelle
lui arrache un sourire
ne ris pas
un sourire d'oiseau ça existe
la preuve, je souris
La mer est pleine de méduses
pleine de requins, de coquillages
au-dessus de la mer
volent plein d'oiseaux
des oiseaux et des insectes
des avions et des idées
L'oiseau blessé lèche ses blessures
pour l'instant
c'est la seule chose qui l'occupe
ce qui se passera
quand les blessures se cicatriseront
et quand la fièvre cessera de le tourmenter ?
ce qui se passera il n'en sait rien
il n'en sait rien et il s'en moque
Il lui sera difficile de quitter le rocher
Ne pouvant voler
et ne sachant nager
ce sera difficile
Il ne volera plus
il pourrait apprendre à nager
mais justement il ne veut plus rien apprendre
il estime qu'il a assez appris
et voilà où ça l'a mené
Pourquoi envenimer les choses
elles sont assez tristes comme cela.
Ce n'est pas ce qui l'inquiète, son savoir.
Ce qui l'inquiète
c'est qu'il a faim.
Ce n'est pas parce qu'il n'a rien appris
qu'il doit crever de faim.
Et crever de faim,
voilà ce qui l'inquiète.
Il n'y a rien à manger sur ce caillou.
Quelques algues sur les bords,
un crabe ou deux, et encore,
des cacas de mouettes en veux-tu en voilà
mais ça ne se mange pas,
il n'y a rien à manger
sauf ma propre chair
J'aurais peut-être mieux fait
d'accepter de convoler avec le requin
Il m'aurait mangé
ce qui aurait mis fin à ma propre faim.
Il m'aurait mangé et puis voilà.
Maintenant les mouettes me pissent sur la tête,
les crabes me montrent leur derrière,
les algues ricanent en se tortillant dans l'eau
c'est mon torticolis qui les amuse
Et je n'ai rien à manger
sauf ma propre chair
tu parles d'une nourriture
La nature n'a pas prévu
ce genre de situation
On ne se régénère pas comme ça
Ce serait trop facile
il faut manger quelqu'un quelque chose
mais qui mais quoi
Qui me rendra visite
si la faim se lit sur mon visage.
Il me faudrait inventer des pièges
Mentir, piéger, elle commence bien
ma nouvelle vie !
Il était une fois un oiseau blessé
il était une fois un oiseau blessé
dit l'oiseau blessé
qui aimait le blues
il soliloquait sur un rocher
la mer clapotait à ses pieds
et ses ailes fantômes étaient si douloureuses
il avait faim et soif
et il ne savait toujours pas marcher
il allait apprendre
il allait apprendre
comme il avait appris le blues
le blues qu'il aimait tant
il aimait tant le blues
l'autre oiseau ne revenait pas
il avait pourtant promis
non il n'avait rien promis
il s'était envolé sans rien dire
rien qui fût une promesse
le requin semblait s'être noyé
il avait épousé une méduse
ou dévoré une sirène
ou bien il était tombé amoureux
d'un autre oiseau blessé
d'un autre oiseau blessé oui
— C'est terrible la faim
c'est bête et c'est terrible
c'est bête parce qu'on pourrait s'en passer
c'est terrible parce qu'on ne s'en passe pas
et puis ça fait mal
ça empêche de respirer
ça fait des trous dans la mémoire
c'est terrible c'est terrible
de ne pas pouvoir se manger soi-même
de ne pas pouvoir se nourrir de soi
c'est terrible cet esprit
qui a besoin de manger
et qui fait le malin
quand on lui parle de manger
c'est malin c'est malin
et ce n'est pas malin
c'est bête c'est terrible c'est malin
c'est tout ce qu'on veut d'enquiquinant
mais ça ne se mange pas
Je ne veux pas mourir de faim
Au pays des oiseaux sans ailes
au pays des oiseaux
qui ont perdu leurs ailes
perdu au jeu de la vie
fallait pas jouer fallait pas jouer
au pays des oiseaux sans ailes
c'est la pire des morts
pas vraiment une mort
mais pire c'est une façon
de ne pas dire à quel point
c'est la pire des morts
L'oiseau lâche un cri douloureux
qui étonne les vagues
sur une vague s'est immobilisée
la barque du vieil homme
le vieil homme mâche son mégot
il n'a jamais vu ça
la mer arrêtée
un oiseau crier
il avale une lampée de rhum
et remâche son mégot éteint
qu'est-ce que c'est que cet oiseau
il saigne il crie ne vole pas
qu'est-ce que c'est que ce rocher
et qu'est-ce que ça signifie
un oiseau perché sur un rocher
en plein milieu de la mer
qu'est-ce que ça veut dire
un vieil homme et la mer
qui porte sa barque ?
pense l'oiseau blessé tout en criant
j'ai faim si faim oh c'que j'ai faim
Si tu as faim, mange,
dit le vieil homme et la mer
porte sa barque au bord du rocher
— Manger ? dit l'oiseau blessé
que mangerais-je ?
il n'y a rien à manger ici
à part des crottes de mouettes
Un oiseau blessé
pense le vieil homme et la mer
qui l'entoure, rien à manger
moi-même je n'ai rien pêché
ce soir je me coucherai sans manger
comme toi, l'oiseau blessé
on mangera peut-être demain
il n'y a que des méduses dans cette eau
et un requin qui leur fait des enfants
— Je connais le requin, pas ses enfants
j'en mangerais bien un
mais il pourrait me le reprocher
ce n'est pas bien de manger les enfants
et les parents sont très stricts là-dessus
Quiconque mange un enfant sera mangé
c'est la loi et la loi est la loi
— C'est vrai dit le vieil homme
il faut respecter la loi
même quand on crève de faim
c'est un bon principe ton principe
je vois que tu es un bon oiseau
malgré tes blessures
méfie-toi cependant du requin
ton sang pourrait l'attirer
il te dévorerait d'un coup de dent
les requins aiment les oiseaux blessés
— Bah ! son appétit est d'une autre nature
en tout cas tu ne mangeras pas mes enfants
pour la raison que je n'en ai pas.
— Si tes enfants sont des poissons
je les mangerai peut-être
grillés sur un feu de bois
avec de l'ail et du vin rouge
Si tes enfants sont des oiseaux
je les écouterai chanter
en sirotant un verre de rhum
les oiseaux chantent si bien quand ils chantent
et si mal quand ils ne chantent pas.
— Tu es un brave homme vieil homme
dommage que tu portes la guigne
à tes hameçons
j'aurais bien mangé un poisson
avec de l'ail et du vin rouge
et j'suis ravi que tu ne manges pas les oiseaux
quant à mon chant
n'en attend rien que l'absence
je ne sais plus chanter
— C'est la faim, je sais ce que c'est
la faim n'est pas une bonne discipline
ça vous la coupe aussi sec
et c'en est fait de la chanson
je ne chanterai pas ce soir
je dormirai et je rêverai de lions
oui si tu veux savoir
je rêverai de lions
— Je ne sais pas de quoi je rêverai
je ne sais pas si je trouverai le sommeil
On pourrait faire un feu en attendant
manger de l'ail et du vin rouge
faute de poissons et faute de lions
faute de sommeil et de rêveries
le feu ne manque pas ici
et puis la nuit va tomber
ça nous réchauffera le cœur et les entrailles
et le vin nous montera à la tête
On a besoin d'ivresse vieil homme
du vin dans nos cervelles d'oiseaux égarés.
Voilà ce qu'il nous faut
nous nous passerons de poissons grillés
et des chants d'oiseaux
— Quel malheur ! soupire le vieil homme
quel malheur d'en arriver là
mais l'oiseau blessé ne l'entend pas
il débouche une bouteille
et s'en jette un
s'en jette deux
puis trois puis quatre cinq
une bouteille deux bouteilles
trois bouteilles quel malheur !
soupire le vieil homme
qui ne boit pas autant
mais qui boit quand même
quel malheur d'en arriver là
faute de poissons et de chants d'oiseaux
l'ail n'a plus le goût de l'ail
et ce vin est un grand malheur
qui nous arrive
on ne l'attendait pas
mais on s'y attendait
ce qui arrive n'est pas de chance
Non vraiment ce n'est pas de chance
ce n'est pas le vin
qui la fera tourner
du côté du soleil
et des choses qu'on peut
regarder bien en face
avec le vin
les choses se dérobent au regard
et les êtres s'éclipsent
on baise le derrière des fantômes
on trinque avec le néant
ça n'est pas bon pour un homme
de sourire au néant
à ses peuplades d'éphémères
rien n'est bon pour un homme
au pays où des oiseaux sont ivres
quels oiseaux ces oiseaux-là
ce sont les gardiens
de la porte du malheur
leur bec est une horloge
leur regard un abîme
où le cœur se démonte
les oiseaux de malheur
ont le vin mauvais
— Vieil homme, dit l'oiseau blessé
tu n'es qu'un personnage de roman
à ce titre je te méprise
je te méprise du haut
de mon trône poétique
Mais y a pas à dire, vieil homme
ton vin est le meilleur des vins
celui qui m'aurait manqué
si je ne l'avais bu
à ce titre je t'aime comme un frère
je t'aime comme une bouteille
comme un bouchon qu'on fait sauter
je te préfère au ventre de ma mère
je t'offrirai la cervelle de mon père
et le clitoris d'une de mes sœurs
parce que je t'aime
pêcheur de mort
pêcheur de rien
je t'aime je t'aime je t'aime
je voudrais te le chanter
mais je n'en ai plus les moyens
je t'offrirai un poil du cul du grand Bouddha
si j'en avais un sous la main
mais je dessoûlerai un jour
pour t'en rapporter un
du fond de cette contrée inexplorée
dont j'ai oublié le nom
mais à quoi l'humanité doit quelque chose
quelque chose quoi je n'en sais rien
quelque chose d'important
pour l'esprit ou le corps
peut-être pour les deux
pour les deux ce serait mieux plus complet
ça en augmenterait l'intérêt
je n'aurai pas fait le voyage pour rien
risqué ma tête et mon nombril
parmi les tribus sauvages
les mangeurs d'hommes et d'oiseaux
les amateurs de pendentifs
les broyeurs de cervelles
réducteurs de têtes
coupeurs d'oreilles et de testicules
marcheurs à pied et à cheval
marcheurs sur l'eau
nageurs dans l'eau
taupes dégoûtantes au regard de nymphomane
J'en aurais risqué des choses
ma fortune mes femmes mes châteaux
ma réputation d'homme de bien
pour quoi pour qui
je n'en sais rien
pour quelque chose qui valait la peine
et dont j'ai oublié la nature
quelque chose qui avait de l'importance pour toi
et très peu pour moi
autant que je m'en souvienne
quelque chose ayant un rapport
avec les lions ou les tigres je ne sais plus
un pays d'arracheurs de dents
de vessies de lanternes
une illusion d'optique
un jeu de miroir
qu'allais-je y chercher
pour qui pour quoi je n'en sais rien
quelque chose que le vin inspire
et qu'il balaye de la mémoire
pour faire de la place
— Oiseau mon pauvre oiseau, c'est terrible
je ne comprends pas un mot
de ce que tu me racontes
j'ai du mal à comprendre
ce que le vin te souffle
cependant je te remercie
c'est l'intention qui compte
ce sont des cadeaux de choix
mes yeux sont éblouis
je suis plus saoul que toi.
— Il y a comme du regret
dans ta bouche de pêcheur
et du sable
dans tes oreilles de porte-malheur.
Ne t'occupe pas de mes présents
écoute-moi plutôt
Ce que je dis est bien plus important
que la manière dont je dis
je n'ai plus d'ailes c'est un fait
je ne chante plus
c'est une constatation
je dis ce que je dis
ce n'est pas un rêve
et tu entends ce que tu entends
tu ne rêves pas, tu m'écoutes.
Je te raconte des histoires
mais ton histoire est la meilleure des histoires
tu verras demain ce qu'il en sera
tant pis pour toi ce qui t'arrive
— Oiseau, mon pauvre oiseau,
tu parles une langue
que je ne connais pas
tu viens de l'inventer
ça se passe toujours comme ça
chez les ivrognes
je n'aimerais pas
être à la place de ta cervelle
et déchiffrer ce que tes yeux
arrachent à la réalité
de tous les jours.
— Ma cervelle est à sa place
de tous les jours
elle a trop bu
et elle boira encore
demain nous mangerons des poissons grillés
et ma cervelle sera toujours à sa place
dans ma tête d'oiseau de malheur
entre mes deux oreilles
mon nez et mon occiput
il suffira que je la secoue
pour qu'un souvenir
se révèle à ma mémoire
je la secouerai toutes les demi-heures
pour évoquer deux souvenirs par heure
trente-deux par jour
en comptant mes huit heures
de sommeil et de rêve
ce qui nous donnera
11 680 souvenirs par an
soit 81 760 souvenirs
avant ma mort
ce qui permet de mesurer
le temps qui me reste à vivre
j'aime les calculs exacts
les bons comptes font les bons amis
et j'ai un compte à régler
avec cet ami-là
si tu vois ce que je veux dire.
— Je ne vois pas, mon pauvre oiseau
j'ai fermé les yeux
pour enfermer mes larmes
pour y mêler mes rêves
mon âme a soif d'humidité
soif de moiteur de mousses
il y a des pas feutrés
dans les couloirs de mon imagination
Qui peut marcher à cette heure ?
clapotis clapota
un p'tit tour et puis s'en va
un regard de poisson
un baiser de morue
le derrière d'un crabe me sourit
je retrouve ma vigueur de jeune homme
j'ai beaucoup donné
je n'ai rien reçu
les portes sont fermées
les clés sont sous les paillassons
on fait du feu dans les cheminées
elle suce le canard
on dirait vraiment qu'elle le suce
ça me donne des idées
c'est comme ça
que j'ai violé
ma première femme
c'est comme ça que je l'ai violée
dans un rêve de pas feutrés
et de couloirs imaginaires
un rêve de toutes les nuits
à la dernière image
avant que tout s'éteigne
elle est grassouillette
elle a l'air d'une saucisse
ses cuisses sont des jambons
et son derrière un pâté en croûte
je la dévore
sous le regard amusé
de ses parents
je la dévore sans respirer
au bord de l'étouffement
j'ouvre la bouche toute grande
et le soleil s'y engouffre
ma langue se met à brûler
mais elle éclaire mon assiette
que des os se partagent
le vin n'éteindra pas le feu qui se répand
mes oreilles me fuient
mon nez me fait des reproches
au sujet de mon comportement sexuel
qu'il estime incompatible
avec la floraison des cerisiers sauvages
mes pieds me quittent
mon ventre boude
mes bras s'affairent
en attendant que ça se passe
je suis rond comme une barrique
ça fait longtemps que ça ne m'est pas arrivé
ça aurait pu m'arriver tous les jours
le vin ne m'a jamais manqué
mais le cœur n'y était pas
cette fois, mon pauvre oiseau
je décroche les feuilles une à une
les branches se dénudent
et l'arbre rougit
je bats la campagne
je bats ma femme
je bats la mesure
je suis baba et je babats le suis-suis
je ne sais plus ce que je dis
j'aurais pu être un oiseau blessé
mais ça n'est pas arrivé
parce que les choses étaient prévues
et personne ne m'a mis dans la confidence
faut que je prépare
une ligne ou deux
mon estomac criera famine sinon
et ma fierté
je pourrais bien la ravaler
Foutues méduses et foutus requins
il n'y a que les oiseaux pour chanter
même sans ailes
un oiseau est un oiseau
un pêcheur un pêcheur
un mauvais coup un mauvais coup
si dieu existe
il ne m'en voudra pas
et s'il n'existe pas
je pardonne à mon père
de m'avoir raconté des craques
j'oublierai que ma mère
n'était pas ma mère
Faut vraiment que je prépare
une ligne ou deux c'est vital
Le vieux se met alors
à démêler les fils
dans le fond de la barque
L'oiseau s'amuse
et siffle une bouteille
l'oiseau s'amuse encore
et siffle toutes les bouteilles
qui lui tombent sous la main
le vieux démêle
se pique aux hameçons
lâche un juron
en suçant ses blessures
et l'oiseau continue de siffler
une deux une deux
il siffle siffle
il a l'impression de chanter
et le vieux bat la mesure
du talon dans le fond
de la barque au milieu
des fils et des hameçons
bat la mesure
un deux trois quatre
c'est une valse à quatre temps
une valse à la mode
refrain couplet refrain
la chanson n'a pas de fin
il va falloir s'arrêter un jour
de chanter
de boire
de démêler les fils
de se piquer aux hameçons
de dire n'importe quoi
pourvu que ça ressemble à une bouteille
une bouteille vide
ou une bouteille pleine
ça dépend de ce qu'on dit
et à quel moment on le dit
c'est toujours la question
et au lieu de répondre
on débouche quoi ? la bouteille
on lève quoi ? le coude
que faire alors sinon boire
boire pourquoi faire
sinon pour oublier
oublier quoi ?
oublier qu'on est un oiseau sans ailes
ou un pêcheur sans avenir
l'avenir n'a pas d'ailes
et les ailes ont un avenir
les oiseaux sont des oiseaux futurs
et les poissons c'est le passé
quand est-ce que ça va finir
quand est-ce que ça va finir !
Il faudra bien que ça finisse
Toute chose à une fin
même la plus mauvaise
et rien n'est plus mauvais
que de boire à en perdre la tête
c'est ce qui arrive à l'oiseau
il a perdu la tête
il a perdu ses ailes
et voilà maintenant qu'il perd la tête
il la perd au sens figuré
les ailes c'était au sens abstrait
ce n'est pas la même chose
la tête il l'a toujours sur les épaules
tandis que les ailes
elles se sont envolées
quand on dit qu'il a perdu la tête
c'est pour figurer
qu'elle ne lui sert plus à grand-chose
sinon à assurer
la vie végétative
est-ce qu'il pense ?
est-ce qu'il chante ?
est-ce qu'il se soucie de charmer ?
Non !
Il boit
Il boit tout ce qui lui tombe sous la main
du vin de l'eau de l'air
que ce soit liquide
que ce soit solide
il boit le feu quand il y a du feu
il boit la bouteille et son contenu
et le vieux se cure les ongles
avec la pointe de son couteau
il en a assez des nœuds
des fils des hameçons
d'ailleurs les poissons n'ont jamais existé
c'est l'invention d'une cervelle d'oiseau
il serait trop risqué
de nier l'existence de la mer
mais les poissons sont nés
dans l'imagination d'un oiseau
un oiseau de passage
qui se prenait pour un poisson
un poisson ou un pêcheur
on ne sait plus trop
avec le temps la mémoire s'émousse
et puis les gens d'aujourd'hui
n'aiment pas qu'on leur raconte des histoires
à dormir debout
surtout si ce sont des histoires d'animaux
des histoires pleines de poissons
qui n'ont jamais existé
racontées par un oiseau
qui n'a jamais existé
sauf dans la tête d'un vieux pêcheur
qui appartient à la légende
et qui n'a d'existence que le nom
L'oiseau blessé lissait ses plumes
Le vieux dormait
La mer clapotait sous la barque
L'oiseau prévu pour la godille
faisait des ronds dans l'eau
Le vieux dormait et l'oiseau veillait
La barque doucement s'éloignait
Maintenant le rocher avait disparu
Un grand silence s'était installé
sauf la discrète respiration du vieux
qui rêvait de lions
enfin sans doute de lions
Le jour allait se lever.
L'oiseau blessé ravala sa salive
Une petite angoisse
oh pas bien grosse
mais une angoisse tout de même
une petite angoisse le titillait
dans le fond de la gorge
entre les deux poumons
il aurait pu tousser cracher
mais il n'en fit rien
il respirait juste ce qu'il faut
pour ne pas la déranger
il sentait bien
qu'elle avait de l'importance
elle était si petite
il estima que c'était une sacrée chance
de l'avoir sentie
accrochée à un fil
dans le fond de sa gorge
ce n'était rien ou pas grand-chose
ça allait prendre de l'importance
ça existait déjà
de toute sa force future
heureusement qu'il l'avait senti heureusement
il frissonna
heureusement
elle est là
elle ne me quittera pas
elle va chanter avec moi
nous volerons ensemble
mais pas tout de suite
un jour c'est sûr
à force de respiration calculée
de toux retenue
à force d'impatience ravalée
de sommeil à demi
et de veille attentive.
À l'aube il balança le vieux par-dessus bord
mon premier meurtre, pensa-t-il
et il posa son bec sur la godille
cap sur la terre.
Non, pas encore, pensa-t-il
ce sont les hommes
qui assassinent à l'aube
les fantômes se réservent minuit
midi à la bonne heure
midi est un assassin
au visage d'oiseau
midi à tire d'aile
une fois le forfait accompli
L'oiseau blessé ricane
et le vieux ouvre un œil
— De quoi rit-il, demande le vieux
de mon air bête
ou de ton insomnie ?
— Je me moque de moi
dit l'oiseau blessé
je n'ai pas l'air bête quand je dors
j'ai tout simplement l'air
de ce que je suis
un oiseau blessé
qui ne se couche pas
maintenant que la nuit est tombée
je me moque de moi
de mes morts
mes innombrables morts
je n'ai pas le sourire facile
tu le sais
difficile de m'arracher un sourire
pourtant c'est possible
et tu vois là de quelle manière
mais quel oiseau ai-je blessé
descendu de je ne sais quel ciel
que je n'ai pas connu
et qui me connaît
l'autre oiseau s'en est allé
où ? il ne l'a pas dit
comment ? je ne le lui ai pas demandé
pourquoi ? pour la même raison que moi
c'est tout ce que je sais
parce que je suis un oiseau
et que les oiseaux savent ce genre de chose
que sauraient les oiseaux
s'ils ne savaient pourquoi
et que serait la terre
s'il n'y avait pas de réponse
profonde terre !
son œil est insondable
pourtant il nous regarde
mais que se passe-t-il
quand elle ferme les yeux
que se passe-t-il
dans cette inimaginable obscurité
où les hommes n'ont pas droit de cité
quel est l'oiseau qui s'y rassérène
piaillant à tue-tête
comme un poussin
au premier jour
ne chantant pas
ne rimant rien
sifflant les verres
l'un après l'autre
bouteille après bouteille
sous le regard amusé d'une étoile
qui n'est pas la sienne
coucou ! me vois-tu
toi dont l'œil est une étoile
et que je crois être mon complément
sur la terre
me vois-tu turlututu
es-tu mon complément
mon paramètre ou ma fonction
le plaisir n'est pas la bonne motivation
il fallait trouver autre chose
et peut-être aurais-je repeuplé la terre
à moi tout seul
avec ton ventre bien sûr
avec ton ventre et ton amour
puisque ça existe aussi
il y aurait des oiseaux et des arbres
des arbres et des fleurs
des terres de bruyères
et du miel dans les ruches
il fallait trouver autre chose
et le plaisir serait un vrai plaisir
sans arrière-pensée
ou avant-goût
il fallait vraiment trouver autre chose
ce n'était pas si difficile
de se creuser la tête
au bon moment
il y a toujours quelque chose
dans une tête qui pense
si la tête pensait
mais pensait-elle vraiment
ou c'est moi qui délire
et tu brilles pour rien
par plaisir peut-être
si nous avons quelque chose à partager
étoile oh mon étoile
sommes-nous les deux moitiés
d'un même fruit
ou bien ne sommes-nous que deux fruits
attendant sur le même arbre
d'être cueillis
ou bien de tomber parmi les herbes
où l'avenir est dans la moisissure
étoile ô mon étoile
j'ai de l'amour en quantité
cela se lit dans mon regard
cela s'entend quand je le dis
j'ai de l'amour et des raisons
de penser que ça ne sert à rien
ou que c'est trop difficile pour ma pomme
étoile dans le ciel de ma nuit
toi que la lumière absorbe
et que la nuit génère
au moment du sommeil et des rêves
étoile ne m'oublie pas
n'oublie pas ce moment cette vie
ce passage dans ton éternité
est-il possible qu'il te manque la mémoire
faute d'amour et de mémoire
je préfèrerais le sommeil
et la profonde surréalité
qui m'enchante à ce point
que je me demande
si ce n'est pas là
qu'on se fait plaisir
et ailleurs
qu'on meurt.
— Oiseau blessé, soupire le vieux
tu m'as arraché une larme
j'ai peur des larmes
tu ne le savais pas
et tu t'es laissé aller
ne touche plus mon cœur de cette façon
il pourrait s'arrêter
comme si tu m'avais assassiné
j'ai bien peur que la mort
préfère les morts
la vie ne préfère-t-elle pas les vivants
laisse mon cœur
battre sa vie
et redouter sa mort
mes yeux savent ce qu'ils savent
ils savent ce qu'ils ont vu
et ils se sont fermés chaque fois
qu'une larme annonçait le malheur
à mon âge le malheur
est une pyramide qu'on achève
une pyramide
ça se termine un jour
à la hauteur prévue
en un point précis
qu'on a situé dès le départ
en l'air au-dessus du chantier
Tout le temps de la construction
le point final était là
encore un œil qui regarde
qui se rapproche
parce que le travail avance
et qu'on va le terminer
c'est le plus grand malheur
dont j'ai entendu parler
j'en ai tremblé toute ma vie
et quoique j'ai fait pour oublier
l'œuvre allait vers son achèvement
On ne peut pas s'enivrer tous les jours
on a des responsabilités
une femme des enfants des parents
il faut remonter de la cave
plonger sa tête dans le lavoir
pour que les choses se remettent à leur place
et regarder le regard bleu profond
de la femme qui se lamente
et qui s'arrache les cheveux
les enfants n'ont que des questions à la bouche
et la mère ment
pour que la vie continue
continue mais de mourir
qu'on se crève ! qu'on se crève !
tous les jours de notre vie
se crever au travail
pour construire une mort
qui préfère les morts
se crever à l'amour
pour enfanter du temps
et le temps a choisi de mourir
se crever à l'écrire
le chanter ou le peindre
jusqu'à ce que la langue
se dérobe au langage
se crever à espérer
qu'on a vu après tout
que la face visible des choses
et qu'il y a forcément
une face cachée
mais quel visage l'occupe
ou bien c'est un désert
d'où personne ne renaît.
Oiseau, je connais la vie
elle ne m'a pas fait de cadeau
le soleil a tanné ma peau
mon crâne s'est pelé
mes doigts sont comme des nœuds
qui n'accrochent rien
que ce qui me reste de vie
Bien sûr moi je n'ai pas chanté
j'ai entendu bien des chansons
et toutes m'ont ravi le cœur
les populaires comme les savantes
les anciennes comme les nouvelles
celles qu'on oublie
et celles qui rythmeront longtemps
le cœur des hommes et des oiseaux
je n'ai pas chanté
et je n'ai pas aimé la vie
je n'ai pas souhaité la mort
je l'ai défiée quelquefois
j'étais très jeune
j'avais du courage
et je savais me retrouver
dans un verre
ou dans le lit d'une femme
non je n'ai pas souhaité qu'on meure
j'ai regardé la vie bien en face
elle a souvent baissé les yeux,
et elle s'est tue, cette bavarde !
chaque fois que le temps s'imposait
la vie était quelquefois une femme
et j'ai baisé la vie
quelquefois c'était un enfant
et je lui ai appris ce que je savais
Oiseau, je connais la vie
je sais tout de sa lumière
et j'ai parfois deviné dans son ombre
les couleurs qu'elle cache
je sais ce que savoir veut dire
ce que je sais n'a pas toute l'importance
que je voudrais qu'on accorde à ma vie
j'ai travaillé comme la plupart des hommes
j'ai travaillé comme aucun oiseau
je n'ai jamais souhaité qu'on meure
et les larmes m'ont effrayé
elles ont effrayé mon cœur plus que mon esprit
mon esprit n'a jamais eu
la place qu'il méritait
toutes les choses que j'ai vécues
j'en ai nourri mon cœur
mon esprit ne réclamait pas
il eût élevé la voix
mais avait-il de la voix ?
il est trop tard maintenant
mon cœur est gonflé
de choses sans importance
qui n'intéressent personne
mon cœur n'aura pas droit à la parole
la vie s'en écoulera
la vie retournera à la vie
et s'en sera fini de la mienne
En tout cas je ne mourrai pas de faim ni de soif !
Et le vieux de déboucher
la dernière bouteille
en chantant une vieille complainte
qu'il avait apprise
à ce qu'il dit, à ce qu'il dit
sur un des baleiniers de sa jeunesse
c'est une de ces chansons
qui chante bien ce qu'elle chante
tellement bien que c'est facile
de ne pas l'oublier
facile si facile
d'en nourrir le cœur
le sien ou celui d'une femme
selon que c'est le temps de travailler
ou de prendre du bon temps
du bon temps ou son temps
après le travail
en attendant le mieux possible
que ça recommence
et que ça ne chante plus
sauf pour accompagner le geste
et adoucir ce qu'il suppose
de souffrances et de désespoir.
Le vieux se tait brusquement
il suspend son verre un long moment
ses yeux regardent très loin devant lui
puis il dit : Terre à bâbord !
la terre c'est bien la terre
c'en est fini de cette foutue mer
la terre ça veut dire le repos
pas grand-chose à manger
parce qu'il faut bien boire
une femme un matelas
à cette époque de l'année
les fenêtres restent ouvertes
on y boit des pans de ciels
et les femmes sont les plus belles
d'étoiles amoureuses
j'aurai le vin meilleur
quand mes pieds marcheront sur la terre
cette eau entre elle et moi
elle a tout noyé
et voilà que je parle à un oiseau
et je crois qu'il me parle
mon vin était mouillé
j'en ai perdu la tête
l'oiseau était blessé
il a touché mon cœur.
Et la vague le porte sur le sable
la quille chuinte doucement
la vague est absorbée
l'écume se retire
et le vieux met pied à terre
L'oiseau, le pauvre oiseau blessé
qui a touché le cœur d'un homme
mais aussi sa raison
le pauvre oiseau blessé
regarde le vieil homme
traverser la plage
et disparaître
entre les pins.
Il vide le fond
de la dernière bouteille
puis jette la bouteille
à la mer
la bouteille est vide
il n'a rien construit rien écrit rien décidé
il ne décide toujours rien
il décide d'attendre
mais ça n'est pas là une décision
c'est bien un manque de décision
il ne sait plus
s'il faut décider
ou ne rien décider
il sait que le vieil homme
ne reviendra plus
en tout cas s'il revient
je ne serais plus là
il commençait à m'embêter
avec ces histoires vécues
et ses rêves d'enfants
ce que j'ai vécu moi
ça ne se chante pas
quant à mes rêves
un enfant n'en voudrait pas
on n'y amuse que la galerie
et les enfants n'y sont pas
ils jouent d'autres jeux
par exemple dans le cœur d'un vieil homme
qui saisit leurs petits cœurs
et qui jonglent avec eux
ce qui les amuse
ce qui les fait rire
ils ne savent pas
qu'ils ne sont que des enfants
ils le sauront bien assez tôt
et ils seront déjà très grands
peut-être vieux
et même morts
si les morts vivent bien sûr
comme l'affirment certains
ce qui n'est pas sûr
même très incertain
enfin on croit ce que l'on croit
les oiseaux parlent ou ne parlent pas
chacun fait son choix
il suffit d'écouter
et de laisser parler son cœur.
Il était une fois
un oiseau blessé
qui aimait le blues
qui aimait le blues
le blues ça c'est de la musique
ou alors je n'y connais rien
l'oiseau blessé soliloquait
debout sur le plat-bord
d'une barque abandonnée
par un vieil homme
qui n'avait pas encore vécu
l'essentiel de sa vie
et qui ne savait pas
qu'il ne mourrait jamais
enfin pas de la même façon
pas comme meurent les hommes
qui n'ont jamais adressé la parole
à un oiseau
l'oiseau blessé regardait
la plage déserte
les vagues s'y jouaient
de l'impatience des coquillages
et l'ombre des pins
parvenait jusqu'à elles
du moins le soleil le voulait ainsi
à cette heure de la journée
L'oiseau blessé pensait
ou ne pensait pas
le sommeil n'était pas loin
les rêves s'annonçaient
la lumière plus la chaleur
plus les embruns l'iode le sel le sable
l'ombre des pins
et l'ombre d'une femme.
La plage aurait été déserte
mais une femme y dormait
ce n'était pas une méduse
c'était une femme endormie
dans un lit de sable et d'écume
l'ombre des pins la couvrait
elle respirait l'odeur de la résine
et ses rêves la secouaient de temps en temps
elle y apprenait l'amour
comme toutes les femmes
soucieuses de beauté
soucieuse elle l'était
de beauté de désir et de charmes
et son rêve ciselait
une impensable vie
où renaissait son ventre
chaque fois que la mort
y visitait
les couloirs
et les chambres
Oiseau mon pauvre oiseau
cette femme n'est pas pour toi
c'est la femme d'un autre
c'est un autre que toi
qui l'aime et la remplit
toi tu n'es qu'un oiseau
et de mémoire d'homme
on n'a jamais vu un oiseau
faire l'amour à une femme
sauf dans la légende
de Monos et Una
où Monos est l'oiseau
et Una la femme
une légende n'est qu'une légende
ne vaut jamais l'histoire
l'histoire c'est autre chose
et les oiseaux n'en écrivent pas
Oiseau cette femme
est bien la plus belle des femmes
tu es un oiseau de bon goût
mais le bon goût
ce n'est pas de l'amour
c'est peut-être d'ailleurs
la meilleure manière
de se passer d'amour
on le voit communément
chez les oiseaux comme chez les hommes
tu aurais tort
si tu te trompais
en la matière
je veux dire d'amour
un homme peut bien se tromper
il n'a jamais tort
il s'excuse ou ne s'excuse pas
il fait ce qu'il veut
parce qu'il est un homme
mais un oiseau, mon pauvre oiseau
le tort que cela te ferait
et dans quelle douleur t'enfanterait
ce nouveau monde
de miroirs trompeurs
et de fausses ombres
Un reflet est toujours exact
sauf qu'il est à l'envers
un peu d'esprit
le remet à l'endroit
je t'en prie, mon pauvre oiseau
je t'en prie,
ce n'est pas le moment
de se tromper
l'endroit est agréable
le sable à la bonne température
l'ombre fraîche comme il faut
le silence n'est pas gâché
ni par la mer ni par le vent
les conditions sont réunies
toutes les conditions
sauf une
c'est que tu es un oiseau
et moi une femme
et je ne sais pas
d'amour plus inutile
que celui qu'un oiseau
destine à une femme
une femme peut bien aimer les oiseaux
ils ne s'y trompent pas
ils gazouillent volettent
nourrissent leurs petits
remplissent leurs belles
ils aiment bien
qu'une femme les aime
ils en parlent entre eux
et ils le lui rendent bien
mais pas en amour
pas de cette façon
ce ne sont pas les mêmes fleurs
ce sont des fleurs
mais pas les mêmes
Oiseau, cesse de babiller
de t'accrocher à mes tétons
comme un enfant
tu n'es pas raisonnable
si tu continues
je sors de mon rêve
je m'éveille et m'en vais
oiseau, cesse de caresser
cette peau de femme
je n'ai pas de plume
pour caresser la tienne
et puis tu es si petit
tu tiens tout entier
dans ma main
je pourrais t'étouffer
si je le voulais
si je n'avais pas un peu d'amour pour toi
un peu d'amour de femme
à peine cet amour
où des oiseaux gazouillent
où j'ai l'air d'une enfant
qui ne sait plus ce qu'elle dit
tant son esprit est troublé
et ses sens chatouillés
c'est un oiseau qui me chatouille
ce n'est pas tout à fait de l'amour
un peu quand même
enfin ce qu'un oiseau
peut donner à une femme
pas tout ce que l'amour exige
un peu de ce qu'il crée
comme une preuve que ça existe
le bonheur
Oiseau, mon bel oiseau blessé
qui t'a blessé !
Est-ce une autre femme ?
Je vois bien dans ton regard
le regard d'autres femmes
elles ont toutes les plus beaux yeux du monde
laquelle t'a blessé ?
laquelle t'a trompé
sur la nature de ses sentiments ?
tu es si crédule, mon beau blessé
tu crois toutes les femmes
parce que tu crois à l'amour
Les hommes aussi croient à l'amour
mais ils choisissent leurs femmes
c'est du moins ce que je crois
est-ce que tu pourrais chanter
si tu te donnais la peine de m'éveiller
Je dors si profondément
mon rêve me tient si bien
au fond de mon sommeil
rejoins-moi, mon bel oiseau
ou bien tire-moi de ce sommeil
Je veux entendre ta voix
et lécher la bouche qui s'y retrouve
Je veux te tenir tout entier dans ma main
ou te serrer entre mes cuisses chaudes
ou mes seins accueillants
ou simplement mes bras
j'ai de l'amour à en perdre haleine
réveille-moi, mon bel oiseau
d'un baiser ramène-moi
à la surface
— Mais enfin, dit l'autre oiseau
qui était revenu
mais enfin pourquoi ne la réveilles-tu pas ?
elle te fera l'amour
chose promise chose due
à ta place je n'hésiterais pas
à ta place je ne sais pas
elle n'a pas eu un mot pour moi.
— La réveiller, pour quoi faire ?
À la surface, c'est la surface,
et rien que la surface
tandis qu'elle dort
et que je ne suis pas loin
de me faire aimer.
— L'amour, c'est l'amour
en surface ou en profondeur
l'amour c'est de l'amour
on ne peut pas se tromper
et voilà que tu te trompes
quand ce n'est pas le moment
Son rêve t'appartient
tu es son royaume
elle sera reine si tu l'éveilles
enfin c'est comme ça que ça se passe
dans tous les pays
il n'y a pas d'amour sans reine
du moins c'est ce qu'on dit
tu connais mes voyages
ils en disent long sur toutes choses
sur l'amour aussi
et je ne saurais taire
ce que tu sais déjà
pour faire l'amour
il faut être deux
pour s'aimer aussi
mais c'est un autre problème
tu connais mes voyages
— Tes voyages, ton cœur, et ta raison
tu connais de l'amour
bien plus que moi
et ce que je ne connais pas
se mesure en voyages
que je n'ai pas fait
que j'aurais pu faire
si j'étais toi
Mais chacun son destin
elles se taisent quand tu parles
elles me parlent quand elles dorment
tu écoutes ton cœur
elles écoutent le mien
je tremble quand elles se taisent
elles parlent quand tu voyages
Oiseau, mon autre oiseau
nous sommes faits pour nous entendre
tes conseils sont ceux d'un ami
et mes pleurs de même
j'aime tes retenues
je redoute tes départs
mais quoiqu'il arrive
ici ou ailleurs
ton séjour est dans mon cœur
plus riche à chaque retour
plus loin à chaque voyage
toujours plus riche
toujours plus loin
ta devise tient la route
et la route c'est ta route
pas la mienne.
Je te suis gré
de t'arrêter
de temps en temps
pour me saluer
tu es aimable
c'est ta nature
moi je ne suis qu'un oiseau de malheur.
— Cette fois j'ai fait le tour de la terre
de déserts de sable
en déserts de glace
j'ai parcouru la terre de très haut
je crois même
m'être fait de nouveaux amis
je n'en suis pas sûr
mais mon cœur me le dit
il y a des sourires qui ne trompent pas
je me trompe quelquefois
mon âme est celle d'un voyageur
elle a d'abord le goût de l'aventure
le reste vient après
les paysages l'amour les monuments l'Histoire
après tel de ces sourires
qui me ravit le cœur
et je déraisonne facilement
dans ces moments-là
sourire au sourire
c'est la moindre des choses
qu'il trompe ou ne trompe pas
sourire c'est une réponse
c'est la seule réponse
quand il s'agit de se faire aimer
ah ! que j'aime qu'on m'aime
moi qui déteste les alcools
les artifices les mises au pas
j'aime qu'on m'aime
qu'on m'aime vraiment
ou pour de l'argent
ce n'est pas la bonne question
l'important c'est que j'aime
c'est la réponse à mes questions
et ma question c'est un voyage
au centre de la terre
ou bien autour
en l'air ou par les mers
à cheval en voiture
Oiseau blessé je te ressemble
voilà la vérité
mais tu ne veux pas cette vérité-là
et tu t'inventes un personnage
parce que tu n'es pas fier de toi
Ses yeux seraient ouverts
bleus comme le soleil qui les inonde
elle croirait à ton amour
et tu verrais bien
que son mensonge est celui d'une femme
mais ses yeux sont fermés
derrière il y a le sommeil
et les rêves que ton imagination recrée
faute d'avoir le même sommeil
derrière ses paupières
est-ce bien toi qu'elle aime
aime-t-elle les oiseaux d'ailleurs
voilà une question
que tu devrais poser
dans ta cervelle
à ce qui te reste de cervelle
Elle parlerait
à la manière des femmes
souvent pour ne rien dire
pour occuper le temps
à d'autres jeux
que les jeux de l'ennui
qu'elle redoute si fort
il te resterait le silence pour tout dire
il faudrait le chanter
pour ne rien déranger
pour ne rien éveiller
dans l'ordre de ses rêves.
— Tu vois bien qu'elle dort !
elle dormira toujours
je sais trop ce que je veux
et ce n'est pas assez
— Ah ! ce que tu m'agaces !
dit soudain l'autre oiseau
C'est toujours la même chose avec toi !
La conversation n'est plus possible
dans ces conditions
Seras-tu du prochain voyage ?
Non ? alors à la prochaine
tu aimeras une autre femme
et tu lui chanteras la même chose
elle n'écoutera pas comme d'habitude
et tu croiras ce que tu voudras.
Tu es mon ami et je t'aime
je penserai à toi tous les jours que Dieu fait
je parlerai de toi à mes nouveaux amis
des femmes sauront tout de toi
et peut-être même qu'elles t'aimeront
enfin elles penseront à toi
chaque fois que l'amour
viendra à leur manquer
elles verront dans les yeux de leur fils
le regard de celui
qu'elles auraient pu aimer
s'il n'avait été l'auteur d'un conte
à dormir debout
conté par un voyageur
qui a pris la place
de l'amant souhaité !
Adieu, mon faux ami
mon cheveu sur la langue
mon erreur de syntaxe
adieu ou bien à la prochaine
les voyages forment la jeunesse
je ne ferai pas de vieux os
mais au moins j'aurais vécu la vie
j'aurais connu l'amour
de toutes les couleurs
et fui à toutes jambes
les douleurs de l'enfantement
les fils des oiseaux sont tous des poètes
et leurs filles de charmantes occasions de se taire
Ne rate rien qui leur ressemble
Tu perdrais vite le goût de vivre.
Et d'un coup d'aile
l'autre oiseau touche l'horizon
l'horizon vert et rouge
entre ciel et mer
il y a un oiseau qui vole
pour toujours, pour toujours.
L'oiseau blessé soupire
il en a vu d'autres
c'est vrai
que c'est à chaque fois la même chose
la faute à qui
à personne et à tout le monde
Zut alors ! dit-il tout haut
je n'ai pas inventé la vie
personne ne me doit rien
la preuve, personne ne m'aime
sauf l'autre oiseau
qui est mon ami
quand le vent tourne
de mon côté
c'est mon ami
et c'est moi-même
c'est un peu de moi-même
qui voyage avec lui
mais un moi-même aveugle
aveugle de mémoire
pas aveugle d'amour
de l'amour j'en ai des paniers
de la mémoire mes paniers en ont
Zut alors ! répète l'oiseau blessé
qu'est-ce que ça veut dire
on me tourne le dos
il y a d'autres pays !
je le sais bien
que des pays existent
où je n'ai jamais mis les pieds
je le sais bien
et je m'en moque
Ici j'ai trouvé de l'amour
enfin je crois
elle me le dira bien
ma route s'arrête ici
elle me dira bien si je me trompe
l'erreur est humaine
c'est aussi un oiseau
ça peut être un caillou
une rondelle de saucisson
un camion de gravier
n'importe quoi
n'importe qui
tout le monde
a le droit à l'erreur
elle est humaine
au sens le plus large du terme
Zut alors ! elle a beau dormir
rêver ce qu'elle rêve
c'est elle que j'aime
on verra bien si elle m'aime
elle saura bien me le dire
elle a une bouche pour ça
pas que pour ça
elle a une bouche
Ah ! si je ne craignais de la réveiller
pas la bouche
elle tout entière
elle et tous ses rêves
elle sans moi peut-être
son sommeil est un paravent
où je dessine
c'est un carnet de bal
où j'écris mon nom
elle a les yeux fermés
et je bois de la bière
elle a les yeux ouverts
je reluque un ailleurs
peuplé de derrières de femmes
et de plumes d'oiseaux
qui y font la roue
en signe de bonheur
de l'autre côté du miroir
de l'autre côté de la femme
de son reflet en mouvement
ombre et lumière se mêlant
intimement intimement
je boirai de la bière dans un bordel
en attendant qu'elle s'éveille.
— Tu es un bel oiseau
dit la femme endormie
et tu chantes si bien
je vais te mettre en cage
dans une cage dorée
où j'ai enfermé mon cœur
tu chanteras pour moi
dans ma chambre dorée
les chants que tu inventes
pour toucher mon cœur
— Je ne suis pas inaccessible
Tu peux toucher mon sein
tout près de la cage dorée
dont j'ai fermé la porte
caché la clé dans une armoire
oublié l'armoire
je suis si près que tu me touches
tu vois bien que ce n'est pas difficile
tu vois bien que je suis à toi
la vraie cage
c'est dehors qu'elle enferme
c'est ici que je souffrirais
si je ne te savais amoureux
et si je ne l'étais moi-même.
Tu chantes si bien quand tu chantes
et tout est si triste
quand tu me donnes le silence
si bien quand tu chantes
et si triste, si triste
quand tu t'arrêtes de chanter
pensant à quoi pensant à qui
à l'autre oiseau
à ta jeunesse
quand tu t'arrêtes de chanter
mon cœur me torture
ma raison me fait mal
et je regarde autour de toi
autour de nous
à la fenêtre peut-être
ou bien dans ton regard
qui s'est arrêté
lui aussi
de chanter
pour quoi pour qui
je ne sais pas ce que tu penses
tu penses à moi ou à une autre
ou bien tu voyages en silence
tu t'envoles
tu rêves que tu t'envoles
je rêve avec toi
mais rêver seulement
car tu es un oiseau
et je suis une femme
un rêve de femmes
une femme endormie
dans les sables de l'été.
— Un rêve ! à qui le dis-tu !
je suis jaloux de ton sommeil
et je n'ai pas envie de dormir
Faire l'amour à la bonne heure !
mais il faudrait te réveiller
vieillir ensemble, eh ! pourquoi pas !
mais il faudrait te priver de sommeil
Quand tu dors
c'est si profond
et quand tu rêves
c'est si long.
Si j'avais des ailes
je serais un oiseau
si j'étais un oiseau
un véritable oiseau
des ailes des plumes un bec
un oiseau qui pond des œufs
mange des vers de vase
et imite si bien le chant du rossignol
si j'étais un oiseau
je tomberais amoureux d'une oiselle
mais voilà ! je suis un homme
un homme qui aime les femmes
je sais bien
qu'on peut ne pas les aimer
mais voilà je les aime
pas toutes
car il en est de laides et de mauvaises
certaines
quand elles sont bien faites
pas bêtes
et pas farouches
Si j'étais un oiseau
je te ferais des tours d'oiseaux
des tours en l'air
mais voilà je suis un homme
et mes tours je les fais par terre
dans un lit si c'est possible
mon sexe est un sexe d'oiseau
mais quand il aime il aime
dis-moi que je suis un homme
et que tu m'aimes comme je suis
sexe d'oiseau ou sexe d'homme
un sexe est un sexe
et un sexe qui aime
est un sexe qui bande...
Je pourrais te dire les choses
plus simplement
tu aimes tant la simplicité
les oiseaux sont simples
ce n'est pas simple de voler
quand on n'est pas un oiseau
ce n'est pas simple non plus
d'être un oiseau
quand on t'aime
comme je t'aime.
Oiseau ! Oiseau !
est-ce que je suis un oiseau
où sont mes ailes ?
j'ai bien un bec
mais après !
est-ce que les oiseaux ont un bec ?
quelquefois un bec
d'autres fois une bouche
c'est selon l'humeur
il fait beau ou il pleut
on ne peut pas être blanc et noir à la fois
et puis on a sa fierté
des principes des règlements des lois
On inspire le respect
ou on s'en inspire
Mais est-ce que les oiseaux ont de l'orgueil !
L'oiseau blessé
qui s'appelait Kateb
et qui n'était pas un oiseau
mais un poisson comme vous et moi
l'oiseau blessé la regarde s'éloigner
disparaître dans l'ombre des pins parasols.
Il eut un petit pincement au cœur
il n'avait pas ouvert la bouche
il avait seulement pensé
ce qu'il lui aurait dit
si elle lui avait adressé la parole
Elle s'en était allée
emportant avec elle la cage dorée
dont la porte battait
elle avait dit
« Zut ! j'ai oublié de fermer la porte
Ce que je suis oisive ces temps-ci ! »
Elle avait dit cela d'une voix très douce
le genre de voix
qu'aiment les oiseaux
entre la voix de femme
et le chant d'un oiseau
il y a une autre voix
écoute une autre voix
celle qu'on aime
la voix de celle qu'on aime
une voix qui pond des œufs
et qui donne le sein
une voix qui prend la plume
pendant qu'elle coiffe
qu'elle étire et qu'elle parfume
son incroyable chevelure
en forme de palme de palmier
de palmier du midi
du midi
Oisive, elle l'était
inutile peut-être
sauf pour l'amour
et encore !
au moment de l'amour
et seulement à ce moment.
Elle allait d'un pas pressé
entre les pins saignant leur sève
L'oiseau la suivit
il volait
il ne volait pas
on s'en fout
d'ailleurs les poissons ne volent pas
sauf les poissons-volants
qui sont des oiseaux.
Elle entra dans la maison
abandonna son peignoir sur un guéridon
il entra avec elle
d'un coup d'aile
et se posa sur le rebord d'une fenêtre
un vent léger agita ses plumes
elle disparut dans l'escalier
et il écouta le bruit de la douche
Tout allait bien maintenant
il avait l'esprit tranquille
de la fenêtre il pouvait voir
la nuit absorber les pins
la nuit avancer dans le jardin
vers la maison se glissant
effaçant le jet d'eau du bassin
et le bassin disparu
approchant des rosiers
qu'il avait taillés ce matin
Ce matin,
elle ne lui avait pas adressé la parole
Elle avait renversé son café
sur sa robe déjà mouillée
mais elle n'avait rien dit
n'avait rien laissé paraître
de sa sourde colère
Elle réapparut dix minutes plus tard
dans une autre robe
c'était la robe perlée d'une catin
c'était un vieux souvenir
entre l'adolescence
et la maturité
entre les rêves du possible
et le sommeil de la nécessité
voilà ce que c'était
Il lui avait souri
en pliant son journal
mais elle ne le regardait pas
Elle ne lui demanderait pas
où il en était
ce qu'il avait écrit cette nuit
si c'était bon
à refaire
ou à jeter.
Elle ne disait rien
ni d'aimable
ni de désagréable.
Elle était comme ça :
aimable, désagréable ou absente
Ce matin elle était absente
elle était capable de changer de robe
à chaque instant
et entre chaque robe
elle avait disparu
Demain elle sourirait
ou elle ne sourirait pas
On ne sait jamais avec elle
ce n'est pas comme le vent
quand il souffle de l'ouest
il amène la pluie
du sud la sécheresse
du nord le froid sonore
de l'est il ne souffle pas
elle n'est pas comme le vent
Moi je ne suis qu'un oiseau de passage
dit l'oiseau
mais quel oiseau
on le saura bientôt
mais je la connais bien
dit l'oiseau
dont le nom nous échappe pour l'instant
Il pouvait voir l'écume
sur la mer devenue soudain noire
présente et insondable
la mer comme un immense rocher
léché par l'écume des vagues
C'est vraiment chouette
d'écrire un roman
et c'est vraiment très chouette
d'en être le héros
c'est chouette et ça ne coûte rien
ou pas grand-chose
Je t'écris du haut de mes montagnes
tu sais ? celle que j'aime
où j'ai choisi de vivre
je t'écris un roman
un roman plein d'oiseaux
pour faire plaisir
à ceux qui aiment les oiseaux
j'y mets d'autres animaux
mais ce n'est pas forcément
pour les faire aimer
d'ailleurs qu'on les aime ou pas
ça ne les empêche pas
de continuer de vivre
dans la même peau
une peau de requin est une peau de requin
on aime ou on n'aime pas
ce n'est même pas une question
qu'un animal peut se poser
que dire des choses qui ne pensent pas
et de Dieu qui s'en fout !
Demain c'est dimanche
et je n'ai rien à fêter
je trinquerai avec le sommeil
quand il lève le coude
il ne fait pas semblant
il n'est même pas avare de son vin
c'est dire si c'est bon
de trinquer avec lui.
C'est dimanche une fois par semaine
dit le chien en levant la patte
contre le pied du guéridon
où elle a jeté son peignoir
ici il y a un chien
un chat
un cheval
deux poules
et un coq
il y a un canard
et une cane
un bouc
une chèvre
un râtelier avec des outils
un râtelier avec des dents
et un râtelier qui ne sert à rien
parce qu'on ne s'en sert pas
À quoi sert-il ce râtelier
c'est la question que je me pose
en secouant la porte
de la cage dorée
il ne sert à rien
il ne sert à rien
moi non plus
je ne sers à rien
je suis beau
et elle me regarde
je suis de toutes les couleurs
et elle m'aime bien comme ça
et puis je chante
elle adore ça
mon chant
elle ouvre de grands yeux
de beaux grands yeux qui m'aiment
et je chante
je chante ce qui me passe par la tête
je n'écris rien
je chante
et les notes se perdent
les mots s'en vont
quel gaspillage ces chansons !
quelle débauche de talent !
voilà ce que je me dis
mais je suis bien obligé de chanter
je suis là pour ça pas
de mon point de vue bien sûr
mais un oiseau chante
s'il ne chante pas
c'est qu'il est mort
et s'il est mort
plus rien n'existe
Toi, tu existes oh mon amour
tu existes bel et bien
je vois bien que tu existes
et tu vois bien que je t'aime
Mon amour vaut bien une cage
j'aime cette cage
parce que je t'aime
Un jour tu ouvriras la porte à mon insu
cachée dans l'ombre d'une fenêtre
tu attendras mon réveil
tu goûteras ma surprise
tu voudras que je parte
mais je ne partirai pas sans toi
je fermerai les yeux
je chercherai un autre rêve
et je le trouverai
il faudra bien que tu refermes la porte !
tu fermeras la porte
sur ma fausse quiétude
et tu jureras de ne plus recommencer
tu le jureras à haute voix
pour que j'en sois témoin
et tu ne m'en voudras pas
tu me demanderas de chanter
et je chanterai
tu me demanderas d'être beau
et j'inventerai de nouvelles couleurs
tu me demanderas de partir
et j'ouvrirai la porte
pour que tu la fermes !
Il n'y a pas que du bon
dans mon petit cœur d'oiseau
dans ma tête non plus
j'aimerais être un autre oiseau
celui qui s'en va
et ne revient pas
mais ce que j'aime
est si difficile
difficile de beauté
de femme lointaine
et si proche quand tu veux
difficile de chanter
quand ma gorge se noue
à la pensée que ma cage
est suspendue à un fil
qui n'est pas le fil d'Ariane.
Il y a de méchantes pensées
dans mon sac à penser
mais il vaut mieux ne pas en parler
elles pourraient entendre
et chercher à se disculper.
Fausses ombres !
Il était une fois
un oiseau blessé
qui cicatrisait
dans une cage dorée
une jolie femme
le faisait chanter
et quand il ne chantait pas
il se mourait d'amour pour elle
Quel gâchis, ces chansons !
se lamentait l'oiseau blessé
et quel dommage que le vent
ne les écrive pas
dans le sable de leurs têtes !
Quel gâchis ! Quel dommage !
et quelle pitié dans le cœur d'un oiseau !
Mais ce qui est le plus chouette
se dit l'oiseau
c'est son nouveau refrain
ce qui est chouette vraiment
c'est que j'écris un roman
et que personne n'en sait rien
rien personne pas même elle
un roman dont je suis le héros
un héros que j'ai fabriqué
de toutes pièces
et des pièces qui manquent
pour ne pas tout dire
et laisser entendre
Pour le moment
je n'ai inventé aucun autre personnage
je n'en ai pas senti la nécessité
j'ai aussi supprimé les événements
ils ne veulent pas dire grand-chose
et puis ils prendraient la place du héros
il n'en est pas question
du moins pas pour le moment
un jour peut-être
je lui trouverai une histoire
de mon invention
une histoire avec d'autres personnages
de moindre importance
et puis aussi deux ou trois choses
même quatre
un chien
un chat
un cheval
et une raquette de tennis
sans la balle
sans l'autre raquette
et sans filet
pour qu'on voie que rien n'est truqué
un chien qui lève la patte
un chat qui se prend pour un chat
un cheval pour un bidet
et le bidet pour une raquette
Le monde est merveilleux
quand on est romancier
et qu'on a du succès
je n'ai pas encore de succès
mais ça ne saurait tarder
à moins que je sois poète
ce qui gâcherait tout
le succès
le monde
les chiens et les chats
les chevaux les bidets les raquettes
tout serait gâché
par la poésie
c'est comme ça de nos jours
c'est la poésie qui gâche
qui gâche tout
même la fête
même la bonne humeur
une goutte de poésie
fait toujours déborder le vase
tandis qu'un torrent de roman
c'est le succès assuré
voilà ce qui est chouette
quand on écrit un roman
c'est qu'on peut dire n'importe quoi
pourvu que ça ne fasse pas
déborder un vase toujours plein à ras bord.
Dans ma cage dorée dorée
à l'or fin
j'écris en secret
un roman d'amour
un roman d'amour cela veut dire
que l'amour en est le sujet
et que le héros n'est pas tout seul
Pour l'instant
mille excuses
il l'est
il faudra repasser un autre jour
il se sera peut-être passé
quelque chose de nouveau
pour changer sa solitude
insupportable solitude
En tout cas la clé est sous la porte
n'hésitez pas à ouvrir
il n'y a qu'un tour
pas bien difficile
après quoi le rideau tombe
le spectacle est terminé
ce n'est plus un roman
c'est une confidence
des larmes dans les yeux
l'amertume sur la langue
un frisson sur la peau
on se bouche les oreilles
j'écris pour quoi pour qui
j'écris parce que c'est chouette
j'écris pour une chouette
un oiseau de la nuit
qui dort nu dans un grand lit
où la nuit est chouette
mais pas sinistre
Mais la nuit
ce n'est pas moi
pas même un morceau de mon cœur
la nuit n'est pas sinistre
moi oui la nuit
je suis sinistre
et pourtant je ne suis pas chouette
je suis un oiseau de malheur
blessé par-dessus le marché
j'ai été un chouette oiseau
une chouette avec des ailes
et de grands yeux profonds et solitaires
pour effrayer les vieillards séniles
qui aiment les petites filles
et les petits garçons
et qui ne savent plus jouer
à chat perché
à cochon vole
à trou du cul champignon tabatière
au chien errant
qui se gratte une oreille
et à la puce
qui y sommeille
c'est chouette aussi l'enfance
chouette les jeux
pas les torgnoles
et les évaluations d'intelligence
chouette les jeux
quel est l'arbre le plus haut de la terre
celui qui est dans mon cœur
quel est le cœur le plus gros
celui que je te destine
et quel est l'animal
qui vit si longtemps
que sa mémoire ne suffit pas
c'est toi c'est moi c'est eux
c'est nous tous dans l'éternité
non pas pour amuser les dieux
mais simplement pour leur montrer
qu'eux c'est eux
et nous c'est nous.
Ce ne sont pas là des jeux d'enfants
ni de vieillards séniles
ce sont des jeux d'oiseaux
un oiseau à la mémoire courte
un oiseau qui n'a jamais été enfant
un oiseau qui ne vieillira pas
un oiseau qui s'est arrêté
pour aimer
au diable les enfants et les vieillards !
et rien à Dieux, pas ça !
Je suis sinistre quand je m'y mets
je dois avoir du sang
de chouette dans les veines
il y a tant d'ombres dans ma tête
tant de songes ignorés
qui n'ont pas encore eu lieu
et qui me font mal
d'exister et de n'être pas
au monde que je vis
je suis sinistre, mais pas bête
j'aime ce que j'aime
à ma manière d'oiseau blessé
j'ai une tête à écrire des romans
et une queue à faire l'amour
j'ai un tas d'autres choses
dont je me sers avec soin
Mais ma tête et ma queue
sont ce que j'ai le mieux étudié
pourquoi n'est pas une bonne question
on se fiche de savoir qui est qui
comment est une question intelligente
mais où
ça c'est le mystère
c'est tout l'objet
tout le temps
et quand
voilà le moment de se taire
ou de pondre
un de ces chefs-d'œuvre
qui font le tour du monde
pour le refaire sans cesse
Je suis sinistre
mais je suis heureux
j'ai du sang de chouette
dans mes veines
mais aussi du sang de courlis
de merle et de bergeronnette
de mésange
de fauvette
du sang de chien
et du sang de chat
Je le dis au chien
il rigole
je le dis au chat
il me tourne le dos
je le dis aux oiseaux
aux mouettes par exemple
et les mouettes me disent
nous sommes l'autre oiseau
et nous te croyons sur parole
S'il n'y avait pas de ciel
on ne pourrait pas voler
s'il n'y avait pas de terre
on ne pourrait pas marcher
on ne marche pas sur l'eau
on peut faire semblant
surtout si on sait voler
mais faire semblant n'est pas faire
voler n'est pas marcher
l'eau c'est fait pour nager
et le feu pour se brûler
nous sommes l'autre oiseau
et nous aimons la vie
aussi nous n'aimons pas
qu'on nous enferme dans une cage
la liberté d'abord
l'amour après
mais pas dans une cage
dans un lit parfumé
et pas tout seul
avec celle qu'on aime
et pas trop vite
parce qu'on aime vraiment.
Voilà ce que dit l'autre oiseau
et il le dit d'un air important
tout en volant
au-dessus de la cage
où je me meurs d'amour.
Je le répète au chien
il rigole
je le répète au chat
il me tourne le dos
à elle je ne dirai rien
de ce que je sais
du peuple des oiseaux
je bercerai son cœur
mais sans tristesse
parce que la tristesse
ne berce rien
et surtout pas le cœur
elle ne doit rien savoir
du peuple des oiseaux
des oiseaux blessés
et de l'autre oiseau
un oiseau est un oiseau
il change de couleur de voix de pays
un oiseau en cage
ou un oiseau en liberté
un oiseau est un oiseau
voilà tout ce qu'elle sait des oiseaux
et c'est bien suffisant
c'est même quelquefois trop
elle ne me croit pas tout à fait
elle est charmée
mais elle doute
elle doute avec amour
elle doute comme un oiseau
un doute sans importance
un doute qui n'arrête rien
sinon son sourire
et ses grands beaux yeux
qui interrogent mon bec d'oiseau
mon bec qui ment
mais si bien
si naturellement
sans mensonge
rien que le verbe mentir
conjugué au présent de l'indicatif
par mon bec
qui se prend pour un sujet
et qui l'est peut-être
peut-être
c'est un bec d'oiseau le mien
un oiseau en cage
et l'autre oiseau
reviendra-t-il du pays
où meurent les oiseaux
qui ont de l'esprit
et pas seulement du cœur
Vous le saurez au prochain numéro
s'il paraît
ce qui ne paraît pas
Je le dis au chien au chat
à la porte des cabinets
quand elle est occupée
à faire quoi je ne sais pas
en tout cas elle s'en fout
le chien s'en fout
le chat aussi
la vie n'est pas tous les jours marrante
dans une cage avec un oiseau
qui écrit le roman de sa vie
tu le dis au chien
tu le dis au chat
le chien se tape sur les cotes
le chat se lisse les moustaches
un oiseau dans une cage
c'est une triste image de la vie
et une porte ouverte
c'est triste aussi
en fait c'est le plus triste de l'histoire
parce que la cage
tout le monde en parle
elle est fermée
elle est ouverte
on la ferme
ou on l'ouvre
tout le monde sait cela
mais une cage ouverte
déjà ouverte
qui ne se referme pas
c'est triste pour l'autre oiseau
qui d'un coup d'aile
s'en est allé
au pays où des oiseaux sont morts
de la mort naturelle
pas la bête mort
des oiseaux en cage
pas la bête mort
des oiseaux amoureux d'une femme
ici les oiseaux meurent
en battant de l'aile
et ce n'est pas bête ça
cette mort est loin d'être bête
en tout cas
dit l'autre oiseau
c'est la mort que j'ai choisie
c'est un signe d'intelligence
et c'est déjà pas mal
tandis que toi, mon pauvre oiseau
tu as choisi l'amour
pas l'amour de l'art
ou de Dieu
ou des choses simplement belles
tu as choisi une femme
comme si les oiseaux
pouvaient faire l'amour aux femmes
tu es stupide lâche ignorant
tu es la honte de notre espèce
c'est vrai que c'est une belle femme
et qu'elle inspire l'amour
chante-le une fois
à la deux tu t'envoles
et à trois tu ne reviens plus
Je dis cela parce que je suis l'autre oiseau
mais si j'étais toi je réfléchirais
avant que ça soit trop tard
mais si tard dans la nuit
que ton cri ta douleur ton désespoir
ne passeront pas au travers des barreaux
et pour quoi pour qui
pour cette fille
qui n'entend que ce qu'elle veut
et ce qu'elle veut
mon pauvre oiseau blessé
ce n'est pas un chant d'oiseau
ni même une de tes plumes
tes yeux de merlan frit
et ton bec qui a l'air d'un cornet
à pistons sans pistons
et planté à l'envers
sur ta face de poisson
d'ailleurs si elle soufflait dedans
l'erreur est pardonnable
tu en conviendras
si elle soufflait dedans
tu ferais en sorte
qu'il sorte un son de cornet
de ton abominable derrière !
Tiens allez hop !
je m'en vais
pour ne plus revenir
je reviendrai où ça me chantera
et dieu sait si ça me chante souvent
des femmes
des pays
des copains de campagnes
sans compter la progéniture
et les vins inoubliables
Non mais c'est vrai !
je perds un temps qui m'est compté
il s'accroît d'un côté
et décroît de l'autre
c'est-à-dire qu'un jour il s'arrêtera
et qui s'arrête avec le temps
tout
moi toi eux
les vallons les vallées
les rivières les ruisseaux
les chansons et la musique
tout
je te laisse à ton roman
et à tes amours
et c'est parti pour mille voyages
mille pays et mille femmes
c'est parti pour ne plus revenir
et d'un formidable coup d'aile
l'autre oiseau s'emporte
à l'autre bout de la terre.
Un jour, beaucoup plus tard
dans un autre pays
j'ai rencontré l'autre oiseau
c'était un vieillard respectable
qui avait perdu l'usage de la vue
et qui buvait beaucoup de vin
parce qu'il avait décidé
de vivre le plus longtemps possible
il aimait la vie
et la vie le lui rendait
il ne volait plus depuis longtemps
mais il aimait regarder
les mouettes au-dessus du port
et les écouter
elles avaient tant de choses à dire
parfois un aigle étonnant
lui faisait la conversation
ou bien une colombe astucieuse
le régalait de ses charmes
La première fois que je vis l'autre oiseau
il était assis sur son chapeau
et se régalait d'un café-crème
il m'attendait
aussi lorsque j'arrivai sur la terrasse
il se leva et me salua
il avait retenu une chaise
avec politesse mais fermement
parce qu'il y avait ici
beaucoup d'amateurs de chaises
d'autant que leur usage était gratuit
à la condition de consommer
ce à quoi chacun s'affairait
avec beaucoup de conscience
et une chaise sous le derrière
les verres et les carafes allaient et venaient
sur des plateaux volants
qui volaient de leurs propres ailes
depuis un certain temps déjà
cet établissement n'employait
que du personnel de qualité
trié sur le volet
il y avait beaucoup de chômage en ce temps-là
et le volet avait de considérables dimensions
plus d'une fenêtre en a rougi
qui s'ouvrait à la demande
le vieux agitait son chapeau
par-dessus les têtes
— Je me suis encore assis dessus
me dit-il en souriant
c'est grotesque cette manie
de s'asseoir sur une seule chaise
et seulement après avoir enlevé son chapeau
Vous ne trouvez pas que c'est grotesque
— Je ne porte jamais de chapeau
enfin ça ne m'est jamais arrivé
— Bien sûr, une chaise vous suffit
Occupez celle-là
j'ai eu un mal fou à la conserver
j'ai dû l'arracher cent fois
des mains d'un énergumène ou d'un autre
Monsieur, quand on porte le chapeau
on a droit à deux chaises
celle-ci est pour vous
la prochaine fois que je vous recevrai
je serai moins poli
et je garderai mon chapeau sur la tête
et gare à celui qui me cherche des noises
le poids des ans ne m'a pas écrasé
je tordrai le nez des morveux
et la bouche des baveux
Le vieux avait dit ça pour les divers consommateurs
qui le regardaient de travers
certains avaient un chapeau sur la tête
— Ce qui, précisa le vieux en souriant,
ce qui donne droit à deux chaises
en cas de politesse et seulement dans ce cas
— Je comprends mieux maintenant, dis-je
— Vous avez pourtant l'air de ne pas comprendre !
Mais peu importe
ce qui se passe dans votre tête
ce qui occupe la mienne
est bien plus important
de mon point de vue bien sûr
Moi aussi j'ai écrit des romans
et je sais ce que ça vaut
Ah ! monsieur, un chant d'oiseau !
vous ne savez pas ce que c'est
et vous ne le saurez jamais
c'est pour ça que vous écrivez des romans
et que j'ai cessé d'en écrire
Que diriez-vous d'un verre de vin ?
c'est vous qui payez bien sûr
Il est rare que je paye ce qu'on m'offre
de si bon cœur.
Le service est impeccable
et le vin inoubliable
enfin
si j'ai bonne mémoire
et ça, monsieur, je ne peux vous le garantir
mon cerveau est vieux
si vieux que mon crâne
pourrait en contenir cent comme celui-là
et ma mémoire n'a plus la place
elle a oublié beaucoup de choses
elle a changé des noms des lieux
les époques se mélangent
c'est un vieux cerveau
qui ne s'affole plus
quand ça coince
il préfère le sommeil au miroir
Mais je vous ennuie sans doute
avec mes histoires de vieillard
je ne veux pas dire par là
que je vais vous raconter des histoires de jeune homme
je n'en connais plus
et si je prétendais le contraire
je mentirais
êtes-vous venu me voir
pour entendre des mensonges ?
vous avez parcouru
un si long chemin
ce serait dommage
l'autre bout du monde
ce n'est pas la porte à côté
je le sais
j'en viens
mais c'est ici qu'on vient mourir
quand on est un autre oiseau
il ne faut pas se raconter des histoires
les vieux n'ont pas grand-chose à dire
sinon seraient-ils vieux
auraient-ils vécu si longtemps
s'ils avaient quelque chose
d'important à dire
les vieux nous ressemblent
ils sont simplement plus âgés
l'usure a fait son œuvre
plus que le temps
oui, plus que le temps
si j'avais su ce que je suis
avec le temps
tout le temps
ce qui était possible
mais qui n'en a pas voulu
et pourquoi ?
c'est bon d'être un oiseau
mieux que quoi que ce soit d'autre
je n'aurais pas voulu
être un cheval ou un homme
un arbre ou un ballon de football
j'étais oiseau
et cela me convenait
je savais que c'était important
mais je ne savais pas
que le temps n'y peut rien
que c'est une question d'attente
et qu'en attendant
mon dieu pourquoi pas
en attendant
chanter voler aimer visiter charmer
conjuguer tous les verbes
à tous les temps à tous les modes
et mettre un nom
sur chaque visage
la mémoire est fille de l'attente
ce n'était pas le bon objet
mais c'était quoi le bon objet
l'amour ou la mémoire ?
ni l'un ni l'autre
ni dieu ni diable !
Le temps n'est pas une horloge
pas une mécanique
l'horloge imite le temps
mais c'est une marionnette
l'âme est cachée
quand elle existe
et ce n'est pas toujours le cas
Je vous ennuie
ne secouez pas comme ça la tête
bêtement pour dire le contraire
je vous ennuie
depuis un certain temps
combien de temps
je n'en sais rien
j'ennuie tout le monde
tout le monde s'ennuie
chaque fois que j'ouvre la bouche
c'est que je ne chante plus
je ne sais plus mon solfège
je l'ai oublié
ça arrive même au plus malin
et quand ce n'est pas le solfège
c'est une corde vocale
ou un poumon
ou le mal aux dents à la tête aux pieds
quelque chose n'importe quoi
qui vous empêche de chanter
ou de chanter avec talent
alors forcément l'ennuie ça pèse
ça appuie sur la détente
et le sommeil est le meilleur refuge
on garde les yeux ouverts
pour ne rien laisser paraître
de son ennui
mais en dedans ça dort bel et bien
rien ne bouge
c'est le calme plat
on a tombé toute la voile
et mis en panne sur l'horizon
Enfin les choses sont ce qu'elles sont
moi je ne peux rien changer
d'ailleurs c'est moi qui change
et ça n'inquiète que moi
continuez de dormir, jeune homme
et de ne rien laisser paraître
il faut tromper le monde
si l'on veut vivre longtemps
mais attention
tromper n'est pas vivre
Il était une fois
une belle cicatrice
dans la chair d'un oiseau
une cicatrice inexplicable
une question sans réponse
ce qui explique bien des choses
l'oiseau blessé chantait
des chansons de son crû
La porte était ouverte
il aurait pu partir
mais il ne le fit pas
il chanterait jusqu'à la mort
ou du moins tant que la vie
inspirerait son cœur
et la vie était chargée
d'êtres de choses et d'histoires
où son cœur se retrouvait
c'était un oiseau
qui aimait le blues
et elle l'écoutait sans trop y croire
elle disait quelquefois
— Oiseau, tu m'aimes, je le sais
pour chanter de cette manière
il faut bien que tu m'aimes
je reconnais l'amour de loin
je ne suis pas femme pour rien
mais ton amour m'amuse
je ne peux pas y croire
tu voudrais que je crois
ce qu'il te plaît de croire
je ne peux pas je ne peux pas
tu es un bel oiseau charmeur
et je te permets de te poser sur mon sein
mais rien de plus
ne tente rien de plus
c'est ainsi que je veux commencer
parce que je n'y crois pas
je ne peux pas y croire
mais tu chantes si bien
difficile de croire
que tu pourrais mentir
tu ne sais pas mentir
tu ne sais pas aimer non plus
tu m'aimes et je le sais
je reconnais l'amour
c'est un autre chant
une autre voix
et tu l'imites si bien
et c'est déjà fini
Retourne dans ta cage
tu ne comprendrais pas
retourne d'où tu viens
si c'est possible
la porte est ouverte
ne me regarde pas
cesse de chanter maintenant
je vais aimer
aimer comme je peux
aimer de tout mon cœur
et de toute mon âme
qui ?
je ne sais pas
un autre oiseau peut-être
un oiseau de passage
un bel oiseau
qui me fera un enfant
si je le veux
ou qui ne m'en fera pas
si je le lui demande
— C'est ainsi que ça s'est passé
dit le vieux
je l'ai baisée toute la nuit
au matin elle voulait m'épouser
ce que je fais je le fais bien
et voilà le résultat
elle s'était mis dans la tête
des choses qui n'étaient pas dans la mienne
moi je n'ai jamais demandé à personne
de faire ce qui me plaît
ce que je demande
on me le donne ou pas
je voyageais beaucoup à cette époque-là
et j'ai beaucoup reçu
j'ai remercié
ou je me suis révolté
mais je n'ai jamais proposé à quelqu'un
de m'épouser après une nuit
d'amour dans une chambre
au bord de la mer avec
un oiseau en cage qui
n'arrêtait pas de piailler
et de me casser les oreilles
ce que je fais je le fais bien
un point c'est tout
il y a eu des larmes des cris des plaintes
j'avais des ailes
je m'en suis servi
et d'un coup d'aile
j'ai touché l'horizon
et le soleil se levait à peine
je n'avais pas dormi de la nuit
et pour cause !
je rencontrai une mouette
qui m'indiqua la terre la plus proche
et là je dormis
dix jours et dix nuits
dans les bras d'une femme
qui faisait payer
tout ce qu'elle offrait
Au bout de dix jours
je payai ce que je devais
je lui fis l'amour avant de partir
et d'un coup d'aile
je touchai l'horizon
il n'y avait pas un chat
et comme je déteste la solitude
je partis à la rencontre
de la mouette qui jamais
ne se mit dans la tête
d'épouser mézigue
nous eûmes treize enfants
et nous les mangeâmes
pour fêter nos vingt ans
de vie commune
après quoi je la quittai
vieille mais heureuse
d'avoir vécu ce qu'elle avait vécu
Une autre fois
je rencontrai un Chinois
qui vivait de commerce
et de vol
je l'épousai par une nuit folle
pas par amour
par intérêt
on jasa
mais je n'en fis pas cas
je l'empoisonnai au bout de six mois
de vie commune et régulière
et je partis avec la caisse
je ne lui avais pas fait d'enfant
lui non plus ne m'en fit pas
il était mort
on était quitte
et j'étais riche
J'ouvris une boutique de souvenirs
à bord d'un navire qui croisait
au large de l'Afrique
le navire fit naufrage
mon commerce avec lui
et je dus épouser un autre Chinois
pour redorer mon blason
il mourut trois mois plus tard
de mort naturelle
comme c'était un escroc
un voleur un assassin
il ne me laissa que des dettes
et je me jurai
de ne plus épouser désormais
des Chinois porte-malheur
Je renonçais d'ailleurs carrément
à épouser des hommes
c'est contre nature
ça porte malheur
et ce n'est pas moral
en plus c'est dégueulasse
Je fis donc la connaissance
d'une charmante fillette de treize ans
et comme je n'avais pas l'expérience
qu'il faut
je confondis le mariage avec le viol
et on m'envoya en prison
où je devins
une femme
C'est une sale période de ma vie
aussi je n'en dirai rien de plus.
Quand je fus libre de nouveau
je redevins un autre oiseau
et je violai trois fillettes de treize ans
mais en connaissance de cause
je violai aussi un gendarme
un juge
et un greffier qui était une femme
et puis je n'eus plus soif de viols
j'avais payé ma dette à la société
et la société m'avait rendu la monnaie
D'un coup d'aile
je touchai l'horizon.
Le soleil se couchait
je n'avais plus le même âge
j'avais beaucoup violé
aussi les avances d'une mouette
ne me firent aucun effet
elle me demanda si j'étais normal
et je lui expliquai mon récent passé
de violeur de fillettes
comme elle comprenait
tout ce que je lui disais
et que ses beaux yeux de mouette
avaient la couleur du vent
je lui demandai
de rester avec moi
— Un jour, lui dis-je
le passé sera le passé
demain peut-être
— Demain dans doute
dit-elle en imitant le cri de la mouette
et le lendemain
je n'y allai pas de main-morte
je lui fis l'amour
je lui fis plaisir
je lui fis un enfant
qu'on se promit de dévorer
à la première occasion
c'est en suçant les derniers os
qu'il me vint une idée
— Mouette mon amour lui dis-je
maintenant que je suis redevenu moi-même
maintenant que tu es l'objet unique de mon amour
maintenant que je sais
que tes enfants sont les meilleurs du monde
la preuve
il ne reste plus rien de celui-ci
maintenant ma mouette mon amour
il me vient une idée
qui ne vaut rien sans toi
Veux-tu m'épouser ?
Oui, elle voulait
en fait elle n'attendait que ça
elle adorait les enfants
et le premier était très bon
les suivants seraient meilleurs
elle les aimerait mieux
— Nous aurons une vigne
roucoulais-je
il faut boire pour bien manger
et manger pour bien boire
nous ne manquerons de rien
et s'il m'arrive de violer
une fillette de treize ans
nous la ferons fricasser
dans de l'huile et de l'oignon
avec une bouteille de vin
pour attendrir sa chair tétanisée
s'il m'arrive un Chinois
un juge ou un gendarme
on en fera des outres
où vieillira notre vin
et nos amours
je ne serai jamais plus une femme
il faudrait pour cela
que tu deviennes un homme
et ce n'est pas demain la veille
Voilà ce que je lui ai dit
et j'ai tenu parole
Elle n'a jamais manqué de rien
et surtout pas d'enfants
enfin jusqu'au jour
où une porte s'est refermée brusquement
sur mes testicules
c'est à partir de ce moment
que je me suis mis à vieillir
elle aussi vieillissait
on se nourrirait d'autre chose
il nous restait la vigne
mais le cœur n'y était plus
et nous bûmes de la vinasse
Aujourd'hui la vieille est si vieille
qu'on pourrait s'asseoir dessus
la confondre avec une souche desséchée
pisser dessus
et gratter la terre
à ses pieds immobiles
elle ne marche plus
elle ne voit plus
elle mange du papier
elle attend que la mort
frappe à sa porte
elle prie dieu et tout le saint-frusquin
la vieille
c'est cette branche morte
pas la peine de lui parler
elle n'entend rien
pas la peine de la toucher
elle donne des boutons
la vieille
c'est cette pierre sans forme
cette borne qui n'arrête rien
Moi je suis l'autre oiseau
j'ai choisi la liberté
j'étais libre de choisir
et j'ai choisi de choisir
d'autres n'avaient pas le choix
leur cœur était le plus fort
pas de raison de regretter
ce qui est fait est fait
Ici c'est le pays
où les oiseaux viennent mourir
les oiseaux sont libres
et c'est ici que tout s'arrête
ça s'arrête et ça ne finit pas
ça n'est ni triste ni à mourir
c'est un pays
à l'autre bout du monde
les vieilles y sont vieilles
et les vieux ne sont plus
que l'ombre d'eux-mêmes
On a mangé tous les enfants
parce qu'on les a aimés sans raison
on a brûlé nos cervelles d'oiseau
parce que le cœur n'y était pas
Parfois si le vent se lève
s'il vient de l'autre bout du monde
s'il vient vite
et s'il vient en silence
la chanson de l'oiseau blessé
nous empêche de vieillir
nous aussi on aurait pu aimer
nous avions de la voix
et les mots ne nous manquaient pas
mais ce qui est fait est fait
le vent nous rappelle quelque chose
quelque chose de lointain
quelque chose qu'on n'a pas choisi
et qui n'est pas mort
qui revient maintenant
parce que c'est le seul souvenir
et ce n'est pas le notre.
— C'est triste triste vraiment triste
dit l'oiseau blessé en sanglotant
je n'ai jamais entendu rien de plus triste
Il avait regagné sa cage
ce qui n'était pas difficile
puisque la porte était toujours ouverte
Il jeta un vague regard
sur sa table de travail
le stylo le tabac un cendrier
la tasse de café
vide
la cuillère
et sa vision grand angle
un autre stylo pour les corrections
et un stylo qui ne marche plus
Il ouvrit le tiroir
des morceaux de sucre
les pages d'un manuscrit
un vieux briquet
L'oiseau blessé était si triste
Il regarde le lit
les draps étaient défaits
elle avait négligemment jeté
son peignoir sur un guéridon
elle était nue dans le jardin
de la fenêtre il pouvait la voir
tourner autour du bassin
et y faire jouer l'eau
du bout des doigts
en passant
elle était toujours plus belle
impudique et solitaire
elle attendait de l'amour
quelque chose qui lui ressemble
elle voulait un reflet
pas une ombre
il lui fallait un miroir
pas un feu d'artifice
Un jour elle deviendrait folle
et il se demanderait pourquoi
il alluma une cigarette
et il l'observa longtemps
elle avait croisé ses bras sur sa poitrine
et frottait ses épaules dans ses mains
la fraîcheur de la nuit
la rendrait malade, c'est sûr.
Plus tard, elle dit :
— Et si je t'aimais après tout.
— Si tu m'aimais vraiment ?
— Oui.
— Il faudra que ça continue.
— Ou que ça cesse un jour.
— Pas si tu sais m'aimer.
— Et faire des enfants ?
— Si tu le veux.
— Je ne le veux pas.
— Nous n'en ferons point.
— Tu le veux, toi ?
— T'aimer ?
— Non, ne pas m'aimer.
— Tu sais bien que je t'aime.
— Ce doit être drôle
d'aimer un oiseau comme toi.
— C'est drôle et passionnant.
— Je ne crois pas que ce soit passionnant.
— Alors c'est simplement drôle.
— Drôle non plus.
— Je t'assure que ce n'est pas triste.
— Tu te vantes
mon bel oiseau !
— J'essaie d'être drôle.
— Tu veux te faire aimer ?
— De toi, oui.
— De moi seulement ?
— Il n'y a pas d'autres femmes.
— Il y en a d'autres.
— Pas pour moi.
— Pour toi aussi
comme les autres.
— Mais c'est toi que j'aime.
— Ce n'est pas toi que j'aime.
— Je ne veux pas le savoir.
— Je ne le dirai pas.
— Non tu ne diras rien.
— Sauf que je pourrais t'aimer.
— Si ça t'amuse ?
— Par exemple, oui
j'aime qu'on m'amuse.
— Tu es cruelle.
— Tu m'aimes comme je suis.
— Je t'aime un point c'est tout.
— Tu m'aimes tout entière ?
— Comme tu es.
— Mais pas cruelle.
— Même cruelle.
— Tu mens.
Ma cruauté ne te va pas.
— Elle m'irait si tu m'aimais.
— Alors je t'aime.
Mais comment te le dire ?
Dans le grand lit parfumé ?
— C'est une manière de le dire.
— Je ne trouve pas les mots.
— Alors faisons l'amour.
— Non, pas l'amour.
— Parlons, si tu le veux.
— Ce n'est pas comme cela
que tu veux m'aimer ?
— Avec des mots !
— Quel cri de terreur !
Il faut bien que l'on parle.
Tu ne vas pas me violer.
— Quelle idée !
— Sait-on ce qui se cache
dans ta cervelle d'oiseau blessé.
Parce que tu es blessé mon bel oiseau
et tu me fais peur.
— Je ne suis qu'un oiseau.
— Blessé, mon bel oiseau.
Qui t'a meurtri ?
Une femme ?
— Pas une femme.
— Une femme-oiseau
ou un oiseau-femme.
— Personne ne m'a blessé.
— Tu ne veux rien dire.
— Je voudrais que tu m'aimes.
— Pourquoi pas !
Qu'est-ce que je risque ?
Un mal au cœur
si rien ne se passe ?
Un mal au ventre
si ça se passe mal ?
— Tu veux me faire souffrir.
— Non, je m'interroge.
Je suis blessée moi aussi.
Je n'ai pas sommeil
et j'aime ta conversation.
— Je te parle d'amour.
— Et tu en parles bien.
— Mais tu ne m'aimes pas.
— Je pourrais essayer.
— Et tu ne m'aimes toujours pas.
— On a toute la nuit.
— On a toute la vie.
— La vie aussi bien sûr.
La tienne et la mienne
mon bel oiseau blessé.
Tu m'attendras ?
— J'ai attendu longtemps
— Alors tu ne m'attendras pas.
— Je t'attendrais.
— Tu chantes si bien.
— Je dis la vérité.
— Pas toute.
— Ce n'est pas mentir.
— Non mais c'est ne pas dire la vérité.
— Je fais ce que je peux.
— Tout est bien comme tu fais.
— Je fais bien l'amour aussi.
— Je le saurais.
— Ou tu ne le sauras pas.
— Je le saurai cette nuit.
J'ai décidé de t'aimer.
— Tu ne décides rien.
— C'est vrai.
— Tu ne m'aimeras pas.
— Je te ferai l'amour.
— Je te le ferai moi aussi.
— Et tu m'aimeras ?
— Pas toi ?
— Je ne sais plus.
— Tu devrais le savoir.
C'est écrit dans le cœur.
Ouvre tes yeux et lit.
— Je ferme les yeux
pour ne pas lire
j'ai un cœur
et beaucoup d'amour
et je veux essayer
pourquoi pas un oiseau ?
— Pourquoi pas une femme ?
— Et pourquoi pas cette nuit ?
— Si tu le veux.
— Oui, si je le veux.
Pendant ce temps
l'autre oiseau écrivait des lettres
et l'oiseau blessé
en nourrissait son désespoir
Une femme lui avait donné un enfant
et il l'avait mangé
une autre lui avait refilé une sale maladie
qui l'avait empêché de manger les enfants
pendant pas mal de temps
mais il avait guéri
grâce aux soins d'un sorcier africain
qui s'y connaissait
en maladie de femme
et d'homme
il y avait beaucoup de femmes
dans ses lettres
et beaucoup lui donnaient des enfants
qu'il s'empressait de dévorer
certains avaient le goût du miel du Haut-Atlas
d'autres celui du rhum des Antilles
il y en avait
qui étaient couverts d'écailles
comme les poissons
ou certains dinosaures
il n'y a plus beaucoup de dinosaures
même dans les pays
les plus lointains
mais l'autre oiseau
en avait approché
et il parlait de son cœur
qui battait la chamade
de ses plumes qui frémissaient
et de l'eau de vie
qui bouillonnait dans ses veines
Sur un champ de bataille
en Asie ou en Afrique
ou bien en Australie
en Amérique
il avait soigné des cadavres de soldats
et négligé les blessés
tant son cœur
battait la chamade
les morts étaient moins menaçants
ils ne bougeaient pas
ou à peine
ils souriaient
ils sentaient mauvais
mais ne criaient pas
Sous le feu
qui pleuvait
il soigna des cadavres
et les blessés hurlaient de douleur
ils disaient « C'est une erreur !
cet oiseau est un fou ! »
et l'autre oiseau
se prit pour un fossoyeur
et il ensevelit tous les blessés
et il ressuscita les morts.
Il n'y avait pas de miracle
les oiseaux ne font pas des miracles
ils se trompent
quand ils perdent la tête
et ainsi les morts
ne sont jamais tout à fait morts.
Les vivants non plus
ne sont jamais tout à fait vivants
ils meurent de temps en temps
ou à petit feu
ça dépend du caractère
ça dépend de l'âge
et de l'expérience vécue
ça dépend aussi du rang social
de la fortune et du mariage
ça doit dépendre
d'un tas de choses
qui nous échappent
en tout cas
on meurt de temps en temps
d'amour ou d'autre chose
de peur par exemple
ou bien la mort est un petit feu
qui brûle
qui ne devient pas grand
mais qui brûle
brûle à la mesure de la vie
à la mesure du temps qui est compté
jusqu'à qu'il ne reste plus rien à brûler
ou brûler autre chose
à portée de la main de feu
un lit une fenêtre une âme
un enfant une femme
un frère
un autre oiseau
Je ne veux pas mourir comme ça
dit l'autre oiseau
en secouant ses plumes
mourir de temps en temps
ne me dérange pas
j'ai aimé beaucoup de femmes
dévoré pas mal d'enfants
et j'ai soigné des milliers de cadavres
et enterré le maximum de blessés
j'ai beaucoup voyagé
le plus loin possible
et le plus longtemps possible
Tout cela je l'ai fait
pour ne pas mourir à petit feu
pour ne pas entretenir le feu
qui sommeille dans ma tête
Mourir de temps en temps
et mourir une bonne fois pour toutes
c'est ce que j'ai choisi
J'ai choisi des ciels d'orages
des ciels de braises
ou de vents inépuisables
des ciels où la mer calme
trempe ses doigts de sirène
des ciels où la forêt
donne des coups de pieds aux nuages
d'un coup d'aile
le ciel change
et son vaste pied s'accommode
de tous les paysages
d'un coup de bec
l'air siffleur
secoue des léthargies matinales
d'un coup d'œil
jeter du vent et de la poussière
au désert à la mer à la montagne
d'un coup de vent
changer de pays
et les aimer tous
d'un coup de pied
chasser les idées noires
les idées fixes
les idées à bon marché
et celles qui coûtent trop cher
j'ai choisi des ciels d'orages
des ciels de braises
ou des vents inépuisables
des ciels où les avions
sont des oiseaux comme les autres
j'ai choisi de voler
au vent
à la folie
et de mourir
comme il me plaît
de faire l'avion
si ça me plaît
ou l'oiseau
si ça me chante
ou bien une feuille d'automne
pour écrire des lettres d'automne
des graines
pour jouer au printemps
jouer le jeu de l'hiver
les lumières de l'été
jouer la pluie le vent le calme plat
le soleil la lune les astres
jouer avec dieu avec les hommes
jouer avec la science la poésie les arts
jouer avec les joueurs
jouer tout seul
jouer c'est voler
voler haut
voler bas
sous un parasol
ou sous un parapluie
avec des lunettes de soleil
ou des lentilles de contact
un ballon ovale
un ballon rond
pas de ballon
pas de filet
pas d'arbitre
d'autres oiseaux
et un oiseau blessé
qui se lamente
qui meurt à petit feu
l'oiseau blessé mon frère
C'est pénible
ce chant désespéré
ça me coupe les ailes
ça me donne soif
ça ne m'inspire rien de bon
j'ai envie de partir
d'un coup d'aile l'horizon
puis des pays lointains
de l'autre côté de la terre
peut-être même sur d'autres planètes
avec d'autres livres
et une pensée renouvelée
une pensée fraîche
entre une branche de cresson sauvage
et une patte de grenouille
les rames des grands hêtres
au-dessus de la tête
et des clochettes
au nom de bruyère de myrtille de muguet
une langue bien pendue
et une pensée bien fraîche
avoir sommeil et rêver
dans le lit de la rivière
qui m'a donné le jour
rêvasser et tuer
le temps
aux racines que l'onde abreuve
à la terre qui s'en va
plus bas
aux poissons qui nourrissent les feuilles
et aux oiseaux
qui les ramassent.
Tu es triste triste
mon pauvre oiseau blessé
et je m'en veux
de ne rien tenter
contre la tristesse
qui t'emporte
tu es triste triste
et je ne peux rien
faire
des galipettes pour te faire sourire ?
un pied de nez à la tristesse ?
ouvrir la bouche toute grande
et avaler des mouches
fermer la bouche
et secouer la tête
et étonner la petite fille
qui secoue la tête à son tour
mais il n'y a pas de mouche dedans
pour crier de terreur
elle a simplement secoué
sa chevelure
et tout de suite je l'ai aimée
tout de suite j'ai aimé la féminité
et je lui ai montré les mouches
dans ma bouche
elle m'a traité de tricheur
de tête vide
elle m'a giflé
elle a craché sur mon nez
m'a griffé les oreilles
et tout de suite je me suis dit
que j'en aimerais d'autres
plus tard
quand je serais grand
que tout en moi serait plus grand
deux fois
trois fois plus grand
grand à faire peur aux petites filles
et peut-être même aux petits garçons
je ne suis pas très bien fixé
je ne suis pas parfait
moi aussi j'ai un grain
pas de folie
un grain de beauté
une beauté de femme
et son amour
son pays
ses forêts ses lacs
sa flore sa faune
une femme qu'on visite
repas compris
pension complète
avec chauffeur
et une casquette sur la tête du chauffeur
On va où on veut
dans la grosse voiture grise
elle freine mal
mais son klaxon est si beau
Pon pon
fait-il dans les virages
sur les routes des campagnes
qu'on n'habite plus
Je ne suis pas parfait
mais je ne suis pas triste
je m'amuse d'un rien
un rien me fait du bien
une grosse voiture qui claironne
et une grosse dame qui se fait dessus
le pied puant d'un gendarme
ou le derrière moite d'un juge
un rien
te dis-je
un rien m'amuse
mais toi rien ne t'amuse
et tu n'es pas parfait
c'est notre point commun
et puis nous sommes des oiseaux
bec de gaz
patte d'oie
aileron
et cochon vole
nous sommes des oiseaux
à la fête
à la page
et pour le pire et le meilleur
tristes oiseaux
l'un qui rit
l'autre qui pleure
l'un qui s'en va
l'autre qui reste
l'un qui revient
et l'autre qui ne part pas
nous sommes de sacrés oiseaux
on a bien mérité de la patrie
des oiseaux
bien mérité
c'est beaucoup dire
mais c'est bien parlé
Quand est-ce qu'on va mourir ?
pas jamais
rien n'existe à jamais
quand est-ce qu'on va mourir
qui le premier
qui le dernier
et de quelle manière
par quel bout
elle commence
et quand c'est commencé
on ne l'arrête plus
quand est-ce qu'on va mourir
je ne demande rien
pour moi-même
je demande pour l'un
et pour l'autre
quand est-ce qu'on va mourir
si je le savais
je ne le dirais pas
mais je ne sais rien du tout
c'est dommage
quand est-ce qu'on va mourir
quand est-ce
que ça cesse
est-ce que ça cesse
et si ça continue
est-ce que c'est la même chose
et si c'est différent
est-ce que c'est pire
est-ce que c'est mieux
est-ce que c'est la même chose
à quel prix
à quel prix cette chose
cette réponse de normand
quand est-ce qu'on va mourir
à qui tu parles ?
quelqu'un t'écoute-t-il ?
un autre que toi-même ?
quand est-ce qu'on va mourir
je ne veux rien savoir
mais je pose la question
pour ne pas avoir l'air bête
de ceux qui ne la posent pas
je ne veux pas avoir l'air bête
ni fier ni supérieur
je voudrais qu'on lise dans mes yeux
et que ça en impose
d'estime
de respect
non d'amitié
d'amour
nom d'un caca d'oiseau
de plume pour écrire
et de sel sur la queue
quand est-ce qu'on va mourir
jamais
demain
jamais
plus tard
jamais
dans un siècle
jamais
dans mille ans
jamais
si dieu le veut
dieu fera ce qu'il voudra
il fera caca comme les oiseaux
ou comme les hommes
il fera
ce qui lui chante
qu'est-ce qui lui chante
et ça lui chante quoi ?
on n'en sait rien
dieu est dieu
il n'écrit pas
avec une plume d'oiseau
à quoi servirait le feu ?
il ne fait pas caca
comme un oiseau
à quoi serviraient les oiseaux ?
il n'a pas de queue
mais à quoi sert le sel ?
Il ne faut pas se poser
ces vilaines questions
c'est vilain pour l'esprit
pour le cœur
et puis ce n'est pas correct
il y a des enfants
qui pensent à jouer
des vieillards
qui ne pensent à rien
des dames
qui pourraient être choquées
et des messieurs
qui aiment les demoiselles
et des demoiselles
qui aiment qu'on les aime
non vraiment ce n'est pas correct
de poser ces vilaines questions
qu'on se les pose dans sa tête
personne n'en sait rien
sauf ceux qui pensent
à la place des autres
mais cela ne mérite pas le respect
Tu devras donc te passer
à l'avenir
de poser comme ça
en public
des questions qui ne concernent
que ta conscience
d'oiseau blessé.
ta conscience, mon pauvre oiseau,
ta conscience
il y a vingt ans
c'était l'adolescence
et sur ta route
des femmes regardaient
croître leur féminité
des femmes
à la queue de cheval
ou à la crinière noire
comme la nuit
de ton adolescence
des femmes blanches et noires
et des jours et des nuits
c'était l'adolescence
et sur ta route
tu croisais celles
qui revenaient
elles avaient le regard triste
elles étaient silencieuses
le soleil brillait pour elles aussi
mais la nuit les absorbait
et ce n'était pas un rêve
en tout cas pas le tien
toi tu rêvais plutôt
à des pays sauvages
où les femmes sont nues
et les hommes guerriers
mais sur ta route
les femmes nues avaient le regard triste
et les hommes se battaient pour elles
sur ta route
il y avait des enfants
qui n'étaient pas les tiens
tu n'étais plus un enfant
tu aimais les femmes
tant mieux dit ton père
c'était il y a vingt ans
tu volais de tes propres ailes
soucieux de repeuplement
certes
parce que tu avais le goût de la justification
(il ne t'a pas quitté
mais aujourd'hui tu t'en fous)
il y avait la plus belle d'entre elles
jamais nue mais amoureuse
et curieuse de mécanique
ses mains fouillaient dans ton crâne
elle avait de beaux cheveux
et toute sa chair à son cou
la plus belle d'entre elles
ne s'est jamais déshabillée
tant mieux dit ton père
tant mieux
et ton mât se dressait
dans une mer de solitude
« Embarquez sur le pont du Bonavir ! »
Sur ta route d'adolescent
d'enfance inachevée
d'homme foutu d'avance
sur la route il y avait
des forêts
où l'âme est un fruit
que lèchent des oiseaux barbares
il y avait des oiseaux
des bons et des mauvais
des oiseaux qui volaient
des oiseaux qui mentaient
tant mieux, dit ton père
tant mieux s'il y a des oiseaux
et un ciel pour voler
si je mens je vais au diable
mon petit doigt le dit à mon oreille
je crois tout ce qu'on me dit
à propos d'oiseaux et de femmes
tes voiles se gonflaient
vers des îles désertes
il y avait aussi le bon vent
au son d'écaille
contre la mer
une poitrine à la chair de poule
les yeux fermés
le ventre dur comme une pierre
ses lèvres sont des dents
qu'elle enfonce dans mon âme
son regard un couteau
son âme une gitane
tant mieux dit son père
tant mieux
les questions sont de bonnes questions
les réponses de mauvaises réponses
on aurait mieux fait de se taire
on aurait mieux fait
mais on n'a rien fait
et ta poupe poupait
sa croupe croupait
la mer était calme
les poissons heureux
qu'est-ce qu'on aurait mieux fait de faire ?
on ne s'en souvient pas
on s'aime
et on godille.
est-ce qu'on fait des enfants ?
est-ce qu'on fait les marioles ?
ce n'est pas la même femme
ce n'est pas le même amour
on godille on rame on s'éloigne
du rivage.
des paquets de mer
nous montent au cerveau
des couronnes d'algues nous encercueillent
qu'est-ce qu'on fait au juste
à part la conquête de l'horizon
et du soleil
qu'est-ce qu'on fait
me demandes-tu
je ne sais pas
je n'ai pas fait pour faire
j'ai fait pour rien
j'ai fait comme ça
avec toi
avec une autre
tout seul
avec la mer
avec les oiseaux
les rochers les poissons les orages
j'ai fait comme j'ai pu
ce que j'ai pu
j'ai fait ce que ma tête m'inspirait
ce qui était bon pour moi
pour toi pour nous pour eux
j'ai fait l'amour à une putain
elle avait l'odeur de la marée
des attitudes de sable
et la couleur du vent
elle avait un charme de barque
des sensations d'écume
et des tristesses d'oiseaux de passage
elle avait l'esprit ailleurs
une robe perlée
et de longues mains sommeillantes
qui caressaient des rêves
de vagues déferlantes
mon ventre y calculait
d'incroyables voyages.
Sur ma route
j'ai croisé d'autres routes
des routes en forme de lacet
des routes en forme de semelle
des routes qui se faufilaient
d'autres qui divergeaient
certaines enjambaient
ma route les croisait
ma route c'est ma route
et les montagnes sont les tiennes.
Il était une fois un oiseau blessé
blessé par quoi par qui
à quel moment et pourquoi
il était blessé comment
blessé profondément
au point que la tristesse
battait dans son cœur
et le désespoir dans sa cervelle
la tristesse c'est douloureux
le désespoir c'est inquiétant
il y avait un autre oiseau
ni triste ni désespéré
un oiseau de passage
qui revenait toujours
l'un pleurait
l'autre chantait
l'un aimait
l'autre volait
et le temps était le même.
ce serait simple
si les deux oiseaux
l'un et l'autre
étaient le même oiseau
oui mais voilà rien n'est simple
et puis si c'était simple
ça ne voudrait pas dire la même chose
et autre chose
ce n'est pas le sujet
dans cette histoire
il y avait bien deux oiseaux
un qui écrivait un roman
et un autre qui n'écrivait rien
deux oiseaux
ce n'est pas simple
mais c'est le sujet
un sujet difficile
un sujet qui n'est pas
à la portée de toutes les bourses
ce qui ne veut pas dire
que c'est un sujet en or
C'est un sujet en chair et en os
un sujet avec deux oiseaux
et des verbes plein la bouche
plein le bec c'est plus juste
puisque ce n'est pas une allégorie.
Deux oiseaux c'est un bon sujet
surtout s'il s'agit d'oiseaux rares
et c'est le cas
deux oiseaux c'est l'occasion
de raconter des histoires
à sa conscience
ça c'est un bon sujet
et si deux oiseaux ne suffisent pas
on en inventera un troisième
le troisième oiseau
il n'écrirait pas de roman
comme l'oiseau
il ferait le contraire
de ne pas écrire
contrairement à l'autre oiseau
il n'y a pas de verbe pour le dire
tant mieux dit son père
ça t'évitera une erreur de conjugaison
les erreurs coûtent cher
je n'ai pas les moyens
et personne sur qui compter
ne compte d'ailleurs pas trop sur moi
j'ai une femme
et des enfants à nourrir
un chien un chat un cheval
une brosse à dents
et une calculette programmable
je t'en prie mon cher fils
ne crois pas ce qu'on te dit
les erreurs sont hors de prix.
C'est fini, oiseau, c'est fini
on approche de la fin
dit l'oiseau qui écrivait un roman
il faut bien que ça finisse
on finirait par s'ennuyer
on n'est pas venu pour ça
pour amuser non plus
si, un peu
on est venu pour dire
ce qu'on avait à dire
on s'amuse souvent
dans notre tête d'écrivassier
pas tout ce qu'on avait à dire
ce n'est pas dans nos moyens
d'écrivassier
un peu de tout
mais pas rien
c'est fini
ça finit tristement
ça n'ennuiera personne
ça n'amusera pas non plus
mais les choses sont ce qu'elles sont
il faut les appeler par leur nom
tristement tristement
Allez viens tristement
viens coucher dans le panier
réservé à cet usage
tristement je t'ai parlé
tristement ne fait pas l'imbécile
tristement c'est un ordre
viens ici tristement
ne fais pas l'imbécile
c'est moi qui te nourris
tu crèverais sans moi
sans moi que serais-tu
rien un tas de poils
tristement au panier
au panier nom d'une pipe
et arrête de miauler
tristement et bêtement
me jette un regard câlin
ouah ouah ouah ouah
je parle au chien
je parle au chat
il ne reste plus grand monde
elle s'en est allée
dieu sait où
avec qui
dieu-le-sait
et pourquoi
ça-me-regarde
le lit n'a même plus l'odeur
n'a plus la forme dans les draps
ce qui reste de sa peau
de sa chevelure
je suis un oiseau
j'ai un chien
j'ai un chat
du papier
et un crayon
un roman à écrire
un autre à publier
deux autres à penser
et cent autres à lire
le temps passe
et je vieillis
le temps m'use
je ne meurs pas
avec qui
et pourquoi
pourquoi lui
pourquoi pas moi
pourquoi elle
et pas une autre
c'est comme ça
pas autrement
ça changera
pas maintenant
c'était noir
dans sa tête
tout en ombre sa pensée
nulle lumière
et pas de feu
et sa tête était prête
au pire
la nuit n'en finissait pas
il s'engourdissait
il n'y avait plus de cigarettes
plus d'alcool
la lune avait posé son immonde derrière
sur la cime des peupliers
de l'autre côté de la mer
et la mer évaporait des restes de soleil
après la terre
De la fenêtre il pouvait voir
l'arbre au pied duquel
il commettrait son forfait
ce matin peut-être
demain un jour
peut-être jamais peut-être jamais
en tout cas
l'idée était écrite
dans le noir de son cerveau
avec des mots choisis
une majuscule et un point final
Je la tuerai un jour.
Je la tuerai deux jours.
Je la tuerai trois jours.
Je la tuerai. Je la tuerai.
Je tuerai son cœur son cerveau
ses mains son sexe ses tripes
je les tuerai l'un après l'autre
ou tous ensembles
dans la formidable explosion
de ma haine
il faut que ça finisse
qu'elle s'arrête
que je m'arrête
Il le faut il le faut
j'ai un chien un chat
de l'amour plein le ventre
de la haine plein le cœur
à qui la faute
à qui le tour
il y a des algues dans mon cœur
des coquillages dans mon regard
le crabe à un drôle de derrière
et la mouette une voix douloureuse
c'est la mer qui revient
qui dépose son sel
dans les anfractuosités
ton mât est une branche
ton désir une feuille
l'écume est toute ta sève
il faut que ça finisse
il faut détruire ce qui n'est bon
ni pour le cœur
ni pour l'esprit
détruire ses frissons
ses tensions ses repos
sa gourmandise
détruire un rêve qui n'est plus le mien
le sommeil qui m'a quitté
détruire son cri de mouette gourmande
ses draps fantômes
ses liqueurs
ses vases
elle oubliera
et j'écrirai pour mieux détruire
elle oubliera que j'ai tué
j'en fixerai le moment
elle oubliera la douleur
il y a des mots pour le dire
la lune finissait
de liquéfier les peupliers
s'achevait avec eux
amoureusement
un premier rayon de soleil le fit frissonner
des feux s'estompaient dans le ciel
des nuages y rutilaient déjà
il fit dégouliner des gouttes de rosée
souffla dans les ailes d'un papillon
posa son oreille contre la ruche
le jour se levait
elle entra toute nue dans la cuisine
elle était maquillée coiffée impeccable
elle l'embrassa dans les cheveux
dit quelque chose qu'il ne comprit pas
prit un fruit sur la table
et sortit en parlant de quelque chose
qu'il ne chercha pas à comprendre
Il retourna dans la chambre
elle dormait
la grenade était ouverte
sur la table de nuit
mais elle n'y avait pas touché
un mégot fumait encore
il restait un fond de verre
son corps était si calme si beau
si grand aussi
elle était couchée sur le côté
les mains jointes entre ses cuisses
la bouche entrouverte
il caressa doucement son épaule
elle ouvrit les yeux
elle dit :
— j'ai besoin de dormir
va jouer dans le jardin —
Dans le jardin
près du bassin
il pleura
il écoutait le cri de la mouette
Il était une fois
un oiseau blessé
qui se racontait des histoires
des histoires avec des femmes
avec une femme en particulier
il y avait d'autres personnages
dans son histoire d'oiseau
il y avait un autre oiseau
un requin
un vieil homme
un crabe et une mouette
il y avait des arbres
et son sexe tendu parmi les arbres
il avait le cœur brisé
c'était là une de ses blessures
mais ce n'était pas la seule
parlons du cœur
il était brisé je l'ai dit
et un cœur brisé
c'est comme un vase brisé
on ne peut plus rien mettre dedans
en tout cas rien de normal
un cœur brisé
c'est comme un miroir brisé
on ne s'y voit pas
quand on s'y regarde
ou alors ce qu'on voit n'est pas normal
c'est bien le problème avec un cœur brisé
ce qui s'y passe n'est pas normal
alors forcément tout arrive
le pire comme le meilleur
le pire de préférence
et qui préfère ?
personne ne choisit le pire
personne de normal
mais l'oiseau était blessé
il savait ce qui était bon
mais il ne le savait pas normalement
il savait de travers
c'est-à-dire qu'il ne savait plus grand-chose
autrement dit
il aurait mieux fait de se taire
mieux fait de ne rien faire
c'est facile de le dire
quand on est normal
forcément quand on n'a mal nulle part
sauf aux pieds à force de marcher
on sait ce qui est mieux
et ce qui ne l'est pas
l'oiseau aussi l'aurait su
s'il avait eu mal aux pieds
ou aux oreilles
ou si quelqu'un avait eu mal pour lui
seulement voilà
il était blessé
il était brisé
il était presque mort
il ne respirait plus la vie
il n'était pas normal
il choisissait le pire
chaque fois qu'il avait à choisir
il choisissait des morceaux
il fallait donc que ce soit brisé
et n'allez pas croire qu'il s'en portait bien
il n'était pas normal
mais il savait ce qu'il disait
ça aussi c'était un grand malheur
il avait des moments de lucidité
et il n'y avait rien de mieux
pour briser ce qui ne l'était pas encore
ou réduire en poussière
ce qui était déjà en morceaux.
enfin, dit-il en sanglotant
on aime ou on n'aime pas
je n'aime pas voilà tout
est-ce que c'est normal
de ne pas aimer ?
sinon c'est anormal ?
qu'est-ce qui chante à mes oreilles ?
elle dort et je n'ai pas sommeil
est-ce que c'est normal ?
sinon c'est anormal ?
qu'est-ce qui pleure dans mes yeux ?
est-ce que j'ai si mal que ça ?
on aime ou on n'aime pas
je n'aime pas voilà tout.
Thomas va jouer
va jouer dans le jardin
j'ai sommeil quelle nuit
que d'amour je suis grise
— elle est grise
tout est noir
est-ce que c'est normal ?
sinon c'est anormal ?
Va jouer avec qui tu voudras
va vouloir avec qui veut jouer
elle dort le jour
elle rit la nuit
ce n'est pas normal
Je sais ce que je dis
je ne suis pas un idiot
les oiseaux sont rarement bêtes
je perds la tête de temps en temps
parce que je n'ai pas sommeil
je la retrouve chaque fois
que je rêve.
Je rêve à toi pour toi sans toi
l'amour est un olivier noir et blanc
Je le connais sans toi pour toi
l'amour est la branche fleurie d'un cerisier
l'ombre de cette branche
et rien ne nous éclaire
en tout cas tes yeux sont fermés
et mon cœur est brisé
parce qu'il te voit
où tu n'es pas
Je te vois
sur les sommets de nos montagnes
celles où j'écris
ce qui n'est pas un roman
d'amour
Je te vois
dans le lit de nos rivières
entre nos montagnes versant
le vin d'une certaine félicité
Je te vois dans une mauve
que le soleil a ouverte
et qu'une abeille butine
vibrante et sonore infusion de tranquillité
Je te vois
dans une goutte de rosée
qui trouble mon vin
je te vois
au fil du vent
défaire des nuages
composer des orages
éclairer et détruire
par le feu
ce que tu as aimé
Je te vois et je t'aime
je te revois et je me grise
de ta présence et de ta voix.
c'est sa dernière chanson
il en chantera d'autres
mais dans un autre monde
c'est la loi
et la loi n'est pas la même
pour tout le monde
il y a une loi pour les vivants
et une pour les morts
il défait le nœud autour du tronc
et son grand long beau corps calme
descend par terre
elle se répand comme une tache
dans les trèfles et les bugles
les sauvageons et les guimauves
ses yeux sont restés ouverts
ils sont vides
ne disent rien
ne crient pas
pourtant, se dit-il, pourtant
elle a frémi pendant de longues minutes
le cri était dans sa tête
il a crié pour elle
elle regardait le ciel
elle regarde toujours le ciel
et il la couvre de fleurs
toutes les fleurs
des ancolies des marguerites
des branches de sureau
des aiguilles de pin
les fleurs mangent sa mort
elles digèrent son cadavre
des insectes bruissent
piaille un oiseau
un courant d'air malin qui fraîchit
tête se referme
il y a si longtemps qu'elle est ouverte
et il en est entré de ces choses !
L'autre oiseau qui volait
au-dessus du rocher
de l'oiseau blessé reprit :
— Que t'est-il arrivé ?
Qu'as-tu fait de si grave
qu'on t'arrache les ailes ?
— Arrivé ? rien, dit l'oiseau
rien de grave en tout cas
j'ai vécu, voilà tout.
et maintenant je vais mourir
alors forcément je délire un peu.
tout s'explique —
Ce que j’écris de toi, tes yeux l’écrivent mieux
Encore, et je cherche les mots, soit pour te plaire
Si t’importent les mots que mon regard espère
Ouvrant toujours le livre à l’endroit que tu veux,
Soit pour t’aimer, l’éternisant enfin aux creux
De ton écrin, l’amour, notre amour qui s’éclaire
De ta caresse douce et de ta peau amère ;
Et je le trouve dans ton cœur comme je peux.
Ce que je n’écris pas ta poitrine en respire
L’absence aussi, et il se peut que j’y désire
De longs sommeils la nuit, rêvant que c’est midi.
Je n’écrirai plus rien si ta bouche le dit ;
Je recevrai alors les mourantes attentes
De tes cuisses de verre au plaisir transparentes.
*
Ne me dis pas ce que l’ombre a créé
À la lumière de mes paroles d’homme
Retiens les mots, que la nuit les embaume
Comme les morts avec le temps passé.
Aux parfums de ta nuit, je peux rêver
Et me crever les yeux avec les hommes
Qui ont peuplé ta vie et tes arômes
Où commence l’odeur de mon été !
Je respire ta peau et je crois être.
Je suis écrit dessus pour m’en remettre.
Je t’aime tant de ne pas te toucher
Et de rêver que je te coucherai
Avec le jour qui tardera quand même
À se montrer dans les draps où je t’aime.
*
Ne me dis rien, si l’amour ne t’a pas inspiré
L’humide mot que je pends à ton cou de maîtresse.
Je t’aime tant et l’amour est si pur de caresses
Que je me donne en rêvant que c’est bien arrivé.
Et t’éloignant au reflet qui s’absente en baiser
Ne signe pas de ton nom la douleur qui me blesse
Retourne-toi pour me voir te pleurer sans que cesse
L’éternité que j’aime dans tes yeux se créer.
C’est un miroir et le temps éternel y mélange
Ton regard noir dont la vue infinie le dérange.
Le chiffre est faux et je compte à l’amour des douleurs
Qu’il me dira quand la nuit sera morte des pleurs
Et du néant que ton pas impensable délivre
À mon attente et à la page nue de mon livre.
*
Le temps passe et j’érotise doucement
Le temps vague où la mer s’écoule en écume
Et j’espère une réponse en un moment
Où ma roche écarte l’algue et scie la brume.
Tu écris et ta lettre voyage, allume
Et éteins dans mes voiles des feux de vents
Que signale un jet de sang, toute ma plume
Écrivant que tu existes sûrement.
Je voudrais mais le vent ne dit rien de toi
Et j’écoute où la lumière quitte l’ombre
Et l’embrun me rappelle que je suis roi
Mon royaume est peuplé de femmes en nombre
Et j’assemble entre tes cuisses excessives
Un seul sexe en espérant que tu l’écrives.
*
La mort sera un rêve et nous dormirons vieux
Nous aurons dans la bouche un goût de bonne terre
Et quand tu partiras, la première j’espère,
Je prendrai le sommeil dans mes bras vigoureux
Et le serrant bien fort contre mon cœur soucieux
De tant d’amour et tant de chair, étant sincère
Par nature et par ordre, une liqueur amère
Me viendra de ton sein répandre les adieux.
Ce sommeil de carton à la peinture morte
Ne réveillera pas les fleurs que je t’apporte
Et qu’en bouquet de Sol je césure en riant.
Tu ne mourras jamais de la mort de l’enfant
Le rêve peut durer et la vie y renaître
Chaque fois que mes yeux veulent te reconnaître.
*
Tes mains sont les oiseaux du léger montreur d’ombres
Sur la toile rieuse éternisant le vol
Que je n’ai pas rêvé en buvant tes alcools
Dont l’ivresse absolue considère le nombre.
Tes mains lèvent le verre en bec de col de cygne
Et soulevant la plume au style sibyllin
L’encrent d’une écriture en verre cristallin.
Je ne sais pas le sens que ton regard m’assigne.
Car tes mains sont les yeux et l’ombre est une alcôve
Et je couche dedans comme un serpent se love
Entre un regard de femme et un verre d’anis
La lampe s’est éteinte et le monde est fini
Tes mains pleuvent dehors avec la pluie qui pleure
Et je peins mon regard pour que ton œil l’effleure.
*
Me rêves-tu si je t’écris, comme une amante
De loin coiffant ta chevelure, et d’un regard
Aimant les mots, ceux que j’écris avec l’espoir
Recommencé que ton cœur est une servante.
Je laverai tes pieds dans nos liqueurs d’alcôve
Et secouant les draps en harmonieux accords
Tu chercheras le sens de notre vieux décor
Où ta cuisse est un Fa au bémol qui rénove.
Toute notre musique est écrite en silence
L’instrument de l’amour n’a pas donné naissance
Ni au cri de ta gorge ni au mot bécarré
Que je saurais écrire si je n’attendais pas
Et si de cette attente étirant les mesures
Je n’avais peur d’aimer l’improbable césure.
*
Ne meurs pas maintenant, ne me refuse pas l’amour
Je ne t’ai pas encore aimée et je ne sais pas vivre
Sans toi, sans ton regard que je recrée pour te suivre
Au fond de toi entre les genoux où j’ai vu le jour.
C’est toi, la pureté du cœur et l’éternel retour
Je n’ai pas vu sur ton chemin l’incroyable guivre
Et je n’ai pas mordu le fruit amer qui nous délivre
De l’éternité : aime-moi maintenant, mon amour.
Et je croirai que ta douceur est une fleur ouverte
À ma bouche qui t’aime, à ma raison qui s’est offerte
Et ton plaisir composait un sonore bouquet.
Je décide de vivre et tu ne peux pas me manquer.
Je te ferai l’amour pour aimer l’éternelle femme
Et si tu veux bien tu m’aimeras de toute ton âme.
*
Je ne regardais pas, tes yeux voulaient me voir
Et je baissais les miens à moins qu’ils ne s’ouvrissent
Au rêve qui cruel se changeait en supplice.
Je t’aimais en silence et je voulais savoir.
Tu approchais ta chair au reflet du miroir
L’approchant plus encore et chaque fois plus lisse
Et elle reflétait le tranquille délice
Dont je ne savais pas si je pouvais l’avoir
Déjà vécu, au nom de quel aimable rêve
D’amour déçu je pouvais dire non à l’Ève.
Un auteur moins timide aurait levé le nez
Et posé la question en termes surannés,
Avec les mots que tu voulais entendre et, putasse,
Je me serais enfui au loin la tête basse.
*
Et ta lettre qui n’arrive pas, et la nuit
Qui revient me le dire et le sommeil qui crève
Le ventre à mon désir et la tête à mon rêve
Et je ne peux pas vivre et mourir aujourd’hui.
Et que me diras-tu de l’amour qui me fuit ?
Où bien m’écriras-tu que c’est moi qui t’enlève
Et ta bouche musquée reçoit toute ma sève
Et me donne le temps de refaire le lit.
Tout le temps que j’accroche à tes yeux magnifiques
Et tout le temps que j’aime à caresser l’oblique
Ouverture du corps où croissent mes désirs,
Ce temps n’arrive pas et je crois me mentir.
Viendras-tu me baiser dans le lit musical
Où j’invente pour toi l’accord instrumental ?
*
La mer frappe à ma porte et j’ouvre grand les yeux
Je sais qu’elle m’arrive et que l’avion existe
Je vois des ailes d’or dans le ciel qui persiste
La mer baigne mes yeux d’un infini d’adieux.
Pourquoi l’adieu et pas l’amour ? la mer me ment
Ses vagues sont l’écume et ses roches l’attente
L’écume éclaire l’ombre et la roche l’arpente
Et ton visage m’apparaît — pourquoi le vent
Crache-t-il à ma porte avant de le crier ?
Je sais bien ce qu’il dit, qu’il suffit d’une phrase
Pour coucher ce qui reste à l’ombre d’un pilier.
Je fleurirai ma bouche en entendant plier
Cette aile messagère où je connais l’extase
Et la mer aura vite fait de m’oublier.
*
Je vois tes yeux, je vois tes seins, je vois tes cuisses
Je vois tes mains de lumière et de feu
Et je me vois t’aimer dans les draps où je glisse
Et je me vois mourir encore un peu.
Ce que je vois, ce que je touche et qui m’échappe
Comme je t’aimais, comme j’y pensais
Cette chair est un rêve et la lettre m’attrape :
Il n’y a rien dedans, je le savais.
Tu n’as rien dit, tu es passée, il fait très beau
Et les affaires marchent aussi comme il faut
Je crois rêver et la lettre s’envole
C’est un oiseau posé sur ton épaule :
Maintenant que je sais, maintenant que tu ris
Et que ta bouche étoile et que ton cœur écrit.
*
Veux-tu croire avec moi au poème infini
Que j’écris sur ta peau pour que la vie nous donne
Le plaisir et la mort sur un plateau et sonne
Le glas du temps passé, sonne l’air de l’oubli.
Il nous faut oublier ce que la vie a peint
Dans notre histoire d’homme et de femme éternelle
Arrêter la mémoire et renaître avec elle
Pour que la mort soit douce au plaisir qu’on éteint.
Je ne sais pas pourquoi j’ai pensé à la mort
Je veux vivre longtemps et caresser ton corps
Te prendre le plaisir pour y boire ma force.
Je ne sais pas comment me viennent ces accents
Ma pensée me torture et tes feuilles tombant
Je m’insinue entre ta sève et ton écorce.
*
Je mordrai savamment dans ton fruit sadinet
Je goûterai peut-être au plaisir de la femme
Si le plaisir de l’homme est croissance de l’âme
Et souveraine enfin au plaisir redonné
Tu chercheras ma pierre où le temps la patine
Tu creuseras ma veine et traçant le biseau
Aux quatre coins du fer appliquant le marteau
Tu parleras du vin que ton cœur me destine.
Laisse couler le jus sur ma peau de statue
Ma langue est infinie, je sais ce qui me tue
Et je sais que pour vivre il me faut de l’amour
Le tien plutôt qu’un autre et pourquoi pas la tienne,
Cette chair qui m’annonce en ouvrant les persiennes
Que l’envers de ton corps est le plus beau séjour.
*
Qu’écriras-tu demain ? Que me diront tes lèvres ?
Qu’entendrai-je à présent que je saurai ton cœur ?
Je n’ose plus penser à l’impeccable ardeur
De nos ventres baignés de maritimes fièvres.
Tu écriras toujours ce que voudra ton âme
Pour ton futur de femme et pour l’enfant qui dort
D’un autre souvenir et d’un autre décor.
La mer est dans ta bouche et la vague l’acclame.
Cette vague est ton encre, ou bien ne m’écris pas
Ne me dis rien ni de l’enfant ni de ta peine !
Je préfère un silence à la musique obscène.
Mais quelle obscénité m’éloignera de toi ?
J’ai rencontré un coquillage et je l’écoute.
O mer, je te voulais entièrement toute.
*
Les mouettes me l’ont dit ; je crie et c’est dommage ;
La vague n’entend pas ce que le sable dit ;
La coquille est muette et l’oreiller détruit ;
Mais que se passe-t-il ? On dirait que l’orage
Prépare un temps nouveau, livre page après page
Feuilleté dans tes yeux ; les mouettes me l’ont dit ;
Il n’y a pas de raison de refaire le lit ;
Qu’ai-je entendu dans la spirale au coquillage ?
Ce n’était pas ta voix ; je l’aurai reconnue
J’ai eu envie d’une autre femme, et toute nue
Elle arpentait mon rêve en m’écrivant des mots
D’amour ; elle a volé son regard aux coraux
Elle était si pressée ; les mouettes l’ont portée
Et dans mon coussin, lentement, l’ont déposée.
*
J’aimerai ta poitrine environnée de draps
Et j’y recueillerai les enivrants mélanges
De pointe et d’aréole à la peau qui se change
En belles érections que ma bouche voudra.
Ton âme se répand au glissement des bras
La lumière est une ombre et intime s’arrange
Replace la blancheur au retour de l’étrange
Pliure de ton corps qui ne me revient pas.
Tes jambes m’ont mouillé de l’eau qui t’abandonne
Figeant le délicieux plaisir que tu me donnes.
C’est un rêve avec toi dans le lit de la nuit
Les plis courent sur moi de l’amour à l’ennui ;
Et la lune est rieuse au ciel qui la caresse
Comme le sein dressé d’une ancienne maîtresse.
*
Je croirai le matin, et la motte de terre
La fleur en haut de l’arbre et le sommet des murs ;
La pointe du clocher de l’église des purs
La descente des toits où l’aube désespère.
Je croirai le soleil et l’arbre solitaire
Il mangera la lune sans caresser sa peau
Elle sera mangée aux portes du château ;
Il faudra que je croie le châtelain prospère
Il me racontera l’histoire du cheval
De la route étoilée qui fuyait vers l’aval
De la rivière enfin où la femme enfantait.
Et la fleur était un oiseau, c’était l’été.
Le curé salua la vieille pécheresse
Elle portait la lettre en secouant ses tresses.
*
Il y a quelque chose d’écrit, quelque chose
Que j’ai du mal à lire et que pourtant j’ai lu ;
Tu parlais de l’effet et de la trouble cause,
D’une histoire d’amour dont le temps est perdu.
Je regardais ta frange à l’horizon de toile
Et j’y peignais tes yeux, n’osant les regarder
Tant j’avais peur d’épier ton regard qui s’étoile
Chaque fois que tu sais mon regard prisonnier.
Les mots se peignaient seuls et je ne savais pas
Si tu accepterais que je peigne avec toi.
Je me suis envolé comme un voleur s’envole
Volant les mots écrits par dessus ton épaule
Et je voudrais savoir si ta lettre comprend
À défaut de m’aimer, mon sincère tourment.
*
Le vent s’est levé ; la mer est en écume
Et le coquillage se tait ; et je dors,
Le sommeil me rêve ; il ne pleut pas dehors ;
C’est dedans que peut-être je trempe ma plume.
Je t’écris, mais tu ne liras pas les vagues
Que je dessine à l’encre en rêvant de toi,
Et redisant tes yeux mon style s’accroît
De caresses que je prodigue à tes bagues.
Il faut que je t’écrive une lettre encore
Pour te dire avant que renaisse l’aurore,
Que le soleil efface un moment passé :
Je crois que ton amour existe, et je sais
Qu’avec les mots écrits sur la page blanche
Tu as tracé le triangle où je m’épanche.
*
Que me disent tes yeux quand je les interroge ?
Je ne peux pas les regarder ! Je les croise
Ce que je devine est si vague, et l’extase
Est remise à plus tard ; pardonne mon éloge.
Que me diront tes yeux si mon regard déroge
À mon cœur ? Je redoute qu’ils ne me toisent
M’obligeant à effacer ma bonne phrase ;
Tu ne me diras pas où ton âme se loge.
Si ce n’est pas tes yeux, est-ce que ta poitrine
Peut recevoir sans cri ma bouche cristalline ?
Si ce n’est ton sein dont la pointe se dresse,
Si ce n’est ta cuisse où je perds des caresses,
Qui parlera pour toi des morceaux de toi-même
Que j’interroge en vain pour savoir si tu m’aimes.
*
Les poètes sont d’étranges bavards
Des menteurs soucieux de bien dire.
Qu’on accorde mal le mot et la lyre
Le temps ne souffre aucun retard.
Les poètes sont de vieux amoureux
Des coupeurs de fleurs qui soupirent ;
Qu’on accorde mal le mot et la lyre
Le temps se plaît en homme heureux.
Les poètes sont des pleureurs d’écrits
Le lit n’est pas fait pour leur plaire
Il plaît à la femme et au temps qui rit.
Qu’on accorde mal le mot et la lyre.
Les poètes sont éphémères
L’amour est bavard et ne sait pas lire.
*
Donne-moi ta langue et je parlerai
Mes mots seront les tiens
Donne-moi le sein et je marcherai
Sur ton ventre à deux mains.
Donne-moi la main et je partirai
Sur la route du cœur
Donne-moi ta cuisse et je baiserai
L’autre cuisse en douceur
Donne-moi tout, donne-moi l’onde
Je nagerai
Redonne-moi l’air qui abonde
Je volerai
Je serai un oiseau et mon aile en vitesse
Te donnera le jour qui manque à tes caresses.
*
Je peux fermer les yeux, tu existes dedans
Ta bouche s’ouvre enfin et je baise ta cuisse ;
Ma tête se referme aux rieuses délices
Que je devine à l’aréole entre mes dents.
Mes yeux fermés sont vrais, et ton visage aussi
Je sais que tu diras ce que je veux entendre
Je l’ai lu dans tes yeux, tu ne peux rien reprendre
Ton amour m’a changé en harmonieux glacis.
Ta couleur est dessus, je croise la lumière
Et l’ombre me rappelle une opaque paupière ;
Mes yeux sont bien fermés, la pointe de tes seins
S’avance lentement dans mon corps qui s’éteint ;
Et je ne vois plus rien, mon ventre se déchire
Et c’est toi qui te penche’ en éclatant de rire.
*
Beau rire de femme et lèvres rouges
Je ris avec toi des mots, des mots
Des mots que tu sais, et tout est faux
Soulevant le drap où rien ne bouge.
Mon sexe est gonflé d’amour, d’amour
Et tu n’es pas là pour le refaire.
Ton rire me dit que pour te plaire
Les mots dureront la nuit, le jour.
Je ne sais pas si la nuit s’achève
Et si le jour continue mon rêve
Le soleil éclaire un lit défait
Où j’existe seul et sans effet
Sur la sonorité de ton rire
Qui m’habitera jusqu’au délire.
*
Les mots ne diront rien de l’attente impossible
Je vais fermer le livre et attendre demain
Ta lettre arrivera au moment où je feins
De ne plus rien attendre ou de manquer la cible.
Je recevrai le pli en haussant les épaules
Et l’encre de mon nom en silence appelé
Roulera des couleurs au reflet cadelé
Et je déchirerai la membrane de colle.
Que lirai-je pourtant ? pourquoi l’avoir écrite
Si c’est pour dire non ; cette lettre maudite
Qui me torturera jusqu’à la fin du jour ?
Mais la nuit me caresse et me porte l’amour
Dans un plateau d’argent à l’écriture intense
Dont les mots ciselés retrouvent l’importance.
*
Tu as dit oui ? Tu as dit non ? Peu m’importe
Ce que les mots apporteront au matin.
J’ai vécu la nuit et j’ai baisé tes seins
Tu as dit non ? C’est le jour et tu es morte !
Mais la nuit arrive et je n’ai plus le temps
De courir après toi pour que tu m’écrives
Ce que je veux lire et comprendre ; il m’arrive
Une nuit d’amour, seul avec mon néant.
Tu as dit oui ? Tant mieux, on fera l’amour
Avec les mots, avec la terre, et le jour
Éclairera tes yeux de lointaine amante.
Éloigne-toi encore de mon trouble lit
Et refais le chemin jusqu’à l’infini
Retournant à la nuit qui te firmamente.
*
La nuit s’achève et je n’ai rien aimé
Je n’ai pas retrouvé ton beau visage
Et je n’ai pas compris l’ardent message
Que me lisait la femme ; et j’ai rêvé —
La mer s’écume blanche et le vent mord
Dans la fenêtre close avec l’aurore
Qui s’endeuille aussi des froids regards
De l’horizon morose où je m’égare.
— J’ai rêvé d’une attente interminable
Et ma chair voulait savoir l’impensable
Plaisir que tu lui donnais en rêvant.
Mon rêve s’achevait entre tes cuisses
Plût au ciel devin que je les ouvrisse
Pour baiser ta chair immuablement.
*
Puis la nuit s’achemine avec une lenteur
Insoutenable d’araignée, vers une aurore
Plus froide que l’ennui où j’ai rêvé encore
De tes mains de nylon dont je suis l’amateur.
Je n’ai pas tout prévu dans ce rêve d’acteur
J’avais refait le lit fleuri de mandragores
Et allumé le feu dans les draps que tu dores
Et creusé l’oreiller à l’instinct directeur.
Le livre était ouvert sur une page blanche
Et j’écrivais le titre avec un doigt distrait
Ce qui était écrit n’était pas sans effet
Tu augmentais l’allure insensée de tes pas
Et je te préparais le délicieux repas
De ma chair érectée où mon rêve s’épanche.
*
Je ne suis qu’un poète et tu peux m’oublier
Je n’ai pas de besoin puisque j’ai l’écriture
Pour redire le monde à qui veut l’écouter.
Je me satisfais de moi-même et je perdure.
Si tu veux m’oublier je te ferai l’amour
Pour te donner l’enfant que ta science mérite
Tu prendras le plaisir par la queue, et le jour
Des noces, le plaisir te rendra si petite !
Je crois désespérer, tu sais si peu de choses
De la terre infinie où mon amour repose —
Je ne suis qu’un poète et tu es une femme
Je rêve de l’amour que ta chair peut donner
Tu penses que l’amour est dans l’éternité —
Et nous avons raison de mélanger nos âmes.
*
Je prépare des parfums éternels
Mes bouteilles sentent bon l’espérance
Je crois avoir une nouvelle chance
De coucher nu dans le sein maternel.
Elle sent que le vent va tourner
Il apporte mes odeurs si tenaces
Et le temps innombrable menace
D’effacer tous les mots pour durer.
Ne chante pas la syllabe muette
Je l’ai écrite avec une bluette.
C’est un parfum entre tous suranné
Défais le lit refait avec excès —
Tu as le temps d’aimer ma fantaisi — e
Et je vole une rime à tes beaux y — eux.
*
Maintenant je respire un peu de ta lointaine
Apparence de femme au passé souverain.
Ta majesté n’est pas sans douleur et demain,
Tandis que dans tes mots je plongerai ma veine,
Tandis que pour le vent je dirai mes voyages,
Et que la mer soucieuse encore de ployer
Dans ma vague de temps où je fais tournoyer
De ma fièvre d’écrire un million de pages,
Se couchant à mes pieds éclairés dans le sable
Le foule de tes pas qui croissent de l’arable
Demain je revivrai ma froide nudité
Je goûterai des fruits défendus, et l’été
Brisant les jets de feu de ta royale absence
Donnera à l’automne une douceur immense.
*
Je n’écrirai plus rien en attendant ta lettre
Je dormirai tranquille en rêvant de tes yeux
J’y parlerai d’amour — ce sera beaucoup mieux
Que d’étirer le temps dans d’impensables mètres.
Tes mots ont-ils bien voyagé ? et la métrique
A-t-elle bien tenu la bride à mes chaleurs ?
Je dormirai tranquille en rêvant ta douceur
Je parlerai d’amour — déjà je m’y applique.
Je n’écrirai plus rien, du moins je crois écrire
Une dernière fois ce que je peux te dire
De cette attente étroite où ma tête a craqué.
Je dormirai tranquille en rêvant de croquer
Un à un tous les fruits de ton arbre d’images.
Je parlerai d’amour pendant que tu voyages.
*
Quelle tristesse et quelle rage dans mon cœur !
Mon livre s’achève aujourd’hui — c’est ici même
Que s’arrête le temps — et dire que je t’aime
Pendant que tu écris les mots avec lenteur.
Je joue avec le feu, la comédie s’anime
J’inverse le courant, le théâtre prend feu
J’amuse les baleines, le parterre est heureux
De constater que ceci n’est que pantomime.
Pendant que tu écris les mots si lentement
Et que mon impatience agite l’eau du rêve
Au clapotis je me retrouve et je me mens,
Je me mens tristement sans vergogne et sans hâte
J’écris les autres mots sur des pages qui crèvent
L’écran de ma nuit bleue où le soleil éclate.
*
On fera rissoler une omelette
Sur un lit de lardons et de bon ail.
Dans la poêle qui chante un air d’émail
Et d’huile craquelant la cassolette.
On boira le champagne à l’aveuglette
Vidant le verre étroit de son travail
Que c’est simple de vivre avec un bail
Dans le grand lit de toile un peu pompette.
Ton rire fleurira dans les chatouilles
Entre la sauce au beurre et les marmots
Qu’à force de chansons et de dérouilles
On aura mis au monde sans patouilles
Sur un air de cuisine et de grelots.
J’aime ton popotin et je m’arsouille.
*
Je m’arsouille de vers et tu n’existes pas
Ton ombre m’apparaît, je ne vois pas ta bouche
Je n’entends rien de toi et la lumière couche
Dans mes draps sulfureux où je souffre de toi.
Je ne raisonne plus, et dans mon cimetière
Ton âme est envolée avec d’autres oiseaux.
D’une aile passagère elle a troublé les eaux
De mon fleuve d’amour qui partageait la terre
Pour pénétrer en toi et te donner la vie.
Ne m’abandonne pas dans tes vagues envies
Les mots sortent de moi et descendent le fleuve.
Peut-être qu’après tout il faut que la pluie pleuve
Elle pleuvra toujours si l’ivresse m’emporte
Au pays où la mort est une vierge accorte.
*
C’est le dernier sonnet que j’écris pour t’attendre
Dans ma tête éclatée j’ai joué tous les rôles
Du mime qui se prend au jeu des barcarolles
Au moine festoyant de la chair qu’il veut prendre.
C’est le dernier sonnet de cette attente immense
Où j’ai donné des mots à ma peur de te perdre
La rime peut manquer à ce vers éphémère
Je n’ai jamais menti, j’ai vécu cette transe.
Et je la vis encore — Souffrirai-je toujours
Ou ferons-nous l’amour ? Mais tu ne peux rien dire
C’est le dernier sonnet que j’écris au détour
Du chemin que traçaient tes yeux qui nous ressemblent
Quand ils croisaient les miens et que je croyais lire
Que ton âme voulait que l’on voyage ensemble.
*
L’attente est composée d’invariables redites
Mais je composerai pour toi la romance
De syllabe en syllabe étirant le tracé
Des heures respirées dans l’air que tu habites.
J’écrirai des chansons aux musiques tacites
Pas à pas refermant le cristal enlacé
Que le feu arabesque isole du Lance
Et fige sur le meuble où pâle je médite.
C’est un sombre miroir où le monde s’inverse
Un monde blanc et noir que le soleil transperce
Et la lumière joue dans les azulejos
J’ouvre la jalousie sur l’artiste brûlure
Une femme y découvre un sein que je rature
En brisant le jet d’eau de l’aimable patio.
*
N’espère pas me dire en jouant des paupières
Que ton âme respire un parfum si troublant
Qu’il t’importe d’attendre un peu que le moment
Vienne où l’inspiration te dira mes lumières.
Si je brille d’un feu, c’est l’amour qui l’inspire
Et il faut être deux pour goûter au plaisir.
Si je brûle c’est toi qui extrais mon désir
Du bûcher de papier que je ne peux relire.
N’attends pas ce moment inutile qui flambe.
Ma bouche divaguait remontant sur ta jambe
Je voulais être amant et vivre de ta peau
Je te voulais maîtresse et ivre de tendresse.
Mais le rêve attendait avec toi que l’anneau
En rivière changeât sa première caresse.
*
Demain peut-être, et demain, et demain
Si tu es un oiseau et que tu voles
Et que ton aile noire et blanche épaule
Mon ombre immobile comme un refrain.
Si le jour se lève et que tu réveilles
La mouette étoilée et le crabe nu
Peut-être demain le moment venu
Dans le coquillage qui s’ensoleille.
Demain elle arrive en habits de lettres
Blanche et noire chanson demain peut-être
— Demain si la nuit s’achève enfin
Si la mouette rit, si le crabe danse
Si le coquillage au refrain s’avance
Et d’un entrechat retourne au refrain.
*
Pourvu que la vie nous soit facile
Que rien ne s’interpose entre toi
Et moi, que la mort n’existe pas
Comme la mort existe, et tranquille
Si tranquille parfois, la patience
Nous éclairant d’utiles conseils,
L’impatience inventant nos éveils,
Pourvu que la vie en transparence
Comme un verre vide à la lumière
Ne joue pas le feu, ne joue pas le temps
Ne joue rien de faux, rien d’éphémère —
Si tranquille enfin au reflet blanc
La liqueur est bue, tout est tranquille
Tu souris parce que c’est facile.
*
L’écriture est un plaisir comme un autre.
Comme le vin qu’on boit pour oublier
Battre les murs aux solides piliers
L’interroger pour voir si c’est le nôtre ! —
Comme l’amour qu’on fait à la lumière
Croisant l’été dans de courbes chemins
Et poursuivant par l’hiver qui revient
Le même saut d’éternité amère —
Pour oublier que rien n’est arrivé
Et que demain secouant le pavé
En baladant une ardeur immortelle
Il faudra bien, demain, penser à elle,
Et l’écrire encore, et la coucher là.
Cette exigeante amitié qui s’en va.
*
Tu as mis un chapeau sur ta main
Un chapeau de métal métallique —
Une bague à ton doigt esthétique ?
C’est amusant, on s’amuse bien.
Ton oreille supporte un lacis
De morceaux de métaux métalliques —
Une boucle à ton lobe esthétique ?
C’est amusant, on s’amuse aussi.
Mais ton épaule est nue et je t’aime —
C’est amusant parfois, pourquoi pas ?
On s’amuserait bien dans le même
Lit — et tu peindras ta bouche esthétique —
Et pourquoi ne la peindrais-tu pas ?
N’ai-je pas peint mon doigt métallique ?
*
Je t’aime nue — enfin, je t’aimerai plus tard !
J’aimerai ta poitrine aux stupeurs enivrantes
Et j’y vivrai la courbe et l’artiste tangente
De tes seins étoilés dans mon trouble regard.
Enfin, je t’aimerai, — je t’aimerai enfin
De douceur en extase explorant tes arcanes
Écoutant tes discours de stryge mélomane
Et j’y vivrai dans le pipeau des séraphins.
Qu’y revivrai-je encore ô nudité parfaite ?
De tes pieds triomphants à tes cheveux de jais
Soumettant mon regard à ta vivante fête —
J’y revis mon passé, troublant des virelais
D’un doigt presque distrait dans l’extatique verre
Où je n’ai jamais bu que la gloire éphémère.
*
On doit mourir avant que la mort nous entraîne —
Je crois que je mourrai aux fadeurs de ton corps
Quand mon corps fatigué et changeant le décor
Jouera un autre drame en regrettant à peine —
À peine tes grands yeux cultivant ma paresse
Tes délicates mains au discours mesuré
À peine tes cheveux mélangés de reflets
Quand je manipulais le miroir d’allégresse !
— On meurt bien assez tôt pétri des souvenirs
Que le lit éternel des anciens plaisirs
Trace d’un pli amer dans le drap de nos veilles
— Que ce drap nous ressemble et qu’il nous ensommeille
Que notre chair arrive avec la vérité
Je te veux éternelle et facile beauté !
*
Et si j’aimais la mort après t’avoir aimée ?
Et la vie durerait ce que le plaisir veut —
J’aime la mort, c’est vrai, o le terrible aveu ;
Mais c’est une servante et je l’ai enchantée ;
Vois comme elle tourmente et comme elle est charmée
Sa chevelure est noire et ses yeux langoureux —
C’est une femme encore, une femme qui peut
D’une amante endormie se changer en Orphée ;
Mais ne regarde pas l’ombre qui s’est inscrite
Entre la maison rouge aux faces décrépites
Et le jardin des rêves que césure le ver —
L’ombilic nous éprenne de ces vacances molles —
Qu’il nous charme peut-être dans ses anneaux de vers
D’une pensée mourant d’un de ses plus beaux rôles.
*
Mais je n’attends plus rien qu’une belle tourmente
Avec un ciel très bas et des vagues de feu
Que le sable voudrait aimer encore un peu
Avant que le soleil ne consume sa pente.
Il y a dans mes yeux la lumière démente
D’une écriture à peine éclairée de tes yeux —
J’aime que ton regard aux plaisirs les plus vieux
Donne les lauriers de la plus vieille amante.
Une belle tourmente endormirait mes sens,
Et tu te nourrirais de cette froide absence —
Non, je n’ai pas souffert, je n’ai rien regretté
Ni ta cuisse magique à l’humide adhérence
Ni ton ventre buvant l’éternelle semence
Pas même ta coquille ouverte à la beauté.
*
Après la mort peut-être et pourquoi pas demain —
Nous aurons épuisé les plaisirs de la vie
Mais n’ayant rien compté que notre chair ravie —
Demain nous redirons ce que peuvent nos mains.
Que peuvent-elles, ces mains, sinon revivre encore
Et donner le plaisir dans leur habit de nuit,
Rappeler que demain le même jour revit
Les revivant encore ces charnelles aurores.
Mes mains ne peuvent rien si la mort est un rêve —
Et pourquoi pas demain si le soleil se lève
Et qu’en ouvrant les yeux tu souris au plaisir ?
Laisse ma main refaire et défaire la trame
La fibre se mélange aux fibres de mon âme
Et au ciel redescend le soleil du désir.
*
Quand nous n’aurons plus la chair pour nous aimer,
Que la mort sera le lien entre nos âmes,
Que tes yeux changeront ta couleur de femme
Et que j’oublierai mes livres refermés —
Quand mes mains vieillies chercheront le plaisir
Sur ton ventre clos — quand ta bouche entrouverte
Et remplie des mots que ton âme déserte
Redira pour m’aimer, pleine du désir
De recommencer, quand ta bouche rustique
Voudra retrouver les accords magnifiques
D’une jeunesse morte en terre de feu
Et sous un ciel d’orage — quand dans mes cheveux
Cherchant les reflets des délices lointaines
Tu me pleureras — je t’entendrai à peine.
*
Mais nous aimerions-nous si la mort passagère
À la fin du voyage annulant le plaisir
Ne s’y mélangeait pas comme pour en finir
Avec l’éternité inventée pour nous plaire ?
C’est l’imagination qui plonge dans nos âmes
Ses mains recommencées chaque fois que le temps
Nous retrouve enlacés l’un dans l’autre cherchant
À musicaliser de déroutantes gammes.
— La chair est l’instrument d’un voyage incroyable
Elle apprend, elle essaie, elle aime et, périssable
Elle apprend à mourir si l’âme n’est pas morte —
Elle essaie de revivre si la mémoire existe
Elle aime encore un peu si le désir résiste
— C’est l’imagination dans la mort qui avorte.
*
J’ai rêvé le plaisir entre tes bras absents —
Tu prodiguais le rêve avec tant d’insouciance !
Ta nudité noyait de vagues déferlences
Contre ma roche brute où burinait mon sang —
J’ai creusé dans ta chair ce que mes mains voulaient —
Et tu marchais légère et brune évanescence
Au matin rougeoyant l’opaque renaissance
— Par le burin sonore ma roche déferlait.
Ce n’était que l’idée d’un théâtre de chair —
Et j’étais un oiseau dont les oiseaux se moquent
Éternisant d’une aile attentive la mer
Où leur vol pur n’est pas celui que j’envisage
— Ta nudité changeait des atomes de roc
Et ta robe volait comme un oiseau volage.
*
Et l’attente revient régler mon impatience
Je fais l’amour au rêve et je crois que c’est vrai
Le rêve prend plaisir et je suis satisfait —
Mais l’attente m’annonce une attente plus dense.
Elle revient encore éclairer ma lanterne
Elle s’amuse à peindre au plafond de ma nuit
Des fragments de mon corps qui suspendent mon lit
Comme le balancier dont l’horloge s’interne.
Et je deviendrai fou si ma lente écriture
Négligeant les ressorts d’une attente qui dure
N’arrêtant que des mots et non pas le plaisir
— J’écris comme le vent ignore ce qu’il vente
Mon plaisir est de croire que tu es mon amante
Et que ton écriture répond à mon désir.
*
La lune est infidèle et la nuit en dépend —
Que la lumière absente une attente fragile
Ou qu’elle éclaire enfin dans son orbe tranquille
Mes raisons de t’attendre et d’espérer pourtant —
La lune est infidèle, et sa lumière fausse
Le regard que je porte au lointain horizon
Pour deviner les mots qui troublent ma raison —
C’est l’ombre qui préside au moment de ta noce.
La lune est infidèle et je connais ses voiles —
Je dénude son sein s’il n’est pas déjà nu
Et ma bouche y pressant l’inconcevable étoile
Que dans l’éternité prolongée de ta cuisse
J’ai vu briller le feu d’un état inconnu —
La lune est infidèle à son propre délice.
*
Que la courbe décrive ou que la droite ligne
Partage ma pensée en signaux indistincts —
Tu laisses désirer tes délicieux instincts
Que la page ensemence et que l’encre m’assigne.
J’effleure lentement ton âcre territoire
Dont la géométrie parfaite maintenant
D’angles en points de fuite imagine l’élan
Infinitésimal de ta récente histoire.
La courbe est au miroir un infini d’anneaux
La ligne se projette en multiples échos
Et ta double présence invite à s’y résoudre.
Si j’ajoute un miroir à ces compositions
Pour compliquer l’attente et appeler l’action,
Une rime me manque et tu n’existes plus.
*
Qui plus heureux que moi et qui plus éphémère ?
J’écris ton nom de femme et la page s’éveille ;
Les mots te donnent forme exigeant des merveilles ;
Aucun n’oublie tes yeux hérités de la terre.
Et le ciel t’a donné des jouissances fameuses
Le feu ta cuisse aimante, et la mer ta substance
— Qui plus heureux que moi nourrissant mon silence
Dans les sonorités de ta bouche amoureuse.
Mais qui plus éphémère, mais qui plus improbable
Qui plus apte à l’oubli où le genre s’anime
— Ma rime est féminine en souvenir des fables
Où j’ai appris que Femme est l’ardent synonyme
De toute éternité gagnée dans l’écriture
— Qui plus heureux que moi et sans doute si pur ?
*
Les lettres de ton nom égrènent ton absence
Vagues comme l’aurore au triste sfumato
Alimentant le vers pour y jouer l’écho
Litineux d’un nuage éclatant de silence.
Éternelle mesure impossible à ma cause
Rejouant dans la vague un sonore glacis,
Inverse transparence au cadrage précis,
Et elle se détourne en riant de sa pose.
Je peux redire encore les lettres émouvantes,
Et tenter l’impossible en devenant oiseau —
Une mouette au cri lent dans le ciel s’instrumente.
Son aile plonge enfin dans les riantes eaux
Que les lettres vomissent sur les rochers sonores
— Tes lettres cadelées que les oiseaux dévorent.
*
Même l’amour n’est pas suffisant —
Et que dire de tant de mortelles matières
Qui coûtent tant à l’âme et si peu à la terre
Qu’il faut mordre quand même un jour de très grand vent ?
Un jour de vent et de colère
Suivant les pas qui tristement
Portent le lourd tribut du temps
Dans un rapide cimetière —
Même l’amour n’est pas suffisant —
Même versant des pleurs solitaires
Et si la mort, la mort qu’on enterre
Ne manque pas au triste cadran —
Mais que dire de tant d’impalpables poussières
Où l’amour n’est plus rien qu’une galante affaire ?
*
L’autre mourra très seul et solitairement
Regardant dans les nœuds de ses mains pourrissantes
Il verra l’arabesque incroyablement lente
D’une ancienne nuit où amoureusement
Deux corps se passionnaient pour le même plaisir —
Effaçant d’une main ce que l’autre rappelle
Il verra d’autres plis se confondre avec elle
Et ramener son corps au présent des désirs —
— Nos mains seront si vieilles, ma mémoire si loin
Et j’aurai tant pleuré en te voyant descendre
Dans cet immonde trou où j’ai plongé mes mains !
Il verra ce qu’il voit, ce qu’il a toujours vu
Il entendra aussi ce qu’il voulait entendre
Et ce que n’a pas dit le cimetière nu.
*
Si j’écris des sonnets, c’est que je suis sonné
Secouant les anneaux du serpent à sonnettes
Je veux croire à la vie répandant des clochettes
Dans les cloches navrantes qui n’ont jamais sonné
Si j’écris des sonnets c’est parce que je t’aime
On aurait voulu dire en parlant de sonner
Que je t’aime surtout d’être surtout sonné
C’est-à-dire écrivant des sonnets anathèmes.
Je t’aime pour sonner, c’est un peu vrai je crois
Mais ne te vexe pas si le sonnet s’accroît
D’un ancien serpent aux funestes écailles
Je sonne pour t’aimer de ces folles sonnailles
De sonores sonnets invitant le serpent
À régaler ta peau de sonneuse sonnant.
*
Je suis le sonneur fou, je tire sur la corde
La cloche se décroche au résonnant clocher
Entraînant dans sa chute un bronze très fâché
À la fausse fêlure qu’on voudrait que j’accorde.
Je n’accorderai pas le bronze et les oreilles
Il faudra m’écouter quand je chanterai faux
Je serai incongru et cruel s’il le faut
Et s’il ne le faut pas je ferai des merveilles.
Tu me donnes le La dans le clocher détruit
Et j’écoute ta voix que l’insouciante nuit
Enjambe d’une jambe accrocheuse d’étoiles.
Je n’agiterai pas la clochette à tes voiles
Et ma lyre résonne de tes fesses sonnant
Comme cloche au clocher la venue du serpent.
*
Impossible serpent aux clochettes tragiques
Tu comptes les anneaux de la vie un par un
Et dans le sable noir de nos signaux défunts
Ton cercle se succède en un cercle magique.
Je ne sais pas la vie aussi bien que tu sais
Je n’ai rien appris de l’art mathématique
Ni de la prosodie aux accents magnifiques
Je voulais que la femme arrive à point nommé,
Et qu’elle déshabille en baissant les sourcils
Son ventre écartelant où naissaient mes babils
— Ne laisse pas mon cœur dans la langue fourchue
Je ne veux pas siffler la bouteille pendue
Au plafond de la chambre où j’ai connu l’amour
Sans le faire avec toi une fois pour toujours.
*
Quelle nuit magnifique et quel matin plus calme
Que cette nuit d’amour où j’ai connu le corps
Que cette aurore nue pour unique décor !
Entraîne-moi encore dans tes lenteurs de palme !
Qui sait si le midi en décrivant l’arrêt
D’un soleil circulaire qu’anime notre sieste,
Accomplissant son acte avec un noble geste,
Ne nous viendra cueillir comme des fleurs des prés.
Et je me vois trempant mes pieds de séraphins
Contre tes pieds dormant dans l’onde d’une cruche
Dont l’ouverture accueille entre autres fanfreluches,
Une rose rosée au calice très fin
Une branche d’épines qui blesse ta poitrine
Et le gant d’une dame à l’ombre adamantine.
*
On pourrait s’éloigner et d’un pas infini
Toucher l’horizon jaune et le croire en silence —
Et ta main dans la mienne expliquant notre absence
Au péquin confondu qui boit et qui sourit.
Il boit le vin de palme au silence infini
Penchant la tête sur ta souriante absence —
Et passant sans retour devant le soleil dense
Nous danserons aussi le tango abruti —
Approche-moi de l’horizon et du soleil
Et embrassant ta croupe dure et ton orteil
Je verrai les cafés et les vaches cocottes
Les tables renversées sur le trottoir conquis
Respirant le cognac et l’odeur de la crotte
Dans un Paris revu et corrigé par qui ?
*
Expliquant justement tes fines existences
De la plage dorée aux trottoirs de Paris,
Tu relisais encore un ancien écrit
En parlant d’oublier sa curieuse assonance.
Elle vivait sur terre et tu volais pour elle —
On dirait que le temps ne veut pas oublier
Ce qu’a duré le temps quand il s’est arrêté
Mélangeant les plaisirs en salade éternelle.
Et tu n’expliques rien qu’une vague présence
— Qu’est-elle devenue après sa mort manquée ?
Mais tu ne réponds pas et elle est expliquée —
La Seine eut beau rêver ta soudaine impatience,
Il ne s’est rien passé qui devienne un écrit
Et tu peux oublier ton indolent Paris.
*
Mais il faut en finir avec le souvenir
Que la douleur étire dans les navrantes heures
Présidant à ta vie de poète, et tu pleures —
C’est navrant de pleurer mais il faut en finir.
J’ai passé un moment de cette longue attente
À me moquer de toi mais sans méchanceté —
Je t’aime de donner toute l’éternité
À mon chant que recrée ma voix impatiente.
Je n’en finirai pas de chanter ta beauté
Dis-moi que j’ai raison de ne pas en douter
— Dis-moi ce qui préside à ma vie de poète —
Mais la douleur sommeille je ne sais pas mentir
Je t’aime tant encore et il faut en finir
— Pourras-tu l’oublier si je crois à tes fêtes ?
*
Elle vivra toujours dans ma triste mémoire
De cette vie pesante où je pèse mes mots —
Et tu ne sauras rien sauf peut-être l’écho
De mon cri poursuivant mes rêves illusoires.
Je m’illusionnerai tant qu’elle durera
— Est-elle morte enfin comme elle voulait vivre
Négligeant le plaisir en refermant le livre
Pour une liberté qu’elle ne vivra pas ?
— Tu ne me diras rien, c’est mon passé qui passe
Et tu ne sauras rien de ces signaux tenaces
Que je vois s’allumer dans tes yeux saturnaux
Ne me parle jamais du suicide des femmes
— J’ai vécu cette mort et revivant la flamme
J’ai eu peur de te perdre et j’ai crié très haut.
*
Je lui ai demandé de me donner son corps
Et elle l’a donné en négligeant ma transe —
Je caressais le vide étroit de sa démence
Et elle préparait les raisons de sa mort.
Je ne sais pas pourquoi je me le remémore
En attendant ton cœur qui ne saurait tarder
C’est une histoire ancienne, il n’est rien arrivé,
Et ce n’est pas la tienne, mais elle arrive encore.
Je mélange les temps par peur de te déplaire
Tu sauras la raison de ma vie solitaire
Depuis ce drame obscur où j’ai perdu le droit
De regarder en face une femme et sa loi
— J’ai rêvé d’être amant de la femme multiple
Et je n’ai calculé qu’un foudroyant périple.
*
Mais avec toi, chérie, je veux vivre en douceur
Et rechercher ton âme dans ton cœur médiumnique —
Avec toi je veux vivre en oiseau magnifique
Et déranger les airs d’un coup d’ailes traceur —
J’effleurerai ta peau pour y trouver la paix
J’aurais des lèvres d’huile pour pénétrer ton ventre
Et des fruits sadinets pour atteindre le centre
De ta satisfaction où mon corps peut tremper.
N’écoute plus mes cris, ils sont le souvenir
D’une douleur ancienne, et mange le plaisir
Entre tes dents sonores qui sur ma cuisse claquent
— Avec toi je veux vivre et t’aimer dans ton corps,
Harmoniser selon tes merveilleux accords
Une mer de plaisir aux vagues qui ressaquent.
*
As-tu vécu l’oiseau qui se dit géomètre ?
Il écrit des poèmes, pour toi, pour ton plaisir
— Il est chouette l’oiseau qui parle de s’unir
À tes désirs de femme — que sait-il de ton être ?
Il sait la femme longue en sonore intervalle
La femme qui revient en mesurant ses pas
Au miroir descendant où giclent les éclats
D’un regard qui attend qu’elle enlève ses voiles
Il ne sait pas encore où tu caches tes mains
Avant de commencer cet aimable quatrain :
— Il se dit géomètre, il écrit des poèmes
Ce n’est pas un oiseau comme il voudrait qu’on l’aime
Il sait pas mal de choses mais pas autant qu’il dit
— O montre-lui tes mains qu’il refasse le nid.
*
Je sais bien que j’écris si tu existes
Et j’écrirai toujours si tu le veux —
Ne m’abandonne pas les adieux
Qui menacent mon cœur et y persistent.
Je ne crois que la terre et la terre me dit
Que tu existes —
Je n’écris que le ciel et le ciel est ma nuit —
Elle résiste.
Je sais bien qui tu es
Et pourquoi tu te tais
J’ai écrit tellement que le feu me compose —
Le feu m’a parlé
De l’eau qui repose
Comme l’encre où je n’ai pas parlé.
*
As-tu croisé le temps aux rimes parallèles ?
Il arpentait les monts et l’oiseau le suivait
Ne craignant ni vertige ni orage crevé
En abondantes eaux qui maculaient leurs ailes.
As-tu croisé l’espace aux mots anthropophages ?
Il descendait la pente et l’oiseau murmurait
En marchant dans ses traces qu’il n’avait pu rêver
Comme il avait voulu et que c’était dommage .
C’est dommage d’avoir en si peu de saisons
Chanté si peu l’amour et autant la raison —
Mais le temps a raison de l’oiseau circulaire
Et l’espace le laisse en un lieu solitaire
— Le temps n’y manque pas, on se croirait hier
Et demain à la fois — Tant pis pour le dessert !
*
Ton corps est un pays peuplé de mangeurs d’hommes
On y rencontre l’or et l’exotique bois
Qui creusait des statues dans sa peau autrefois
Pour élever nos dieux à la hauteur de l’homme.
Et les femmes mâchaient la rêveuse liqueur
Et nous buvions le fond jusqu’à l’ivre pensée
Par quoi nous transformions le monde des idées.
Ton corps était mouillé de l’ardente liqueur
Et des hommes mangeaient un homme solitaire —
Ce sont mes os blanchis que les femmes suçaient
Les enfants se moquaient de l’affreux maxillaire
Dont la langue savante avait été mangée —
Ton corps est un pays que les pays peuplaient
On y rencontrait l’âme égarée d’un orphée.
*
Que veux-tu que je donne à ton amour blessé ?
De l’or, je n’en ai pas, ni la maison tranquille
Où tu voudrais dormir d’un sommeil si facile
Que même les oiseaux n’y voudraient te baiser —
Ils sont si difficiles les oiseaux qui aimaient !
Ils n’aiment plus autant que dans l’histoire ancienne
Où mangeant les humains jusqu’à leurs mortes glènes
Ils regardaient la femme avant de la couper
En mille divisions qui réjouissaient leur cœur —
Que les oiseaux sont beaux quand ils mangent la femme !
On a envie de les aimer avec douceur
— Avec cette douceur infinie jusqu’à l’âme
Dans la maison tranquille où croissent mes sommeils
Les oiseaux fleuretaient dans tes tristes réveils.
*
Arrête la caresse où mon plaisir commence,
Suspend ta bouche aimante et revient dans le lit
Où j’écrivais la femme aux multiples semences
— Elle était reine encore et divisait la nuit —
Ne me reproche pas si j’ouvre la fenêtre
Pour détruire le temps qui voulait tes plaisirs
Ne me reproche pas ma fièvre de paraître
Dans les pages mouillées du livre des désirs.
Ta bouche suspendue me rappelle à l’histoire
J’imagine le temps effrayant la mémoire
Et ton corps arrêté dans une éternité
De courbe parallèle où la beauté m’invente
— Ne me divise pas, et reviens pour fêter
Notre bel assemblage aux chairs impatientes.
*
J’ai croisé une femme et ses jambes m’ont plu
J’ai suivi une femme et ses bras de lumière
Auraient pu m’enlacer dans l’ombre circulaire
Et je cherchais l’amour dans son ventre poilu.
Une femme croisée dans la ruelle inverse
Avait des bras d’ivoire et je l’aimais déjà —
Je pensais à tes bras de lointaine maja
Et sur tes jambes d’acajou, tu me traverses —
Dans la ruelle obscure aux mille citadines
Je visitais la femme aux jambes cristallines
Et d’un reflet d’ivoire éternisant le bras
J’imaginais l’amour dans d’impossibles draps
Et je croisais des femmes, je suivais ta lumière
Je voyais dans la rue ton ventre circulaire.
*
C’est en pensant à toi que j’ai rêvé d’une autre —
Elle suivait l’écume en y cherchant l’amour
Et les vagues mouraient à ses pieds sans retour
Retournant à la vague où elle vivait l’autre.
Et j’observais le vent qui secouait ses boucles —
Elle avait tant vieilli et j’avais tant vécu
Elle montrait ses seins à l’horizon perdu
Mais nulle éternité n’arrivait à sa bouche.
Une autre nudité dans mon rêve vivait
Ses jambes se pliaient en donnant à la vague
Ce qu’elle avait offert et que j’avais rêvé
— J’ai rêvé d’une femme et ce n’était pas toi
Et la mer me l’a prise en un moment de vague —
J’avais fermé les yeux et je n’étais plus moi.
*
Les plaisirs de ma vie, je te les ai contés,
Dans un roman d’amour et de littérature.
Je vis depuis longtemps d’amour et d’écriture
Et tu es le seul livre que je n’ai pas jeté —
Je veux faire l’amour à ton corps éternel
Écrire sur ta peau le plaisir d’une amie
— Tu me feras l’amour en me donnant la vie
Et j’écrirai ton cri au chiasme charnel —
De qui me parlais-tu que je n’écoutais pas ?
S’agissait-il du vent qui efface tes pas
En soulevant le sable instable de mon âme ?
Tu parlais de l’aurore ou d’un autre moment ?
Tu dis que j’écrivais et j’écrivais vraiment ?
Dans une autre existence, j’ai voulu être femme.
*
La femme que j’étais revenait de la ville —
On aurait dit un homme et c’était une fille
Elle ajustait le fard et la trouble résille
Sur un trottoir glacé que je savais tranquille.
Personne n’entendit le prix de mon succès
— Elle enleva la robe et attentivement
Entra son doigt huilé dans son ventre savant
Elle était prête enfin et j’avais tout payé —
Je n’étais pas la femme et la ville dansait
Je voulais être un homme et je le devenais
Elle enfilait sa robe et je regardais l’heure
J’ai remonté la rue jusqu’au bout de la rue
Je sentais l’anisette et le saucisson beurre
J’étais moins riche aussi et je l’avais perdue.
*
Ma femme m’a quitté sans que je lui ressemble
Et j’ai payé le prix du plaisir qu’elle craint
— Je ne plongerai plus les mains dans son écrin
Il faudra que je mente au monde qui s’assemble
J’ai dit qu’elle est partie, je n’ai pas dit ensemble —
Elle s’est envolée, elle avait l’air serein
— Je ne glisserai plus de sa nuque à ses reins
Je mentirai toujours à ce qui croit, à ce qui semble.
Elle est si différente, et le miroir reflète
Les mots qui ont redit dans sa bouche replète
Invariablement que je lui ressemblais
— Je ne ressemble plus à la femme que j’aime
Mon image est ailleurs comme je le voulais
En un autre miroir dont je connais l’extrême.
*
Mon image ressemble à la femme espagnole
Qui mesure le bain insouciant de son corps —
À la hauteur des seins arrêtant son effort
Elle laisse l’écume mordre dans ses épaules.
La Méditerranée, indolente marâtre,
De veuvage en veuvage épouse des regards
— Et je ne suis pas seul à regarder l’écart
De tes jambes sous l’eau dont je suis le théâtre.
Je boirai dans ta bouche un vin très alcoolique
Et du crabe de sable examinant tes seins
Tout au long de ton corps et jusqu’à l’eau magique
Je deviendrai la mouette à l’aile magnifique —
Tu pourras rire enfin de mes vols dynamiques
Et je créerai la vague éclaboussant tes seins.
*
J’ai appris à écrire, à survivre, à aimer.
J’ai écrit quelques livres que personne n’a lus
Je dois beaucoup d’argent à de sots créanciers
Et j’ai aimé des femmes qui me l’ont bien rendu.
Les livres m’ont nourri de la chair de leurs mots
J’avais l’imaginaire et le rythme qu’il faut
De belles qualités et très peu de défauts —
L’imaginaire est tout et le moindre des maux.
Pour vivre il faut de l’or et je n’avais pas d’or
Et si j’en avais eu qu’est-ce que j’en aurais fait ?
Sans doute pas grand-chose — j’ai choisi de voler.
J’ai beaucoup fait l’amour mais je n’ai pas joué
Une femme m’a plu, une autre m’a loué
D’autres m’ont décousu et j’ai peint le décor.
*
Écrire des sonnets est une occupation
Bien propre et bien gentille — j’écrirai des ballades
Si j’étais sale et faux comme l’était Villon
Mais j’ai un trou du cul sain comme la Pléiade.
As-tu un trou du cul digne de ma passion ?
Pourquoi me regarder avec cet air malade ?
Je n’ai rien fait de mal en posant la question —
Je ne crois pas qu’on va le manger en salade.
Je pensais à l’amour qu’on aurait dû rêver
Tu fermerais les yeux en te suçant le pouce
Et dans un drap de lit je me serais sauvé.
Dehors il ferait froid — l’arbre couvert de mousse
Me donnerait le nord — je pourrais m’en laver,
Écrivant des sonnets dont la rime éclabousse.
*
I
Et d’un fort coup de pied il le fit reculer
L’autre retint son ventre et cracha des injures :
« Espèce de marsouin ! Décrocheur de galure !
Tu n’auras pas ma fille et mon chapeau replet ! »
Il lui brisa la nuque et l’autre s’écroula —
Sa tête retombée sur l’épaule à l’équerre
Il s’immobilisa dans le frileux parterre
Que la rose et le lys se partitionnaient là.
« Effroyable menteur ! dit l’autre sur sa tombe
Tu voudrais bien me voir provoquer l’hécatombe
Des pères amoureux de leurs filles amènes.
Je vais te faire voir comme on traite les sourds
Qui ne veulent entendre que des chansons obscènes ! »
Et d’une plume alerte il chanta ses amours.
II
Une femme passa, que la froide guitare
Épousant la musique en sonores beautés
Attira doucement dans l’allée illusoire —
Il regarda sa jambe et son sein de statue
Elle sourit aussi dans les sonorités
À cet enchantement qui l’avait retenue —
« Par exemple, dit l’homme en cessant de jouer
Serais-tu pas la mère horriblement trompée
Par le père et la fille par le père entrompée ?
J’ai un double sonnet, je l’offre volontiers
À ta stupeur de femme ! — Veux-tu m’accompagner ?
Que le chant nous ranime et inspire la mère
Et qu’il donne au poète la force pour le faire ! »
Entre leurs corps tendus la guitare vibrait.
III
Comprenne qui voudra cet éloquent poème
Tout est dit sur l’amour et le sens est extrême
Et qu’on pardonne aussi ce distique serein
Qui du coup se transforme en aimable quatrain.
Et pourquoi pas du coup, rien ne l’interdisant,
Continuer aussi jusqu’au dernier moment
D’un deuxième quatrain exigeant une rime
Et de la rime enfin ayant trouvé la rime
Attaquer un tercet aux délicieux accents
Et lui donner la forme et le verbe mouvant
Que l’amour exigeait qu’on donnât à son sens.
Et d’un triple sonnet l’histoire se compose
Ahurissant le mort et la fille qui l’ose
Encore aimer — c’est du moins ce que je suppose.
*
Était-ce le matin, dans la froide montagne
Ou par le sable clair qui maculait les plages ?
Était-ce la montagne aux accents de l’Espagne
Ou la plage arabesque étirant ses ouvrages ?
Ou bien était-ce un autre pays, par exemple
Ton corps, ton corps lointain que je n’ai pas connu —
Je rêve ta poitrine et ton sexe si nu !
Je rêve et tu n’es rien, je rêve que c’est simple
Qu’il suffit de t’aimer pour que le temps arrive
Et que ta bouche parle à ma langue rétive —
Écris avec ton sexe, écris avec tes dents !
Ce n’était pas l’Espagne ni la troublante Ariège
C’était ton corps de rêve et mon rêve dedans
Mon rêve c’est mon sexe et le tien s’y arpège.
*
Épuisant tout l’amour que nos âmes se livrent
Je vis le ciel s’ouvrir et d’un vaste soleil
La mer naissait enfin juste après le sommeil
Où j’avais oublié que c’est toi qui m’enivres.
Le rêve était si vieux et désuets les livres
Que j’avais lus naguère en espérant te plaire —
La poésie manquait à ses devoirs de mère
Et je ne savais plus s’il fallait te suivre
Dans ce ciel suranné que le soleil enfant
Pour jouer de la mer ouvrait comme un théâtre —
Je ne sais pas jouer ces rôles opiniâtres
Je peux écrire tout si tu me le défends —
Même les vieilleries en me coupant la tête
S’offriront mes rumeurs étranges de poète.
*
J’ai acquis patiemment cette tranquillité
Sans quoi l’amour est mort et la mort pourrissante
— J’écris ton écriture aux courbes caressantes
Je crois à ta patience — je crois à ta beauté.
Reviens-moi doucement sur mon corps me fêter —
Tes mains caresseront ma nature galante
La pointe de tes seins tracera dans mes fentes
Les lignes ravageuses de mon obscénité.
Comme le drap dansait et comme tu plaisais ! —
Je veux rêver encore à tes chaudes mollesses
Et dans l’écartement de tes cuisses maîtresses
Je veux mordre la vie comme tu me rêvais —
Rêve-moi doucement dans le lit de l’attente
Je montrerai ton corps au monde qui patiente.
*
La mort serait si belle si c’était ton amour —
Je mourrais doucement entre tes cuisses lentes
D’une mort délicieuse qui serait mon amante
Et tu jalouserais cet éternel retour —
Tout aura disparu et tu existeras —
La mort côtoie l’amour avec tant d’impatience
C’est si long de s’aimer et si vite l’absence !
J’aurai écrit beaucoup et tu me reliras.
N’égare pas ces pages, retiens leur écriture
Le vent voudra voler et la terre brûler
Ne laisse pas le vent dont le feu peut durer
Abandonne la terre et l’eau qui s’aventure
— Si c’était ton amour, si ton ventre mourait
Je mourrais avec lui en croyant me rêver.
*
J’écrirai pour te plaire l’adab de ta beauté
J’assemblerai les mots autour de tes caresses
Ces mots seront les tiens, et flattant ma paresse
Pour que j’existe encore dans ton éternité —
On m’y rencontrera dans les traces fortuites
Qu’auront laissé mes mains sur ton corps vagabond
— Tu liras doucement ce que t’inspireront
Tes verbes promeneurs d’insoucieuses redites.
Que la rime revienne et que les mots s’en moquent !
— Je revivrai toujours dans cet accouplement
Qui force le hasard à donner savamment
Du sens à ta beauté où mon plaisir suffoque.
Tu ne vieilliras pas si je ferme les yeux
Et je pourrai écrire tes désirs audacieux.
*
Tu arrives demain ; dans le lit préparé
Les draps sont parfumés ; la fenêtre est ouverte
Au clapotis de l’eau et la mer s’est offerte —
Je ne lui ai rien dit mais elle a deviné
Elle s’est faite belle en masque térifère
Qui bouge sur sa peau d’un émouvant reflet ;
— Je n’ai rien oublié ; les livres de chevet
Sont ouverts à la bonne page, et je sais me taire
Pour l’écouter qui danse et qui se souvenant
De tes yeux noirs profonds se mélange à la lune
En un regard d’argent que rien n’importune ;
Je couche dans son lit de sable bleu et blanc
Et repoussant le vent qui caresse ses cuisses
Je fouille sa toison de mes regards complices.
*
J’ai composé pour toi ces grains de pollen
Les fleurs se sont fanées dans le clair hammam
Je les avais cueillies dans les yeux des femmes
Et les femmes m’ont dit : raisonne ta peine —
J’ai raisonné ma peine en cueillant le lys
Il était parfumé comme ton absence
Et je l’ai dit aux femmes qui se voulaient lisses
Et les femmes m’ont dit : ça n’a pas de sens !
J’ai respiré le lys au blanc éternel
Comme la peau des femmes qui de loin m’appellent ;
Je les ai caressées de mon doux regard
Et elles m’ont redit : nous aimons te plaire.
J’ai jeté les fleurs, c’était peut-être hier
Et les femmes m’ont dit : elle vient ce soir !
*
Elle est belle et je le dis au chat
Le chat dort et je ne sais quoi dire
Au soleil paresseux qui s’étire
Et me brûle une page ! et voilà !
Et voilà ce qui arrive au chat
Quand il dort et que le sommeil penche
L’encrier à l’encre noire et blanche
Oui voilà ce qui n’arrive pas !
Le sommeil et non pas le soleil —
L’encrier et non pas l’ancre y est —
Paresseux — voilà ce que tu es !
Et je le dis au chat qui sommeille
Je le dis au soleil qui paresse
Je dis à l’encrier : Son Altesse !
*
Mais non, pas la poupée ! le mannequin qui penche
Sa tête sur l’épaule et qui baise la peau
De sa bouche qui manque au terrible tableau
Rempli de ton absence et de sa face blanche —
Pas la poupée ! Je veux jouer au mannequin
De Chirico ! et deviner ce qui se cache
Dans ta tête sans yeux interrogeant la gouache
Qui peu à peu l’efface sur le tableau repeint —
Je te ferai peut-être un enfant de peinture
Peut-être si le vent arrête de voler
Mes couleurs à l’amour et l’amour au jouet !
Le mannequin revient et craquent ses jointures
De colle et de papier et tu ne reviens plus !
— J’ai repeint mille fois ton impossible nu.
*
Je te ferai demain l’ancienne fin’amor
— J’écrirai la chanson exacte de ta chair
De l’épaule dorée qu’un reflet exaspère
À la pointe des seins que le miroir colore.
Ta poitrine et ton ventre et ton dos qui descend !
Tes bras, ton cou, tes mains et ta nuque et tes lèvres !
C’est l’univers charnel de ma patiente fièvre
— Sans oublier ta voix qui mesure le chant —
Je te ferai l’amour au son de la guitare
L’oiseau sera témoin de nos savants mélanges
Ta voix sera la mienne et tes yeux mon regard
Mes mains joueront enfin ce que ma bouche change
— Et je descends toujours de ton ventre à tes pieds
Pour raturer les mots et tout recommencer —
*
Ma chanson donnera le plaisir à ta voix,
Mes mains te trouveront dans la chair éternelle
Et j’écrirai toujours la poésie des rois
Dont la reine est le peuple et le pays sa loi —
Car ta cuisse est enfant d’une terre de joie
— Si les oiseaux mouraient dans l’impossible ciel !
Mais ils meurent sur terre et la terre est la soie
De leur linceul d’amour dont le ciel est la voie —
Écoute ma chanson, elle dira ta chair
Ton âme trouvera le chemin de la mort
— Pas besoin de chanter pour trouver cette terre.
Et reçoit ma caresse, elle chante ton âme
Et ton corps la suivra et l’aimera encore
Si je suis le poète et si tu es la femme.
*
Veux-tu être la femme ? Veux-tu que je t’écrive ?
Veux-tu être la femme et répandre les mots
Pour que ta nudité inspire mon repos —
Veux-tu te reposer avec moi que l’on vive —
Oui qu’on le vive enfin cet amour qui dérive
Qu’on vive ses plaisirs dans les draps de ma nuit
— Qu’on vive et qu’on y meure avant que notre lit
Ne soit jamais l’enfant d’une nuit qui arrive
— Elle arrive et je l’aime et je veux que sa cuisse
Et sa cuisse m’arrivent ! — Veux-tu faire l’amour
Au poète qui t’aime et que j’aime toujours ?
Veux-tu prendre plaisir à ces troubles délices ?
Veux-tu mourir ensemble et me donner la voix ?
Veux-tu donner la chair ? Veux-tu ce que je crois ?
*
Mais suis-je le poète que voudrait ma chanson ?
Je n’ai jamais écrit que la femme donnant
Je recevais le corps comme un rythme émouvant
Et je rendais mon âme à ces tristes passions —
Mais suis-je différent du chanteur que j’étais ?
Je n’ai jamais chanté que le sein et la cuisse
Je recevais le corps comme un nouveau délice
Et mon âme riait de cette éternité —
Mais ne suis-je pas mort dans le lit d’une femme
Que je croyais aimer et qui volait mon âme
Pour que j’existe enfin dans son rêve d’astrée ? —
Mais ne suis-je pas mort avec la blanche amie
Qui voulait que je l’aime et que j’ai négligée ?
— Mon âme savait tout de sa noire agonie.
*
Le chat me dit : si c’est ta femme, elle est à moi !
Apollon, Dionysos, Éros et Aphrodite !
Je lui réponds : les femmes n’aiment pas les chats
Et les Muses musaient dans les rimes redites —
Le chat me dit : oui c’est la femme qui me plaît !
Apollon, Dionysos, Éros et Aphrodite !
Je lui réponds : les chats ne savent pas baiser
Et les Muses musaient dans les rimes redites —
Le chat me dit : mais tu ne sais rien de l’amour
Ce que la femme veut, dit-il, je le sais bien
Mais tu es fou à lier, personne n’y peut rien !
Je lui réponds : l’Amour ? J’en ai bien fait le tour
Et les Muses m’ont dit les redites redites
— Apollon, Dionysos, Éros et Aphrodite.
*
Je devinerai dieu si la question était posée
Et je lui parlerai, le nez collé contre le ciel,
Et parlant de la mort dans un poème démentiel
J’arracherai la terre à ses pieds de géant creusée !
Je me purifierai aux sources de notre nature
Si la nature était ce que j’entends chaque matin
Mais l’arbre s’est couché en travers de notre chemin
— J’existerai toujours puisque j’étais ton aventure —
Et j’aimerai demain, si c’est demain une autre femme
Elle dira enfin si j’ai raison d’aimer la femme
Je l’éterniserai dans ma folie d’aimer l’amour —
Ce chant serait le tien si tu voulais chanter l’amour
— Examine les fous aux quatre coins de la folie
Et reconnais le tien : tu es sa deuxième folie.
Mon amour me retienne
Et ton épaule à peine
Efface les bijoux
Qui redorent ton cou
Ta bouche est musicienne
Elle taira beaucoup
Et elle dira tout
De tes mains magiciennes
Je t'offre ces tendresses
Et tu répands les tiennes
Avec tant de richesses
Tu m'offriras l'amour
Si je te donne tout
Dans ces sonnets mineurs.
*
Dans ces sonnets mineurs
Je chercherai ta couche
Je serai le chanteur
Qui module ta bouche —
Elle me parlera
Et tu seras si tendre
En oubliant les draps
Que j'écris pour te prendre —
Ne me refuse pas
Le pli qui se retire
Quand j'annonce mes pas
Près du lit où s'étire
Le corps que j'aimerais
Si tu voulais l'aimer.
*
Si tu voulais l'aimer
Accepter sa tendresse
Refaire ses caresses
Et toujours refermer
L'angle de tes cuisses
Sur le baiser mineur —
Que sa bouche et son cœur
En silence l'esquissent
Et que tes yeux si proches
Soucieux de reproches
Et plein de ta beauté
Amoureuse et profonde —
Dans l'amour se confondent
Avec l'Éternité.
*
Avec l'éternité
Que retrouve ma tête
Ce chant est une fête
À ta prospérité.
Tu peupleras encore
De ton ventre doré
Ma vision sonore
Où tu existerais.
Donne-moi la tendresse
À défaut des caresses
Que ma nature d'homme
Rendrait à ta richesse
— Je croquerais la pomme
Que la vie nous adresse.
*
Je croquerais la pomme
Où la science est enclose
Je ne sais rien de l'homme
Et la femme compose —
Arrange les reflets
Au miroir très savant
Que je traverserais
Si j'étais un enfant
Les reflets me reflètent
Et le miroir me mime
— De ce côté ton rire
On dirait qu'il s'arrête
Et de l'autre pourtant
Je reconnais le temps
*
Je reconnais le temps
Dans l'éclat qui cadence
Chaque pas que tu danses
Le temps nous enchantant —
Je reconnais le temps
Dans les yeux que tu fermes
Y mesurant le terme
Du temps nous enchantant
Je reconnais le temps
Pas plus que ta mémoire
Ne reconnaît l'histoire
De ma mort hésitant
Entre la grande aiguille
Et la clé qui scintille.
*
Et la clé qui scintille
Dans le noir absolu
De la chambre où j'ai lu
Et où tu te rhabilles —
Et la clé qui s'avance
Au blanc cadran qui rit
Tandis que se balance
Comme au bout de mon cri
Un beau soleil de cuivre
Éclairant les anneaux
Innombrablement beaux
De l'insouciante guivre
Qui s'enroule soudain
Pour arrêter mes mains.
*
Pour arrêter mes mains
Dans l'eau de ta mémoire
Peut-être faut-il croire
La pointe de tes seins —
Que ta blessure saigne
Que ton corps est blessé
Que le temps est passé
Mais que la mort y règne —
Y règne-t-elle encore
La mort qui décolore
Le ciel de ton festin ?
Pour arrêter mes mains,
Tu pourrais me le dire —
Je cesserai de vivre.
*
Je cesserai de vivre
Car l'amour m'a blessé
Autant qu'il t'a blessée
— Et cesseront mes livres
Aux pages surannées
Et cessera mon cœur
Dans ton cœur embaumé
— Cessera ce bonheur
Que je trouve à t'aimer
— Mais tu es déjà morte
Je l'avais oublié
Tu es morte depuis
Que le vent me rapporte
Les rêves de la nuit.
*
Les rêves de la nuit
Ont irrigué ma peine
— Rivières souterraines
Ils ont joué l'ennui
Je me suis ennuyé
Comme s'ennuie un homme
Quand lui manque la femme
Qu'il voudrait enlever
Il voudrait l'enlever
À la blessure ouverte
La terre s'est offerte
Le ciel s'est proposé
On a vu le feu prendre
Dans l'eau pour redescendre.
DOLORES
Dolores aux yeux noirs
Revient dans ma mémoire
C'est une vieille histoire
La première je crois
Elle croise ses jambes
Et ses mains se reposent
Sur le genou que j'ose
À peine regarder —
Je touche son regard
C'est toujours la première —
Ses yeux croisent la terre
Et je ne peux rien dire
— Le ciel lui fait l'amour
Et je me tais toujours.
BERNADETTE et MURIEL
Bernadette et Muriel
Se sont déshabillées
J'ai remercié le ciel
Et tout le saint-frusquin !
J'ai embrassé les seins
De Muriel qui veut bien
J'ai embrassé le sexe
Et Bernadette rit.
Merci pour l'amourette
Les taches de rousseur
Et les petits plaisirs —
Je n'oublierai jamais
Vous étiez un peu folles
Mais vous aimiez l'amour.
*
Nous sommes des oiseaux
Blessés, de beaux oiseaux
Nus que le vent rassemble
De beaux oiseaux qui tremblent
Nus à peine visibles,
Tant le vent est blessé
Tant la chair est risible
Devant l'éternité
Mesure ta présence
Mesure ma distance
Mesure tout le temps
Laisse couler le chant
Et mesure sa loi
— Tu es l'ardente voix
*
Tu es l'ardente voix
Que ma bouche répète
Mon miroir y reflète
Le cri auquel je crois
Je crois ce que tu veux
L'amitié, la tendresse
Je renonce aux caresses
Si l'âme est dans tes yeux.
Tu brises le miroir
En niant les reflets
Ce sont les noirs effets
Du passé qui ce soir
Parle à ton cœur blessé
Pour lui dire que non.
*
Pour lui dire que non
Pour dire davantage
En mesurant l'hommage
Que ce n'est pas ton nom
Et que je n'ai rien dit
Que ton désir m'ignore
Mais que j'existe encore
Et que malgré la nuit
Tu es mon amitié
La seule si je compte
— Mon désir me fait honte
Je croise ta beauté
L'immense solitude
Que ta beauté élude —
*
L'immense solitude
Que je n'écrirai plus
Les livres que j'ai lus
Pour toute latitude —
Maintenant tout m'éloigne
Sauf peut-être tes yeux
Il faut que je les joigne
À mes yeux malheureux.
Mes mains sont des oiseaux
Tu les voles au ciel
Et tu les trouves beaux
— Mes mains te garantissent
Ce que mes yeux écrivent
Dans ton regard complice
*
Dans ton regard complice
J'ai rêvé le désert
Et je te l'ai offert
Croyant à ses délices.
Tu n'as rien refusé
Mais que pouvais-tu faire
Quand je voulais te plaire ?
Tu n'as rien accepté —
Ma langue c'est du sable
Je n'ai pas le plaisir
De connaître ta fable
— Je connais mes désirs
— La femme et l'écriture —
Je connais ta mesure.
*
Je connais ta mesure
Et le diable n'emporte
Qu'une femme qui porte
La cruelle blessure
Que l'amour lui destine
— Quel amour te ramène
Dans les mots que j'ai peine
À creuser dans les ruines
De mon rêve d'amant ?
— Quelle est cette blessure
Qui force l'écriture
Irrémédiablement
À mélanger les traces
Des mots qui te dépassent ?
*
Les mots qui te dépassent
Me dépassent aussi —
Je lis ce qui t'agace
— C'est le navrant récit
De l'amour et de l'âme —
Je relis mes ballades
Au pays des salades
Des salades de femmes
Et des salades d'hommes —
Je relis ce désert
Où l'éclatant rhizome
Laisse perler sa goutte
Sur le pétale offert
À sa sollicitude.
*
Sur le pétale offert
Au mot qui le désigne
Comme le temps l'assigne
Voici le long concert
De la liste des noms
De la rumeur publique
Du procès extatique
Et des livres bidon —
Sur le pétale offert
J'ai écrit mes délices
Versé dans le calice
Le nectar de mes vers
— Sur le pétale enfin
Tu as lu mon festin.
*
Tu as lu mon festin
Rêvé la dédicace
— Le matin c'est vivace
Que j'orne la putain
D'un sanglot qui m'écœure
— Je me nourris des pleurs
Qui crèvent son vieux cœur
Je me nourris une heure —
Mais ce n'est qu'un festin
Je toise le matin
On dirait que tu m'aimes
Je ne suis plus le même
Si tu cesses je pense
De lire ma croissance.
*
Je ne suis plus le même
Tu changes ma chanson
J'ai trouvé le temps long.
Je voulais que tu m'aimes.
Mais ce n'est pas le cas
Il faudra que je pleure
Tu n'écouteras pas
Il faudrait que tu meures.
Mais qui pourrait mourir
Qui pourrait en souffrir
Que l'un meure et pas l'autre ?
Le tombeau est fini
Mais ce n'est pas le nôtre
C'est celui de la nuit.
MARIE LA PUTE
Je reconnais ton lit
J'avais payé le prix
Et visitant tes cuisses
J'ai rencontré le sexe
Et tu n'as rien laissé
Au hasard qui sommeille
Quand l'amour nécessaire
N'est pas au rendez-vous —
Le trottoir dévorait
Ça sentait le poisson
À cause de la mer
Il y avait des pêcheurs
Les femmes des pêcheurs
Ne te connaissaient pas.
*
C'est un baiser de trop ?
Je l'ai voulu si tendre
Il est imaginaire
Tu pouvais me le rendre
Est-ce un baiser de trop
Ce baiser dans ta chair ?
J'ajoute à l'écriture
Ce plaisir qui me perd —
Mais si je t'ai blessée
À cause des caresses
Que j'ai rêvé d'écrire
Sur ta peau de maîtresse —
Ne me reproche rien
Ce n'est pas moi qui blesse.
*
Ce n'est pas moi qui blesse
J'ai simplement voulu
Rendre hommage à la femme
Et je lui ai déplu —
Je voulais ton désir
J'ai reçu ta tendresse
Garde-moi cet amour
Et que mon cœur renaisse !
Je ne déplairai pas
Si le soleil me plaît
À la femme qui trouve —
Cherche dans mes reflets
Le miroir que je tends
À ton nom révélé.
*
À ton nom révélé
Où je frémis encore
À ton sexe baisé
Où je me métaphore —
Ne daigne pas rêver
Ni refermer les yeux
Mais d'un calme éventail
Oublie ce que je veux.
Je recommencerai
Ta nature de femme
Et si tu aperçois
Dans mon regard de flamme
Quelque lueur maligne
Souris avec mon âme.
*
Souris avec mon âme
Au désir qui la trouble
Je préfère tes yeux
À ma nature double.
Je t'aime d'amitié
Pour plaire à ta blessure
Si tu veux que je t'aime
Et je me dénature —
J'existerai comment
Et pourquoi l'existence,
Et je t'aimerai quand ?
Avec qui ton absence ?
Mon âme se résout
À ta cruelle errance.
*
À ta cruelle errance
Accrochant des grelots
Pour que la route suive
Le trottoir de tripots —
J'ai renoncé à l'âme
Au plaisir, au poème
Et lui donnant le bras
À la crasse bohème
Qui se vend pour pas cher —
J'arpente des pavés
Ailés de réverbères
Si mon âme rêvait
J'arpenterai ton corps
De terre soulevé.
*
Si mon âme rêvait
Mais rêve-t-elle encore
Maintenant que ton corps
Est un rêve indolore ?
Rêvant elle aimerait
Jouer avec tes seins
Simplement pour jouer
Jouer au jeu de mains —
Mais ton âme me vole
Mais ton âme m'usure
Et je dois à ton âme
Le prix de la rupture
— Si mon âme rêvait
Une étrange aventure.
*
Une étrange aventure
Au pays de ton corps
Et ton âme dedans
Versée dans le décor
Éternel de la chair
Qui va mourir un jour
Un jour triste à mourir
Bien avant que l'amour
Ne devienne la règle
Bien avant que ta cuisse
Ne s'ouvre à l'infini
À la vie qui se glisse
Infinitésimale
Et à la mort qui pisse
*
Et à la mort qui pisse
Sur nos têtes d'azur
N'ouvre rien que tes bras
Incroyablement purs —
Ne donne pas la main
À cette froide amante
Ne donne pas le sexe
Ni ta bouche savante —
N'ouvre rien que tes bras
N'offre que tes épaules
Tu m'apprendras la mort
Dans ma tête qui frôle
Un monde qui finit
La mort qui en raffole !
*
Un monde qui finit
Dans tes bras éphémères
Je goûterai le monde
À la saveur amère.
Tu me rappelleras
Que je suis ton enfant
Je suis l'enfant des femmes
Mais je suis né du vent —
J'ai adoré la mer
La montagne m'enchante
Et je connais le ciel
Si le monde s'invente
Une nouvelle femme
Je la veux pour amante.
*
Je la veux pour amante
Car le monde est en elle
Et j'habite le monde
Son enfant est si belle —
Comme elle te ressemble
— Si tu voulais m'aimer
Si le monde existait
Et si je l'écrivais
Aussi bien que tu vis —
Je peindrais sur ton ventre
Un enfant de la terre
Un enfant de couleur
Avec des yeux couleur
Du ciel et de la mer —
MARIE LA NOIRE
L'Afrique me parlait
De tes dieux souterrains
Et j'aimais ta poitrine
Pointue comme la pierre
De tes montagnes blanches
Au sommet du Kenya
— L'Afrique dans tes cuisses
De putain repentie
Me donnait un enfant
Un enfant noir et blanc
Et les dieux se taisaient.
— C'est l'Afrique que j'aime
Entre tes cuisses noires
Sur ton sexe meurtri.
*
Les sept alexandrins
Qui croisent mes sonnets
Ne trouvent plus la rime
Qui donnait la couleur
J'ai perdu quelque chose
En ne te trouvant pas
J'ai perdu la peinture
Amante de tes yeux —
Je ne blesserai plus
Ta navrante amitié
Heureusement pour nous
Il y a ta tendresse
Ta tendresse de femme
Ta tendresse blessée
*
Ta tendresse blessée
Et sept alexandrins
Qui ont perdu la rime
Rencontrant mes sonnets
Et je t'aime toujours
Je te désire autant
Que tu ne veux rien
Désirer que mon âme.
Tes cuisses qui s'écartent
Mon baiser sur ton sexe
C'était la différence
Je ne te violais pas
Je voulais que tu saches
Que je suis différent
*
Je suis si différent
De l'homme qui te viole
Mais j'ai le même sexe
Et le même désir
La différence c'est
Que c'est moi qui te donne
Et tu ne donnes rien
De ton désir de femme
À qui le donnes-tu ?
Qui ne te viole pas ?
Qui t'aime mieux que moi —
J'aime cet étranger
Je lui ferai l'amour
Pour aimer son génie.
*
J'aime cet étranger
Je veux lui ressembler
Je veux le dépasser
Montre-moi son génie
C'est moi qui te voulais
J'étais seul près de toi
Je caressais tes rêves
Je dormais avec toi
Et ta peau était douce
Caressante ta peau
Le long de ta cuisse
Ta peau jusqu'à ton sexe
Comme une bouche ouverte
— Je lui offrais ma bouche
*
Je lui offrais ma bouche
Et sa bouche disait
Toute la vérité
Sur ton plaisir de femme
Je croyais retrouver
La saveur de mon rêve
Mon rêve d'absolu
Où la nécessité —
L'infini nécessaire
— Me rendait la pareille
Me récitait par cœur
Ce que j'avais écrit
Un peu imaginé
De ton éternité.
*
Ce que j'avais écrit
La chair de l'écriture
Offerte à ta mémoire
Ce manuscrit dédié
À ton plaisir de femme —
J'ai offert ces moments
Ce plaisir le plus grand
Des plaisirs qui me fondent
— Je t'ai offert l'amour
Que je donne à l'amour
— Et ces pages sont vraies
Ce sont les pages nues
De mon plaisir d'écrire
Ce que l'amour m'inspire.
*
Ce sont les pages nues
Retiens mon écriture
Donne-lui le coffret
De ton corps qui refuse
Je retiens le plaisir
Je regrette le tien
Je pose des questions
Et tu ne réponds pas
— Mais je n'ai pas voulu
Blesser ton corps de femme
Ces cuisses écartées
C'était la pure image
Et mon très doux baiser
Mon hommage si tendre
*
C'était la pure image —
Ne m'abandonne pas
Dans ta belle amitié
De femme tourmentée —
La pure image était
Un sexe caressé
Parce que tu donnais
Et que je recevais.
Mais je ne prenais rien
Je ne te volais pas
Je désirais pourtant —
Ne m'abandonne pas
Ta tendresse d'amie
C'est d'amour que je t'aime.
*
C'est d'amour que je t'aime
Je te l'ai déjà dit
Je veux mourir ensemble
Mais pas sans caresser
Cette chair qui ressemble
À ma chair de poète
Cette chair qui t'emporte
À je ne sais quel diable
— Un diable de papier
Sans doute un peu menteur
C'est facile d'aimer
Quand la femme est ailleurs
— Par exemple au supplice
Avec un autre amant.
*
Avec un autre amant
Qui caresse tes seins
Les seins que je voulais
Aimer sur mes seins d'homme !
Mais comme je t'aimais
Dans l'image dormante
Du rêve poétique
Que je rêvais pour toi !
Je pleurerai sans toi
Je sais pleurer sans toi
Pas très bien mais je sais —
Je sais mourir aussi
Je voudrais en rêver
Car j'aime trop la vie.
CLAIRE
Claire aux épaules d'or
Où j'ai aimé la mort
Qu'elle a donné enfin
À son corps de satin —
Claire la suicidée
En robe de soirée
Ou totalement nue
Dans le lit qu'elle donne
— L'amour de Claire est tout
Il meurt au bon moment
Dans son corps suspendu
Caresse-moi encore
Même si tu es morte
Ou si l'amour te manque –
*
Sonnets dénaturés
Sonnets majeurs aimant
Sonnets mineurs pleurant
Et sonnets très mineurs
Mais tellement mineurs
Qu'il faut vous appeler
Si non plus rien n'existe
Que le nom d'un poème
D'un style de poème
Dont il ne reste rien
Que le vague squelette
Les sept alexandrins
Les quatorze morceaux
De mon amour brisé.
*
Les quatorze morceaux
Vaguement recollés
Tristement rechantés
Bellement réécrits
Et les vers orphelins
De la rime qui manque
À leurs cerveaux enfants
— Ils pleureront demain.
Je sais pourquoi je chante
C'est déjà quelque chose
Mais chante-t-on vraiment
Si rien ne fait chanter
— Garde-moi les sonnets
Ils pleureront demain
*
Ils pleureront demain
Ces enfants de la mer
Et du soleil dessus
Qui aime bien la mer
La mer aux belles cuisses
Aux mille coquillages
Qui rejouent à jouer
Au sexe de la mer —
Et le soleil très jaune
Orange jaune et vert —
Ce n'est pas dieu qui pense
Aux choses de l'amour
— Je pense à ton épaule
Et j'y pose ma tête.
*
Et j'y pose ma tête
Ma tête est un oiseau
Je mélange mes ailes
À tes cheveux d'azur
Je t'aimais tendrement
Comme font les oiseaux
Quand ils existent nus
Et beaux comme la chair —
Tu m'aimes tendrement
Et j'écris des sonnets
Qui ne sonnent plus rien
Y a plus rien à sonner
— Je donne un coup de pied
Au sable qui s'étonne.
*
Au sable qui s'étonne
Qui pose la question
J'ai répondu que non
Qu'elle n'a rien voulu
Savoir — Comment ? dit-il
Mais ton sexe est si beau
Tu l'avais bien dressé
Et peint avec amour
De toutes les couleurs
Que l'amour reconnaît
— Elle a bien reconnu
L'amour que je donnais
Mais ce sont les couleurs
Qui ne lui plaisaient pas.
*
L'amour que je donnais
Je peux bien le reprendre
Je le donnerais bien
À la femme qui passe.
— Veux-tu m'aimer si j'aime
Caresser tes cheveux ?
— Pour les cheveux d'accord
Mais pour le reste adieu
Je ne donne pas tout
J'ai déjà tout donné
J'ai donné un enfant
J'ai donné ma patience
Et mon génie de femme
— Mais je n'ai rien reçu.
*
Mais je n'ai rien reçu
En échange de moi
Que pourrais-tu changer
Même si les poètes
Sont différents des hommes ?
Ils ressemblent aux femmes
Et ils aiment les femmes
Mais est-ce suffisant ?
Je t'aime tendrement
Tu me caresseras
Un peu le bout du nez
Je mordrai ton oreille
Pour t'apprendre à aimer
Comme on aime une amie.
*
Tu mordras mon oreille
Je me réveillerai
De mon rêve d'amour
Où tes cuisses rêvaient —
Et le temps passera
Je rêverai toujours
Tu ne vieilliras pas
Mais feras-tu l'amour ?
Avec qui mon amour ?
Avec qui ton plaisir ?
Pourquoi pas avec moi ?
Et ta blessure s'ouvre
J'ai mérité l'enfer
Si tu n'aimes que moi —
*
Si tu n'aimes que moi —
Si ton âme m'entoure
Et que je vois ton corps
S'éloigner pour toujours —
Mais tu ne t'en vas pas
Tu restes pour m'aimer
Parce que je t'aime encore
C'est ton corps qui s'en va
Ton âme me retrouve
Je serais éternel
Si je savais t'aimer
Comme tu veux qu'on t'aime
— Mais je ne sais rien
De ton amour blessé.
*
Je ne sais rien de toi
Je t'aime sans savoir
J'ai faussé notre amour —
Je t'aime tellement
Mais je t'aime comment
Pourquoi l'amour avec
Ton amour et pourquoi
Pas une autre raison ?
Je ne te connais pas
J'ai abusé mon âme
Et tu as eu raison
De parler à mon âme
— Elle s'est égarée
Et c'est toi qui m'aimais.
FRANÇOISE
Françoise se rappelle
Rue Saint André des Arts
Mon baiser sur le cou
Et ma déclaration —
Ou bien rue de la Harpe
Mes mains sur sa poitrine
Et ma déclaration
Ce que j'avais à dire
Dans l'eau de la fontaine
Au croisement de feu
Des boulevards obscènes
Françoise m'a tout dit
Tandis que j'embrassais
Son sexe à peine ouvert.
*
Il n'y a plus de rimes
Pas d'allitérations
Pas même d'assonances
Tout est mort, tout est mort
J'ai perdu les sonnets
Leur suite passagère
S'est arrêtée d'un coup
Oubliant une rime
Négligeant l'assonance
Et le chiasme trembleur
De musicalités —
Tout est mort, je le crains
Il n'y a plus d'amour
Dans mes mains de poète.
*
Dans mes mains de poète
Qui ont rêvé de toi
Tandis que je rêvais
De la femme éternelle
Dans mes mains de poète
Se dresse mon pénis
Mon pénis seul et nu
Dressé comme un poteau —
C'est un arbre de chair
Dont je suis la racine
Et tu étais la terre —
Je ne sais pas pourquoi
Dans mes mains de poète
Se dresse mon pénis.
*
Je ne sais pas pourquoi
Ce morceau de ma chair
M'attache encore à toi
Et je rêve tes cuisses
Tes cuisses entrouvertes
Pour donner ton plaisir
Et pour prendre le mien
Je ne sais pas pourquoi
Je ne veux rien savoir
Si rien n'est expliqué
Ce que je sais suffit
Mais l'amour m'a manqué
Je ferai sans amour
Ce que tu n'aimes pas.
*
Je ferai sans amour
L'amour à l'autre femme
Celle qui veut m'aimer
Et que je n'aime pas
Je connais sa caresse
Elle connaît les miennes
Mais elle ne sait rien
De mes mains de poète
Car mes mains de poète
Ce sont mes mains sur toi
Ce sont mes mains qui courent
Recherchant le plaisir
Où par jeu tu le caches
Sachant que je le sais
*
Recherchant le plaisir
Mais pour donner raison
À l'amour qui renaît
De tes écartements
Non ce n'est pas obscène
Ces cuisses qui s'écartent
La preuve j'y embrasse
Mon deuxième sexe —
Je n'ai pas recherché
La froide obscénité
J'ai simplement aimé
Comme personne n'aime —
J'avais choisi les rimes
Elles t'auraient tant plu.
*
J'avais choisi les rimes
Je voulais te prouver
Que l'amour des poètes
N'est pas l'amour des hommes —
Je te l'aurais prouvé
Mais tu n'as rien compris
Tu croyais au cuissage
Et tu fermais tes cuisses
J'avais choisi le rythme
J'avais tant recherché
La seule différence —
Mais tu ne comprends pas
Tu me prends pour un autre
Ce n'est pas un poète —
*
Ce n'est pas un poète
Celui qui se masturbe
Dans le sexe des femmes
C'est un homme qui meurt —
Je n'ai jamais violé
Les femmes s'en souviennent
Et je les aime toutes
Puisque tu n'es plus là —
Ce baiser sur ton sexe
C'est ma déclaration
Et c'est ma différence —
Personne n'a aimé
Ton beau sexe de femme
Comme je le voulais.
*
Ton beau sexe de femme
Je ne l'oublierai pas
Je l'écris sans sonnet
Car la rime me fuit
Et la rime c'est tout
Le sonnet que j'aimais
— Je t'aimerai toujours
L'amour ne meurt jamais —
Tu donnes l'amitié
À mon amour blessé
J'embrasse tes deux joues —
Tu donnes la tendresse
À mon plaisir déçu
Je chatouille ta nuque —
*
Je chatouille ta nuque
Pour aimer l'amitié
Tu permettras peut-être
Un baiser dans le cou —
Tu souriras aussi
Quand tes seins me diront
Au sillon qui les rime
Que je suis un ami —
Mes yeux contempleront
Dans les plis de la robe
Le triangle impossible —
Mais pourquoi m'as-tu fui
Que n'ai-je pas compris
De ce manque d'amour ?
*
Que n'ai-je pas compris ?
Que me disait ton âme
En me mentant un peu
Sur tes hésitations ?
Mais que me disait-elle
Que je n'ai pas compris ?
Quelle douleur la tienne
Et pourquoi la douleur ?
Je te ressemblerai —
Ma caresse d'ami
T'inspirera l'amour —
Es-tu l'oiseau blessé
Dont le bec me signale
Que je vais mourir nu ?
JOCELYNE MARIA ET GENEVIÈVE
Jocelyne poète
Maria son amante
Geneviève disait
Que j'avais du talent
L'Amour de Jocelyne
Était plein de sa graisse
Et les plus belles cuisses
M'ont donné un enfant
Maria se taisait
En offrant sa poitrine
Geneviève disait
— Trois femmes c'est si peu
Quand on est un poète
Et qu'on a du talent
*
Entre la femme blanche
Et l'écriture noire
Je choisis l'écriture
C'est mon éternité
La femme ne sera
Jamais l'éternité
Elle n'est pas écrite
C'est un homme à l'envers
Mais elle est l'écriture
Et son nom est choisi
Entre toutes les femmes
Les femmes c'est ma femme
Je croyais la trouver
Dans ta belle écriture
*
Dans ta belle écriture
De femme jamais nue
J'ai deviné l'amour
Je voulais te survivre
Les mots ne cachaient rien
Ta nudité tranquille
Aimait les mots savants
Ceux qui savent aimer
Ta nudité me plaît
Elle ressemble enfin
Au plaisir que je cherche
Les mots ne savaient pas
Que je pouvais aimer
Ta belle nudité.
*
Les mots ne savaient pas
Mais ils étaient écrits
Je les avais écrits
Avec tant de tendresse
Et tu les avais lus
Avec tant d'amitié —
Je n'ai jamais été
Aussi nu que ce jour
Je t'ai montré mon sexe
Et tu n'as pas voulu
En caresser la vie
— Moi j'ai baisé ton sexe —
Je n'ai jamais eu honte
De préférer les mots
*
À la vie qui revient
C'est la mort qui m'inspire
Et je vivrai de toi
Tu n'empêcheras rien
Tes mots le savent bien
Je suis plus fort que toi
Et tu mourras sans moi
Tandis que je mourrai
De n'avoir pas connu
Ton plaisir souverain ? —
Donne-moi le plaisir
Le plaisir de ta chair
Je te donne le mien
Je connais le bonheur
*
Je connais le bonheur
Oui — je l'ai inventé
Les mots me l'ont donné
Et je t'ai inventée
J'ai inventé l'amour
Inventé le plaisir
J'ai inventé le diable
Et les femmes dedans
Mais que n'ai-je inventé
Pour te faire plaisir
Et vivre de ton rire ? —
Je préfère ton rire
À la mort — Je préfère
L'amour que tu refuses.
*
Mon amour, tu n'es pas
Celle qui se souvient
De la douleur du monde
Que les oiseaux menacent —
Les oiseaux t'ont aimée ?
Mais qu'ils t'aiment toujours
Si les oiseaux nourrissent
Ta chair recommencée —
Tu n'es pas la mémoire
Je saurais tout de toi
Si tu étais la fille
Et si je t'écoutais
Pour que mon écriture
Ressemble à ton amour.
*
Pour que mon écriture —
Enfin devenue femme
Et te donnant le jour —
Déchire un peu mon cœur
Ouvre tant la blessure
Que ma vie est visible
Et ma mort si lointaine
Et ton sexe si proche —
Je veux être ta femme
Quand tu seras un homme
Je donnerai l'enfant
À ta vie de poète
Et le monde vivra
De ses jeux de miroir.
*
De ses jeux de miroir
Qui recommencent tout
L'enfant se prend aussi
Pour les reflets qu'il aime —
Il aime des reflets
Et des écartements
De jambes et de bras
Sur les seins, sur le sexe —
Mais ça veut dire quoi ?
Qu'il n'existera pas ?
Que tu as existé
Et que la mort est tout ?
On n'expliquera rien
À l'enfant qui jouera.
*
On n'expliquera rien
On sera mort avant
Que la mort nous détruise
On sera mort de vivre —
Un enfant peut-il croire
Qu'il est né de la femme
Et que l'homme est poète
Si c'est la femme nue
Que la mort recommence ?
Un enfant le croira
Si j'étais cet enfant —
On n'expliquera pas
La gloire du poète
Dans la tête d'un gosse .
*
Dans la tête d'un gosse
Où j'ai déjà vécu
L'écartement des cuisses
C'était déjà les tiennes —
Déjà tu refusais
Mais tes cuisses s'ouvraient
Et j'écartais les lèvres
De ton sexe meurtri —
J'ai souri à la vie
Je t'aimais tant déjà
J'ai crié avec toi
La vie me faisait mal
Mais l'amour me plaisait
Et j'aimais tant tes yeux.
MARIE LA NUE
Marie la nue mangeait
Les mûres du roncier
Si près de ma maison
Et si près de mon cœur
Et Marie était nue
Mordue par le soleil
Et par ma bouche enfin
Qui dorait son épaule.
Que l'été dure encore
Et que les arbres nus
Croisent ta nudité !
Et que ma cheminée
Me conserve ton corps
Que les flammes régalent –
*
Je voudrais tellement
Que le dernier sonnet
De ces sonnets mineurs
Soit un sonnet majeur
J'accorderais la rime
À tes yeux noirs et blancs
Je ne répéterais
Que les mots insoumis
L'alexandrin majeur
Comme ton sexe ouvert
À la césure exacte —
Et tes seins assonants
Hémistiches pareils
À ton regard tranquille.
*
À ton regard tranquille
Je suspendrais ma vie
Tu fermerais les yeux
Pour que je meure enfin
Tranquille ton regard
Il a enfin trouvé
Cette paix qui te manque
Et qui vole l'amour
D'en être la blessure
— Je donnerai ma vie
À ta vie triomphante
Tu me rendras la mort
Et tes cuisses tranquilles
Se fermeront encore.
*
Tu me rendras la mort
J'existerai toujours
D'avoir été poète
D'avoir tenté l'amour
Entre tes cuisses chaudes —
O vivante blessure
De ma femme endormie
Qui se reblesse encore
Chaque fois que le rêve
Visitant le sommeil
Trouble l'eau de sa vie
Où je buvais l'amour
De poème en poème
Et chaque fois plus mort
*
Je t'apprendrai la mort
Et le prix qu'elle coûte
Ce qu'elle coûte au monde
La femme du poète —
Son prix n'est pas le nôtre
C'est le prix à payer
Et il faut le payer
Juste avant de mourir
Serai-je seul alors ?
Me paieras-tu mon prix ?
Que dirai-je à la mort ?
Ce n'est pas moi qui paye ? —
Mort, je suis sans le sou ? —
Que dirai-je à la mort ?
*
Que dirai-je à la mort
Au moment de mourir
Si personne ne pense
À me payer le prix ?
Je lui dirai : ma mort,
Ma bonne mort qui vient
Juste à temps pour mourir,
Ma mort, ne pleure pas,
J'ai vécu pour mourir
Et j'ai aimé la vie
— Une femme m'a dit :
— Je ne peux pas t'aimer —
Mais ce n'était qu'un rêve
Ma mort, attend un peu —
*
Ma mort, attend un peu
Elle va arriver
C'est la femme que j'aime
Elle arrive toujours
Et la mort me dira
En haussant les épaules :
— Mon pauvre vieux poète
Si les femmes rêvées
Mouraient comme se meurent
Les femmes éternelles
Serai-je encore la mort ?
Et je dis à la mort
En lui serrant le cou
— Ma mort, je plaisantais.
*
Je plaisantais ma mort
Je riais de ma mort
Je voulais bien mourir
Avec la mort dans l'âme —
Pourquoi ne pas mourir
De cette façon-là
C'est beaucoup plus rapide
Qu'un coup de revolver ? —
Je voulais bien mourir
Mais pas sans plaisanter
Ma dernière maîtresse —
Mort, tu n'as pas de cuisses
Et tu ne t'ouvres pas
Et je n'embrasse rien
*
Mais le dernier sonnet
Rira bien de la mort
Les rimes moqueront
Les lignes qui s'alignent
Ce ne sont pas des vers
J'ai fini de pleurer
Je ne chante plus rien
Je rirai avec lui
De la mort qui sent bon
Comme les vivants sentent
Quand ils ne s'aiment plus
Mais le dernier sonnet
Sonnera-t-il toujours
S'il lui manque la rime ?
*
Sonnera-t-il toujours
Ce sonnet en vadrouille
Au pays de la mort
Où les oiseaux sont tristes ?
La tendresse n'est rien
Si je meurs sans t'aimer
Et je mourrai c'est sûr
De n'avoir rien aimé
Après le dernier
De mes sonnets bâtards —
Je ne t'aimerai plus —
Si je veux vivre encore
Je ne dois plus t'aimer
Mais je ne sais pas vivre —
*
Pourquoi toi, mais pourquoi ?
Les femmes manquent-elles
À la vie qui revient ?
Elles ne manquent pas
Mais faut-il les compter ?
Vérifier leur présence ?
Et ne pas te compter
Pour que tu ne sois pas —
Je veux fermer les yeux
C'est toi qui dois mourir
Et tu mourras demain
— Je ne serai pas triste
J'en aimerai une autre
Qui me donnera tout.
ISABELLE
Toi, je t'ai adorée —
J'ai aimé tes enfants
Je t'aurais épousée
Si j'avais eu le temps —
Mais le temps me manquait
Et j'écrivais des lettres
Au lieu de t'embrasser
Mon sexe dans ton sexe
— Avec toi j'ai vécu
Ce que vivraient les roses
Si les roses vivaient —
L'espace d'une vie
Loin du monde puant
Dans un sexe de femme —
Non Valérie tu n'es pas Claire et je suis moi
Claire n'est plus la femme et je mélange tout
C'est un peu pour te plaire — aussi pour oublier
que je n'ai pas toujours été l'homme qu'il faut
à la femme — et Paris me revient - je suis moi
rêvant d'un coquillage et de la mer qui dort
étirant comme un drap le corps qui te ressemble
— mais je mélange tout et tu ne m'en veux pas
faisons l'amour ce soir — ce n'est rien de le faire
ni de le faire bien, ni trouver le plaisir
— ce qui compte est ailleurs et je me souviendrai
de la femme — et Paris qui revient — ces trottoirs
où je mettrai mes pieds d'amoureux provincial
le sexe un peu humide et la tête meurtrie.
*
Tu ressembles tellement à mon souvenir
et j'ai tellement peur de tout recommencer
de me retrouver seul avec l'esprit qui cogne
les murs de ma mémoire et mon sexe qui bande
encore — et je veux faire l'amour avec toi
trouver la différence entre tes cuisses chaudes
si c'est la différence et si tu aimes ça
— aimeras-tu l'amour que je veux te donner
si je change ton nom ou si je me réveille
pour redire le tien et mélanger le temps
à l'espace d'un lit qui crève ma mémoire
comme un coup de poing dans la maison de papier ?
— devine ma douleur, elle s'en souviendra
si ma mémoire est celle d'un poète qui vit —
*
Le rêve l'a tuée — un beau rêve de femme
où j'étais le poète et l'homme dans le lit
j'écrivais de la prose pour plaire à son amour
le vers se mesurait dans l'angle de ses draps
pas de tache de sang où son poignet saignait
le lent drap composait la blancheur de sa peau —
une rigidité aurait pu l'habiter —
j'aime ce jeu de mots vraiment très populaire —
le sang ne coulait pas — elle criait béante
sa blessure coupée dans le poignet ouvert
il ne coulait rien d'autre que le rêve tueur
le rêve me tuait et Paris s'en moquait
il y avait des jardins tout autour de son cœur
on y assassinait des enfants de papier
*
peu importe la mort qui n'existera pas
elle existerait bien si la folie voulait
la folie ne veut rien que la mort aimerait
on rencontre des femmes dans l'escalier qui monte
et qui descend si c'est un escalier bien sûr —
la maison de papier où la femme est une ombre
s'allume maintenant et la porte se ferme
on ne peut plus entrer si la femme s'absente
je regardais le mur et les portes dedans
Paris me regardait secouant son chapeau
comme pour dire adieu à l'hôpital tranquille
l'amour devenu fou ce n'est plus de l'amour
je creuse la douleur dans le cœur d'une femme
qui ne comprendra pas que je l'aime vraiment
*
Paris mains dans les poches le chapeau dans le cou
la ruelle venait à peine de s'éteindre
tu dormais doucement sous la fenêtre ouverte
et j'avais froid pourtant mais rien ne t'éveillait
il y avait ton rêve et le drap s'y nouait
j'avais vraiment très froid d'être nu près de toi
de deviner le rêve et de ne pas l'aimer
la fenêtre s'ouvrait sur la ruelle noire —
Paris mon souvenir le plus cruel de tous
je n'ai trompé personne et pourtant je savais
j'ai approché la mort mais je n'y ai pas cru
Mais qui croirait la mort si les mots se refusent
je n'ai jamais appris le silence dormant
qui rêve que l'amour ne peut pas être un rêve
*
C'est encore la nuit et Paris me détruit
vaincu d'un coup de gueule en mesurant les mots
sur moi le froid pesait outre ses mains expertes
l'arme que j'ai tenu à plonger dans son cœur
mais je voulais rêver dans son rêve incroyable
je voulais bien rêver — mais je n'ai pas rêvé
le rêve me mentait peu importe comment
il mentait à mon âme et mon âme écrivait —
Paris aidait le froid et me tournait le dos
il parlait à la femme de quelle poésie
qui ne me disait rien en tant que poésie
j'éjaculais pourtant et reprenant la rue
rue dans le sens inverse on aurait pu me voir
dans les traits de la lune chercher l'amour encore.
*
Soignant la chaude-pisse et riant la négresse
Me dit : Tu veux aimer mais tu n'as pas de quoi
payer ce que l'amour pourrait te rembourser...
et je payai aussi commentant sa laideur —
la chaude-pisse aidant et la blessure encore
pouvais-je le savoir que l'amour est criant
de vérité la nuit quand le trottoir bleuit
et que l'égout s'endort rotant des commentaires —
que pouvais-je savoir tandis que les bourgeois
ils s'envoyaient en l'air dans la boîte à la mode
et les folles bourgeoises descendaient aux toilettes
pas besoin de crier si je frappe à la porte
un peu de compagnie n'aurait pas fait de mal
à ma très nette solitude de poète –
*
Elles montraient leur sexe avec parcimonie
je regardais le sexe et je montrais le mien
le sac à main s'ouvrait, les clés de la voiture
résonnaient dans ma tête et je marchais derrière
et l'affaire était faite — j'avais beaucoup dansé
j'avais plu à Tarek qui se frottait les mains
on parlerait affaire après avoir baisé
chacun de son côté la bourgeoise contente —
on la baisait ensemble si ce n'était pas Claire
Claire rêvait encore et elle conduisait
la lumineuse Austin sur la route pluvieuse
— Que s'était-il passé ? pourquoi si peu de temps
entre Paris cracheur de fumées érotiques
et la table normande où je posais les coudes ?
*
Et parallèlement le rêve se répète
ou je le crois toujours mortel comme l'ennui
qui traverse mon âme avec tant de blessures
en collier renouées au cou qui redescend —
La bourgeoise s'éteint et comme une guirlande
entre le mur et l'arbre secouant ses couleurs
recommence toujours le même rêve enfant
où la poésie meurt d'avoir un prix exact —
je la connais succincte et si peu amicale
elle tourne le dos et facile s'arrête
on dirait qu'elle a peur et ce n'est pas le cas
je changerai tes mains pour qu'elles recomposent
ce qu'inspire la peur à ton cœur décloué
je connais ton amour et tu me fais confiance
*
Et parallèlement je redoute le rêve
j'écrasais des mégots — je mégote les mots
j'arpentais des ruelles — j'écoute la radio
je coloriais des livres — le livre me colore —
c'est peut-être l'amour, je le saurai demain
peut-être dans son lit ou dans le lit d'une autre
une amie de passage avec des yeux furtifs
qui rangera les draps dans l'armoire immobile
ou ce n'est pas l'amour et la savante amie
redira que l'amour n'est pas une réponse
sa voix venait du rêve et le rêve mentait
c'est parallèlement que deux rêves d'amour
dans mon âme tranquille élèvent la lumière
à la hauteur de l'ombre qui devrait tout cacher.
Bien
avec toi c'est facile
et le vent vient toujours de la mer
sur ta peau il éteint le feu
tes seins sont deux mouettes
je les retiens
sous moi — bien
c'est tellement facile de t'aimer
tes jambes sont deux ailes
et ton sexe est le bec de l'oiseau —
que rature le vent quand tu parles ?
Il n'est pas nécessaire de t'aimer
pour te comprendre — bien
je t'aime facilement
tu brûles du même feu
enfin j'espère
que c'est le même feu
si ce n'est pas le même
est-ce que c'est la même chose ?
Bien — c'est bien
ton amour mon amour
ta peau trempe ses plumes
dans l'écume
je te suis pas à pas
je ne sais pas voler
mais je vole
— je t'aime
c'est facile puisque je t'aime
c'est bien
si tu m'aimes
moins facile si c'est le vent
qui auréole ta peau — je viens
si c'est bien — je me tais
s'il le faut — je suis bien
si c'est facile
et si ton cœur ne résiste pas
mais je rêve –
*
Ce que tu me rappelles
n'est pas le ressac de la vague dans les galets
ce n'est pas non plus l'oiseau
qui regarde la mer
et que tu regardes
pour y trouver des formes à former
dans le blanc du papier qui t'inspire
mon amour
Qu'est-ce que tu me rappelles ?
j'ai marché avec toi sur la plage mouvante
observant d'un œil vague le galet de ton choix
et j'ai choisi le verre à l'usure savante
dans la main d'une enfant qui n'était pas la tienne
mon amour
tu me rappelles l'horizon aux barques noires
et le jet de poissons dans l'ombre du quai
et ton pas de danseuse marchait dans mon cœur
mon amour
tu me rappelleras le miroir métallique
et la digue tombée en travers de la mer
comme un arbre la digue au fond de la lumière
où le soleil baignait tes pieds
avant que la lune ne s'y cendre
lune penchée orientale et lointaine
chats aux beaux nœuds papillon rouges
— on croirait que tu m'aimes
mon amour
mon amour tu me rappelles
après m'avoir abandonné
à tes délices de papier
où je ne suis qu'un personnage de circonstance
mais on s'aime
mon amour
on s'aime vraiment.
*
Tes mains croisent les bijoux
tes mains courent dans le fond d'un tiroir
va à la fenêtre
la mer est un morceau de papier
mais tu lis
comme si le livre lisait
je saurais lire
la mer rognée aux quatre coins de l'univers
une barque
un ventre où convergent mes mains
pas un bijou à l'horizon
c'est parce que je t'aime
pas un livre
sous la mer qui lutine
un poisson blanc et noir
œil noir
un oiseau au bec rouge
le filet qu'il arrache à la terre
ouvre la fenêtre
déchire la mer
qui pourrait t'en vouloir
tu changes de couleur chaque fois
est-ce que tes mains soulèvent le bleu ?
qu'y a-t-il sous ce scintillement ?
le bijou s'ajoute
tu ne ressembles plus à rien
c'est fou ce que tu peux exister
c'est fou ce qui se passe dans ma tête
éclaire ma fenêtre
je n'ai pas de maison
va à la fenêtre mon amour
à la fenêtre s'il te plaît
j'ai acheté un cheval de papier
mais les fleurs sentent bon
enfin je crois
je crois que les fleurs sentent bon
blanc de la fenêtre
blanc de tes yeux
j'ai une petite douleur sur ma langue
je te parle d'amour
il faut voir comme tu m'aimes
il faut le voir pour le croire
mais qui croire ?
qui croira que je dis la vérité ?
mer
ciel
main
bijou
amour
et alors ?
pourquoi pas à la fenêtre ?
j'ai froid —
petit poème
deviendra grand
mon amour de femme
déchire un coin de mer
un coin de bleu
l'écaille d'un poisson toute d'argent
il y a du métal dans ton regard
je n'aime pas comme il faut
c'est que je n'aime que toi
tu ressembles à un morceau de papier
attends
moi
mon amour
attends-moi
morceau de papier arraché à la mer
ou volé au bec de l'oiseau
je ne sais pas ce que j'ai fait
mais je l'ai fait
petit poème
étroite fenêtre
l'un se ferme
tu ouvres l'autre
je cesse d'écrire
tu croises d'autres bijoux
Est-ce possible
tant de scintillements ?
compte les scintillements
en commençant par un —
compte les morceaux de lumière
que la mer rassemble pour toi —
poisson qui vole comme un oiseau
les oiseaux respirent dans l'eau
oiseau qui meurt comme un poisson
les poissons crachent de la fumée
Est-ce possible ?
qu'est-ce qui est possible ?
à la fenêtre infiniment
tes bras négligemment croisés
que se passe-t-il si je t'appelle
par ton nom ?
eh !
mon amour
faut-il que je t'aime
fenêtre ouverte sur le monde ?
j'ai du mal à respirer
c'est ce qui arrive aux poissons dans l'air
arrache mes écailles une à une
ma peau est un infini d'étoiles
petit poème deux par deux
Qu'est-ce qui est plus vrai que notre amour ?
je t'interroge petit poème
et tu ne réponds pas
C'est que tu n'as rien à dire
petit poème
C'est que tu n'es pas concerné
petit poème
petit poème qui s'étire
comme un corps de femme
raconte-moi l'existence des mots
dans la maison que tu habites
un deux trois
le compte y est
je n'ai pas bien compté
mais je sais ce que je dis
enfin je crois que je l'ai dit
que je t'aime
que c'est toi
que j'ai peur
que j'écris
que je dors
que je rêve
que je sais
je crois bien te l'avoir dit
mais ce n'est peut-être pas le cas
il faudra que je me souvienne
de ce que j'ai laissé
je m'en souviendrai si c'est possible
si j'ai bien compté sur toi
*
La fenêtre comme le blanc de l'œil
qui a vu l'amour
petit oiseau deviendra grand
si nécessaire
si possible
si c'est vrai
vain rectangle de lumière
pour blesser mon cœur d'homme tranquille
petit oiseau
deviendras-tu grand
si on te le demande ?
la fenêtre est ouverte — jurons-le !
comme le blanc de tes yeux
l'oiseau vire au vert
paraît-il
si le soleil l'écorche vif
je veux le voir pour le croire
je veux tellement de choses !
faut-il commencer par se taire ?
oh mon amour faut-il commencer par là ?
le coin de tes lèvres porte le seul mot
qui me va comme un gant —
au coin de tes lèvres il y a tout ce que je sais
de la femme —
oblique parallèle
quel est ton miroir ?
est-ce que mon reflet est un reflet ?
est-ce que je joue avec le même miroir ?
comme le blanc de l'œil
entre moi-même et mon semblable —
on dirait que tes caresses se rapprochent de moi
— l'oiseau est de profil — quelle belle image !
*
Courez ! non, volez ! non... filez
filez des voyages
il y a des voyages
pour tous les oiseaux —
on ne court pas dans l'air —
qui volerait autrement ?
certainement pas les oiseaux
ombre après ombre mesurés.
Filez ! qu'on ne vous revoit plus
que la barque vous emporte
au fil de sa mâture — filez
doux oiseaux de mer.
J'ai tellement envie d'aimer
celle que j'aime
mais l'aimer comme on aime
quand on s'aime vraiment.
Filez ! et ne comprenez plus rien !
la mer ne vous comprend pas non plus
raturez les barques noires
qu'on découpe dans du papier journal.
Filez ! filez ! beaux oiseaux, bon augure !
que les ports vous rattrapent
que les veuves des marins vous habillent de vert !
le vert c'est la couleur du temps —
le temps ne se rattrape pas !
*
Peut-être écrire ce qui n'arrive pas
Dire que c'est un poème
Et l'écrire pour qu'il soit lu
Et dire que personne ne le lit !
Ce qui fait mal
Ce n'est pas tellement ce que le mot ne contient pas
Il contient ce qui est lu
S'il y a quelqu'un pour lire —
Ce qui fait mal
Ce sont des yeux qui se posent comme des oiseaux
Et qui mangent comme des oiseaux
Ta bouche aussi est un oiseau —
Mais quel oiseau te destine au vol ?
Tes yeux décrivent mes vols futurs
Mes ciels de lit
Comme une bouche ouverte dans mon esprit
La totalité de tes yeux
Que m'arrive-t-il si j'écris
Ce que tes yeux ont peut-être vu ?
Ramène-moi une poignée de terre
De ce pays où tes yeux sont rois —
Ramène-moi cette poignée de terre
Et jette-la dans ma vie.
Dire que c'est un poème
De lignes mélodiques en conversations
C'est le meilleur poème que j'ai jamais écrit
— Je ne sais plus écrire
Je mens parfaitement
J'écris ce qui arrive
Et ça ne change rien.
Quel oiseau à l'aile de tes yeux
Déchire le moment tant attendu
Où les morceaux de ma terre natale
Ne sont rien moins qu'un livre de géographie
Coupé en morceaux
Par le livre d'histoire en forme de couteau ?
Couteau
Coupe l'oiseau
dernier poème.
*
Elle est morte
elle est morte la vie
que j'ai rencontrée dans tes yeux
dans un moment de rêve.
Je m'égarais
je ne savais rien ni du rêve
ni de l'amour
ni de tes yeux
Ce que je savais n'a plus d'importance
la mort le dit
et la mer patine toujours la roche
pas loin
Je n'ai rencontré qu'un mauvais rêve
tu ne me regardais pas
ne regarde pas
ce que je fais
Ce n'est pas pour toi que je le fais
je le fais pour moi
pour la mer qui s'évapore
et pour le soleil qui copule
Je le fais pour qu'on n'en parle plus
je l'écris pour que ce soit dit
et déjà tu n'existes plus
à la faveur d'un mot
Je suis triste triste triste.
*
Tu ne peins plus ?
tes yeux ne peignent plus
ni tes mains ni ton cœur ?
c'est que tu n'existes plus
tu parles des oiseaux
tu imagines des violons
tu ouvres la fenêtre
et c'est comme ça que tu n'existes plus ?
que fais-tu du papier ?
chaque feuille est une aile
tes mains sont les plumes de l'oiseau
et tu cesses d'exister
qui t'aime mieux que moi ?
*
C'est chouette
tes mains au dessus de la mer
comme des oiseaux
un trait noir dans l'écume
et tes bagues métalliques percent
cet assemblage de rayons
— on dirait que tu peins.
C'est chouette —
je te dis que c'est chouette
tes yeux qui lavent le sable
tes yeux qui empourprent le blanc
c'est chouette ce que tes yeux changent
dans l'organisation des rayons
— je croirais que tu peins
et tu peins
tu peins la chouette au regard circulaire
tu peins le feu rouge au milieu du visage
tes personnages transportent des couleurs
qu'est-ce que c'est ce point d'interrogation ?
c'est une étoile
mais il manque la nuit
tu ne sais pas peindre la nuit
tu peins la chouette sans la nuit
tu éloignes la douleur d'un coup de pinceau
c'est chouette
le mélange de primaires dans un coquillage
le coquillage ne vit plus sa vie de coquillage
tu as laissé faire ton cœur d'oiseau blessé
et tu es plus chouette que la chouette
je t'aime
je t'aime
je t'aime
chouette le papier que tu peins
chouette le papier qui te peint
chouette la peinture qui t'anime
chouettes les pinceaux la fenêtre le mur blanc
la cascade des morceaux de coquillage
et le miroir des nacres au bout de tes doigts
c'est chouette une femme qui peint
elle peint avec les cheveux
avec le bout des doigts
elle se couche sur le papier et elle peint
elle peint la pointe de ses seins
elle peint son ventre
elle voit un oiseau
et elle peint les couleurs de l'oiseau
comme si c'étaient les couleurs d'un oiseau
mais c'est les couleurs du temps
et rien ne s'est passé qu'on puisse mesurer
je vous dis que c'est une femme qui peint
elle met ses mains au dessus de la mer
et je l'aime à cause de ses mains
qui déplacent le ciel
elle peint le chat
et le chat m'aime
elle peint le mur
et je vois le mur
la porte s'ouvre
je n'entre pas
le pinceau fait le tour de sa tête
il veut peindre des cheveux
et il peint des cheveux
parce que c'est ce qu'elle veut
elle veut peindre
avec l'eau
avec l'huile
avec le feu qui dévore son âme
elle coupe la femme en deux
et la femme est coupée en deux
le papier aussi est coupé en deux
la peinture est coupée en deux
la maison aussi
et la mer
et la porte qui est ouverte
pour que je vois ce qui se passe
il se passe une femme qui peint
il se passe que je trouve que c'est chouette
et quand c'est chouette j'écris
ce qui n'est pas plus mal
que de ne rien écrire
à propos de la femme qu'on aime.
*
S'il y avait un oiseau sur ta radieuse épaule
— imagine l'oiseau, son aile blanche et noire
o imite son cri au dessus de la mer
raturant le soleil d'un coup de bec ailé —
s'il y avait un oiseau et si l'oiseau était
plus qu'un oiseau une aile et plus que l'aile un vol
s'il y avait un oiseau, que l'oiseau ramenait
l'encre et le sel et l'eau qui compose le vent
— imagine son cri, tu l'imites si bien
et le soleil revient avec le vent la vague
avec l'écume blanche et noire de son aile —
s'il y avait un oiseau et que ta blanche épaule
en aile se muait et que l'amour naissait
de ce repos sans fin — s'il y avait un oiseau
un oiseau blanc quelconque et noir avec le vent
et la mer au dessus de la mer qui rutile
tant il y a de la vie et que la vie s'en va
mais si peu que la mort est une imitation —
s'il y avait une épaule où l'oiseau poserait
le détour circulaire de son vaste horizon
si ton épaule était une façon de naître
et si naître n'était rien à côté du tout —
si j'étais un oiseau, j'aimerais ton épaule
je m'y reposerais et j'aimerais la mer
je volerais le vent et j'imaginerais
que le soleil n'est rien à côté de ma flamme
— j'écrirai des poèmes au rythme régulier
les oiseaux ont besoin de ces égalités
sans quoi le vol n'est plus qu'une question de plus
mais que sont les poèmes si tu n'existes pas
sans doute peu de chose, une histoire pour rien
— il n'y a pas de mots pour cacher ton épaule
pas de mots pour changer ma nature d'oiseau
et rien dans le soleil pour éclairer ton cœur
sinon le seul reflet de mon aile changeante
il n'y a rien à vrai dire et surtout pas le ciel
dont j'ai cru un moment qu'il pouvait ressembler
à un oiseau plus grand que l'imagination
qui me servait de lit quand je rêvais de toi.
Refrain (tambour) :
Les enfants n'aiment pas la mort
TATATA tatatataTA
Estribillo (laud) :
A los niños no les gusta la muerte
tataTÁta tataTÁta taTÁta
Refrain (triangle) :
Kids hate death
TATATA
en arabe, en polonais, en japonais, en serbe, en allemand, essayez : combien d'instruments si différents et si musicaux ?
*
Les enfants aiment
les lions les baleines
ils croient aux lions
croient aux baleines
il y a des étoiles
pour le dire
dans le ciel de l'Afrique
beaucoup d'étoiles
-------------
les enfants n'aiment pas la mort
ils sont comme tout le monde
leur monde de boue
ils comme les lions
comme les baleines
la mort n'est pas jolie
c'est le moins qu'on puisse dire
c'est la faute à la vie
pas aux lions
Les lions
aiment beaucoup la vie
les baleines aussi
et les enfants
il y a un soleil
pour effacer les chagrins
qui n'existent plus
dans le ciel de l'Afrique
Demain la lune
et un arbre centenaire
où dorment
les singes lointains
Non vraiment
les enfants n'aiment pas la mort
Qui l'aime d'ailleurs ?
Qui ?
Tu ne crois pas aux oiseaux ?
Tu n'y crois pas ?
mais quelque chose t'a réveillé
froid chaud
tu te sens terriblement seul
c'est fou ce qu'on peut se sentir seul
dans ces moments-là
et pourtant on sait bien qu'on n'est pas seul
il y a quelqu'un derrière la porte
il y a quelqu'un
ou derrière la fenêtre
il y a quelqu'un
la fenêtre c'est pour le matin
la fenêtre
et la porte c'est pour le soir
la porte la porte
devinez un peu si vous pouvez
devinez
vous n'avez jamais pu
rien deviner ?
qu'est-ce que vous savez faire ?
à part mourir avec les enfants
mourir avec eux
et grandir avec tant de morts ?
Jongler
avec trois balles !
c'est ta raison
deux rouges et une blanche !
je ne te conseille pas de jongler
— mais c'est moi
ce n'est vraiment pas
le moment de jongler
Tu peux tricoter
ou nager sans bouée
Les enfants
n'aiment pas la mort
---------------
mais évite
les jongleries
ce n'est pas un bon truc
pour trouver le sommeil
Pourquoi t'aimeraient-ils ?
mort
dans le ciel
d'Afrique
— je ne suis pas
marié
avec une négresse
ni avec une putain
chance
dans
le ciel
de la terre
pourquoi
on n'a pas
épousé
toutes les femmes ?
y a-t-il
une femme
qui veuille
m'épouser ?
je me l'achèterai
homme dans le ciel d'Afrique
avec l'or de ton soleil
et l'argent de ta lune
je voudrais aussi
m'acheter un cheval
un cheval avec
une crinière de feu
et galoper
dans la Cour des Lions
en chantant
des chansons d'amour
crinière et crins
j'ai les yeux bleus
traits de ciel arrachés
au ciel d'Afrique
Je voudrais marcher
dans la merde d'un roi
et me laver les pieds
dans le purin d'une princesse
Je suis si jaloux
et leurs blasons sont si beaux
les enfants
n'aiment pas la mort
-----------
Je voudrais donner la messe
à Saint Pierre de Rome
et manger toutes les hosties
en montrant mon coeur aux bonnes sœurs
Je suis si jaloux
et leurs toits sont si beaux
— les enfants
n'aiment pas la mort
------------------------------
Je voudrais manger les pieds
de la Présidente de la République
mais je ne les mangerai pas
s'ils sentent bon comme sa poitrine
Je suis si jaloux
et leurs tambours sont si beaux
— les enfants
n'aiment pas la mort
Je voudrais me tailler
une part du gâteau
et l'offrir aux pauvres
— je suis si jaloux
Et ces rues sont si belles
de lumière et de propreté
— les enfants
n'aiment pas la mort
-----------
Je voudrais me faire cuire
un œuf de colombe
et le partager
avec la femme de ma vie
Je suis si jaloux de ses charmes
si jaloux
— mais les enfants
n'aiment pas la mort
Je voudrais être
bon public
Ne pas attendre
qu'ils me demandent mon avis
Et faire l'amour
avec une comédienne
Les enfants les enfants
n'aiment pas la mort
J'ai fait l'amour
avec une boulangère
avec deux étudiantes
avec une bûcheronne
Avec l'épouse d'un dentiste
elle avait deux enfants
et je leur demandai
s'ils aimaient la mort
je l'ai fait avec la femme
d'un dentiste
avec celle d'un architecte
et celle d'un cinéaste
avec une employée
de la RATP à Paris
le métro croisait
les territoires de notre amour
avec la femme d'un militaire
dont j'ai oublié le grade
ce qui ne m'a pas empêché
de faire l'amour
J'ai fait l'amour à vingt-trois putains
moins une putain
qui avait l'air d'une putain
mais qui ne le faisait pas exprès
J'ai fait l'amour
à une femme riche
dont les enfants
n'aimaient pas la mort
elle aimait que je lui fasse l'amour
l'amour que je lui donnais
et elle voulait
que ça continue
ça n'a pas continué
rien de rien
parce que je suis devenu impuissant
qu'oui qu'oui
et il a fallu
que je redevienne pauvre
pour faire l'amour
de nouveau
je suis devenu tellement pauvre
les enfants en sont témoins
je suis devenu tellement pauvre
que j'ai failli mourir
et moi non plus
je n'aime pas la mort
et je me suis nourri
de la femme d'un médecin
de la fille
du même médecin
et de sa cousine
qui s'appelait Claire
Claire
avait un sexe si beau
que j'en ai encore le goût
dans la bouche
Je t'aime Claire
je t'aime je t'aime
les enfants
n'aiment pas la mort
je n'ai rien oublié
de tes cuisses
je n'ai pas oublié non plus
tes rêves d'enfant gâtée
et si je ne les ai pas aimés
autant que tu aurais voulu
c'est que j'étais moi-même
vraiment très gâté
sur mon chemin de casanova
j'ai rencontré quatre-vingt-un enfants
et aucun d'eux
n'aimaient la mort
pas plus que la Gitane toute noire
avec ses bagues de cuivre rouge
je l'ai aimée
pendant cinq ans
chaque fois que s'amenaient
les roulottes vertes
tu avais encore grandi
de trois centimètres
et tes seins étaient devenus
tellement gros
que je n'ai pas pu résister
à les mouler dans du plâtre
et puis je ne t'ai plus jamais revue
à ces époques de neige
quand le vent arrêtait
les vertes roulottes
tu es revenue parce que tu m'aimais
mais mais
mais j'avais quitté ce monde
pour un autre
et je t'avais oubliée
avec beaucoup de bonheur
— les enfants
n'aiment pas la mort
----------------------
plus tard je me suis souvenu de toi
autre temps autre terre
en regardant
les bras d'une Gitane
je me suis souvenu de tes jambes
de ton ventre
et j'ai pensé être très bête
et alors
J'avais fait l'amour
à une négresse
qui voulait
que je l'épouse
Elle se posait des questions
au sujet
de la couleur
de leur peau
si nos enfants seraient blancs
ou noirs
elle n'aimait pas
la peau noire des Africains
c'était pourtant sa peau
des pieds à la tête
mais elle ne l'aimait pas
comme je l'aimais
et je l'ai remplie de mon écume
blanche et noire
mais l'enfant n'est pas venu
ni la blancheur
et on a cessé de faire l'amour
et même de s'aimer
pas d'enfant
pas d'amour pas de mort
ensuite j'ai fait la fête
avec la femme d'un bourgeois
qui était banquier
ou politicien ou astrologue
je ne sais plus ce qu'il était
cet homme dont la femme
m'avait acheté
l'amour que je lui donnais
j'ai eu
une aventure merveilleuse
avec deux
institutrices
elles portaient le même prénom
je trouvais ça très amusant
je ne peux pas dire
comment ça s'est terminé
je ne peux pas le dire
mais quelle aventure j'ai vécu
avec deux maîtresses
d'école !
j'ai connu
une unijambiste
qui avait perdu sa jambe
dans un accident de moto
elle avait un sexe très joli
et très profond
et un moignon
caressant
elle est morte en buvant du gin
rue de Rennes à Paris
sur le trottoir glacial
de décembre à Paris
elle est morte à l'approche
des fêtes de Noël
pleine de gin sur le trottoir glacé
Rue de Rennes
je ne l'ai pas assez aimée
je ne l'ai pas assez aimée
je l'ai aimée mais pas assez
ce n'était pas de l'amour
je l'aimerais aujourd'hui
si elle était vivante
et je boirais du gin avec elle
pour mourir moi aussi
sur le trottoir glacial
près de la tour de lumière
dont l'ombre doit être
la Rue de rennes
j'ai honte
de ne pas l'avoir aimée
comme le méritait
son âme de poivrote
c'était peut-être elle la femme de ma vie
peut-être
peut-être que la Rue de Rennes
n'a jamais existé
Je n'ai pas assez aimé
c'est le problème
Je n'ai pas assez aimé
c'est le problème
------------
mais les enfants
n'aiment pas la mort
et je pensais à l'Afrique
et à ses maladies
j'avais aimé les bergères
les serveuses
les balayeuses du métro
les vendeuses de beignets
les vendeuses de charmes
rue Quinquempoix
les femmes des pêcheurs
à Fontarabie
Il manque tellement d'amour
à mon amour
et j'ai si peur
de mourir tout seul
Je veux que tu sois là
quand je mourrai
je serai dans mon lit
maigre et pâle
je ne mourrai pas à la guerre
entre hommes
comme l'a dit
cette stupide voyante
et je prendrai ta main
caresseuse des rêves
et je la serrerai
contre mon cœur
je ne penserai pas à mon sexe
je n'aurai plus de sexe
je penserai à ton sexe
caresseur des rêves
mais
tu ne me le montreras pas
on ne montre pas son sexe
à un mourant
mais en te penchant un peu
pour embrasser ma bouche
tu me montreras tes seins
de blancheur et d'ombre
tu me les montreras
blancheur et obscurité
dessinant la lumière et l'ombre
dans mes yeux
et je saurai
dernière certitude
qu'ils sont gonflés
d'amour
et j'aurai envie
de les embrasser
je ne penserai pas à embrasser
ton sexe
comme
je l'ai toujours fait
pour te demander l'amour
que tu me dois
et pour
te remercier
de m'aimer
avec autant de plaisir
mais je ne dirai rien
tu n'ouvriras pas ta robe
je ne toucherai pas la pointe
de tes seins
Je fermerai les yeux
et je serrerai ta main
et je te dirai :
chérie je t'ai menti je t'ai toujours menti
et tu te relèveras
et tu me regarderas
en me pardonnant
mes mensonges
toi aussi tu m'as menti
et je te pardonne
mais je regarderai tes seins
avec terreur
et tu liras ma terreur d'homme
qui va mourir
et je crierai :
je t'ai menti je t'ai menti
et tu me diras
que ce n'est pas grave
tu penseras
que c'est le délire
parce qu'à l'approche
de la mort
le délire
calme un peu la peur
mais ma peur
sera intacte
mon esprit
parfaitement mesuré
seule mon âme
fera une tache d'ombre
entre les ombres
de tes seins blancs
une tache
que tu n'effaceras jamais
je ne veux pas
que tu l'effaces
ce sont les seins
que j'ai caressés
je n'ai plus
de sexe ni de désir ni de plaisir
rien pour faire
l'amour avec toi
rien de vivant
dans ma pensée
je t'ai menti je t'ai menti
chérie
je t'ai menti
toute la vie
et tu ne me croiras pas
tu ne me croiras pas
tu te ficheras
de ce mensonge
tu veux te souvenir
de l'amour
tu veux garder
cette mémoire
et dans un dernier
soupir
je crierai
la vérité de ma vie
et
le mensonge
de la tienne :
— Je ne t'ai jamais aimée !
Je ne t'ai jamais aimée
quelle vérité ! quelle mort !
— les enfants
n'aiment pas la mort
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Cours ! non, vole !
non... file
file
des voyages
il y a des voyages
pour les oiseaux —
on ne court pas
dans l'air
qui volerait autrement ?
certainement pas les oiseaux, non
File...
qu'on ne te revoie plus
que la barque t'emporte
au fil de sa mâture
file doux
oiseau de mer.
j'ai tellement envie d'aimer
celle que j'aime
mais l'aimer comme on aime
quand on s'aime vraiment.
File !
et n'essaie pas de comprendre !
la mer
ne te comprend pas non plus
raturez les barques noires
qu'on découpe
dans du papier
journal.
File ! file !
bel oiseau !
Bon augure !
que les ports te rattrapent
que les veuves
des marins
t'habillent
de vert !
le vert
c'est la couleur du temps —
le temps
ne se rattrape pas !
les enfants
n'aiment pas la mort
question de conscience
ou je ne me connais pas
ta conscience mon pauvre oiseau
ta conscience
il y a vingt ans
c'était l'adolescence
et sur ta route
homme véritable
des femmes regardaient
croître leur féminité
des femmes
à la queue de cheval
ou à la crinière noire
comme la nuit
c'était l'adolescence
et sur ta route
tu croisais celles
qui revenaient de la rivière
elles avaient le regard triste
elles étaient silencieuses
le soleil brillait
pour elles aussi
mais la nuit les absorbait
dans son eau
et ce n'était pas un rêve
en tout cas pas le tien
ou plutôt :
tu rêvais à des pays sauvages
où
les femmes sont nues
par exemple
les lionnes d'Afrique
où tu es né
un jour d'hiver
et les hommes
sont guerriers
pour que meurent
les déshérités
mais sur ta route
ta route de plaisantin
les femmes
avaient le regard triste
et les hommes
se battaient entre eux
s'arrachant le coeur
pour elles
sur ta route il y avait des enfants
qui n'étaient pas les tiens
c'était les enfants
des hommes morts
tu n'es plus un enfant
et tu aimes les femmes
tant mieux dit ton père
tant mieux
c'était il y a vingt ans
dans le même pays
tu volais
de tes propres ailes
soucieux de repeuplement
certes
parce que tu avais le goût
de la justification
il ne t'a pas quitté
mais aujourd'hui tu t'en fous
— les enfants
n'aiment pas la mort
il y avait la plus belle d'entre elles
jamais nue
mais amoureuse
et curieuse de mécanique
ses mains fouillaient
dans ton crâne
pour trouver
tes vivantes eaux
elle avait de beaux cheveux
à rendre fou
et toute sa chair
à ses lèvres sans fard
la plus belle d'entre elles
ne se déshabillait jamais
tant mieux dit ton père
tant mieux
et ton artimon se dressait
dans une mer de solitude
— les enfants
n'aiment pas la mort
------------
Sur ta route
d'adolescent
d'enfance inachevée
d'homme foutu d'avance
sur la route il y avait
des forêts
où l'âme
est un fruit
que lèchent des oiseaux barbares
il y avait des oiseaux
des bons et des mauvais
des oiseaux qui volaient
des oiseaux qui mentaient
des oiseaux qui mentaient
des oiseaux qui mentaient
des oiseaux qui mentaient
tant mieux, dit ton père
tant mieux
s'il y a des oiseaux
et un ciel pour voler
si je mens
je vais au diable —
tes voiles se gonflaient
vers des îles désertes
il y avait aussi
le bon vent
au son d'écaille
contre la mer
une poitrine
à la chair de poule
les yeux fermés
serrures vues
le ventre dur
comme une pierre
ses lèvres sont des dents
dans mon âme
son regard un couteau
son âme une Gitane
tant mieux dit son père
tant mieux
les questions
sont de bonnes questions
les réponses
de mauvaises réponses
on aurait mieux fait
de se taire
on aurait mieux fait
mais on n'a rien fait
et ta poupe poupait
et sa croupe croupait
la mer était calme
heureux les poissons
on ne se souvient
de rien
on s'aime
et on godille.
on fait des enfants
on fait les marioles
ce n'est pas la même femme
ce n'est pas le même amour
on godille
on rame
on s'éloigne du rivage.
des paquets de mer dans le cerveau
des couronnes d'algues nous encercueillent
qu'est-ce qu'on peut faire
à part la conquête de l'horizon
et du soleil
qu'est-ce qu'on fait me demandes-tu
je ne sais pas
je n'ai pas fait pour faire
j'ai fait pour rien
je l'ai fait avec toi
avec une autre avec la mer
avec les oiseaux
les rochers les poissons les orages
j'ai fait comme j'ai pu
ce que j'ai pu
j'ai fait ce que ma tête
m'inspirait
ce qui était bon
pour moi pour toi pour tous
j'ai fait l'amour à une putain
bonne putain
elle avait l'odeur de la marée
des attitudes de sable
et la couleur du vent
elle avait un charme de barque
des sensations d'écume
et des tristesses d'oiseaux de passage
elle avait l'esprit ailleurs
sans mauvaises intentions
une robe perlée
et de longues mains sommeillantes
qui caressaient des rêves
de vagues déferlantes
mon ventre y calculait
d'incroyables voyages.
pourquoi pas dit ton père
pourquoi pas
Sur ma route j'ai croisé
d'autres routes
des routes en forme de lacet
en forme de semelle
des routes
qui se faufilaient
d'autres qui divergeaient
certaines enjambaient
ma route
les croisait
— les enfants
n'aiment pas la mort
ma route
c'est ma route
et les montagnes
sont les tiennes.
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les enfants
n'aiment pas la mort
— qui
peut t'aimer
laisse-moi te chanter
une dernière chanson
une chanson
en forme de chemin
tant il me coûte
me séparer de toi
— j'ai oublié
le début
pour lui j'ai cassé
sa pipe
pour elle j'ai violé
le secret
pour toi
je me battrai
avec un tigre féroce
— la mort en est malade
si le tigre périt
je te ferais un enfant
s'il survit à ses blessures
je t'en ferais deux
trois si tu me blesses
et autant
chaque fois que tu me blesseras
— la mort en est malade
si le tigre me mange
il te violera
il te mangera
et il fera des enfants à la tigresse
Les hommes seront des tigres
— la mort en est malade
Les hommes seront des tigres
— la mort en est malade
s'il ne te viole pas,
le monde périra
et tu pourriras
— malade, malade la mort
je me battrai
avec tous les tigres du monde
je violerai le secret
des femmes
je casserai les pipes
des hommes à la retraite
la mort me vomira
non — les enfants n'aiment pas la mort