Retour à la RALM Revue d'Art et de Littérature, Musique - Espaces d'auteurs [Forum] [Contact e-mail]
  
Ils avaient tenu parole : dix jours que je...
Navigation
[E-mail]
 Article publié le 18 novembre 2018.

oOo

Ils avaient tenu parole : dix jours que je suis restée à leur disposition dans ce lit que les femmes de salle immaculaient un peu plus chaque jour. Et le matin de ce dixième jour j’étais en train d’explorer cette surface impeccable quand le docteur est venu les bras chargés d’un carton ficelé avec un ruban rose. Il l’a délicatement posé sur le lit. Comme j’avais plus rien à me mettre étant donné qu’on m’avait trouvée nue et sans bagages, il avait pensé à moi.

« J’ai le coup d’œil, me dit-il en sautillant au pied du lit. Sûr que c’est votre taille. Je ferme les yeux ! »

Signe que je pouvais sortir pour enfiler cette merveille de féminité et de mode. Or, ça datait un peu et dans le genre fifille à son papa on ne pouvait pas mieux imaginer. En plus c’était très court. Il n’avait pas oublié les chaussures ni la petite culotte. Les deux infirmières s’introduisirent à leur tour :

« On s’est cotisé ô luce. »

Comme elle n’avait rien dans les mains, je supposais qu’elles parlaient de la robe et des godasses sans chaussettes. J’avais oublié de passer la petite culotte, mais elles comprenaient qu’après avoir encore été rasée ce matin, ça risquait de me gratouiller. Je la glissai dans mon sac à main. Y avait aussi un sac à main mais c’était pas un cadeau. C’était un vieux sac à main de maman. Je le reconnaissais. Je me mis à pleurer :

« J’ai tout perdu mes archives et mes brouillons ! Ah ! mais il est passé où mon sac matelot plein de souvenir… ?

— Ils vous l’ont piqué ô luce…

— Mais qui ça « Ils » ?...

— On sait toujours pas… fit le docteur en nouant ma collerette. La police a parlé de plusieurs à la Presse.

— Bobby…

— Rien sur Bobby qui a décroché un A pendant votre hospitalisation… en éducation sexuelle…

— Jacky vous accompagnera chez maman, dit une infirmière.

— Et mon avocat… ?

— Il est mort, » dit l’autre.

Et on est sorti de la chambre. Sam le Pingouin n’était plus à son poste. Quelques clients déambulaient avec ou sans canne. On a pris l’ascenseur des brancards. Le docteur avait la clé. Il la tourna diverses fois dans divers trous de serrure qui avaient leur utilité. Les infirmières me soutenaient.

« Et pour la jambe que vous avez amputée, dis-je en riant aussi bêtement que c’était possible, vous me l’avait mise de côté comme promis ? »

Aussi curieusement que cela puisse paraître, personne ne rit. J’ai aussitôt palpé mes guiboles. Elles étaient toujours là. J’en avais sué, moi !

La bagnole de Jacky m’attendait sous un porche en forme d’avion de combat. Les infirmières étaient restées sur le seuil et elles me saluaient en agitant leurs biscoteaux. Le docteur ouvrit la portière, Jacky n’ayant pas quitté le volant et la place qui va avec. Il ne salua pas. Le docteur s’était incliné lentement dans l’attente de la réciproque et il avait renoncé à s’aplatir. Ça sentait la lavande. Le docteur s’est reculé, agitant ses petits doigts boudinés et flasques.

« Ne vous inquiétez pas ô luce, dit-il en gargouillant. On a l’œil sur vous. »

C’était une menace ou quoi… ? La voiture fit un bond et un portail s’ouvrit. On était sur la route. Cette fois, je reconnus le chemin qui mène chez maman.

« Je te dépose et pour le reste on verra plus tard, grogna Jacky.

— De quoi tu parles… ?

— Je te dis qu’on en parlera plus tard ! »

C’était quelques jours avant l’arrivée d’Alfred. J’avais besoin de réapprendre à marcher et même à penser. Et j’ignorais qu’Alfred aurait cette idée de nous visiter. En fait, il avait la même idée que Jacky. Et j’allais me retrouver bientôt dans ce tir croisé de sentiments et d’éjaculations. Mais je m’inquiétais pas. J’étais faite pour ça, pour récolter la tempête sans avoir rien semé sur ma route de petite poussette.

 

 

Un commentaire, une critique...?
modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides. Servez-vous de la barre d'outils ci-dessous pour la mise en forme.

Ajouter un document

Retour à la RALM Revue d'Art et de Littérature, Musique - Espaces d'auteurs [Contact e-mail]
2004/2024 Revue d'art et de littérature, musique

publiée par Patrick Cintas - pcintas@ral-m.com - 06 62 37 88 76

Copyrights: - Le site: © Patrick CINTAS (webmaster). - Textes, images, musiques: © Les auteurs

 

- Dépôt légal: ISSN 2274-0457 -

- Hébergement: infomaniak.ch -