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Les derniers jours (mots) de Pompeo - [in "Hypocrisies"]
Les derniers jours (mots) de Pompeo 3 (Patrick Cintas)

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 Article publié le 15 mars 2020.

oOo

*

« J’en ai connu des condamnations, mais rien d’aussi définitif ! dit Pompeo à peine dedans.

— Vous avez été marié… ?

— J’ai eu des parents… et d’autres conformités…

— Mais on est toujours libre de ne pas se conformer…

— Pas si on veut vivre tranquille comme Baptiste. Je n’ai jamais tué personne…

— Ce ne fut pas, en ce qui me concerne, un acte libre ni gratuit. Il faudrait se reporter au procès avant d’en parler…

— Quoi ! Insérer ces minutes, voire ces heures, dans un texte qui n’en survivra pas ? Vous n’y songez pas. Nous sommes deux. Et je refuse d’en discuter. Il faut être deux…

— Au moins. Soit. N’en parlons plus. Avez-vous lu le dernier roman de Patrice de la Rubanière ?

Hypocrisies [1] ? Au diable les pavés et leur Paris ! Je ne lis que ce qui s’achève avant que j’aie envie de faire autre chose ou qu’on m’y contraigne, ce qui arrive souvent. Je n’en ai plus pour longtemps, rappelez-vous…

— Un pavé, certes, et qui manque d’une fin, ce qui rendrait votre agonie plus douloureuse, si jamais vous consentiez à accorder de l’importance à la lecture d’un roman que l’auteur s’évertue à écarter du chemin emprunté toujours par les romans de ce temps ou d’un autre.

— Un roman sans fin, n’est-ce pas ? Ce qui ne veut pas dire que rien ne l’interrompt. Il en est ainsi de toute série, de chapitres ou autre chose. Non, non ! Je ne lis jamais de romans dont on ne peut pas dire qu’ils sont jouables sur la scène ou à l’écran, comme tragédie ou comédie.

— Ou tragi-comédie… Le fait est que l’auteur d’Hypocrisies n’a pas trouvé de fin à son roman. Il l’a, comme qui dirait, laissé tomber avant de s’y enliser, comme qui s’approche des rivages incertains d’une rivière où Tityre s’obstine.

— Je vois… Bucoliques… Mais mon esprit est ailleurs en ce moment. Et pas pour longtemps, voyez-vous ? Pas le temps de lire. Il faut que vous vous mettiez au travail de ma mémoire. J’ai tant de choses à dire !

— Ah ! Mé cé qué… on ne les dit pas. En tout cas pas en un si tragique moment. Elles… comment dire… ?

— Coulent de source. (jubilant) J’ai trouvé avant vous parce que je sais comment ça se termine.

— Ne m’en avez-vous pas informé ? La mort…

— Et pour vous, cette quille qui se fait attendre… Puis votre existence reprendra son cours où la société en a interrompu la finasse recherche, je crois. Je suis plus pressé.

— Parons donc ! Connaissez-vous Patrice de la Rubanière ?

— Cela signifie-t-il que vous l’avez fréquenté ? Je suppose que les années d’enfermement judiciaire vous en ont éloigné, comme de toutes vos connaissances. Je ne me souviens pas de l’avoir croisé dans les couloirs…

— Il ne s’est pas mêlé de mon affaire. Pas même un témoignage d’affection qui m’eût humanisé de quelques années toujours bienvenues en cas d’attente aussi mangeuse d’homme.

— Un ami de passage, en quelque sorte. J’en ai connu deux ou trois de la sorte. Mais nous n’en parlerons pas. Le compte à rebours qui me concerne, tout en étant aussi précis que le vôtre, ne m’en laissera pas le temps.

— Je vous en parle parce qu’Hypocrisies s’inspire de ma propre connaissance de la douleur. Ayant lu ce roman, donc jusqu’à ce qu’il ne se termine pas (aucun second volume en perspective comme dans la tête de Raskolnikov, genre La peste) j’ai dans l’idée de finir par la concevoir, cette fin.

— Mais je n’ai pas le temps de… ! Mon docteur est formel ! (grave) Songez-vous à faire d’une pierre deux coups… ? Je vous connais…

— Puisque vous m’interdisez d’insérer ici les heures de mon procès…

— Le lecteur s’y ennuierait avant la… fin. Le temps, je ne l’ai pas ! Quelle heure est-il ? De quel lapin s’agit-il ?

— Nous pourrions, pour commencer, et avant que la nuit ne tombe sur mes barreaux, nous entretenir des termes…

— D’un contrat ? Mé cé qué je n’ai pas prévu… D’ailleurs je ne dispose pas de ce temps. La nuit…

— Au contraire, mon ami ! Le JOUR. Car le rêve, à cette époque bénie des dieux du Désir, éclairait mes nuits. Je ne dis pas que l’ombre…

— Vous devenez obscur… Et je ne vous suivrai pas sur ce chemin forestier. Je n’ai pas souvent lu, mais j’ai toujours emprunté les pages avec fidélité, jusqu’au bout du chemin. Je n’ai jamais refermé un livre autrement. Et j’aimerais, si ce n’est pas trop vous demander, que mon lecteur en fasse autant. Même si j’oublie que c’est vous qui écrivez.

— Soit ! Laissons tomber cette merveilleuse idée qui consiste toujours à achever le roman de mon ami de la Rubanière. J’en suis toujours le personnage. J’allais presque l’oublier quand…

— Quand je vous ai proposé de rédiger mes mémoires… Les Mémoires d’un Gardien au Milieu de nulle Part. J’avais le titre avant de vous en parler. Nous avons tellement parlé depuis ces années interminables ! Et jamais de moi…

— Vous exagérez, Pompeo. Nous parlâmes souvent de vos femmes. Et de vos enfants. Nous fûmes aussi familiaux que possible dans les limites qu’on m’impose depuis ces années aussi interminables que mesurables. Nous évoquâmes aussi plus souvent que nécessaire…

— Cessez, voulez-vous, Pedro !

— Je m’appelle Arthur Gor…

— Gor ! Gor ! Gor ! Creepsin this petty pace ! Nous n’avançons pas !

— (raisonnable) Vous avez raison, Pompeo…

— Mais pas pour une fois

— Vrai ! (morose) Chaque fois que l’occasion m’est donnée de prendre la plume, je reviens sur mes pas… Comme si mon esprit n’était pas satisfait par la sentence…

— Ou comme si la mort vous titillait en vous rappelant que c’est à tout moment qu’on peut mourir. Et particulièrement avant la fin de la peine, du coup réduisant à néant le dernier intervalle, entre la porte enfin dans le dos et la rue qui retourne à la ville. C’est sans doute ce qui est arrivé à votre de la Rubanière et à son Hypocrisies. La mort ne pardonne pas, Pedro…

— Je ne lui ai rien demandé ! Entendre la sentence alors que le plaisir coulait encore en moi !

— Je me demande, moi, pourquoi c’est à vous que je m’adresse pour écrire mes mémoires… Je sais en tout cas pourquoi je ne solliciterai pas l’assistance de votre ami romancier sans fin !

— Vous partez… ? La nuit n’est pas encore…

— (impatient mais immobile, quoique debout) Je ne coucherai pas avec vous cette nuit… Ma femme s’impatiente toujours. Et gâche mes matins. Je ne sais pour quelles raisons, mais j’accorde depuis une drôle d’importance à ces réveils. Je voulais (s’asseyant de nouveau) vous en parler depuis

— Il y a belle lurette que je n’ouvre plus l’œil quand c’est le moment de songer à se ressourcer ! Que ferais-je donc de cette eau ? Je ne bois plus.

— Voici le vin.

— C’est de l’encre, Pompeo.

Et elle est contenue dans un stylo.

Nous pouvons posséder

Autant de stylos qu’on le souhaite.

C’est toujours de l’encre.

— Quel joli poème ! Dommage que la rime manque… J’avais songé à un refrain… Vous savez : entre les chapitres… Quelque chose comme :

Or voici donc ce que la mort souhaitait.

1 2 3 4 / 1 2 3 4 5 6

Mais je n’ai rien à faire rimer avec…

— Restez donc cette nuit… On verra bien…

— Vous me tentez ! J’entends vos clochettes à travers le silence. Hi ! Hi ! Hi !

— Nous n’avons pas tout dit…

— C’est pourtant ce que je vous demande, Pedro. Tout dire avant. Afin que je puisse me relire avant de. Vous aurez ensuite tout le temps de peaufiner le détail et l’ensemble. C’est votre métier.

— J’en avais un autre. Et ça s’est si bien terminé que je n’ai plus trouvé de quoi l’exercer encore pour en parfaire l’art et les trésors.

— Vous recommencerez. Bien sûr, je ne serai plus là… Une fois dehors, Pedro, vous recommencerez. C’est-à-dire que vous m’oublierez. Combien d’années avant que vous recommenciez… ?

— Restez !

— Non… Je m’en vais. Nous nous reverrons demain. À la même heure. Préparez votre encre. Je sais par quoi commencer. Et comment ça se termine. Vous réfléchirez à la question du volume, afin de déterminer la quantité à produire chaque jour.

— Mais je n’ai jamais procédé ainsi ! De la Rubanière lui-même…

— (fou) Aaargh ! Cessez de l’introduire dans mon anus ! C’est vous que je veux enculer ! Pas lui !

*

[1à paraître en feuilleton dans la RALM. Ce Pompeo servira d’introduction...

 

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