Quelle drôle de réponse ! disait-elle
mais elle ne disait rien
c’est une femme qui ne parle pas
ce n’est pas qu’elle se taise
il faut parler à sa place
dire ce qu’elle dirait si elle le disait
elle ne dit rien pour expliquer
on comprend que tout est dit
mais que dire après elle ?
faut-il parler d’amour
ou de la pluie et du beau temps ?
faut-il parler du chant de l’oiseau
ou de l’économie du raton laveur en terre d’Ariège ?
faut-il parler avec un peu de poésie ?
il arrive que la poésie soit la voix d’une femme
je n’ai jamais entendu cette sorte de poésie
la femme je l’ai rencontrée
mais elle manquait de poésie
parce que c’était une autre poésie
d’ailleurs j’entends très mal ce que je lis
il est vrai que c’est écrit avec l’encre abstraite
de ma mémoire esclave de la mémoire
qu’est-ce que j’ai de commun
avec cet empilement d’arbres dans ma chevelure
d’oiseau recomposé en partant des ailes
puis d’un coup de pinceau rageur
je dessinai le corps blanc et noir
et j’affinai le bec jaune et pointu
avec lequel l’oiseau que j’étais
tentait de tracer les lettres que ma mémoire
attribuait à la mémoire
Quel drôle de rêve que ton rêve !
disait-elle en rêvant la même chose
mais elle ne disait rien
parce qu’elle avait l’habitude de ne rien dire
elle écrivait pour ne pas oublier
elle n’oubliait rien à part le premier rêve
qui servait de décor
à sa nuit de femme fatale.