Le chemin montait vers le temple. Un homme multicolore interdisait l’accès. Il était en armes. Des armes désuètes. Je souris. Mon nom ne lui disait rien. Il fallait attendre. Il nous montra les rochers en haut du talus.
- Vous pouvez vous asseoir, dit-il. La nuit tombait mais le soleil illuminait encore cet endroit qu’aucun arbre ne protégeait tandis qu’une végétation anarchique décorait l’autre côté du chemin, qui pouvait être une pente ou un précipice.
- Vous connaissez l’endroit ? demanda ce gardien.
Je fis non de la tête.
- C’est un bel endroit, dit-il.
Il secoua son aigrette en éternuant.
- Vous reviendrez souvent, dit-il, tout le monde revient, personne ne peut oublier.
Je dis que je le croyais.
- Ce n’est pas moi qu’il faut croire, dit-il, vous comprendrez quand vous serez à l’intérieur, on ne peut pas en parler, même après dix visites, c’est grandiose. On se sent meilleur aussi, plus proche de ce qu’on devient, exactement ce que tout le monde devient, on n’a pas le droit d’appeler cela la mort.
Il frémit en prononçant ce mot. Il me montra le dessin sur son tablier.
- Je suis initié, dit-il, ce n’est rien, il ne faut pas croire ce qu’on vous a raconté.
- On ne m’a rien raconté, dis-je, rien en tout cas à propos de l’initiation, je suis venu en simple visiteur.
Il me regarda comme s’il me connaissait depuis toujours.
- L’initiation ne vous dit rien, hein ? finit-il par dire.
Je ne savais rien de l’initiation. On m’en avait parlé mais elle ne me concernait pas. Il commença à forer la terre entre ses pieds, avec la lance dont le fer brillait par éclats bleus.
- Oui, dit-il, il n’y a pas beaucoup de candidats à l’initiation.
Il me jeta un regard peut-être aimable.
- C’est sans doute à cause de ce qu’on raconte.
- Je n’en savais rien et je le dis.
- Vous savez exactement de quoi je veux parler.
Il était agacé par ma politesse. Il ne le disait pas. Sa révolte ne pouvait pas m’atteindre. Il ajouta cependant :
- Quelqu’un vous en a parlé, non ?
Je dis que non, personne. Je mentais.
- Vous ne savez rien mais vous avez une recommandation.
J’avais perdu la recommandation. Mon nom ne lui disait rien, mais il avait une mauvaise mémoire. On lui avait sans doute demandé de retenir mon nom. Il s’excusait maintenant. Il me croyait sincère. Il le dit.
- Dans ce cas, laissez-moi passer, dis-je.
Il y avait de l’ironie dans ma voix.
- J’ai bien peur que non, dit-il, mais vous n’attendrez pas longtemps, il arrive avec la nuit, il vous reconnaîtra et j’en serai quitte pour payer mon amnésie.
Où avait-il appris ce mot ? La question était hors de propos. Mais je détournais la conversation vers ce sujet. Il s’en étonna au bout d’un moment. Mais il était trop tard. Je savais tout de lui et il ne savait plus qui je pouvais être.