Dans cet espace transactionnel, dans cet espace commercial, dans cette grande superficie dévolue autant à la détente qu’au travail, autant à la décompression qu’au trepalium, ma silhouette est calée, statique, tandis que ma plume oeuvre à plein régime. Dans cette géométrie variable où le carré, le rectangle et le cercle dominent l’espace, où les gestes professionnels liés au service sont incessants, qu’il s’agisse de préparer, regrouper ou desservir, je poursuis mon oeuvre en cours, je continue le développement de mes recherches narratives, dans une concentration compacte et ductile à la fois.
Depuis un moment, depuis quelques instants maintenant, un insecte noir, ailé, virevolte autour de mon territoire, avant de s’y poser, manifestement avec décision.
Mes spéculations se poursuivent, filtrées sans doute par un métabolisme qui enclenche le mouvement comme mécanique du bras et de ses parties terminales. L’écriture court, oui, elle court, au rythme de la pensée … tandis que le minuscule être vivant se pose, maintenant, sur mon avant-bras, effectue quelques aller-retour et s’arrête, statique. Tel un canidé à l’arrêt, je sens soudain sa haute fidélité et, au-delà, un bien-être observable avec une certaine finesse instinctive. Puis, sa longue statique s’efface au profit de frottements rapides et incessants, en commençant par les pattes de devant. Simultanément, je sens l’épaisseur de sa décontraction, un relâchement ou bien-être qui signifie, aussi, le partage complice du territoire. Optant à nouveau pour la statique, elle semble se nourrir de ma chaleur et fortement l’apprécier, elle semble m’adopter, ce qui a pour effet de rendre mes rares mouvements suspects, synonyme de dérangement. Oui, ce joli spécimen, cette musca domestica me conduit à opérer des mouvements statiques.
Maintenant, elle est sur son autre main que j’ai volontairement rapprochée, tel un dresseur de rapace adressant un signe amical aux serres qui dès lors s’approchent et s’accrochent.
Sur les nervures de ma peau, elle poursuit ses libations, élevant les pattes arrière au-dessus des ailes afin de nettoyer leur surface, sans oublier de se nettoyer elles-mêmes - un soin de soi-même millimétré, mécanique et organique, qui dure longtemps.
A partir de ce spectacle se dessinent dans mon cortex des images proustiennes ou impressionnistes, à l’instar de cette soirée urbaine ou amicale au cours de laquelle, dans un lieu indistinct, le garçon de café interpelle une connaissance, précisant que la musca domestica est un insecte particulièrement propre qui se nettoie sans cesse ou presque, et dont les destinations sont trompeuses, interprétées de manière érronée …
Pendant ce temps, le spécimen qui séjourne auprès de moi prend véritablement racine et ses intermittences statiques sont de plus en plus élastiques … sur moi ou dans une périphérie proche, très proche … tandis que je poursuis, donc, mes recherches narratives …