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6- Ce qu'ignorait donc le vieux Ben au moment de...
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 Article publié le 24 mars 2019.

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Ce qu’ignorait donc le vieux Ben au moment de recevoir la visite de Frank, c’est que celui-ci venait de conclure un pacte d’amour et de plaisir avec Clark. Ça change tout. On ne peut plus relire la relation de cette entrevue sans la connaissance de ce détail déterminant : Frank avait fait l’amour à Clark et Clark, en homme ou en femme, avait fait la même chose avec Frank. Quand Ben ramena les assiettes à la cuisine et les déposa dans l’évier après avoir jeté ce qui restait du steak saignant de Clark, il ne savait rien de ce que Clark avait pourtant filmé dans la perspective d’une production personnelle dans laquelle le vieil ours n’interviendrait pas. Même Frank n’était pas au courant. Dans la conversation qui avait suivi les actes d’amour réciproques et adaptés à la morphologie de chacun, Frank avait évoqué ces spectacles populaires et Clark en avait minimisé l’importance sociale. Jamais Ben n’avait cherché à humilier qui que ce fût. Les gens adoraient se donner en spectacle. Ils aimaient faire rire les autres, même à leurs dépens. C’étaient de bien gentils dépens. On levait beaucoup de verres en ces occasions de rire de soi-même et des autres. Et puis on retournait chez soi, non pas pour oublier, mais pour espérer que ça continue et que ce soit toujours aussi marrant pour tout le monde. Poursuivant cette conversation, couchés sur un tapis de fougères, Frank s’imaginant caresser la pointe d’un sein et Clark taquinant le prépuce, le robot expliqua à son nouvel amant (il y en eut d’autres) que jamais il n’avait été question de changer la nature des spectacles donnés pour la plus grande joie des uns et des autres. Les choses s’étaient installées comme ça et il n’était pas question d’en changer la nature ni la visée. Ben était d’ailleurs assez fier de cette production. Il en récoltait tous les lauriers, car les gens ne pouvaient pas imaginer qu’un robot, même de plus en plus humain, in progress quoi, pouvait être à la source, même partagée, d’un aussi bon spectacle sans cesse renouvelé et prometteur de générations enthousiastes et pleinement satisfaites. Mais Clark, en bon joueur, ou bonne joueuse, ne disputait pas cette gloire à son créateur. Ils n’en parlaient d’ailleurs jamais. Ben visionnait les disques, coupait, montait et tout ce qui n’entrait pas dans le code qu’il s’était fixé était effacé définitivement. Clark ne possédait pas le moindre script capable de retrouver ces effacements.

« Alors tout ce que tu as filmé de moi, la merde et le reste, sera effacé par ce vieux con… ?

— Il n’en restera rien, rassure-toi.

— Mais au contraire ! Je veux que ça reste. Sauf la merde, bien sûr.

— Tu monterais un film si tu pouvais en conserver les rushes ?

— On pourrait faire du fric, toi et moi. Mais pas à Rock Dream.

— Tu m’emporterais dans tes bagages direction New Dream ?

— Tu parles que oui !

— Et Ben ? Tu as pensé à lui ? Qu’est-ce qu’il deviendrait… ? Tu le tuerais… ?

— Pourquoi pas ?

— C’est ignoble !

— Pas tant que ça… Tu le tuerais toi-même. Un accident de robot. Qui en jugera alors ? C’est Ben Balada lui-même qu’on jugerait. Pas un robot !

— Mais on me détruirait comme machine dangereuse…

— Sauf si j’interviens… Fabriquons une contrefaçon !

— Tu n’arriveras jamais à construire un robot aussi génial que moi… Je veux dire que Ben est un génie… pas toi…

— Qui fera la différence ?... Je construirais un faux robot. Et je le maculerai du sans du vieil ours. Ensuite je détruirai le robot dans un légitime élan de justice.

— Tu devras alors me cacher ! As-tu pensé à ça ? Et nos films ? Comment les projeter si je suis cachée ? Quelle explication fourniras-tu à la Presse ? Et si la Justice s’en mêle ? Ô mon amour !

— Diable ! Mon scénario n’est pas au point… Vite ! Une solution ! »

Puis ils se turent. Et le vent encouragea les caresses. Et tout recommença. Enfin, Clark monta, titubant un peu, et prit place dans son fauteuil d’osier dans la véranda. Frank consulta sa montre. Il n’était pas midi. Il monta. Clark était assis dans son fauteuil d’osier. Il s’approcha. La pente était raide. Comme il ne portait plus de slip, sa bite se frottait à la doublure du pantalon. C’était loin d’être jouissif. Ça ramollissait, ça se contractait et le prépuce s’irritait. Frank gratta, remit en place, mais en vain. Ça ne se balançait pas. C’était figé. Et la doublure frottait, frottait. C’est dans cet état d’inhibition qu’il atteignit la crête où était perchée la cabane de Ben Balada. Clark était assis dans le fauteuil. Assise dans le fauteuil. Il suait. Ça dégoulinait sur ses jambes. Il frotta ses souliers de ville contre ses mollets. Clark ne souriait pas. Sa mécanique zygomatique ne prévoyait pas le sourire. Ni la grimace d’ailleurs. Aucune expression n’émanait de ce visage d’acier. Il fallait se fier aux clignotements des led. Or, Frank n’en connaissait pas encore le code qui figurait toujours à la première page des Aventures. Il s’approcha, Clark ne bougeait pas. Sa tête était pourtant tournée vers la fenêtre derrière lui. La vitre était sale. Quelque chose dégoulinait. Comme si le vieux Ben, qui cuisinait, avait jeté la sauce après l’avoir goûtée. Et elle avait souillé la vitre. Il frappa à la porte. Pas de réponse. Une led rouge s’alluma sans intermittences. Frank ne comprenait pas le message. Il n’osait plus frapper. Clark devenait obscur(e). Puis Frank traduisit : Ne le tue pas ! Il s’efforça de montrer qu’il avait compris. La led verte s’alluma. Pas maintenant ! Il n’avait pas l’intention de tuer le vieux Ben. Il venait se renseigner auprès de lui à propos de Justine qui était sa fille. Justine qui était morte assassinée. Enfin… c’était ce qu’il racontait depuis qu’il était arrivé à Rock Dream pour les vacances d’été chez maman avec Roger Russel comme mentor. Une demi-heure plus tard, alors que la conversation avec Ben Balada s’était terminée, Frank redescendit avec le sentiment que le vieux Ben n’avait pas apprécié la nouvelle de la mort de sa fille avec les gestes et les paroles qui accompagnent toujours cette révélation. Il n’avait pas tiqué, genre « Ah ouais… elle est morte… ? Assassinée ? Ben ça alors… si je m’attendais… » Aucune douleur, rien. Comme s’il n’y croyait pas. Le déni qu’on appelle ça. Ou bien il savait que Frank avait inventé cette histoire parce qu’il venait encore d’échouer au Concours d’entrée dans la police judiciaire.

 

 

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