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Ce qui est caché de la ville est en nous (poème)
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 Article publié le 28 janvier 2018.

oOo

1

Ce sont des mouettes qui se gavent

comme nous de ciel tendre

au dessus de nos toits

 

la mer les accompagne de son aile

et de ses panthéons

redoutables

 

nous aimons la mer

tout comme nous aimons

l’amour et ses noyades

 

avec ses goémons

ses odeurs de naufrages

sur l’envol des mouettes.

 

mais la ville veille

énorme et jalouse

avec ses décharges perfides et grasses

où picore la mer.

 

 

2

La ville nous supplie d’être

multitude et singularité

 

les rues sont

armées de bottes et d’yeux

lancinés

lancéolés

 

de constructions mal décidées

en nous mal rassurés

de passants à nouer

à renouer en nous

 

tout ce poids luxurieux

de vitesse et d’enchères

 

et de toits sans abri.

 

 

3

C’est notre entreprise d’être dans la ville

avec tout ce métal en nous

tout ce béton d’espace

et ce bouillonnement

 

c’est d’être aussi des ponts

et cependant sans arche

que sur notre sang

 

pas de fleuve élagué

par la hache des arbres

mais notre arrivée

 

et ce glissement d’air

précis comme un navire

sur de hauts écueils.

 

 

4

Ce qui est caché de la ville est en nous

vermine superbe

 

la prostate des longs couloirs

dans certains quartiers bas

est dilatée d’une ombre

 

le fleuve coule en nous

entre les draps des pierres

des quais de nos pas

 

nous ne sommes jamais

contemporains des villes

que nous traversons

 

mais de la multitude

sa circulation

littéralement folle

 

l’éjaculation énorme de la ville.

 

 

5

Tout ce qui nous tire

les cartes parabellum du désir

nous meurtrit jusqu’aux embouchures

comme on décachette un sceau

de sanie trop prodigue

 

et le pont de l’Alma de larmes sur nos joues

quête la crue du fleuve

comme on zieute le blue-jean imberbe d’un loupiot

qui ne sera qu’un drap devant nous

sans autre signatulum

qu’un godet manuscrit de soi-seul

 

et comme un volume défraichi et rafraichi

d’ennui vestibulaire

à quai dans un boitier fluvial achalandé

d’un sépia bouquiniste

 

 

6

Le noir souci en croupe

on se rétracte devant la morale

qui sent le cagnât de l’agneau

tout en prenant le bus pour décalotter

le prépuce des choses secrètes

parfumées de jupes sniffées de vautours

 

et draguer l’insomnie cruciale de la crue

aux panards à suçons urbains

 

on rêve de goulues péniches Arétines

à quai entre des doigts qui suscitent l’écume

et sa coloscopie

 

comme au sphincter de Cumes

 

 

7

Cette boue noire qui nous attriste

nous attire d’eau mâle et femelle d’alerte

en hémisphère outrée

 

on met ses propres ongles dans cette crinière

des foules qui vont et viennent dans les mots

en manque d’oreillers et de pornographies

d’âmes pyramidales

 

la Seine en fleur suppure à bord de sa péniche

et nous sur nos épaules portons notre Anchise

fantôme et crânien

 

et les bébés blue-jean du ciel palinodique

graissent la culasse de nos souvenirs

jusqu’en la bouche raide du pal suburbain

qui ouvre pôle en main les doigts en garde de

nos folles dépressions

 

 

8

Encore ici et là des langues automobiles

quand passent les sirènes hot-dogs de nos vues

salopées de mutismes et vêtues à ras

de soleil pâtissier dans son moule

 

et talons qui ne tournent vers nous

qu’un absent laps de temps auréolé

des lauriers déchaussés de la circulation

où nous nous promenons duel sans absolu

nous tripotant les clés en poches sous les yeux

 

car la ville est à vue dans ses écartements

urinés sous les ponts

 

et le papier journal à cran d’arrêt qui fait

disparaitre ses preuves dans les caniveaux

 

 

9

De lourds signes

au modèle de chutes libres ou de reins

que fécondent nos voies d’eaux

ou nos inarrachables moly

tachent nos littoraux de leurs ailes de mouettes

avec la boulimie du sens et du non sens

dont nous parle Beckett

cependant que tu viens petit loupiot sucer

la moelle de mon os pâmé sous les aisselles

de notre surface

 

 

10

Couloirs tombeaux d’Agamemnon

des immeubles de ce quartier

taillé dans une cuisse de passante

 

où la langue devient fourche et pire

avec sa horde de béliers Donatien

en quête de parkings

 

comme le loir des labyrinthes

tourne et retourne ses sept lieues

dans la bouche de l’ambre qui rime

avec la chambre sans christ d’Eliot

 

où s’abat Clytemnestre la ville tueuse

ayant quitté bureaux et autres laveries

pour un secrétariat plus fluvial

 

et langagier entre ses quais sur le grabat

qu’ombre le pommier du

cantique des cantiques

 

 

11

Feuilles-femmes où nous sommes

sont nos écritures sur

la crasse urbaine des murs

 

nous avons existé par cela

sur l’Aronde des jours

 

et par l’aragne des genoux croisés

sur les hauts tabourets

des bars perspectivistes

 

où l’être lourd du ciel nous englue dans les lois

de ses vrilles profondes

 

où pend la pesanteur du fleuve

nous sombrons

comme sombrent les arches des ponts

 

où dansent les reflets comme les confettis

de notre plénitude

 

 

12

Nous habitons la ville comme nous habitons

notre folie vibrante d’être

en survolant nos fonds

 

au dessus des images remontant le cours

qui nous happe au tournant

de nos non-conclusions en quête d’une forme

 

qui mette son grain de sel labyrinthique

entre les lèvres basses de nos minotaures

empelotés de mots

 

la Seine coule en cloque de lointain profond

que nul ne peut atteindre mais dont nous longeons

les rives proxénètes

 

 

13

Un remugle dièse nos proximités

avec certains couloirs

dont les prières sentent la vraie sainteté

et l’auréole humide

 

la ville nous promène comme un chien errant

devant notre cage

plus déshabillée qu’une charlotte au four

à laquelle on voudrait mettre un C majuscule

 

On promène l’odeur de notre cécité

diurne de chat-huant

comme un slip sur les murs de l’ombre du soleil

 

la ville reste aussi nocturne la journée

elle est toujours la turne les rideaux fermés

ouverte à dia comme un compas

ou un évier grandiloquent dont la vaisselle

sale est ajournée

 

 

14

Les passantes aux yeux remaillés

de consommation qui semblent taguer

les Rothko comme des murs

 

laissent des traces comme si

les affiches marchaient pieds nus sur l’asphalte

qui devient vernis d’une couche étudiable

sexuée d’invisible rendant le visible

éminemment visible

 

leurs ongles modernes prônent un pinceau

mauve ou vert écolo

tandis que nos fonds amoureux se connectent

à un intervallaire mirage enchanté

 

car nous sommes dragués par le diesel des mots

et surtout des images qui sont en vitrines

du désir de tout passant « à la passante »

et qui le savent bien

 

 

15

Nous vidons les poubelles de nos promenades

derrière nos Cita individuelles

déplorant parfois l’amputation des villes

de leurs pissotières couleur des uniformes

de sœur Theresa

 

et de jolies rencontres pour devenir soi

ou la couverture d’un livre à ouvrir

sur une histoire de scellés qu’on a brisés

entre les cuisses de la loi

 

les pigeons sont malades de vol

et les pensées circulent de n’en être pas

mais des nuages subalternes

incontinents sur la chaussée

 

laquelle nous dit que le rythme de nos pas

est une prostituée

 

 

16

Des prières en branches sur les arbres

et la notre puisée dans nos stocks quotidiens

qui est de se boire une bière pression

dans un troquet ad hoc

 

et d’autres qui se pressent

jusqu’à faire un jus de punaise écrasée

comme disent les sobres du mauvais whisky

 

ou pour faire infuser leurs feuilles racornies

dans les minces conduits encrassés de nos sèves

où coule le lisier de leur answer mort-né

 

dans la ville toujours sommes à marée basse

de nos ambulances chaussées de regards

épiant le munda des urbaines sanies

que nous contresignons

 

 

17

J’aime les villes

surtout leurs endroits intimes.

et pleins de mystérieuses démangeaisons.

Les villes sont toujours des putains superbes de désinvolture.

Leurs plus beaux bijoux sentent le ruisseau nu et l’étreinte esquissée et l’œillade vicieuse.

J’aime la ville en montre.

Tout son aujourd’hui.

J’aime à y compromettre nos mythologies pour les y déniaiser.

Les rendre mitigées de ce temps-ci des villes des belles vitrines où brille le néant.

Le savoir et les ignorances se côtoient et frôlent les mêmes murs qui font la retape pour que le système infiltre dans la bonne veine de la ville la drogue-image et la came-slogan.

Je prends le contrepied de ceux qui voient dans la ville le gris de ce temps.

Bien sûr elle se fait vitrine de la marchandise et incite à la marchandisation de la vie.

Mais la ville a aussi ses arrières boutiques où se fabriquent la poétisation par le regard et la récupération perverse du vrai contenu dans le faux.

Rien n’est vain dans la ville que ce qui veut intercepter le flux de la vie par la sollicitation à aimer les succédanés d’un hypothétique bonheur par les choses et les images d’un outre-monde où les foules n’ont plus d’odeurs ni de contours que des réseaux.

Je me préfère homme des foules qu’homme des réseaux.

La ville est un comptoir qui exhibe et s’exhibe dans son industrie,

Et c’est ce qui pourrit dans cette exhibition qui est l’humanité des foules de la ville.

Ses quartiers hauts sont ses vitrines.

Le quartier bas la poésie qui est la vie capable de se transformer ne serait-ce que pour un seul isolé dans la foule.

 

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