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Une certaine poésie
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 Article publié le 12 juillet 2015.

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La phrase fut d’abord longue, tortueuse, tourmentée même parfois, mais toujours animée par cette sorte d’aisance serpentine dénuée de contorsions, à vrai dire fastidieuse pour un lecteur fatigué. 
C’était le temps des récits. 
Des figures de pensée venaient au monde dans la solitude. Leur solitude cadrait parfaitement avec la mienne. L’énergie du désespoir, un désespoir qu’il s’agissait d’épurer. 
Opération de déblayage avant travaux. Fabula rasa. 
Se débarrasser de scories laissées par d’anciennes brûlures, recycler les incendies incidents longtemps occultés, en finir avec les sourires de façade destinés à dissuader les importuns d’approcher de trop près, tout un fatras comportemental devenu réflexe, un bouclier thermique efficace pour combattre le froid de l’âme. 
C’était ça ou la mort intérieure à petit feu dans l’indifférence à soi et aux autres. 

*

Parvenu au terme d’un certain chemin de mots, à la faveur d’une rencontre prometteuse, je me mis à écrire en direction d’un être singulier. Toutes pensées aimantées par l’existence d’une femme convoitée. 
Un chemin de vie négligé jusqu’alors tentait de se dégager à la faveur d’un exil. 
Je mesurais mal mon apport : soutien moral et affectif ? apport intellectuel ? collaboration effective et fructueuse en dépit de l’extrême fatigue qui m’écrasait à cette époque ? 
Un peu tout ça, sans doute, en plus de ce que j’ignorerai toujours. 
Un bénéfice certain dans un premier temps au moins qui prit la forme d’un regain d’intérêt pour un questionnement vertigineux qui ne cessa de se heurter à un mur. 
On ne remplace pas à soi seul une vie matérielle, familiale et professionnelle chèrement acquise. 
Il allait falloir désormais composer avec une modestie nouvelle qui prenaitdoucement le relais d’un effacement paralysant. 
Impossible pour moi de me faire le porte-drapeau d’une vitanuova. Impossible de faire bouger les lignes. Renoncement progressif, lassitude et dégoût. 
" Tu n’es pas riche, Jean-Michel. " fut la phrase fatale qui précipita la rencontre dans le refus assumé de tenter quoi que ce fût en direction d’une vie commune. 

*

Le temps n’est plus à la solitude radicale ni à la convoitise. Seul demeure un franc désespoir délesté de toute rancœur. 
Depuis lors, à la faveur d’un été retrouvé dans les montagnes cévenoles, un infléchissement très net, le besoin de parler et d’écrire de très loin en avant en cessant de donner forme à des rêveries d’un autre temps. 
La phrase s’allège, s’autorise des raccourcis, s’achemine doucement vers la narration d’elle-même, en sorte qu’elle devient l’événement dont elle discourt, mais ce au sein d’un réseau référentiel dense polarisé par le temps et par l’amitié. 
Rendre justice à un visage, un paysage, c’est tout un, pour peu qu’on se laisse guider par une sympathie toute simple dénuée de calcul et de concupiscence, d’arrière-pensées et d’espoir mal placé. 
Sorte de télépathie amoureuse de la part d’un homme sans convoitise qui ne tente jamais de saisir, de fixer, mais qui s’adonne à la parole librement consentie. 
Le consentement à la parole est la clef qui ouvre sur un monde insoupçonné. 
C’est ainsi que chaque texte m’étonne, me révèle non pas des secrets mais des failles et des abîmes, des sommets et des pics, des lieux de vie où il fait bon vivre dans la compagnie lointaine de quelques êtres. 
Rien de fortuit, rien de prémédité non plus : ouverture. 
Ouverture ouverte sur elle-même qui ne craint ni le désert froid d’une solitude formelle pleinement assumée ni le trop-plein fallacieux d’une révélation qui ne viendra pas. 
Tard dans ma vie, j’aurai compris qu’un arbre, qu’une forêt entière, qu’un chemin de campagne, qu’un rocher, une falaise, une reculée ontsouvent bien plus de choses à me dire que mes contemporains immédiats. 
Ces paroles qui me viennent des êtres et des choses, je ne les traduis pas, je les porte en moi au moment d’écrire en leur compagnie. 
Des forces élémentaires prennent ainsi forme et consistance dans l’amitié de quelques êtres, dans l’enthousiasme, l’élan et l’amour inconditionnel pour le monde animé-inanimé, pour tout ce qui vit, tout ce qui est, visible ou invisible, ancien ou nouveau, et bien réel. 
L’athéisme des pierres en dit plus long sur les dieux que tous les missels du monde. 
Le consentement au monde ne ravive pas la flamme d’anciennes croyances, indique seulement que persiste, en dépit de signes alarmants, une réalité bigarrée, savoureuse, complexe, feuilletée, fomentée par tout ce qui vit et meurt, évolue ou involue. 
Va-t-en guerre d’hier et pacifistes d’aujourd’hui m’inspirent le même dégoût. 
Aucune vue d’ensemble, des crispations identitaires partout en Europe comme seule réponse à des défis migratoires engendrés par la misère. Dans une Europe pacifiée par le désastre que fut la Deuxième Guerre Mondiale qui aura vu les Etats Unis d’Amérique s’arroger le leadership mondial, le théâtre des opérations s’est déplacé de l’Europe vers le Moyen-Orient, mais la guerre menace à nouveau en Ukraine. 
Nous voilà pris en étau. La mollesse européenne est affligeante. Prendre des mesures de sécurité intérieure est certes nécessaire, mais une stratégie globale fait défaut. Les Européens sont en guerre, mais n’en veulent rien savoir. 
C’est dans ce contexte délétère que nous écrivons tous bon an mal an.

*

Une certaine poésie approchée charnellement dans l’enfance au contact des éléments peut ainsi paraître bien déplacée, et complètement dérisoire. Elle ne constitue en rien un contre-feu, c’est un fait. 
Sauf à penser qu’elle permet de refuser avec la dernière énergie l’oubli de soi qui justifie tous les sacrifices au nom d’une cause malsaine. 
Je persiste à penser que le monothéisme est une aberration importée d’orient, complètement étrangère à ce que nous avons cessé d’être sous la férule des églises. 
On se croyait débarrassé de leur influence, et voilà que le religieux mortifère refait surface sous les formes de l’islamisme. 
Impossible d’ignorer la marche du monde, mais ce monde qu’est-il au juste ? 
La maison et le grand jardin de ma prime enfance vivent en moi. 
J’en sens l’odeur, j’en ressens la chaleur. J’écoute l’orage gronder et les messages tapés en morse par la pluie qui cogne aux vitres, je sens sur ma peau les rayons du soleil d’été, je foule la neige drue tombée dans la nuit et qu’il faudra pelleter. 
Une odeur de terre mouillée accompagne mes stances. 
Le chemin se perd dans les bois. Arrivé au seuil du silence qui ne se franchit pas, arrivé devant rien qui ne se dise, ne se chante sans son complément de silence, me voilà, pour quelque temps encore appelé à témoigner. 
Mnémosyne est cette petite veilleuse qui sourit à la nuit tombée, partout où des hommes et des femmes aiment la vie, s’aiment d’aimer la vie dont il partage les affres et les joies. 
Sa blondeur solaire acquise dans les terres du Nord m’enchante. Je peux comprendre qu’elle n’éveille qu’indifférence ou défiance. L’histoire pèse d’un poids terrible. 
Libre à vousde chanter avec elle en direction du Sud lointain, si ça vous chante. 
Quoi que vous pensiez ou disiez, vous êtes au monde. 


Jean-Michel Guyot
28 juin 2015

 

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