Rien de plus ordinaire
Que la vie d’un poète
Qui ne versifie plus.
Rien de plus ennuyeux
Que le retour aux sources
De l’inspiration.
On devient suicidaire
Et ça se lit
Au milieu de la figure.
« Babelin va se tuer ! »
Disait ceux qui passaient
Devant le portail clos.
« Jéhan ne va pas bien, »
Pleurnichaient ses amis,
En tout cas ceux
Qui se considéraient comme tels.
Il ne mangeait avec personne,
Buvait seul et désespéré,
Violait avec consentement
Et effleurait les peaux
Pour ne pas les trouer
Comme il en avait
Une folle envie.
Misère du riche héritier.
Angoisse du fou à lier.
Le chien observait tout ça
Sans aboyer, sans mordre,
Sans aucune intention
De changer le cours des choses.
Il habitait dans sa niche
Et dormait quelquefois dans le lit.
Il sodomisait encore avec plaisir,
Mais pas aussi souvent
Que les gens le contaient.
Derrière les rideaux
Ou les coudes sur la table
Des cafés de la ville,
Ils riaient sans vergogne
En présence des enfants.
Que penseriez-vous
Si je vous disais
Que j’étais un de ces enfants ?
Comment agiriez-vous
Si je vous avouais
Que mon goût pour la poésie
Tenait d’abord à cet anus ?
J’en rêvais, les amis !
Et je me masturbais
Sans femme pour changer
Ce fameux cours des choses
Qui emmenait Jéhan
Au pays des cannibales.
Un jour de très grand vent,
La pluie me fit ruisseler
Sur le trottoir de cette rue.
Voilà comment j’explique
Ma présence devant le portail.
J’agitais la clochette.
Le chien parut dans l’ombre,
L’œil inquiet car j’étais beau.
Il me conduisit, solennel,
Au pied de l’escalier.
En haut sur la terrasse
Jéhan lisait dans un livre
Eclairé par le soleil
De ce matin tranquille
De printemps ou d’hiver,
Je ne me souviens plus
De ce détail sans importance.
Les fleurs n’occupaient pas
Cet espace pourtant saisonnier.
Jéhan ne quitta pas son lourd fauteuil.
Le chien m’offrit un tabouret.
Je croisais mes gambettes nues.
C’était peut-être l’été,
Mais je ne me souviens pas
De ce détail en forme de fleur.