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Les plumes
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 Article publié le 9 janvier 2007.

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Chaque année, le rossignol revêt des plumes neuves, mais il garde sa chanson. - Frédéric Mistral

 

Souffler dans l’encrier. A tous les temps, m’sieur ? Je souffle, tu souffles, il souffle, nous... Ne soufflez pas ! J’ai soufflé dans l’encrier. Ah ! tu es beau ! Des violettes sur la figure, sur les mains, sur la blouse. Une encre indélébile, tu entends ? Au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit, Amen ! Le front - je pense -, la panse - à remplir celle-là -, les épaules - sans fatiguer ces deux-là-. L’encre dans le bénitier... C’était moi. Les pleins, les déliés. Formez vos lettres ! Souple, le poignet. Pas de ratures ! Levez le nez ! Des pieds de mouche, des pâtés ! On s’applique, nom d’un chien ! J’en aurai suée de la ponce, marchands de grand’croix et de bannières, bimbelotiers du temple de Mémoire ! Pilate s’en lave les pognes. J’en aurai pissés des jets de toutes les couleurs ! De la bleue ? Je me passe sous silence. Tu la reverras ta mer ! Tu les reverras tes ciels ! De la verte ? Le bain de siège des Quarante. L’espérance imprime ses maraudes, ses galéjades dans les journaux du matin. Carcans d’émeraudes ! Carcans de jade ! De la noire ? Je vêts de longues processions. Je voile des voix, des tambours, des barques... J’endeuille les grandes orgues, les orphéons, les fanfares... De la rouge ? J’incendie mes sorgues. J’enlumine mes terres, mes sentes, mes traverses, mes gens, mes garces, mon style... J’en aurai léchée de cette liqueur spiritueuse, spirituelle, tueuse, rituelle qui suinte des bacchantes, des naïades, des canéphores... J’en aurai tété de ce lait à brodancher au sein gauche d’une parnasside en mal d’enfant, à l’épaisse mamelle de la mère Gigogne, aux espiègles nichons d’une nourrice sèche... Ô mes encres, vous coulez dans mes veines ! J’en bave de la chinoise, de la suave, de la pathétique, de l’atrabilaire, de la sympathique... Tes empreintes digitales ! Pouce ! Le poète et ses bouteilles d’encre à la mer ! Je mâchouille mon porte-Sergent-Major. Je le façonne entre mes doigts... Je m’escrime ! Je guerroie ! Passeur d’écritures, j’ai ma cartouchière Gutenberg, mon fusil de toile, mes calames calamiteux, mon caporal et mon pain de munition. J’empanache mon casque à mèche. Tu t’en donnes dans le bonnet ? J’étais un forban littéraire, une salope plumitive. Je me parais des plus belles plumes. Je plume les oies des Capitoles, des capitales, les corbeaux d’Auvers-sur-Oise et d’Arthur - Dispersez-vous, ralliez-vous ! -, les cygnes noirs d’Emmanuel Kant et de Jacques Derrida, les cygnes blancs de Mantoue, de Cambrai, les aigles de Meaux et de Cocteau, les colombes de Magritte et d’Eluard, les alouettes, les gentilles alouettes de mes miroirs, les hirondelles de mon éternel primevère, les hirondelles d’hiver qui descendent dans les cheminées, des fredons savoyards au bec, les hirondelles d’hiver qui rôtissent des châtaignes pour dégourdir les palpitants et les crochets, les hirondelles à bécane de mon enfance, les paons de la cinquième roue de ma citrouille, les piafs de la piaffe et de la réclame, les demoiselles de Numidie et d’Avignon, les pétrels de mes tempêtes, les oiseaux d’Aristophane... Mes pennes de dinde s’appointissent dans le dix-septième siècle amerloque. Je ferraille ! Tu giboies ? J’ai mon chapeau à aigrette. Tu sors ? Je sors. Quel toupet ! Et le ridicule ? Je le désarme ! Des coqs en pâte vides de gauloiseries, des girouettes grinçantes de village, des poules mouillées, des cocottes laitées, je te dis ! Je garde dans un écrin mon Montblanc qui se fait une montagne de tout. Je lisse sa patineuse au corps d‘ébène. L’étoile sur sa capuche... Six branches blanches... Les six vallées du Mont-Blanc. Sa griffe de dix-huit carats glisse des arabesques sur mon papier glacé avec des petits cris d’orfèvre. Colette, ton Meisterstück accouche d’une chatonne ! J’écris à 4810 mètres d’altitude. Le sommet ! Et mon 149 ? Hambourg, 1910. La mer rejette ses encres, ses os de seiche, ses calmars, ses écritoires... Ô ma goulue, ma bayadère, ma ballerine, ma baladine, ma cavalière, mon odalisque, ma négresse dégrossie, dis, mon stylomine cafardeur, cafardeux me mine au caf’ conc’, mon bille maboul se la roule en douceur sur du papyrus, mon Bic carbure avec une pause toutes les trois bornes. J’ai mon Parker dans un charleston des années vingt. Dans l’entre-deux ? Jawohl ! J’ai mon Man Night and Day sous mon grand luminaire où glandent des phaéthons, sous mon lumignon et mes économies de restes de chandelle, sous ma luisante de 60 watts, ma blafarde, ma cardinale qui se prend pour une cymbale. Et la jappe de ma Japy enrubannée, la jappe de ma Japy des interrogatoires martelés, des scenari dictés, des romans-fleuves débordés, des poèmes scandés... J’entasse les carbones. Ô mes claviers mécaniques, électriques, électroniques ! Ô mes touches de velours ! Ô mes plumes, mes coureuses, mes courantes, mes gratteuses, mes accrocheuses... Pierrot, prête-moi ta griffarde, ma brodeuse or m’a plaqué, ma bonbec bave, bavarde, crachote, ma barbue encrêpée s’encanaille dans mes moulins à paroles, à french cancans... Mes moulins à papier ! Je pleure des copeaux. Les rives de la Dronne, de la Lizonne, de la Nauze, de la Couze... La Dordogne ! Ô ma Muse, ma vieille peau de Pergame, tu ne pipes mot ? Le plumeau et le plumard. Dépoussière ! Dépoussière ! Ô mes plumes mal torchées, fringantes dans des robes de bal, mirobolées de contes, friandes d’aventures, de fiel, de miel ! Ô mes lances émoulues trempées de larmes et de sang ! Ô mes piques émoussées, mes vocables se caillent au bas et dans la marge de mes pages volubiles, de mes pages volages, de mes pages volantes, de mes pages cornées, de mes pages blanchies à la chaux ! Tourne ! Tourne ! Le Globe gibbeux tourne sur son pivot. Mes vinyles girent sur ma platine. Mon soc ouvre un sillon. Un vent d’anémones vole à mon secours ! Le temps ! J’ai mes burins à la lisière de l’éternité. Je n’irai pas par quatre parchemins, tu sais. Du rouleau au codex, je déroule les annales du temps. Ô ma Poésie, mon papier amoureux boit à ta source. Je chamarre, je diapre, je jaspe, je romance au plumetis tes mousselines, tes batistes, tes étamines, tes dessous affriolands, tes proses mortuaires, tes traités de prosodie, tes voiles au mouillage, ton voile de calice, tes mises, ta misaine, tes idées... J’ai ma pointe d’iridium. Ô ma Poésie, je te délace sur mes copies pisseuses, je t’effeuille sur mes manuscrits, je te couche sur mes billets doux, je te renverse sur mes madrigaux, je te pénètre sur mes articles de fond, je t’occis sur mes testaments, je te quitte sur mes quittances. Taille, bataille dans le vif du sujet ! Taille ! Taille, ô ma rolleuse, jusqu’au bout de mon rôle, de mes rôlets ! J’ai tes patins à roulettes. Tes menottes plumeuses, ta bouche en cœur...Taille ! Taille ! Affûte-moi.

 

Robert VITTON, 2006

 

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