Entre l’alchimie de la douleur
Et les illuminations du verbe :
Pas de place, ni un interstice
Pour retrouver l’anus des premiers
Plaisirs solitaires / observation
Tranquille depuis des années
D’une interminable transition
Entre l’idée et ses applications
Dans la vie quotidienne / parce
Qu’il y en a une et elle prend
Toute la place : je t’écris dans
Dans mon matelas doublé
De mouettes et d’autres promesses
Non tenues. Ne te formalise pas
Si je te dis que les enfants (les tiens)
Sont bien où ils sont : ici le ciel
Prend autant de place que l’eau.
Je fume un mélange aromatique
Qui me rapproche des autres,
Surtout à l’ouvrage commun
Qui amenuise nos esprits autant
Que nos corps / je n’avais jamais
Vu d’hommes d’aussi près /
L’ambre des reflets que les yeux
Posent sur moi m’inspire /
Pas de draps mais un sac qui
A appartenu à un mort en héros
/ odeur moins forte que la mienne
/ nous n’avons pas perdu la côte
De vue : une autre côte apparaît
Quelquefois mais je ne sais pas
Dans quel horizon / nous croisons
Des touristes nus / peu d’épaves
À cette distance : je les cherche
Du regard si on m’en laisse le temps
/ je ne sais pas ce qui m’a pris
De conclure ce voyage retour
Compris / nous en sommes tous
Là (me dit-on) pour une bonne
Raison : manque de maîtrise ou
De connaissance des lieux / le temps
Se charge du reste / temps et lieux
Et rien d’autre à se mettre sous
La langue : les chansons reviennent
Porteuses de traditions bien utiles
Mais sans autre saveur que l’amertume
Des jours et la panique des nuits /
Ceci n’est pas un voyage :
Je le précise
Au cas où tu t’imaginerais
Que j’en ai conçu l’itinéraire
Ou que j’ai pris le temps en marche.
Je n’ai rien pris ni conçu, princesse.
J’ai à peine profité d’un instant
De lucidité : à la faveur d’un quai
Qui m’a paru tranquillement posé
Sur la mer / sans cette terre que tu
Nourris de ton sexe et de tes projets
Professionnels / j’ai cru être moi /
Je ne dis pas que je n’y crois plus :
Précision / tentation de me jeter
À l’eau pour aborder un yacht
Et saisir à pleines mains ces autres
Mains qui connaissent les limites
Du jeu mieux que moi : seins tendus
Jamais tranquilles et ventres plats
/ sauf les jours de pluie que le vent
Ne se prive pas de retourner contre
Nos attentes / veux-tu que je te dise :
J’aime cette existence à défaut
De l’avoir gagnée sur la tienne /
Lettre coupée de quarts chaque
Fois que le calfeutrage suinte et
Laisse cristalliser son sel : l’amour
N’est plus au rendez-vous des fées.
La poésie s’étire de paresse ou de :
Lassitude / ne deviens pas la prose
De Troie / pas de cheval ici : armure
De toile dure que l’embrun saccage
/ méthode de la lenteur / fumées
Aphrodisiaques ou hallucinatoires
/ la journée hachée par les heures
/ les tambours sans messages :
Il n’écoute que le frottement des
Poulies : le claquement des câbles
/ les saisissements de la coque et
Les ravissements de ses fantômes.
Quelles antistrophes dans l’écume !
Ces allers-retours finiront-ils par me
Rendre à la terre ? Zinc des repos
Bien mérités / l’intervalle aux putes
En âge de concevoir : selon obsession.
Lit ou trottoir au gré de la chance qui
(comme tu le sais à mon propos)
Tourne ou ne tourne pas : résiste
Ou se laisse emporter par les vortex
De ce qui n’a jamais été une passion
(loin de là et loin de moi cette idée !)
Enfin : tu existes. Mes flacons de sperme
Patientent dans la neige. Je ne vieillis
Pas. Je ne m’use pas. Je n’ai même
Jamais autant existé que maintenant :
Cet aujourd’hui qui attend les soirs
Dans le miroir des creux / belles mouettes
Prenant le vent / la pluie est douce
Souvent, rarement plus réaliste que
Toi. Puisqu’il est impossible de monter
Au ciel en bateau et que celui-ci
Ne m’appartient pas : c’est l’horizon
Qui me conseille les profondeurs /
Nous sommes conçus pour en mourir
Vite : une minute mais est-ce l’angoisse
Qui s’en mêle ? Les poissons morts
Retournent d’où ils viennent, inutiles
Ou non standard / n’ayant pas de
« spécialité » : je manœuvre dans le sel.
Mais la mer ne me laisse pas le temps
De me dessécher comme une momie.
Et même dans la lorgnette aucun mythe
Ne signale les limites du jeu : le sang
N’aime pas le sel / et je ne tournoie pas
Avec les épaves comme tu le crois
Encore / écrasement des chairs sous
Le couteau puis fentes jusqu’aux doigts
: le métier : il en faut un : on ne le trouve
Pas : on prend ce qui appartient aux autres
: où on l’achète si Dieu le veut : dieu patrie
Des douteurs / des ergoteurs / des bavards
/ dieu souche nationale / dieu sacrifice
Et mérite / mais au large Dieu n’existe
Plus : il ne reviendra pas en explication
Sensée / Tu ne m’attends plus sur le quai.
Les vitrines sont éteintes. Les balcons
Déserts. Les rues disparues. Les enfants
Au lit. Rien n’est plus comme avant.
Et je t’écris pour ne pas écrire /
Pour ne rien dire qui puisse meubler
La solitude d’une inconnue aux yeux
De braise / bamboulas des tisons mais
Sans loups à la rime / fenêtres de verre
Gagnées sur les cadavres patriotiques
/ l’horizon conseille les profondeurs /
Je n’arrête pas de me le répéter mais
Je suis à l’heure : on peut compter sur
Moi à bord / on connaît mon nom /
Pas de perroquet sur l’épaule ni de trésor
En tête / aucun crime de sang en perspective
/ rien sur la vengeance / ni sur le remords /
Aucun ami à informer / des voisins « charmants »
/ je ne suis qu’un personnage en quête
D’achèvement / jeu des bielles grasses et
Têtues / ce cognement incessant dans le coussin
/ tu ne connaîtras jamais ça / alors plus
D’enfant s’il te plaît ! / plus de prétexte
À continuer ce que les autres savent mieux
Que nous /
Ezra à Sally
Lettres de mer
Extraits choisis
(par qui ?)