Retour à la RALM Revue d'Art et de Littérature, Musique - Espaces d'auteurs [Forum] [Contact e-mail]
Navigation
Les textes publiés dans les Goruriennes sont souvent extraits des livres du catalogue : brochés et ebooks chez Amazon.fr + Lecture intégrale en ligne gratuite sur le site www.patrickcintas.fr
OH
OH le beau fragment 12/123/assez

[E-mail]
 Article publié le 6 mars 2016.

oOo


Obtenu avec OHOH - Site [TELEVISION]

assez d’publicité ou trop d’pauvreté la porte n’est pas la porte trop de rêves trop d’absences * l’aurore plus douce plus légère que ton regard c’est dire que je m’y chante plus doux plus léger que dans l’amour c’est dire que tu es l’ombre dans ma lumière o ne t’éveille pas dormeuse le jour * doucement m’inonde du sang versé pour un peu d’amour où cristalline je te vois absorber le fond de mon verre * tu n’as pas reconnu ce seul visage au point de mesurer la mémoire d’un père ton regard est celui d’une morte dans les absurdités de la légende avec la femme comme une fourmi qui a élu le règne des géants ce ne peut être qu’un reflet qui vient me hanter où ma mort me tranquillise et du reflet peut être l’argile avec la femme qui enfante d’un dragon légendaire * des jours des jours mais rien mais rien des jours à regarder et rien à voir l’infortune le dernier cri descend ! descend en moi descend ! et m’innove dans l’heure qui ne changera pas * ce qui importe n’est pas la mer ce qui importe n’est pas les îles ce qui importe n’est pas l’ha-pas l’habitante ce qui importe n’est pas le seuil pas la maison ce qui importe c’est qu’on y soye reçu comme un fils comme un fils qui s’ra rev’nu d’la guè-ère * ce n’est qu’une tour ce n’est que l’ombre d’une tour dans la lumière ce ne peut être que cela pour reconnaître dans l’ombre pour saluer ce qui approche de loin et blanche ce n’est que l’eau ce n’est que le jet d’eau qui s’arrête au passage où la vie est visible io ce ne peut être que cela non pas le miroir l’eau qui n’a pas mouillé l’eau qui n’a pas ondé ondé les yeux ondé les lèvres ondé l’onde de ton corps * d’autres oiseaux les plus secrets elle qui sommeille dans le creux des racines son sein n’est pas plus doux son œil n’est pas plus hagard elle a de bonnes raisons de vouloir supprimer l’enfer * o tombes o oiseaux aile légendaire la gloire te ment l’immense reconnaissance du savoir les bleuités rampantes du couchant au rouge continent perdu * le rire pourrissant de la tragédie n’a pas fini d’irriter l’œil du bourgeois sur la scène des poupées de carton renvoient la verdeur du propos des poètes des poètes reconnaissants je ne salue que l’immensité de langage par exemple e.p. Mme E. cligne des yeux sous le porche je ne salue que les plages de sable blanc où s’ébat la beauté de mon propre salut aux poètes je salue ce qui reste après le naufrage je salue ce qu’ont élu les poètes je salue la négation dans la publicité un serpent dans l’aurore aux ongles blancs les prêtres hors du temple * je ne vois que ton corps nu dans les jeux de la lumière avec mes mains qui es-tu blanche écartée comme un renoncement jeune putain mon sexe raide et mon cul dilaté je bats toutes les transes au jeu de la maison je bats et je paye à ton cul à ton sexe à ta bouche à tes seins tu as l’odeur de ce que je te dois même si ce n’est pas poétique * notations finir l’œuvre en cœur ouvert pour l’amour notations pour une fille plus belle que la vie notations pour un corps redonné notations justice notations * l’apparence sur ton visage comme les portes d’une cellule de prison toutes verrouillées de l’intérieur mais qu’on ne peut ouvrir que de l’extérieur l’araignée mangera sa toile l’oiseau changera de branche à l’égard des arbres de ton jardin de la maison aux portes closes dans ton jardin le seul souci o belle épousée est de n’en paraître pas affecté au moins le temps d’oublier que tu as existé o mes mains sont l’argile de ma volonté mon cœur à nu contre le cœur peut-être deux si le temps me laisse la peur si le temps m’abandonne à eux il y a les muses là-bas au moins la muse arrondissant son chant au chant du soleil je reconnais les pas d’une autre o feux de quels dieux au nectar d’herbes * une fleur aura résumé mes pas une fleur comme un cri j’ai regardé dans l’eau c’est le feu la juste quantité nécessaire pour abolir la pierre dans la terre pour recréer de vagues paysages peut-être le temps de lever la tête pour les voir passer comme un visage comme un seul œil comme tous les regards — m’avez-vous entendu ? * inix limite gira dans l’fond s’y joua du jouet même l’ordre des heures en fichu de vieille dame mélancophase vitépurant en sus échoua sul’sable et s’ouvrit l’poignet avec un coquillage lequel sa’ bu toul’sang et laquelle s’y abreuva pas seulement d’silice si l’est avis qu’ça dur’ra pas * puis le temps des étrangères le temps de l’habitante redoutant d’autres étrangères d’autres fleurs les dieux agacés les dieux au bout de leur voyage * le jour et l’heure l’attente et l’inattendu la lassitude et les regrets la solitude les bûchers divers de l’esprit d’autres bûchers entre le possible et l’inexprimé des royaumes des pierres des siècles quelques anecdotes * o dragon sacré fume encore d’étouffer le cri aux bases de ce temple fume encore et refume m’encore entre ces lacs de colonnes insignifiantes aux verticalités fume et refume de coucher ce qui dort de coucher ce qui pense de coucher ce qui croit o dragon sacré m’inspire le retour le secret des retours le secret à la clé de chacun des retours du poète sur ses pas m’inspire et me damne de n’avoir su brûler au moins à l’heure prévue l’or et non l’idole l’or et non la présence l’or recommencé avec l’heure prévue o dragon m’inspire la plus totale des saisons dans le sang et la soif de recommencer * lignes où la main égare le sens de sa rotation autour du corps endormi qui ne se réveillera pas ni demain ni le jour où mes fils rediront les paroles que mon père a prononcé sur le corps de ma mère * le dernier voyage à peine le retour une dernière vie avant la première mort les mamelles élevées au regard doucement son sexe qui s’écarte à la rencontre de ses pleurs ou par-delà la cuisse parcourue d’une main à venir toute la mort dans les yeux de celle qui aimera un jour Sapho toujours plus belle nue que sur son trône d’étoile poétique * longuement j’ai regardé mon regard dans le miroir longuement j’ai effacé les traits qui me dévisagent lentement tu m’apparais mes yeux à la place de ta haine et de mon amour * perdu toute trace d’homme ici même un reste qui semble rester perdu à jamais la fourmi et la mère au vertige de l’enfantement * ne doit rien ni à l’infortune ne s’est donnée que pour renaître informe comment ne pas l’être avec le temps avec chacune des filles que la mère isole dans un chant annoncé tout bas o rien n’est pur qui me console * chante o chante o poète aimé ne chante que l’amour chante qu’il est temps de chanter l’amour chante l’amante aux yeux de nacre le corps ébloui qu’on le sacre chante les yeux surpris au sel qui m’a souri o chante les plus belles nuit o nuit qui redorent l’ennui au soleil des jours o chante l’amour chante la morte au cœur de pierre chante la pierre au cœur de terre o chante-moi le cœur au-delà de la peur redis-moi la proche saison les visiteurs mourant le long o chante l’amour du sol alentour chante la putain endormie seule dans la dernière nuit o chante la putain redorée au matin o chante un peu tous les soleils éteints de la rue aux sommeils répète-toi pour me chanter l’amour * la mort n’est pas si belle que le sang le sang n’est pas si beau que le corps le corps n’est pas si beau que sa chute toutes les chutes sont plus belles que l’ennui plus belles que la mort plus belles que le sang plus belles que le vin plus belles que le vertige même o plus belles avec l’infortune dans la tour * je ne dis pas ce que ça dit je n’insinue que l’inachevé en quoi peu importe le détail peu importe la matière je ne dis que la présence non la beauté ni le sens en quoi je vous salue et me va * l’escalier qui ne tourne plus de monter si haut le sacrifice de beaucoup de soi-même au profit des œuvres non léchées qu’un champ de blé a résumé à un coup de feu ce n’est pas de la flatterie nier peut-être le coup de feu sur la montagne qu’on pleure désuète et peut-être en allée avec les retours de la dernière saison une bonne dizaine de putains occupant le dernier étage de la maison * les songes que l’hiver a parés de la dernière odeur aussi bien que les mots qu’elle a chantés la mort dans les ronds dans l’eau du soleil au jet d’eau qui l’exalte * tu m’entoures de flammes et moi je pétille comme un sarment buvant à ta bouche le vin chaud maintenant de ton sang o je t’aime comme la fourmi o je mesure le moindre de mes mots à ta taille de géante o je n’enfante que des cris hoooooooooooooooooooooo * n’attend que l’or à même de s’y brûler le cœur elle n’est pas moins seule avec l’autre attente tout le feu répandu à sa gorge qui triomphe même en gloire n’inverse que la face cachée une rivière en deux doux ventres au moins une génération d’insectes * o ce cœur qui me sépare de ne rencontrer que l’instant dans l’instant d’autres vieux sophismes chinois à la clé d’autres vieilles histoires de chaudron à même de repeupler les œuvres éternelles toute la fresque à peine entrevue l’autre montra son sexe à l’exilé dont les hôtels ne voulaient pas « a eu des histoires avec dieu » * mais le temps n’a pas été bon pour nous tout le long de ce périple à travers les âges et je pouvais voir des masques se répéter sur l’envers des médailles que les femmes ajustaient sur leurs seins « ne rie pas de me voir ainsi dénudée » paya en monnaie de voyage tout le repas et H.D. essuya ses lèvres ensanglantées en proférant des menaces à l’envers de la fille qui riait à l’autre table à l’autre bout de la table et il renversa la chaise sur les choses les plus légères Dirké renvoie la lumière des linges mouillés « essaie un peu m’escargot d’accrocher mon regard » dit la putain en nous narguant l’esprit n’est plus ce qu’il était * peut-être si la nuit me console d’avoir pleuré les morts au nom de quelle idée je demande au nom de quel amour la nuit me console aux pleurs jetés dans les mots me console du vif déserté momentanément * ce n’est pas une autobiographie ce ne sont pas des dates c’est un temps qui a toujours été aussi vrai qu’Ulysses par Nékuia ou l’idylle de mon père et de ma mère sur l’autre écueil aussi vrai que le vent aussi vrai que l’écriture comme moyen de luxure la fourmi qui dévore l’œil et commence par-là et seulement par-là que sont mes souvenirs * pour ceux qui ont commis des lâchetés puis les incontinents les non-baptisés luxurieux gourmands avares prodigues coléreux moroses hérétiques violents contre le prochain contre eux-mêmes contre dieu la nature l’art bolges des ruffians séducteurs adulateurs entremetteurs simoniaques devins concussionnaires hypocrites voleurs conseillers perfides semeurs de discorde faussaires les zones des traîtres contre leurs parents leur patrie leurs hôtes leurs bienfaiteurs pour celui qui appelle sans répondre * le chant ne se brisera pas au pied des œuvres d’art le chant n’est pas une flatterie le chant sans doute brisera le cœur de ne pas le flatter mais le cœur ne le brisera pas le chant n’est pas un amant le chant ne brisera pas l’esprit l’esprit ne flattera pas le chant il le brisera peut-être à la fin mais pour des raisons divines le chant se brisera peut-être si l’esprit le veut * mes mains ont donné la terre à la forme de tes formes mes yeux ont donné le soleil à l’ombre de tes lumières ma chair a donné l’eau au passage de la mort mon cœur a donné le cri à ton ventre de femme * les maisons seules sur la colline désertée et les arbres plus beaux dans ma solitude Toukaram sur le bord de la route et Sophros bourrant sa pipe en parlant de cul et la fille aux cheveux de colonnes et la lumière et le soleil et l’ombre vive la fraîcheur reposante de l’ombre dans l’ombre des murs blancs et je suis là à contempler le ciel « d’un point de vue technique seulement » mais l’œil compose mieux que la main l’erreur est de retourner sur ses pas en étranger * elle a simplement ôté son masque sans histoire comme une peinture simplement pour montrer son visage les filles qui jouaient nues dans la rivière leurs cris contre l’eau leurs cris dans les feuillages mais le cœur n’y était pas il s’ouvrit le poignet comme on ouvre une porte * au diable les lettres à la clé au diable joyce mallarmé roussel pound a quelques excuses la vie bordel du diable la vie nous avons besoin de la vie nous ne mourons pas avant que d’avoir vécu hé hé les chants dans l’heure sont-ils purs fort, lui avait dit ce spécialiste. Et il lui avait montré ce que c’était la force, en soulevant une chaise par un pied. Le vagabond avait poussé un cri d’admiration. — Tu as de bonnes mains, lui avait dit le conseiller finalement et le vagabond avait empoigné le pied de la chaise. L’effort lui donna le vertige. Le conseiller jurait pour l’encourager. Ils étaient seuls tous les deux dans la salle du conseil. La fenêtre s’ouvrait sur une jolie place plantée de tilleuls. Y poussaient des hortensias. La foire se terminait. La dernière charrette s’en allait. Des chats examinaient des plumes. Les oiseaux descendaient dans la paille. Un cantonnier traînait une pelle et un balai. Suivait la brouette poussée par un Berbère presque noir. Le vagabond s’ennuyait dans les jardins. Il eût aimé la compagnie d’un Berbère au regard fuyant. Mais il remerciait le conseiller tous les jours. Il n’était même jamais revenu sur la question du nombre d’écrevisses. Le conseiller l’avait peut-être tout simplement roulé. C’était un vassal appliqué et toujours en éveil. Il insultait les gens quand ils avaient le dos tourné. Avec les femmes il était maladroit et sirupeux. Il courtisait des femmes de son espèce, courtes et grasses, belles dents, exigence du regard qui accompagne des paroles de politesse. Il tirait le vagabond par la manche ou le poussait dans l’escalier. La porte de son étroit bureau était toujours ouverte, laissant passer le cri rauque d’un nom dont la substance se vautrait aussitôt sur le seuil. Il tambourinait l’épaule des gens pour les obliger à se retourner. Ses postillons avaient un goût de futaille. Il écrasait les punaises, secouait la poussière des registres, renversait les encriers, envoyait en l’air des paperasses inutiles. Un général lui avait botté le derrière, on ne savait plus pourquoi, le général avait un nom de rue, c’était un enfant du pays, un enfant de métayer qui avait su lire et compter avant les autres. Les autres, c’était la valetaille, le fumier de la terre qui se voyait en rêve à l’ouvrage d’une usine écumant de richesses à partager inégalement ou inéquitablement, c’était à voir. Ce fut au milieu de ces masques que le vagabond commença le récit de sa vie d’ouvrier. Il montra les cicatrices de ses mains. On n’en avait jamais vu de pareilles. Une histoire par cicatrice, et le temps d’une cicatrice à l’autre, il y avait là l’idée d’un ouvrage, qu’en pensait Antoine ? Antoine n’écrivait plus. Depuis qu’il tournait en rond, revenant régulièrement aux mêmes lieux, sa pensée était obsédée par les seuls mécanismes de cette horlogerie et sa conversation se ressentait des négligences qui étaient les seules conséquences véritables de cette folie circulaire. On l’écoutait rarement. Il n’inspirait pas la contradiction. D’ordinaire, il fréquentait la canaille. Il avait le couteau facile et ne dormait que d’un oeil. Une fois seulement il avait eu pitié d’une garce et lui avait rendu son bien, qui consistait en une pièce d’or qu’elle était allée retirer du clou. Il vécut trois ans avec elle, sur les bords de cette même rivière où glissaient des péniches, les haleurs racontaient leur vie tout en marchant et il buvait avec eux aux écluses. Trois ans avait duré ce commerce. Il volait impunément et personne jamais ne le soupçonna. Quand il partit, il eut conscience que c’était elle qu’il quittait. Il avait maintenant ce désir douloureux de raconter cette histoire, là, sur le banc où ils n’étaient que deux misérables en quête du néant. Mais le premier omnibus passa. Il était temps de laisser la place au bourgeois-fourmi et à l’ouvrier-moucheron. — Si je suis la cigale, tu es le lion, dit l’autre en riant. — Et inversement, ricana Antoine. Un mitron passa, parfumant l’allée, au pas de course. Ils descendirent sur le quai. D’un côté, la ville qui se réveillait. Le marteau d’une forge marquait le temps. De l’autre le canal rejoignait le fleuve qu’on remontait. Ils se mirent en route. Le temps était à la pluie. L’air bougeait lentement. Les oiseaux ne quittaient pas leurs branches. Antoine examinait minutieusement le fossé où il lui arrivait de trouver des restes de nourriture. Les enfants des pauvres se levaient plus tôt que lui. Le fossé portait la trace de leur passage, ces glissements silencieux des pieds nus dans la glaise. L’autre le suivait, grignotant ses ongles. Le canal immobile le fascinait. — Tu retournes chez toi ? demandait Antoine sans s’arrêter de chercher. — Chez moi, dit seulement l’autre. Le matin lui apportait sur un plateau l’idée de la mort. Il suivait les canaux depuis des jours et la mort prenait la forme d’une idée fixe tous les matins. Voilà où il en était parce qu’il avait tout perdu. Antoine avait seulement quitté une femme. Sur quel lieu revenait-il ? Des chiens venaient les renifler. Antoine les renvoyait à coups de pied. En haut, sur la promenade, on observait leur manège. Et si Antoine était recherché pour avoir volé un de ces myrmidons ? Des parapluies les désignaient. L’autre n’osait plus lever la tête. Il prit cette allure d’escargot à moitié sorti de sa coquille. Antoine était trop occupé par ses recherches. Il maudissait l’enfance des pauvres et pissa plusieurs fois sur des fleurs, brandissant une chancrelle, le jet éclaboussait, lui arrachant une plainte. — C’est la faim qui humilie, dit-il pour reprendre le cours de la conversation où il l’avait laissée à l’apparition des autres. Mais l’autre se méfiait maintenant. Au-dessus d’eux, les voix s’amplifiaient. L’autre ralentit encore. Toute sa tête était maintenant occupée par les arguments de sa défense. On le laisserait peut-être tranquille. La faim n’humiliait pas Antoine, elle le rendait fou et peut-être dangereux. — Si je me retourne, pensa l’autre vagabond, je verrai un groupe d’hommes armés de canne s’avançant sur nous. Un autre groupe descendait sur le quai, glissant lentement dans l’herbe. Antoine referma sa braguette. L’autre était paralysé au bord du canal, montrant les dents de son désespoir. Les hommes s’étaient arrêtés et barraient le passage derrière lui. L’autre groupe avait atteint la berge et se rassemblait sur le chemin. Ils étaient tous armés de cannes. Antoine plongea une main tranquille dans sa chemise. Il en retira un paquet ficelé qu’il éleva. Son autre main montrait sa paume vide. — Tu devrais te coucher sur le ventre et attendre gentiment qu’on vienne te chercher, dit un des hommes. — J’attraperais la crève ! dit Antoine en brisant une flaque. L’autre avait gémi. Il se tenait ainsi sur le bord du canal, les bras croisés, les jambes légèrement fléchies. D’habitude il tombait à genoux et attendait qu’on se saisît de lui. Pleurait-il ? Antoine fouillait dans cette ombre. Il ne s’amusait plus. Des bras vigoureux le ceinturèrent. On lui arracha le paquet. Un canif trancha la ficelle, on déchira le papier, apparut un écrin. — Qui ce salaud aura-t-il volé ? dit quelqu’un. On ouvrit. Une mèche de cheveux. — Ce n’est pas ce qu’on cherchait, dit quelqu’un. L’autre venait de se jeter à l’eau. — Merde ! fit Antoine. Il était paralysé à son tour. Un des hommes plongea. L’écrin se referma. Antoine rentra en possession de son bien. Il se mit à refaire le paquet. Pendant ce temps, l’autre luttait avec son sauveur. Deux autres redresseurs de torts se dénudèrent et plongèrent dans l’eau huileuse du canal. Il y eut une autre minute de cette lutte où le suicidaire, encerclé, peut devenir un assassin. On l’assomma à coups de poing. Sur la berge, il eut l’air d’une feuille morte. On enlevait d’un air dégoûté les algues vertes qui s’étaient collées sur le dos des nageurs. — Emmenons-le ! dit un sergent. Le pauvre fut hissé sur des épaules et ce char s’ébranla au pas de gymnastique. Le sergent suivait en scandant. Une voiture fut réquisitionnée. On ne lésine pas sur les moyens quand il s’agit de sauver une vie humaine. Antoine était resté sur le quai. Personne ne lui avait demandé d’expliquer la mèche de cheveux. Il était complètement seul. Le trou dans l’eau s’était parfaitement refermé, seule l’herbe du talus portait encore les traces de ce qui venait peut-être de se passer. Un toueur remontait le fil de cette eau noire, suivi d’un train de péniches. Des enfants déjeunaient sur un pont. Les bols fumaient. Un drap blanc claquait comme un drapeau. — Non, je n’ai rien volé, avait dit Antoine aux justiciers de la première heure, mais personne n’avait entendu cet aveu désespéré. C’est que l’autre avait montré ses mains blanches et soignées. Il avait accaparé l’attention. Et il était sauvé. À moins que le bouillon eût commencé son oeuvre de destruction. L’autre avait vomi la croûte noire de son quignon. Deux rats se la disputaient maintenant, en plein milieu du chemin. Les chiens flairaient de loin. Il y avait des chevaux sur le pont de la dernière péniche, des chevaux tranquilles qui dormaient peut-être, comment le savoir ? Une brèche s’était ouverte dans le ciel et le soleil dégoulinait sur cet horizon de toitures. Sous le pont, Antoine donna un coup de pied dans la litière de fougère où l’autre avait dormi cette nuit. Puis la lumière de nouveau. Le mur blanc d’une usine, sa crête rouge, le portail refermé et la guérite où rutilait le regard d’un invalide. Les béquilles étaient accrochées au grillage. Dans la cour désespérément vide, un jeune soldat prussien promenait derrière lui deux chevaux harassés. Plus loin, le canal bifurquait. — Paris ! cria Antoine à travers la grille. Le soldat indiqua l’aile droite de la bifurcation. — C’est loin ? dit Antoine. Le soldat lâcha une longe pour secouer sa main. Ensuite il se baissa. — Tu viens avec moi ? dit Antoine en riant. Le soldat rit aussi. Il montra les deux chevaux d’un coup de menton. — C’est ça, fit Antoine, rien que toi et moi. Le soldat s’était arrêté pour essayer de comprendre ce passage du bonheur à la tristesse. Il montra le pont qu’il fallait traverser pour se retrouver du côté de Paris. Antoine retourna sur ses pas. Sur le pont, il s’arrêta pour regarder le soldat et les chevaux. Il vit aussi le train de péniche qui remontait sur Paris. L’autre canal révélait un chemin de halage. Il disparaissait dans une forêt marquée de loin en loin par l’éclosion de châtaigniers. Le touage émergeait à l’entrée du canal, jetant des feux comme un miroir aux alouettes. Des fiacres passèrent en trombe, se suivant de près, et toujours ce carreau où il voyait des profils, le cocher grimaçant, le fracas des roues. Combien de fois ce sinistre convoi avait-il surgi de son néant ? Ces fiacres de vernis et de cuir, véloces et dangereux, le surprenaient en pleine rêverie. Il en concevait une paralysie douloureuse et demeurait prostré au bord du trottoir, les poings fermés, la larme à l’oeil, soumis à cet éloignement sonore, incapable de révolte, on eût dit qu’il s’apprêtait à se jeter sous les roues du prochain camion dont la première paire de mules stoppa net pour le laisser passer. Le cocher cessa de jurer quand il devina la nature de ce regard. Il fouetta mollement l’attelage. Antoine mit le pied sur l’autre trottoir. Le convoi des fiacres entrait dans la ville par le boulevard. L’air venait de se briser, exactement comme sous l’effet de la foudre. La ville lui procurait toujours cette sensation d’orage. Elle était traversée par des hommes plus rapides que lui, il arrivait toujours trop tard, d’où la nécessité de voler son prochain, de s’en prendre de préférence aux faibles, aux imprudents, aux femmes. Un groupe d’écoliers le bouscula. Il eut cette sensation brûlante d’être dépossédé. Ils exhibaient de blanches cagnettes aux influences de flaque, soyons précieux quand il s’agit de parler d’eux. L’un d’eux nouait une chaussette en tirant la langue, le pied posé sur une torsade de la balustrade. Une fillette tenait son Petrone en main en se mordant les lèvres. Un grand rouquin chahutait les anglaises. Il braillait, bouche ronde. Quelqu’un lui martelait le dos, une autre fille, plus grande, de temps en temps il saisissait ces deux poignets et les tordait mais elle se libérait et le bourrait de coups de poings qui atteignaient les seins du garçon. Quel plaisir lui arrachait-elle ? La porteuse de Petrone rougissait un peu plus à chaque obscénité prononcée par celle qui pouvait être sa soeur. Il manquait deux dents à son sourire. Antoine l’avait d’abord inquiétée, puis elle avait compté sur lui. Le rouquin connaissait ces pièges. Sans doute il y tombait régulièrement. Les anglaises se mélangeaient dans ses mains curieuses. L’autre finit de nouer sa chaussette récalcitrante. La fillette lui rendit son Petrone. Elle avait perdu la page. Il lui donna une chiquenaude sur la joue et retourna dans le groupe qui s’était arrêté plus loin pour commenter la présence d’Antoine. Le reconnaissaient-ils ? La fillette se pencha mélancoliquement. Les mains du rouquin l’avaient complètement décoiffée. Il commençait toujours par des caresses. — Aidez-moi, dit-elle doucement. L’autre fille cessa de s’agiter dans le dos du rouquin. — Tu te ressens morveux ? dit Antoine. Le regard de la fillette agissait sur lui maintenant. — Pas plus que ça ! dit le rouquin qui crânait. — Je suis jolie ! dit la fillette. Elle n’osait pas toucher à ses cheveux pour se rendre compte, de peur sans doute d’y forcément rencontrer les mains de ce rouquin hystérique qui tirait la langue à Antoine en roulant ses yeux de tourterelle agacée par la présence de l’autre. — Vous m’avez parlé, Monsieur ? dit le rouquin. Les autres refermèrent leur Petrone et rompirent le cercle. Ils s’approchaient. Antoine se noya un instant dans le regard de la fillette puis l’autre fille se saisit de nouveau des poignets du rouquin. Cette fois, il ne se défendit pas. Ses poings s’étaient refermés dans la chevelure embroussaillée de la fillette qui ne voulait pas pleurer. Il supporta la morsure sans doute délicieuse. Il triomphait. Les autres ricanaient. — Monsieur m’a parlé ! dit le rouquin. Sa voix trahissait les tangentes du plaisir. — Monsieur parle aux petits garçons, dit un autre. — Et les petites filles voudraient lui parler, renchérit le rouquin. — C’est insensé, dit la fille qui ne mordait plus, les poignets du rouquin se libérèrent de son emprise, jaillissant des cheveux où Antoine découvrit un noeud défait. La fillette profita de ce répit pour s’enfuir. On la regarda courir. Un chapeau voletait dans son dos. Les passants s’écartaient pour la laisser passer. Même le sergent de ville qui sauta à pieds joints dans la rigole. Le rouquin léchait ses poignets. L’autre fille jeta un regard plein de compassion sur Antoine qui prétendait se défiler comme si rien ne s’était passé. Les premiers mots auraient de l’importance. Ce serait elle qui les prononcerait. Avait-elle le pouvoir de changer le sens de ce qui n’est plus qu’une fragmentation exagérée de la mémoire ? — Je vous cherchais, dit le sergent. Les passants s’étaient arrêtés. On questionnait le groupe des écoliers. Quelqu’un ramenait la fillette rebelle qui voulait mordre elle aussi. Antoine regarda la surface de l’eau. Une onde annonçait un toueur. L’eau verte ne reflétait rien. — Ce n’est pas de sa faute, dit la fille qu’il ne voyait plus. — Ah ! non ? Ou bien avait-elle dit : il n’a rien fait, ce qui l’excluait mieux. Ou bien : je ne le connais pas. Il l’avait seulement entendu parler. Antoine reconnut le sergent de tout à l’heure, beau visage encore jeune, le nez plongé dans une moustache qui remontait sur les joues et rejoignait les oreilles, le menton était fendu, une mouche l’agaçait. — Je m’en vais à Paris, dit Antoine, insistant sur le "za" comme dans les chansons. Le sergent s’était penché pour écouter ce que lui disait la fille qui avait posé une main sur son épaule. Il caressait la poignée de son bâton. — Jeannot, hein ? fit-il. Le rouquin inspira comme pour répliquer mais sa poitrine se dégonfla dans une bouche qui s’arrondissait autour de la langue pointue. Il ne la tirait pas. Il ne tirait la langue qu’aux filles et encore, quand elles lui tournaient le dos. Craignait-il ces griffes ? Les joues tremblaient comme si elles étaient au travail d’un sourire qui pallierait le manque de mots. Jeannot et les filles ! Les filles et le sergent ! Le sergent et Jeannot ! Le cercle se refermait immanquablement sur Antoine qui gémissait des excuses. Le sergent se redressa, un peu étonné d’avoir oublié un instant pourquoi il était là. Jeannot filait à l’anglaise. La fillette, qu’on tenait encore, lui donna un coup de pied dans le mollet. Jeannot sautille et se plaint. — Diablesse ! dit-il en grimaçant. Il connaissait les goéties de cette voisine. Celui ou celle qui la bâillonnait luttait contre la douleur provoquée par la morsure. S’il la lâchait, elle emporterait au diable ce triste morceau de chair. — Regardez ce qu’elle a dans la main ! s’écrie Jeannot. On s’échine à l’ouvrir, cette main, et on découvre une agate qui finit par rouler dans le caniveau. — Ce n’est pas bien de voler, dit Jeannot, surtout son prochain. Antoine sourit. La fille, presque une femme, surprend ce sourire. Le visage des vieux la fascine. — Ne la lâchez pas ! crie Jeannot qui s’est baissé pour ramasser la bille d’agate. Le sergent est à la recherche d’un deuxième souffle. — Vous me cherchiez ? demanda Antoine. Le sergent secoue sa tête frisée. — Vous devriez la lâcher, dit-il. L’autre s’est écrié : garce ! et en même temps il a montré la paume de sa main qui ne saignait pas, les dents avaient formé un ovale bleu, en creux. Il respirait à travers ses dents. — On vous a rien demandé, dit quelqu’un. C’était vrai. Pourquoi s’en prendre à une fillette qui voulait peut-être récupérer son bien. — Son bien mon oeil ! dit Jeannot. Le sergent a posé sa grosse main huileuse sur la tête de la fillette. — Il ment ! dit-elle. — C’est ta soeur ? demande le sergent. Jeannot, qui trépigne sur la chaussée, se fait enguirlander par un cocher. — Vous me cherchiez pour quoi ? demanda Antoine. La fille avait pâli. Elle lui faisait signe de s’en aller. Quelqu’un réclama le jugement de Salomon au sujet de la bille. Le sergent dit que ce n’était pas le moment de plaisanter. Il était porteur de nouvelles graves. Elles concernaient Antoine. Antoine, c’était ce vagabond qui se laissait cajoler par une adolescente. Elle promettait. — Oui, c’est moi, dit Antoine. Le sergent se rengorgea comme un moineau. — C’est votre ami qui vous réclame à son chevet, dit-il. Et il ajoute en s’essuyant le front avec un mouchoir : — J’ai couru ! Il tient la main de la fillette qui tire la langue à Jeannot. — J’peux la garder ? dit celui-ci en montrant la bille d’agate, elle est à moi ! Le sergent, pensif : je te connais, toi (c’est la question). La fille, à qui il s’adresse, lui répond qu’ils habitent la même rue et qu’il pourrait être son père. Rires. Le sergent, rouge et fier, bredouille quelque chose comme (pas facile de se souvenir de tous ces détails) : montre-lui le chemin de l’Hôtel-Dieu. Et tandis qu’Antoine suit la fille qui marche devant lui : ne t’aventure pas ! — C’est Jeannot, ce crétin ! Elle a dit "crétin" sans penser à ces hauteurs où l’esprit se raréfie en même temps que l’air. — Vous avez un ami malade, dit-elle exactement comme si elle en souhaitait un pour son usage. Antoine dit que ce n’était pas son ami. Il le connaissait depuis ce matin. Il allait à Paris où il avait un héritage. La rue donnait sur les champs où des vaches paissaient. Il aurait aimé retrouver son enfance dans ces lieux mais ce n’était pas ce qu’il allait y chercher. Il possédait une chambre avec cuisine et des carreaux aux fenêtres. Il y avait mal vécu. Sa mère y était morte. Il se souvenait du bruit, du froid, de la nuit, le vent, la pluie, la tristesse. Il avait l’argent pour payer l’arriéré d’impôts. C’était d’ailleurs tout ce qui lui restait. Il arriverait peut-être à temps. Il avait posté une lettre il y avait plus d’une semaine la lettre. Il avait vécu avec des mouettes au bord de la mer. Il avait longtemps vécu de cette manière. Jadis (il pouvait dire jadis comme dans les contes parce que ce temps remontait à loin) on l’avait accusé d’un crime horrible (n’est-ce pas que c’est horrible de tuer un ami non pas celui-là un autre) et puis on avait arrêté un autre innocent et on l’avait condamné, ce qui le sauvait, il avait entendu dire que cet homme le haïssait, il lui avait laissé le peu de choses qu’il possédait avant de partir, sa mère était déjà partie, il prétendait ne pas projeter de la rejoindre mais il alla directement à Paris, le plus directement possible, comme si ce temps perdu à voyager pouvait avoir de l’importance, la moitié de la vie est un voyage les yeux fermés, le reste du temps est une affaire complexe parce qu’on a les moyens d’agir, ce qui n’est pas le cas du rêveur. — Ça peut paraître compliqué ce que je dis. La fille secoua la tête pour dire que ça ne l’était pas. Sa vie venait juste de se fragmenter. Maintenant elle recomposait cette histoire. C’était facile au fond. — Je suis ce que je suis et tu n’es pas ce que je voudrais que tu sois. Saperlipopette ! pensa Antoine. Une fille intelligente. Elle croisait les bras en marchant, peut-être parce qu’elle portait quelque chose. Il avait vu ce genre de fille à la sortie d’un collège, elles portaient leurs livres de cette manière, beaux visages qui l’avaient un moment dérouté, les voitures les emportaient au bout de la rue où elles disparaissaient dans les embruns de la fontaine. Maintenant il voyageait le jour et la nuit, tout le temps était perdu, combien de temps allait-il perdre dans cet hôpital où il allait parce que c’était un sergent de ville qui était porteur de la nouvelle ? Mais la fille ne le retenait pas. Elle l’écoutait tout en marchant, quelquefois elle s’arrêtait devant une boutique et il s’arrêtait derrière elle, un peu inquiet à cause du regard des autres mais elle témoignerait en sa faveur non ? Ne perdait-il pas encore du temps devant ces boutiques ? Il aurait pu la quitter sans explication. Il voulait la quitter et tout lui expliquer. Mais il ne la quittait pas et lui parlait de lui-même. Elle l’interrompit une fois pour lui demander si c’était important de se rendre au chevet de quelqu’un qui n’était pas un ami. Quand elle lui parlait, elle tournait la tête et il voyait ce profil. — Ce matin ? dit-elle en écho. Le peu de temps qu’il faut pour se comprendre. Dans le reflet d’une vitrine il vit qu’elle portait un bouquet de fleurs. Maintenant elle sentait la violette. Arrivés au bout d’une rue qui elle sentait le fournil, elle lui demanda s’il ne serait pas un peu perdu dans ce grand hôpital. Comme il ne connaissait pas le nom de celui qui n’était pas son ami parce qu’il ne le connaissait que de ce matin (avait-il évoqué ce crépuscule ?) l’ami pas le nom ! il était entendu qu’à l’annonce de son nom (Antoine) on saurait exactement de quoi il s’agissait, à la condition bien sûr que ce nom fût connu de l’ami qui ne l’était pas. Le saut dans le canal ? Je suis celui qui n’est pas l’ami de celui qui a sauté dans le canal ce matin, c’est le sergent (elle connaissait le nom du sergent, ce qui facilitait les choses) qui m’envoie. La compagnie de cette délicate jeune fille d’un autre monde s’explique parce qu’elle pourrait être la fille du sergent de ville qui habite dans la même rue. — Vous serez perdu, hein ? dit-elle. La bonne excuse pour sécher les cours ! Le sergent témoignerait. Il adorait témoigner en sa faveur. Combien de fois, ce témoignage garanti par le voisinage ? Les violettes, ce n’était pour personne. Elle les avait arrachées à un talus. Il y avait ce temps qu’elle consacrait aux petites choses, celles auxquelles il est raisonnable de n’accorder qu’une importance relative. À part le sommeil, qu’elle détestait, comment perdait-elle le temps précieux des choses sans valeur ? L’hôpital s’ouvrait sur une cour. Une allée noire sur le côté, envahie de glycines, les premières abeilles, dans la terre molle la trace des roues du corbillard, une petite lumière au fond, reflet de serre, et un jardin jaune avec des coquelicots. Le soleil illuminait une seule façade dont les gris rutilaient. Au rez-de-chaussée toutes les fenêtres étaient ouvertes. Des cornettes circulaient dans le demi-jour, petits bateaux de l’angoisse. Antoine n’aimait pas cette sensation de menace de cri. Elle marchait encore devant lui, plus lentement, comme si ce monde lui résistait. Ils ne se trompaient pas de lieu. Un individu en salopette leur confirma qu’ils mettaient les pieds dans le service des indigents. Elle et lui, c’est-à-dire qu’elle n’expliquait pas la compagnie de ce pouilleux, car il était pouilleux, n’est-ce pas ? C’était-il qu’il prétendait entrer dans ce temple de la propreté et de l’hygiène ? Ne craignait-elle point de chopper le mal qui en finirait avec sa beauté d’enfant menacée de métamorphose ? Ce diable agitait un balai et transportait un seau. Une demi-heure d’acharnement avait laissé le hall sans reproche. Il fallait attendre que le parterre fût sec. Il était bien tôt pour visiter. Son nez couina dans les violettes. Faudrait prévenir la mère supérieure qu’on avait des gentillesses. D’ordinaire, elle plongeait elle-même les fleurs dans des vases alignés sur le rebord des fenêtres, du rez-de-chaussée cela allait de soi, la pauvresse avec des pieds d’argile qui ne supportait pas la marche forcée, aussi avait-elle cette manie de tout le temps se renseigner sur l’agencement des salles qu’elle mémorisait, peut-être dans le seul but de demeurer fidèle au rendez-vous de l’allée des glycines où elle pondait ses oeufs, entendez par-là qu’il s’agissait toujours de la même prière, comme si elle n’en connaissait pas d’autre c’était impensable de la part de cette vieille habituée du chemin de croix, elle priait debout à cause de ses genoux qui étaient atteints d’on ne savait quelle dermatose, il fallait bien qu’elle relevât ses jupes au moment des remèdes appliqués par un tiers auquel elle avait recours parce que son ventre l’empêchait de se plier à ce point, d’ailleurs on la voyait mal dans cette posture et puis il fallait bien que quelqu’un de compétent estimât les progrès de ce mal qui était sa discipline, disait-elle. À propos de violettes respirées tout contre la poitrine de cette petite jeunesse qui ne voulait pas dire son nom. Au contraire elle voulait s’en aller. Y avait-il un mort aujourd’hui ? Elle n’avait pas vu la caisse dans l’allée des glycines. Antoine frémit. Il raconta comment le sergent de ville avait perdu haleine pour le prévenir. L’autre était pendu à ses lèvres, visage qu’on aurait dit crasseux et qui n’était qu’éprouvé, les yeux roulaient sur le bord de la paupière inférieure, funambulisme qu’Antoine avait observé chez les autres au cours d’une famine, cet autre était fasciné par l’idée qu’on eût à vivre une pareille humiliation, il préférait de loin le sort qu’on lui réservait, ni trop gros ni trop maigre, et fidèle comme un chien de compagnie, il acceptait la chopine mais avant il prévenait qu’il n’en avait pas les moyens, on connaissait sa docilité, on l’appelait le Hanneton parce qu’un jour de printemps il avait plaint ces créatures que des enfants rieurs sacrifiaient aux dieux de l’enfance, voulait-elle croire à cette explication comme il avait fini par y croire lui-même ? Au canal s’était ajoutée la voie de chemin de fer. Il y avait belle lurette qu’on ne se jetait plus sous les fiacres. Toutes les fenêtres des étages étaient fermées. Cette manie de s’en prendre à soi-même. Ce matin on avait amené, outre la momie dégoulinante du canal (vous trouvez pas qu’il a l’air d’une momie mais avait-il jamais observé une momie d’assez près pour s’en servir contre les autres ?), un buveur d’urine, un poignet coupé (on doutait qu’il s’agît là d’une tentative de suicide mais le bonhomme avait perdu la raison et avait appelé à son chevet une rombière qui ne le connaissait pas), un saut dans le vide, une artère tranchée (peut-être au cours d’une altercation), et même une mutilation du membre viril (le pauvre était mort en réclamant sa mère à qui il voulait offrir ce trophée). N’avait-elle pas vu la caisse dans l’allée des glycines ? Elle n’y était pas, sinon elle l’aurait vue. Qui es-tu ? Pourquoi toi ? Une fois à Paris j’aurais fini d’être pauvre. Pourquoi leur en parler ? Il n’en avait parlé à personne depuis qu’il savait ce qui l’attendait. — Vous devriez prendre une voiture, dit le factotum. Il avait été une fois à Paris, du temps qu’il était pioupiou et il avait eu du fil à retordre avec le Parisien qui est une tête de mule, il faudra le remplacer par le provincial, il n’y a rien comme le provincial pour noyer le poisson. Le parterre commença à sécher en son milieu. C’était toujours comme ça que ça se passait, matin et soir, le matin il y avait ce petit air tiède qui venait du centre de la ville, où l’on dort à poings fermés, le soir c’était l’air des usines et le parterre séchait lentement mais de la même manière, en commençant par la figure du milieu, qui est une espèce de rosace, non ? L’épanchement de cette lente opacité à la place de l’attente. — Mais qu’est-ce que j’attends ? se demanda Antoine. — Il est donc mort ? dit la fille qui étreignait son bouquet. Le Hanneton s’esclaffa. — Ah ! Ma belle, de c’te coupure-là, on n’se remet point comme si d’un doigt il s’agissait. Ah ! Il était fier de sa plaisanterie, ce lucane ! Il badinait facilement avec l’adolescence. Il était moins inspiré par la petite enfance, quoiqu’une paire de jolies gambettes eussent le pouvoir de l’halluciner un peu. Mais ce qu’il aimait par-dessus tout, c’était les doigts fins, qu’il croyait fragiles, d’une femme en herbe que rien ne lui interdisait d’observer parce qu’il avait l’air de ne pas s’y intéresser. Avait eu des ennuis. Il avait été plus heureux à cette époque-là. Paris n’avait que trois saisons. Il avait connu les quatre saisons d’un beau coin de France où il avait été heureux. Il y avait appris à se méfier des pièges de la langue française. Il était moins fort en calcul et point capable d’assez de ruse pour dénicher la donnée inconnue. Il savait ce qu’on devait à l’Arabie. Il eût aimé un dieu clairement abstrait. Ne savait rien de l’éphémère et de ses raisons. Priait pour ne plus recommencer. La peau d’un homme abstrait lui eût aussi clairement convenu. Il ne pensait pas à un rêve mais à une idée. Il n’y aurait pas le risque du réveil mais finalement les monstres envahissaient son délire tremblant et il ouvrait ses yeux dans l’air gris d’une demi-chambre où il perdait la raison. Pas facile d’avouer qu’on se sent inutile. La folie, c’eût été s’inventer une pareille utilité. Mais il était non seulement remplaçable, il pouvait aussi n’avoir jamais existé, ou du moins il disparaîtrait complètement quand le souvenir de sa faute se serait éteint faute de mémoire. Il n’était plus retourné dans cet éden violé pendant une seconde de plaisir. Il ne disait pas quel crime il avait commis ni pourquoi on ne lui en avait pas fait payer le juste prix. Il n’expliquait rien, ce scarabée ! Ils étaient assis sous le porche, lui d’un côté, appuyé sur son balai, Antoine et Cice de l’autre côté se regardant pour s’empêcher de rire, Antoine avait plusieurs fois caressé les doigts fins, il y avait là une promesse, et elle le plaignait d’avoir un ami aussi triste. C’était pour qui, les violettes ? Elle les compta. — Combien avez-vous dit, Hanneton ? — Un seul, répondit-il. Savait plus très bien si seul était un adjectif ou un substantif, il s’efforçait de ne pas penser à cette métamorphose mais pensant que c’était plutôt une espèce de mutilation, le mot homme (ou femme, ou enfant) était arraché à la claire expression d’une réalité dont il connaissait la profondeur. Cice ne désirait-elle pas savoir pourquoi il était seul ? Que s’était-il passé entre le bonheur et la solitude ? Que voulait-elle savoir de ce plaisir particulier ? Il avait perdu toutes ses dents à cause de la nourriture. Il avait une voix de gorge et ponctuait son discours de culs-de-poule. Sa bouche à elle était un enchantement. — Un seul ? dit-elle. Le corps était dans la chapelle, immensément seul. — Tu n’as pas vu la caisse avec son espèce de chatière ? C’était lui qui la basculait au-dessus du trou. C’était ce qui arriverait si personne ne réclamait le corps. On les réclamait rarement de ce côté-ci. — Qu’est-ce que vous en feriez, vous, du corps de votre ami ? Ce n’était pas elle qui avait posé la question. Il se rappelait maintenant pourquoi il lui avait donné le nom de Cice. Il y pensait en se mordant la lèvre. — Vous n’irez pas à Paris sans lui ? demanda-t-elle. Le Hanneton pouffa dans sa grosse main. Il roulait ses yeux maintenant. Elle frémit. D’où Antoine détenait-il ce pouvoir de la toucher sans provoquer sa révolte et sa peur ? Elle ne se méfiait pas de la vieillesse comme elle guettait les à-côtés de la laideur. — Hanneton, tu rêves ! dit-elle en décroisant ses jambes. Le parterre avait presque fini de sécher. Il y avait une cornette qui attendait à la tangente de l’anneau. Elle en surveillait l’épaisseur. On l’appelait la Grenouille. — Veux-tu sauter comme elle pour entrer dans le cercle qui disparaît peu après qu’elle en a ressauté la circonférence ? Saute, Cice ! Mais saute ! Antoine se présenta à la porte. — Je suis celui qui, et il vit la cornette sauter et diamétralement s’approcher de lui. — Sautez, dit-elle. Il regarda par terre. — Pas besoin de sauter pour si peu, dit Cice. Elle franchit le cercle. — Je cours jusqu’à la chapelle, dit-elle. En possédait-elle la clé ? Non, c’était absurde de le penser. — Vous êtes celui qui... Antoine s’inclina. Il n’avait pas encore sauté. Maintenant elle se situait à la tangente du cercle. Il la touchait presque. — Vous avez bu ? demanda-t-elle, en même temps elle lui soulevait le menton. Elle dut percevoir quelque chose de ce qu’elle provoquait car elle ne lui tapota pas la joue comme elle le faisait avec les autres. Fille de paysan ou de l’aristocratie rurale. Cette idée qu’ils ont de nous-mêmes et de la façon dont il convient de nous traiter. Il plongea son regard dans ses yeux. La main redescendait sur lui, ne le touchant pas, elle atteignait le coude, continuerait-elle jusqu’au poignet, il eût détesté ce geste de la part d’une guimpette qui n’avait pas la moitié de son âge, haïssait aussi la laideur aux joues gonflées par la barbette et le rose des doigts qui ne portaient pas d’anneaux, elle montrait des ratiches gourmandes cependant et salivait aux commissures des lèvres. Il souffla son haleine sur ce nez boutonneux. — C’est ce que nous demandons à... commença-t-elle, puis : tout le monde. En marge, le Hanneton se crispait. Il transportait sa bouteille au fond du seau dont on ne l’avait jamais vu se séparer. — Pas bu, pas pris ! fit-il en riant. Il s’éclipsa. — Nous voilà seuls tous les deux, dit la religieuse un peu bêtement. Le parterre avait entièrement séché. — Vite ! dit-elle, pressons-nous ! Avant qu’il ne "fasse" le couloir ! Cette fois elle lui prit la main. Il y avait longtemps qu’une main de femme... mais bon, elle ne se donnait pas. Elle le conduisait à travers un couloir. D’un côté la baie vitrée atteignait les limbes du plafond, de l’autre une succession de portes et de tableaux du même ton terreux, même brillance à la surface, une croix ponctuait des intervalles, exacte et similaire, ou ressemblante, le tout débouchant sur un bénitier qui poussait comme un champignon sur le tronc d’un mur vaguement décrépi d’où sourdait l’odeur du temps. L’air venait de l’ouverture de quelques carreaux dont certains battaient doucement. Une plante verte envahissait cet extérieur limité par les murs internes de l’édifice. On ne s’y promenait pas à cause des crachats qui pleuvaient. Les poissons du bassin étaient morts depuis l’origine (malgré les conseils de saint Jean de la Croix qui avait fait ce voyage, mais oui ! La nuit obscure !) et les oiseaux (saint François était-il du voyage ?) avaient déserté cette trouée de ciel d’où venait l’air que respiraient les malades. Antoine traînait sa patte dans ces commentaires. — Si vous n’avez pas bu, dit-elle, vous pourrez manger un peu. Il faillit lui demander combien. Elle devait connaître le prix de l’offrande mais ne s’en nourrissait pas. De quoi vivait-il ? Il lui montra sa pièce d’or. Elle n’avait plus cours mais pouvait valoir son poids, si c’était de l’or. De l’or. Sur la scène d’un théâtre où il n’avait plus mis les pieds depuis près de quarante ans ! mais elle ne chercha pas à approfondir sa connaissance de l’autre qui, comme Yepes, ne fait que passer, vive flamme d’amour. Un communiste, juif et bourgeois, lui avait donné le paletot. Les chaussures étaient celles d’un mort, mais d’un mort depuis longtemps, pas d’un mort qu’on déchausse. La dernière chose qu’il avait achetée était un oeuf. Il l’avait gobé, faute de feu. La coquille, il l’avait gardée pour la confection d’un onguent mais il n’eut plus moyen d’en négocier les ingrédients à un apothicaire et il avait jeté la grise poussière dans un fossé. Il ne buvait pas et volait le tabac qu’il fumait. Il accepterait un banquet sans vin et sans jolis petits culs pour se trémousser sur la table. Il laverait son écuelle sous le robinet qu’elle étranglerait en lui demandant (à lui) de se hâter, et il se hâterait. Il avait la patience d’une patate trouée et d’un bouillon fleurant la moelle. Il boirait l’eau du verre sans se plaindre de son acidité. Il serait seul dans cette vaste salle basse de plafond dont toutes les fenêtres, côté jardin, seraient ouvertes. Côté cour, la rue qui bouge, la rue crucifiée, livrée à ses passions, interminable rue des villes nées de l’existence de l’eau. On lui avait donné une cuillère. Il mangea les noeuds de la patate. Il ne demandait pas pourquoi il était seul mais elle le lui expliquait. Elle se comportait comme une fille qu’on a chargée d’accompagner l’enfance de son père qui y est retourné. À elle il confesserait ce genre de chose, au prêtre, qui ne tarderait pas, il pourrait dire ce que personne ne voulait entendre. Il achevait son bouillon quand se présenta cette perspective de confession. Il se sentit piégé. Elle devait bien le savoir ! — Vous n’avez pas mangé le pain, dit-elle. Pouvait-il l’emporter ? Elle le regarda d’un air mélancolique. — C’est-y qu’vous voulez partir ? Sa main se posa sur la sienne. Il s’empourpra quand il se rendit compte qu’il était en train de mordre son morceau de pain. Il aurait faim ce soir. Voilà ce qui arriverait s’il festoyait ce matin. Il avait perdu l’habitude des festins à force de discipline. Elle le dévoyait. L’eau acheva de vider ses caries. Cice revint. Elle avait guetté l’immobilité du mort pendant vingt minutes comptées sur le cadran de l’horloge du couloir, qu’elle voyait dans un reflet de vitre, mais le mort n’avait pas bronché, il emporterait au fond de la terre un bouquet de violettes et un morceau de pain de sucre. Antoine n’avait jamais donné du sucre à un mort. Des fleurs, oui. Comme tout le monde, pour que le cimetière ressemble à un jardin et le chagrin à une promenade. Quand il entrait dans un cimetière où il savait avoir du monde, on lui demandait son nom et on le suivait si on ne le conduisait pas. Ces remarques troublèrent la nonne. — Un cimetière est un jardin planté de croix, dit-elle, puis, après avoir gonflé sa poitrine de nourrice : on y ressuscite, dit-elle. Antoine s’imagina se frayant un chemin entre les corps mêlés de ceux dont l’heure n’est pas encore venue. À la surface de la terre, les premiers arrivés étaient ceux qui avaient la clé de leur tombeau. Cice se mit à rire. La nonne se pencha pour attraper cette oreille rebelle. Mais Cice était encore un petit animal. Elle se laissait facilement caresser, mais pas question d’autre chose ! Elle fit le tour de la table où Antoine était encore accoudé, passa derrière lui et posa ses mains sur ses épaules où le muscle tressautait. Maintenant elle descendait le long de cette nuque, ayant étiré les boucles pour les voir bouger tout ensemble. — Vous devriez, Cice, vous comporter comme la jeune fille que vous êtes ! À l’heure d’écouter les sarcasmes d’un vieillard dont l’errance, paraissait-il, se finissait avec l’héritage d’un bien immobilier et de tous ses meubles. L’histoire valait la peine d’être racontée. — Allons ! Vous êtes venu voir un ami. — Je suis venu voir celui que je ne connais pas encore. — Cice, portez donc ce couvert à l’office ! Cice sentait la violette. Ses mains assemblèrent très vite le verre, l’assiette et la cuiller. Elle emporta aussi une croûte noire qui promettait la persistance de ses saveurs. Le Hanneton, qui entrait, reçut ce fardeau en grommelant. Cice revenait, s’arrêtant cette fois contre le flanc de cette grosse vache de Grenouille qui lui caressait les cheveux. — Vous ne serez plus malheureux, dit la religieuse. Cice tiqua. — Le bien ne fait pas de mal, c’est bien connu. Mais personne n’a encore pensé que la pauvreté est un bien, sauf paraboliquement. C’est une façon de parler. Administrez votre bien ! Sortez de la pauvreté ! Même par hasard ! Antoine était malade depuis longtemps, donnant sa préférence (et cela avait peut-être quelque influence sur leur durée) aux périodes de perversité où il lui arrivait de connaître (ou de reconnaître) le plaisir et ses conséquences immédiates, dont l’oubli. Ses lèvres se mirent à trembler, comme s’il allait pleurer. La grosse main de la religieuse se posa sur sa joue. — Vous êtes sale, dit-elle, on ne peut pas vous laisser entrer. Cice avait si souvent assisté à la toilette des morts. Pensait-il qu’on les enterrait avec leur crasse ? Non, cette immondice disparaissait dans la rigole, au fil d’une eau grise dont les ruissellements commençaient à huit heures. Il suivit Cice. Ce couloir traversait des murs couverts de salpêtre. On entra dans la pièce où sa nudité serait mise à l’épreuve. Cice disparut. Le Hanneton la remplaça. Il tenait son seau et sa grosse éponge jaune qui gouttait sur sa chaussure. La religieuse fit un paquet avec le pantalon et la chemise. — Vous tenez donc tellement à ce vieux paletot ? Elle le souleva encore en pinçant la toile du bout des doigts. — Nous n’avons pas de souliers. Elle sortit. L’éponge frotta les épaules. La main venait de l’essorer dans les cheveux. — Frottez-vous le crâne ! Il ferma les yeux. L’éponge s’agita sur la fleur de son anus, descendit le long des jambes, maintenant elle s’acharnait sur les pieds. La rigole avait toussé, maintenant elle clapotait doucement. — Vous êtes propre derrière ! Tournez-vous ! Il pivota. L’éponge recommença par le cou, elle barbouilla le visage. — Fermer les yeux ! Levez les bras ! Écartez les jambes ! Il obéissait. Le prépuce coulissa. — Vous allez sentir bon ! Il ne reconnaissait pas cette fragrance, lui qui avait dormi à la belle étoile dans les fossés des champs de lavande. Un seau d’eau claire le ravigota. — Savonné à l’eau tiède, rincé à l’eau froide, c’est la règle de la maison ! L’éponge était au fond du seau vide. C’était fini. Il ouvrit la bouche. Il entra dans un linceul. — Frottez-vous ! Au moins sa nudité était à l’abri des regards. Sauf peut-être de celui de Cice dont il ne connaissait pas les secrètes intrusions dans cette antichambre de la disparition. Un trou dans le mur, peut-être. Elle ne pouvait pas avoir été loin. Elle frappa avant d’entrer. Elle portait la chemise et la culotte. — J’espère que ça vous ira. Administration de la pauvreté sans quoi l’égalité, si discutée en 48, devient une réalité. Comme il aurait éprouvé un inévitable frisson en se coiffant avec le peigne des morts, et qu’elle y avait heureusement pensé, elle lui apportait un autre peigne, qui n’avait jamais servi qu’à elle et qu’elle avait passé sous l’eau. Elle le secoua encore pour en sécher les dernières gouttelettes. — Si on n’a plus besoin de moi, fit le Hanneton. Cice sortit aussi. La religieuse avait emporté le paletot pour le donner à décrasser un peu. Il sentait l’herbe et les petits cailloux du chemin. La pluie aussi avait dû y laisser son odeur d’arbre et de champ labouré. Sur les plages, il s’agissait de couper le vent chargé de sable et il le dressait entre deux piquets, on aurait dit qu’il couchait dans l’ombre d’un homme aux bras agités, l’algue, le coquillage, le bois mort imbibé d’eau, la flaque où pataugeaient des mouettes criardes, la roche moussue et éclaboussée d’écume, ces mélanges pouvaient enivrer sur le trottoir de la ville. Maintenant la chemise sentait le savon, il n’y manquait pas un bouton et tous les accrocs avaient été reprisés. La culotte était d’un autre style, mais c’était toujours une culotte. Il se chaussa. Le jet d’eau avait ranimé sa faim, sinistre personnage de l’intérieur dont les doigts lui crevaient les yeux. Sans cette douleur atroce, il eût pardonné à l’homme l’importance de la force, de l’héritage et de la complicité. Mourir de faim comme on meurt de fatigue. Se coucher sur le talus, oblique comme un soldat troué, l’air se rétrécit, il aplatit, sous l’égide d’une fleur qui penche sa cloche tavelée de gouttes de rosée. Il a souvent attendu cette mort possible, il a médité cette cohérence de la faim, triste homonymie. Il choisissait des coins d’ombre, de préférence l’été, mais il se souvenait de printemps verts comme l’angoisse. L’hiver, il luttait contre le froid, il volait plus facilement, il jouait à merveille avec l’engourdissement de l’espèce humaine, il trompait même les chiens. Eh oui, l’automne, la saison des feuilles qui tombent et qu’on ramasse, les champignons, les coups de fusil, les tressaillements de la forêt, au début de l’automne la mer, s’il y était encore, couchait sa panse d’écume et de gros bouillons sur la plage et les champs où roulaient d’énormes rochers, autres personnages que l’homme commençait à miner dès le lendemain de la tempête. Saisons. La nuit le réveillait toujours avant de s’en aller, nuit docile ou nuit blanche, l’aurore posait ses grosses fesses exactement à cet endroit, givre ou rosée, ou seulement poussière des premiers tombereaux, l’aubade consistait en un chant d’oiseaux si le temps était clair, en cas de grisaille les feuillages tremblants, les tourbillons de poussière, les craquements de ses propres os, et s’il pleuvait déjà, il s’en allait sous l’averse jusqu’à ce que ces aiguilles d’eau atteignissent sa peau. — Bien, dit-il au miroir à qui il n’avait pas encore parlé, te voilà changé depuis la dernière fois. Il se voyait dans les miroirs des églises, beaux cuivres polis jusqu’à l’indécence, ou dans le reflet des vitrines, où il gagnait en transparence. Le paletot lui donnait un air sinistre. Il le portait le plus souvent plié sur l’épaule ou roulé et en bandoulière. C’était crâne un peu. Il s’appuyait sur une seule jambe et cherchait la ligne de l’équilibre, épine traversant l’épaule comme les tringles d’une marionnette. Il pratiquait rarement le portrait, ou par jeu dans la convexité d’un bronze, par jeu aussi dans la flaque où les autres finissaient par mettre leurs pieds de propriétaires. Manquait le regard des femmes, surtout de celles qu’on pouvait prendre pour un homme, trompe-l’oeil véritable, ce désir n’était pas mort. À une époque où les femmes ne se baignaient plus dans les fontaines, il observait plutôt la nudité de l’homme jouant avec l’homme et ses gerbes d’écume. Il avait souvent planté son sexe dans ces lieux dérangés, devenus incohérents, presque impossibles. — Tu te souviens de tout, dit-il et il attendit la réponse de son propre regard. Les jambes de Cice jouaient sur le rebord de la fenêtre, autre miroir. — Tu sais ce qui t’est arrivé ? L’autre ne s’est pas laissé surprendre, causant ta solitude. Il était trop tard maintenant pour s’expliquer avec lui. Même avec une petite fille. — Tu ne sauras jamais ce qui te serait arrivé si tu avais crié. À quoi renonçais-tu quand tu préférais le silence ? Il s’approcha de la fenêtre dans l’intention de mettre fin à ce sautillement. Elle crierait, elle, pensant à un animal puis s’accroupissant pour le regarder. Il n’aurait provoqué que cette peur passagère, l’accroupissement, le beau visage sur les genoux, tu es encore là ? Elle le tutoyait maintenant. Il ne l’avait pas effrayée. Il avait prononcé son nom (si c’était le sien) et elle avait cessé de sautiller et elle s’était accroupie. — Qu’est-ce que tu attends ? Elle le surprenait en flagrant délit de solitude. — Tire la chevillette ! La fenêtre s’ouvrit au-dessus de lui. — J’attends mes chaussures, dit-il. Il attendait plutôt le paletot. Dans la pièce à côté, la stricte immobilité du mort. — Tu veux le voir ? Il avait vu les soldats crevés sur le bord de la route. Il le lui dit, puis il s’arrêta, sa conversation devenait incohérente, de quoi voulait-elle parler ? La porte s’ouvrit. Il fut presque surpris que ce fût elle. — Qui d’autre ? Elle n’attendait pas la réponse. Voilà son secret, se dit-il au fond de lui-même, accroupi sur cet envers de peau et d’os comme un nu de Blake. Puis il faillit perdre pied : le mort (il avait oublié le mot cadavre) portait les habits du vagabond rencontré ce matin, le voyageur qui expliquait sa présence dans cet hôpital, service des indigents dont le refend jouxtait la morgue d’un côté et la chapelle de l’autre. — C’était un autre visage, dit-il, il voulait dire que la mort avait changé un autre visage. Elle avait une explication, comme s’il avait posé une question. Il ne l’avait pas posée. — Veux-tu connaître l’envers de mon secret ? Elle ne posait pas non plus cette question. Elle ne l’aurait pas posé dans ces termes. Il faut supprimer toute connotation sexuelle. Il pensait : érotique, pensant : pornographique. Elle caressa la joue du mort. — Il pique déjà, dit-elle avec une moue, comment peux-tu... se dit-il, comment peux-tu ne pas être... dégoûtée ? Il ne dit rien. — De quoi parles-tu ? finit-elle par dire. Les vêtements avaient été seulement brossés et séchés. Ils sentaient la vase verte du canal. Le mort n’était pas chaussé. Ses mains étaient posées sur une croix de bois. Elle écrivait au pinceau la sentence : toi que rien ne peut souiller maintenant, ô Vierge ! Maintenant que quoi ? Ce qu’on sait déjà. Elle touchait au mort comme on arrange les couverts sur une table. — Viens voir la caisse ! Ils sortirent. De vieux cercueils pourrissaient sous la charmille. Il demeura sur le seuil à cause de ses pieds nus, non pas qu’il craignît de les salir, ils en avaient vu d’autres, il espérait plutôt ne pas avoir à franchir cette distance de graviers noirs et d’herbes folles. Elle lui montra le mécanisme de la caisse qui s’ouvrait par un bout. On basculait le tombeau et c’était le mort lui-même qui ouvrait cette espèce de chatière. Elle ferma les yeux comme si le nuage de chaux l’éclaboussait. — Personne n’est encore mort, dit-elle mystérieusement, et personne n’est encore ressuscité ! Elle tremblait. Dans la vigne vierge qui tombait du linteau, des abeilles s’immobilisaient. Elle s’approcha de lui et lui dit sans rire : — Je ne serais pas croqueuse de morts. De qui parlait-elle ? Elle l’obligea à descendre jusqu’à la contremarche. — Tu as des souvenirs ? demanda-t-elle. Elle avait déjà imaginé l’homme amnésique. Quel plaisir de lui inventer un passé ! Il avait ses orteils au bord du vide où elle régnait. Il les regarda en pensant à autre chose. Il pouvait la suivre en empruntant les plates-bandes. Qui dénoncerait cette infraction ? Derrière le mur, les cercueils étaient encore plus vieux. Comment expliquait-elle leur présence ? — Moi ? fit-elle en se tenant le sein, moi, expliquer ? Il posa un pied dans la terre fraîche encore de la rosée matinale. L’endroit n’avait jamais été ensoleillé. On entretenait cette ombre, l’humidité, le courant d’air frisquet, l’envie de se retourner à chaque pas, qu’on se dirigeât dans un sens ou dans l’autre, sale petite envie de ne pas mourir bête, oh ! ce n’est pas cela ! dit-elle en riant. Comment expliquait-elle ce désir que nul autre lieu ne pouvait inspirer ? Il trottinait dans les mottes noires des rosiers. Il était presque surpris d’y rencontrer des soupiraux. Il ne se souvenait pas d’avoir monté un escalier, ni même d’en avoir descendu un autre, à l’autre bout de ce monde presque souterrain. Il reconnut la cour, le porche et au fond la porte cochère par où il était entré avec le sergent. Il aurait pu s’en aller maintenant, même pieds nus, même sans le paletot auquel il tenait tant. Aurait-il été loin, même en l’absence de cri de la part de cette enfant qu’on avait chargée de le surveiller ? Qu’est-ce qui la trahissait ? Elle lui interdisait d’entrer dans la cour. Le Hanneton passa. — J’vous ai trouvé des godasses ! dit-il en s’approchant. Bien sûr il ne pouvait pas les mettre parce que ses pieds étaient sales de nouveau. On trottina ensemble dans le sens inverse, lui le long des rosiers, foulant la terre molle de sa tentative d’évasion, elle chevauchant le Hanneton, les chaussures tenues par le lacet tournoyaient dans l’air moite. Ensuite elle se jucha sur la margelle de la fontaine. Le Hanneton pompait en ânonnant. L’eau coulait sur les pieds. La terre disparaissait dans la grille. Les chaussures rutilaient en plein soleil. Il n’y manquait pas un clou, assurait le Hanneton. Puis son visage se contracta, exactement comme si le levier lui résistait maintenant. Il était arrivé quelque chose au paletot. Antoine pâlit. — Soeur Paule vous remettra ce qu’il contenait, précisa le Hanneton. Cice se pencha amoureusement sur cette colère rentrée. Elle s’appuyait sur l’épaule encore robuste du vieillard. — Et où le mettra-t-il ? demanda-t-elle. Le Hanneton s’attendait à la question. — Dans un autre paletot, dit-il parce que c’était la réponse. Cice fit son air de petite morveuse. — Nous n’avons pas de paletots, dit-elle. Le Hanneton curait les ongles avec une écharde. — L’autre, dit-il. Antoine ne réagit pas. La voix de Cice coula dans son oreille, l’autre pied, dit-elle. Oui, l’autre. Le Hanneton rinça l’écharde sous le jet. — Il ne manquera rien, dit-il. Cice sauta au pied du bassin. — Ne te trompe pas de pied, disait le Hanneton. Cice avait hésité. Elle compara les deux godasses. L’orteil avait-il formé le cuir ? Quelques gouttes d’eau se collèrent à cette surface briquée. — J’ai compris, dit-elle et elle choisit la bonne chaussure. Ça fera un drôle d’effet, ces godasses et la culotte, dit-elle en grimaçant. Le Hanneton grimaça aussi. — Ce qui va bien avec la culotte, c’est des chaussons biens fourrés ! dit-il sans rire. Le rire de Cice explosa. Il y avait sans doute un bon moment qu’il menaçait sa douceur mélancolique. Elle montrait le fond de sa gorge et pleurait. Le pied d’Antoine entra dans la chaussure. — J’avais des bas en entrant, dit-il. — Et vous avez des hauts en sortant, dit bêtement le Hanneton, sans doute inspiré par le rire de Cice. — Des hauts-quoi ? demanda-t-elle. Elle était accroupie aux pieds d’Antoine et enfilait lentement le lacet. — Des hauts-quoi-quoi ! fit le Hanneton. Il était définitivement bête. Maintenant il riait plus fort que Cice. Ils n’entendirent pas les sandales de soeur Paule qui trottinait dans le couloir en claquant des mains pour qu’on se tût en présence des morts. Cice fit mine de sécher le second pied d’Antoine (l’autre) dans ses cheveux. — Scène biblique, dit le Hanneton qui maintenant avait le hoquet. Il avait dit : bi-bli-blique. Cice cessa de rire. Ses cheveux avaient effleuré le pied mouillé d’Antoine. Il fallait dire : évangélique. — Pour-pourquoi ? dit le Hanneton. Pour-pour-quoi évan-gé-gé-gélique ? La robe de Cice avait glissé sur ses genoux. — Tu devrais mourir à la place des autres, dit-elle méchamment. Le Hanneton était superstitieux. — Pour ce qui est d’une paire de bas, dit-il, on verra ce qu’on peut faire. Il ne riait plus. — Et pour les hauts ? C’était la voix de soeur Paule. Le Hanneton s’embrasa. Elle avait ce pouvoir sur lui. Cice se releva et la robe retomba sur ses chevilles. Soeur Paule aussi avait eu ce genre de désir dans sa jeunesse. Elle en parlait souvent, empruntant à sainte Brigitte la voix claire et tonitruante et à saint Paul son nom de voleur repenti. Elle en parlait même devant des hommes ahuris qui lui promettaient de ne pas recommencer. Cice se réfugia dans son giron. En même temps elle entra en contact avec un paletot qui sentait la lavande. Les boutons brillaient dans la pâle lumière. — Ce n’est pas mon paletot, dit Antoine qui avait posé son pied sur la margelle afin que le Hanneton pût en lacer la chaussure. Le Hanneton se plaignait souvent du dos. Il allait ouvrir la bouche quand précisément Antoine évoqua le paletot. — Je sais bien que ce n’est pas le vôtre, dit la soeur, vous gagnez au change. Elle montra les boutons. — J’ai mis vos petites affaires dans les poches. Elle avait donc vu le boyau. — Un peu au hasard, ajouta-t-elle, car ce n’était pas elle qui avait vidé les poches de l’autre paletot. L’autre, c’était celui auquel Antoine tenait pour des raisons qu’il s’obstinait à ne pas évoquer. — Il faudra lui trouver des bas, dit le Hanneton en regardant furieusement Cice qui remuait ses lèvres sans prononcer le mot hauts. — Il ne m’ira peut-être pas, dit Antoine en s’approchant. La soeur déploya le paletot. — Voyons, dit-elle, est-il trop grand ou trop petit ? Car vous n’êtes ni l’un ni l’autre. Cice ouvrit le paletot que la soeur tenait par le col. Antoine entra dedans. Il glissa mollement sur la doublure. Les épaules retombèrent exactement sur les siennes. Cice enfila un premier bouton, après avoir tiré la langue pour ne pas se tromper de boutonnière. La taille s’ajustait parfaitement. Antoine aimait le col. Il chercha l’écharpe dans la poche de droite. Elle n’y était plus. Dans la poche de gauche. Non plus. Rien à l’intérieur où il n’y avait qu’une seule poche. Il se plaignit. — Vous reviendrez avant l’hiver, nous aurons fait provision de cache-nez, dit ironiquement la soeur. Il avait trouvé le pli, puis tous les autres objets un à un. — Tout y est sauf le cache-nez, dit la soeur. — On l’a pas volé, précise le Hanneton. On ne lui avait rien demandé. — Vous êtes content ? dit la religieuse. C’est toujours la question qu’on pose au pauvre qu’on vient de combler. On ne lui demande pas s’il est heureux. Il est content. — À part les bas, dit Antoine. La religieuse tapa dans ses mains. — Oh ! Oh ! fit-elle, notre Antoine est heureux ! Comment le savait-elle ? On retourna tous les quatre dans la morgue. Antoine accusa sans broncher le coup porté par les pieds du mort qui n’étaient plus nus mais chaussés de ses anciennes godasses qu’on n’avait même pas nettoyées. — Une paire de bas et peut-être une écharpe, disait le Hanneton en comptant sur ses doigts. Cice sautillait devant eux, à reculons, peut-être pour vérifier l’effet de ses seins sur l’esprit des autres. Soeur Paule enfermait les siens dans un bandage atrocement serré. Elle enfilait l’anneau à un crochet vissé dans le mur de sa cellule et appliquait l’autre bout sous les aisselles et ensuite elle tournait sur elle-même. Quand elle arrivait près du mur, elle décrochait l’anneau, l’ouvrait et en traversait la toile grossière de la bande. Ainsi, sa poitrine avait presque complètement disparu et les épaules trahissaient une respiration obstinée. La bouche demeurait entrouverte et on voyait la langue pointue qui explorait la face cachée des dents, petite manie qui expliquait le zézaiement qui parfois atteignait les esses. Un ictère voyageait sous les roses de sa peau. Elle pinçait les lèvres pour les blanchir et clignait rarement de l’oeil, d’où l’humidité bleue de la paupière inférieure. Les ailes du nez rougissaient sous les frottements de l’index et du pouce. Elle reniflait souvent et se mouchait dans les parterres avec une précision qui arrachait des bravos au Hanneton quand il la surprenait dans l’exercice de cette toilette, mais c’était tout ce qu’il savait d’elle. Dans la baignoire, il trouvait rarement des poils et plus souvent des cheveux. Et puis il n’était jamais monté au grenier où l’on étendait les linges. Les lucarnes étaient grillagées à cause des pigeons. Elles étaient deux pour porter la corbeille, laquelle était recouverte d’un drap blanc. Il les écoutait parler, assis dans l’escalier dont il n’avait jamais franchi la marche du milieu. Cice les rejoignait quelquefois. Ensuite elle redescendait avant elles et s’asseyait près du Hanneton. Il était songeur et prodigieusement silencieux. Comment expliquait-il sa présence ? Pourquoi poser cette question au silence ? Quel songe voulait-elle mettre à jour en la posant ? De quel sommeil le réveillait-elle ? Cice se regardait dans les miroirs et dans toute surface dont le reflet était fidèle à ce qu’elle savait de sa beauté. Le Hanneton n’avait jamais prononcé le mot beauté. Il hésitait sur le mot grâce. Le mot charme était difficilement opportun et il était encore moins aisé de parler de séduction. Il pensait au mot tranquillité sans se faire d’illusions sur ce qu’on penserait de lui s’il le proposait à la femme. Cice s’examinait, toujours surprise par les autres, n’ayant pas été au bout de son expérience d’elle-même. Le Hanneton pourtant ne l’avait jamais dérangée et il n’avait même jamais pris le temps de cette seconde d’admiration par lequel recommence, il le savait par le fait d’une autre expérience de soi, le désir, mot que Cice elle-même ne connaissait pas ou qu’en tout cas elle eût eu beaucoup de mal à substituer aux explications de sa tante. Oui, elle appelait soeur Paule Tatan et non point ma mère ni ma soeur, le Hanneton ne sachant jamais bien qui était la mère et qui la soeur. — Si tu savais ! avait dit Cice au Hanneton, comme s’il était censé ne pas savoir, après tout elle ne l’avait jamais vu avec une femme. Dans le cabinet où soeur Paule recevait les veuves et les orphelins pour fixer la dette des pompes funèbres, Cice entra un jour pour entendre la leçon que Tatan prodiguait aux jeunes filles de son âge. Le Hanneton balayait la terrasse pendant ce temps. Il écoutait, luttant contre le désir insensé d’assister enfin à l’effondrement de Cice qui paraissait promise à l’enfance, comme en témoignaient ses jeux stupides. Cice lui épargna cette larme. Quand elle entra sur la terrasse pour lui transmettre un ordre de la part de sa tante, il eut cet autre désir de l’empêcher de parler d’autre chose. Les oiseaux grattaient le terreau des jardinières et le répandaient sur le dallage toujours humide, et donc, si l’on pouvait sortir du cabinet par la terrasse et ensuite emprunter le petit escalier bordé d’hortensias, à cause du risque d’emporter un peu de ce terreau à la semelle de ses souliers on n’entrait pas dans le cabinet par la terrasse, Cice le savait à ses dépens, mais elle n’était qu’une enfant quand c’était arrivé malgré les cris du Hanneton qui, venant de l’allée principale, avait levé son balai pour effrayer les oiseaux. — Je me souviens, dit Cice. Antoine ramassa le clou qu’elle avait perdu. La soeur dit quelque chose au sujet des chaussures. Cice rougit. Elle marchait tranquillement maintenant, se retournant de temps en temps pour sourire en voyant le pauvre Antoine qu’on soutenait sous les bras parce que les souliers blessaient ses pieds nus. Il souriait lui aussi, parce qu’il avait été le père d’une fille de cet âge et qu’il l’avait tuée de ses propres mains. — Ainsi vous faites un héritage, dit soeur Paule. Vous êtes bien pauvre en attendant. Le Hanneton, de l’autre côté d’Antoine, dit en écho : Et peut-être malade ? Cice s’immobilisa sur la marelle imaginaire comme si sa pierre venait de "mordre" l’Enfer. — Vous vous souviendrez de nous quand ce sera fait, dit la soeur. Pas facile de marcher dans des souliers dont les clous ont traversé la semelle. On s’arrêta pour constater que le mal était fait. La plante des pieds rougeoyait. Le Hanneton passa prudemment sa main à l’intérieur du brodequin. Cice attendait. Sur le dallage, les pieds nus d’Antoine frémissaient. Elle connaissait les mots suivants : marteau à battre, marteau à clouer, pince emporte-pièce, embauchoir, mailloche, crochet à déformer, roulette marque-point, râpe d’intérieur, tranchet, coupe-lacet, alènes, ébourroirs, bésigue à mailloche, chien à monter, corne à chaussure, tendeur, conformateur. Qu’est-ce qu’il connaissait, lui, du métier de son père ? Il réfléchit, puis, mentant : embrèvement, mi-bois, queue d’aronde, tenon chevillé, double tenon, enture à plat-joint, enture en fausse coupe et à épaulement, enture à paume, oblique à épaulement (simple ou double encoche), tenon et mortaise avec embrèvement, enfourchement. — Charpentier, dit-elle, ce qui laissa rêveur le Hanneton. — Charpentier ? dit la soeur. Elle aussi regardait dans le soulier, mais sans y mettre la main. — C’est donc ce qu’on vous laisse ? Et où avez-vous donc passé tout ce temps ? — Même avec les bas, dit le Hanneton, il ne pourra pas aller loin avec ces croquenots. — Vous allez loin, dit Cice. Paris. — Mon père était charpentier. Donnez-moi les noms de toutes les pièces qui composent un pan de bois. — Ce n’est plus une conversation, dit la soeur. — Moi je parlais des clous, dit le Hanneton. Mon père était jardinier : louchet, bêche nantaise, pelleversoire, bécat, rayonneur, racloir, binette, croc, hoyau, étrèpe, serfouette... — Tu es trop bête ! s’écria Cice. Il n’y a plus rien à deviner ! — Mon père ? fit la soeur comme si on le lui avait demandé. Elle se souvenait du coupe-foin qui était accroché derrière la porte. — C’est trop facile, dit Cice. — Herminette ! dit soudain Antoine. Il avait tué sa fille avec une herminette. Il ne savait pas que c’était une herminette mais il avait vu le charpentier s’en servir. — On dirait un nom de fille, dit Cice. — Ou de chatte, murmura soeur Paule en rougissant. À cause de la fourrure. Pourquoi n’avait-elle pas demandé simplement pourquoi il n’était pas charpentier lui-même ? — Oui, pourquoi ? dit Cice. Et pourquoi Cice, à son tour, usait-elle de l’anacoluthe ? Le Hanneton eut une idée. — Dites-nous ce que c’est ? fit vainement la soeur pendant que le Hanneton trottinait dans la direction opposée. Ça y était ! Antoine eut enfin l’impression d’être entraîné par le fil d’une démonstration. Une goutte de sueur descendit sur sa joue. On s’était arrêté pour attendre le Hanneton qui avait dit qu’il ne tarderait pas. Récit ou parabole. Antoine hésitait encore. Depuis ce matin, il avait plutôt eu l’impression d’une attente, d’une série d’empêchements, il n’avait pas lutté contre cette cohérence et maintenant, à la faveur d’un commencement d’intimité avec ces trois personnages que pour une fois il n’inventait pas, il se sentait solidaire d’une coulée de sens qui voulait en finir avec son existence de guignard. Une deuxième goutte de sueur attira l’attention de Cice. C’était à cause des pieds nus sur les dalles froides du corridor. Elle étendit son mouchoir. — Bonne idée, dit soeur Paule. Les doigts de Cice s’agitaient sur les chevilles comme deux araignées. Il pensa au matin qui commençait à peine. — Ne comprenez-vous donc pas ! s’étonna la soeur. La chevelure s’était ouverte sur la nuque de Cice. — Montez donc sur le mouchoir ! Il pensa aux vêtements de son ami qu’il venait visiter ce matin. Avait-il bien précisé que ce n’était pas son ami ? Il y avait la question du paletot. Le Hanneton revenait avec un morceau de tapis. Cice retira prestement son mouchoir. — Montez sur le tapis, monsieur Antoine. Il monta. La craie du Hanneton fit soigneusement le tour de ses pieds. Il avait amené d’énormes ciseaux que Cice craignait comme s’il allait mettre à exécution les menaces de lui couper ses cheveux de fée. Il se mit à découper le tapis, suivant précisément l’empreinte double et symétrique. Soeur Paule assistait à l’opération en habituée des coups de génie du Hanneton, mais elle avait des doutes. Quand le Hanneton eut terminé, elle se baissa pour ramasser le tapis percé de deux trous exacts. Il y avait encore la place de deux autres pieds de cette taille, confirma le Hanneton. — Maintenant ! dit-il. Antoine se laissa chausser par les araignées de Cice. — Même sans bas ! dit-il. Il ébaucha un sautillement. Les rivets le gênaient un peu. — Avec les bas, dit la soeur. Oui, avec les bas. Ils entrèrent dans une salle longue et étroite qui se terminait par une fenêtre haute et large occupant presque tout le pan de mur. Elle était ouverte et on distinguait à peine le grillage. Une lumière jaune tombait sur les arbres bleus. Était-ce la fin de ce voyage insensé ? Antoine chercha de l’ombre pour accoutumer ses yeux. Les lits s’alignaient d’un côté. Une religieuse poussait lentement une structure de tubes et de rideaux. Peut-être y avait-il un lit à l’intérieur et un cadavre de la nuit dans le lit ? — Non, non, ce n’est rien ! fit soeur Paule qui le voyait tourner de l’oeil. Un paon apparut à la fenêtre, blanc comme un fantôme, l’oeil noir, et ne bougea plus. Qu’attendait-il ? On passa devant les lits. Personne ne dormait. Un seul était couché sur le côté. Une petite fille jouait avec une poupée nue qu’elle habillait avec un coin du drap. Le vieillard d’à côté proposait une goutte de son sang pour le rouge des lèvres, mais ce n’était peut-être pas un vieillard. Ils parlaient à voix basse. S’agissait-il de ne pas réveiller celui qui dormait ? Sa tête reposait sur son avant-bras replié. La peau de son cou était rouge d’avoir été frottée. Il tirait une langue noire. C’était peut-être lui que le paon regardait avec tant d’insistance. Il tremblait. Quelle sorte de fièvre avait-il choppée dans l’eau du canal ? Antoine ne pouvait même pas l’appeler, comme le conseillait la religieuse. Elle s’était interposée entre le paon et le malade. — Malade de quoi ? demandait Antoine. La religieuse s’empressa de préciser que ce n’était pas une maladie contagieuse. Le corps du malade avait cessé de trembler pendant cette seconde. La petite fille aussi était tombée dans l’eau. Elle y était restée longtemps parce que c’était l’eau d’un puits et que le puisatier était en vacances au bord de la mer. Un pompier l’avait finalement sauvée de la noyade. Elle n’aurait pas aimé devenir la marionnette de l’eau. Un jour une de ces marionnettes avait échoué sur la berge. Le visage avait été effacé. Elle l’avait contemplé pendant que son père, qui avait attaché une corde au pied du pantin, tirait dessus en ânonnant. Le pompier aussi avait attaché une corde à ses poignets. Il écartait ses longues jambes dans la diagonale du puits. Elle avait glissé contre lui, rapidement et elle avait senti ses mains sur ses jambes pendant qu’il lui recommandait de ne pas les agiter pour faciliter l’ascension. On l’avait accueillie avec des cris de joie, puis on s’était penché sur la margelle du puits pour regarder le pompier qui gravissait lentement la muraille. Ensuite on lui tendit les mains et on le hissa. Elle aussi avait tendu ses petites mains meurtries par la corde. — Bon Dieu ! dit-il, une couverture ! Et du feu dans la cheminée ! Il la souleva et il se mit à courir vers la maison. Ensuite elle ne se souvenait plus de rien. — N’est-ce pas que c’était un pompier ? dit-elle à soeur Paule qui ne connaissait pas de pompiers. Le pompier était mort au fond du puits. Il avait fallu attendre le retour du puisatier qui retrouva le corps dans un boyau. Ce n’était pas une marionnette. Il s’était acharné plus d’une heure pour rompre les angles de cette statue qui représentait l’homme surpris en plein combat contre la mort. On avait fini de déplier le cadavre dans le gazon environnant le puits. Les mains glissaient sur la chair. On referma la mâchoire avec un tourniquet dont la torsade était hérissée de cheveux. Le préfet avait prononcé un mot qu’il répèterait peut-être à l’enterrement si son hagiographe n’y voyait pas d’inconvénient. Puis le calme était revenu au bord de la rivière, autour du puits qu’on avait mis en quarantaine et dans la maison où l’on attendait le retour de celle qui n’avait pas tenu sa promesse de ne jamais s’approcher du puits. Ce n’était pas le moment de lui raconter cette histoire, mais elle n’échapperait pas à cette espèce de châtiment. En attendant elle rêvait doucement. — N’est-ce pas quelle est mignonne ? dit Cice en déshabillant la poupée. — Je ne sais pas si c’est lui, dit Antoine. Soeur Paule l’invitait à se pencher encore. Il ne risquait rien, l’autre dormait. Elle montra le flacon de laudanum puis le remit rapidement dans sa manche. Il avait eu une crise, sans violence, mais avec des mots que la décence interdisait de reproduire. Que se passerait-il à son réveil ? — Voulez-vous attendre ? dit-elle. Elle avait prévu la chaise et les coussins. — Vous ne pourrez pas fumer. Avait-elle mesuré cette attente ? Antoine se laissa conduire jusqu’à la chaise. — Si vous ne voulez pas me tourner le dos, dit la petite fille, vous pouvez. La chaise pivota sous les fesses d’Antoine. La main de Cice l’avait retenu. — Asseyez-vous maintenant ! Le paon sembla bouger. En tout cas la lumière s’était déplacée et les verts commençaient à apparaître. — Si vous devez passer la nuit ici, on vous installera. La main de soeur Paule montrait l’autre mur. Il y avait des gens assis dans des fauteuils, muets et immobiles. Il ne les avait pas vus en entrant. — Je ne sais pas, dit-il. La poupée aussi le regardait. — Je sais pourquoi, dit soeur Paule qui avait pris le temps de réfléchir à la question de savoir pourquoi Antoine ne reconnaissait pas son ami. Vous ne lui avez jamais connu ce visage tranquille. Comment ne pas être convaincu par cette précision ? — J’ai rendez-vous demain à Paris, dit-il. — Je sais ! Je sais ! dit soeur Paule. Votre héritage. Elle tentait de lui communiquer cette tranquillité. Ne lui avait-elle pas montré le flacon de laudanum pour lui confirmer qu’elle le tenait à sa disposition si le besoin se faisait sentir ? Il frémissait. Cice surveillait ces gouttes de sueur. — C’est loin Paris ? demanda-t-elle. Elle voyait les péniches presque tous les jours. Elles allaient à Paris ou en revenaient. Antoine regardait le visage endormi de celui qui deviendrait peut-être un ami. Combien de temps le supporterait-il ? — J’aurais pu être à Paris cet après-midi, dit-il pour répondre à la question de Cice. Soeur Paule pivota sur ses talons. — Et vous auriez dormi où ? dit-elle en s’en allant. Elle entraîna le Hanneton dans son sillage. Les familiers qui attendaient le long de l’autre mur s’inclinaient à son passage. — Et mon paletot ? dit Antoine d’une voix mal assurée. Soeur Paule ne se retourna pas. — Laissez-moi le temps, dit-elle et le Hanneton referma la porte derrière eux. Le bec du paon cognait le montant des fenêtres ouvertes. On aurait dit qu’il voulait entrer et personne ne disait rien, comme si on s’empêchait de l’encourager et qu’on souhaitait qu’il entrât enfin. Cice claqua des mains pour rompre le charme. Le paon recula. Les têtes des familiers se tournèrent vers le lit qui les concernait. Il y eut des échanges de sourires. Cice souriait à Antoine. Elle était assise sur une chaise à fond de paille, presque au milieu de l’allée. Antoine s’enfonçait dans les coussins. Il était assis sur une chaise à roulettes. Il sentait le savon. Au fur et à mesure que ses cheveux séchaient, ils formaient des boucles rouges aux reflets jaunes. La peau de son visage avait un peu rougi sous l’effet du frottement. La sueur envenimait ces simples irritations. Il trouva un mouchoir dans sa poche. La bouche de Cice n’arrivait plus à sourire. — Je ne le connais pas, dit Antoine. On l’écoutait. Il raconta à peu près tout ce qui vient d’être écrit. Combien de temps cela lui prit-il ? Personne ne l’interrompit. Cice pleurait doucement. Elle leva la tête une fois pour lui dire : — C’est toi qui ne sais pas qui tu es. Elle le croyait fermement maintenant. Comme il avait fini son histoire, il se risqua un peu dans le futur que lui promettait la lettre du notaire. Quelqu’un connaissait-il Paris ? Lui n’y avait jamais été, dit-il en montrant son compagnon endormi. Comment le savait-il ? — Il y a combien de temps que vous vivez ensemble ? demanda quelqu’un. Ce ne pouvait être Cice. Il les dévisagea. Ils n’avaient pas d’ombre. Ils portaient tous une veste de laine et des chaussons et tenaient leurs mains à l’abri dans de petits paniers d’osier d’où dépassaient des torchons propres à carreaux rouges et blancs. Cice exigeait une réponse. Ne préférait-elle pas qu’il lui parlât du Paris d’hier et de demain ? — Et aujourd’hui ? demanda quelqu’un. Ce n’était pas la voix de Cice et ils semblaient tellement incapables de s’exprimer tous à la fois dans la bouche d’un seul. Il se passa quelque chose d’étrange. On amena une autre chaise roulante avec des coussins dedans. Machinalement, Antoine jeta un oeil sur le mourant mais celui-ci était assis dans son lit, intéressé lui aussi par l’arrivée de la chaise roulante. Ce fut le temps nécessaire au voisin de lit qui couchait dans le dos d’Antoine pour se retrouver assis dans les coussins de la chaise roulante. Il s’en allait. Où ? Il n’en avait aucune idée. Ils lui avaient promis de ne pas l’opérer. Il retournait peut-être chez lui. Il avait

 

Un commentaire, une critique...?
modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides. Servez-vous de la barre d'outils ci-dessous pour la mise en forme.

Ajouter un document

 

www.patrickcintas.fr

Nouveau - La Trilogie de l'Oge - in progress >>

 

Retour à la RALM Revue d'Art et de Littérature, Musique - Espaces d'auteurs [Contact e-mail]
2004/2024 Revue d'art et de littérature, musique

publiée par Patrick Cintas - pcintas@ral-m.com - 06 62 37 88 76

Copyrights: - Le site: © Patrick CINTAS (webmaster). - Textes, images, musiques: © Les auteurs

 

- Dépôt légal: ISSN 2274-0457 -

- Hébergement: infomaniak.ch -