Si la théorie musicale distingue depuis longtemps un axe vertical qui est celui de l’harmonie et un axe horizontal qui est celui de la mélodie, le sérialisme a exploré une troisième dimension, dite diagonale, et a tenté de lui rendre une existence autonome.

La « dimension diagonale » est évoquée brièvement par Pierre Boulez dans Penser la musique aujourd’hui :

Il me reste à placer maintenant ces valeurs les unes par rapport aux autres, en des termes différents, à écrire une répartition à l’intérieur du champ de durée défini par la plus longue valeur ; lorsque j’aurai procédé à cette opération, j’aurai constitué ainsi un bloc de durées et introduit une dimension diagonale qui ne peut davantage se confondre avec la verticale qu’avec l’horizontale. Trois types de répartition sont possibles : symétrique, symétrique combiné, asymétrique. La répartition symétrique est régulière si elle a lieu par rapport à un axe central.

P. Boulez, PMA, p.59

Si ces lignes peuvent sembler sibyllines, le résultat auditif est parfaitement sensible.

L’expérience la plus stupéfiante qu’on peut faire de cette dimension diagonale se situe, chez Pierre Boulez, entre le Livre pour quatuor et la Deuxième sonate. Les motifs mélodiques s’y étirent dans le temps de façon surprenante. Le même motif charpente une région entière et irrigue de petites cellules a l’intérieur de cet espace temporel, aboutissant à un résultat vertigineux. Ce que vous voyez devant vous est aussi ce qui vous entoure. Et toute réalité s’étire comme un accord qui est égrené en arpège tout en étant asséné d’un bloc (une autre des facéties privilégiées de Pierre Boulez qui a dû être fasciné par le chewing-gum dans sa jeunesse).