Voilà un temps qui ne figure pas dans les livres de conjugaison.
Et pour cause, puisqu’il s’agit d’un temps inventé, en quelque sorte.
D’un temps littéraire.
Il faut être en contact avec la littérature contemporaine, la plupart du temps, pour être confronté au présent de narration.
Beaucoup de romans et de nouvelles du XIXe siècle, par exemple, montrent l’étendue du passé, qu’il soit composé, simple, imparfait, plus-que-parfait, qu’il appartienne à l’indicatif ou au subjonctif.
Lorsqu’il est simple ou composé, le passé est un couperet. Le lecteur passe d’une scène à une autre sans s’attarder. L’imparfait et le plus-que-parfait, en revanche, sont des temps plastiques, des temps qui prolongent le contenu.
Il faut des talents comme Albert Camus pour que le passé simple ou composé dépasse le stade du couperet afin d’entrer dans une dimension esthétique, dans une majesté particulière.
Le présent de narration, lui, impose tout en délicatesse un rythme tenace, lancinant, une itération qui produit de l’amplification, pour ne pas dire de la démesure. L’oeuvre d’Alain Robbe-Grillet en est un exemple, ce temps étant soutenu par une narration à la première personne qui met l’accent, immanquablement, sur l’identité du narrateur en train de s’affirmer, peu à peu, dans un monde à découvrir.
Dans une nouvelle ou un roman, la suprématie du présent de narration pose ainsi la question du présent lui-même, un présent toujours en question. De surcroît, elle peut répondre à la question ontologique qui traverse l’esprit de l’auteur : que fais-je ici, là, maintenant ?