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Article publié le 7 juin 2017. oOo
Lisant le livre de Jacques Brou, ni prose ni vers, cette longue citation de la vieille Encyclopédie anarchiste m’est revenue en mémoire, comme il m’arrive en fait chaque fois que je lis une nouveauté et que par conséquent la question se pose de savoir si son auteur est un écrivain ou une merde héritée du brouillard culturel dans lequel on s’acharne tous les jours à entretenir nos esprits fatigués. Évidemment, on s’empresse en général, par un court communiqué de Presse, d’embobiner cette fatigue chronique par une profession de foi censée me mettre sur les rails de la positivité chère au commerce du livre. Cependant, avec Tituli, maison parisienne avec pignon sur rue (ou le contraire), les coquilles sont toujours pleines. Voici :
Tout y est. On y est. Tout un programme. Et c’est justement là qu’en général le bât blesse : rarement on annonce la couleur. Et toujours on finit par se perdre en chemin... Putain ! Annoncez la couleur au lieu de me pousser dans le vide comme le fit Dédale à Perdrix ! Cette couleur, j’en avais donné les nuances et les saisons en m’entretenant avec Mathias Richard du mutantisme et même plus. Ses formidables manifestes (publiés chez Caméras animales) nous invitent à sortir de la routine des séries et autres babioles du divertissement littéraire pour revenir par le même chemin aux fondamentaux de la réalité. C’est tout le talent de Jacques Brou de ne jamais nous en sortir. On a le nez dedans à chaque page. Et ainsi jusqu’à la dernière. Pas d’intrigue, mais des réseaux infinis d’anecdotes, de vues, de sagesse même. Images et sentences s’agglomèrent pour former ce que personnellement j’appelle un roman. Un tout. Un livre de poche. On a vite fait d’en corner chaque page. Épingles des paperoles personnelles ; on n’en finirait pas. D’autres y verront de la poésie, « langage des langages ». J’en connais un chez qui ce texte provoquerait des envies de mise en scène. De voix polysémiques. D’espace sonore d’un genre nouveau. Il y a d’ailleurs du Stein là-dedans : a rose is a rose is a rose… Ça sent le larsen des distances à entretenir avec l’existence vue sous l’angle du suicide. L’aphorisme, débarrassé de ses apostrophes, voire de sa conjugaison, sonne comme une initiation au bien être (machine dans l’interprétation mutantiste, par exemple). Mais n’allez pas penser que ce roman est du genre vidoir ou shaker, genre poubelle ou tombeau des mauvaises habitudes du passé. Dès l’incipit, on prend le fil entre les dents et on se laisse aller au voyage. Il y a aussi de l’idéogramme, d’image en mélopée et de rupture en idée. Ça finit même par tourner en rond, mais uniquement parce que la boucle est bouclée. Finnegan soulève sa paupière d’aube. Comme d’autres, on a touché ici aux instances du texte. Mais cette fois en profondeur : temps, personnages, lieux, écriture… Rhéologie appliquée à l’écriture. Un champ infini entre la vie et la mort. Aux sources mêmes de ce qu’il faut appeler inspiration. Jacques Brou semble inépuisable de ce côté-là. Heuristique chasseresse. Pas un interstice où insérer un inquisitoire. À intervalle régulier (de temps, de page ?) j’ai mesuré l’énergie de cette surface, mais sans trop bien savoir qui j’étais, ni ce que je possédais ni surtout ce que les autres pensent de moi. La philosophie ratiboise l’existence pour le plaisir d’exister. C’est bien. Et c’est fort. Je n’ai pas encore totalement (si c’est possible) digéré cette nouvelle littérature. Les temps modernes nous ont habitués plutôt aux jeux que le hasard et autres rencontres peuvent interposer entre le désir d’écrire et l’écran des fumées. Depuis des décennies, on joue et même on s’amuse. L’auteur se prend au jeu et le lecteur à ses rôles. Pourtant, ici, et maintenant, il me semble qu’il n’est plus question de tâter le terrain des possibilités. On revient peut-être à ces « titillations de l’intelligence » qui ont aussi marqué les territoires de nos voyages. Quelque chose, je le disais plus haut, de théâtral. Ouais, « l’art sert à quelque chose… » C’est en lisant des auteurs tels que Mathias Richard ou Jacques Brou que je reviens dans la grotte des Tarahumaras, sortant toujours de la caverne de Montesinos qui m’a vu naître. Je me sens bien en compagnie de ces nouveaux livres. La preuve : je les récris, comme Ménard.
Jacques Brou sera au Marché de la poésie Stand Tituli (525) avec Jacques Brou, Gérard Bocholier, Fabrizio Bazec, Géraldine Geay, Christophe Hardy et Jean-Michel Mathieu. Patrick Cintas |
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