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Le récit ruisselant (Pascal Leray)
2- Querelles

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 Article publié le 26 avril 2020.

oOo

Le gardien de la mer

 

 

Il fallut que je parte et le voyage me prit trois jours.

 

J’étais certain de ma destination et autre chose m’était assuré qui était le logis, une petite cabane au-dehors de la ville, une cabane qui était, je l’appris de la bouche des villains, la gardienne de la mer.

 

« La mer furieuse ! », a-t-on coutume de dire en Mérysie.

 

« C’est la cabane qui l’apaise ! » Et de me regarder : « Vous resterez longtemps, monsieur ? Qu’en savez-vous ? »

 

J’empruntais alors un air fier - mais je n’en savais rien du tout ! Je ne faisais qu’attendre, sans même savoir quoi...

 

Je m’étais décidé à demeurer en Mérysie tant que le ciel ne me permettrait pas un mouvement, même le moindre.

 

Je restais étendu sur mon lit, que l’on disait « de mort » parce qu’il est ardu d’y trouver le sommeil et qu’après même y être parvenu, on ne bénéficie d’aucun repos. On est continuellement secoué par de fort songes, des cauchemars et surtout par de vives réminiscences de crimes, qu’en d’autres vies on aura pu commettre ou peut-être subir.

 

Je restais sur mon lit, je songeais à travers moi, dans un écho discontinu mais qui m’apprit, comme il ne se dissipait pas, que j’étais clos. Je m’étais enfermé, peut-être par mégarde, après m’être endormi, à moins qu’il ne se soit agi de transes, de ces transes qui vous surprennent ici-bas en raison des chaleurs excessives. J’étais seul, confronté à cette inlassable revenance dont je sus mal que c’était toujours elle.

 

Je m’adressais toujours à elle car dans ma solitude étendue, je ne faisais que pourchasser les ombres dont parfois je rencontrais la source – et c’était toujours elle, peut-être afin de me raconter, après s’être heurtée aux cloisons de mon âme, qu’elle avait entendu un grand fracas au moment même on muait sa carne mémorielle.

 

« Car tu as encore fait l’amour aux murs », voulus-je la surprendre. Elle feignit de ne pas m’entendre et m’incita d’une lumière phosphorescente à marcher avec elle direction du cataclysme présumé.

 

« Es-tu bien sûre de l’avoir entendu ? », lui demandai-je.

« Puisque j’existe, oui. », répondit-elle avec mépris.

 

« Es-tu bien sûre ? », insistai-je en riant doucement, « de ton chemin ? ».

 

Elle ne répondit pas. Nous marchâmes main dans la main avec une lenteur merveilleuse. Nous allâmes d’un pôle à l’autre. Seulement parfois je crus que j’allais m’éveiller, transporté par un vent cuisant.

 

« Est-ce que nous flottons ? », demandais-je en jouant la pure naïveté qu’aucune enfance ne me prêta jamais. Ma revenance, inquiétée par ces arbres sans feuillage autour de nous qui jalonnaient notre chemin et écartelaient le glacis bouillonnant du sol, ne me répondit pas.

 

« Nous y voici », dit-elle. Et ce fut tout.

 

Fus-je éveillé à ce moment ? Ce n’était que la mer qui rugissait, qui cognait la falaise et le soleil. Je l’observais en revenant à moi, se laissait dévorer par un gros nuage lourd. Je poursuivis la marche que j’avais interrompue, empruntant des sentiers dont j’avais peine à croire qu’ils étaient à ce point imaginaires.

 

Ce qui m’en fit prendre conscience et qui me fit encore douter – tout allait s’écrouler, croyais-je. Pourquoi continuer ? — C’est que je ne rencontrais pas un villain. Je n’eus pas même à traverser la ville.

 

Le paysage aussi était bouleversé, comme après un orage très violent – mais qui n’était (je le savais car on me l’avait dit mais je n’y croyais qu’avec indécision) que le fruit inconséquent de mes sens renversés. Ceux-ci, m’avait-on expliqué, ne font que réfléchir ce qui les heurte.

 

« Il n’y aura aucun danger ! », m’avait-on dit. « Vous n’aurez rien pour vous défendre ».

 

A ce point dénué, je n’eus à décider de rien. Je marchais, m’arrêtais, rencontrais d’étranges âmes qui n’étaient que des fragments de la mienne, pulvérisée, devenue étrangère et insolite – mais qu’étais-je désormais puisque je n’étais plus elle ? Je ne m’en souciais guère alors. Je ne fis que marcher.

 

Lorsque je m’arrêtais, c’est qu’on m’y conviait, c’était en quelque sorte le signal d’une partance qui me dissociait du corps marcheur que j’étais presque, au point que, passé quelques milles, je ne fus plus qu’une partie infime de moi-même et la poussière que j’avais orgueilleusement foulée aux premiers jours de mon voyage, il me fallait l’escalader.

 

Ce qui s’avéra fort pénible au bout du compte.

 

 

 

 

 

 

Le porteur d’eau

 

 

Tout se calma vers les premières notes mais au milieu d’un concerto, un porteur d’eau survint qui arrosa les musiciens, l’un après l’autre.

 

Puis il s’en alla, non sans avoir trempé leurs partitions dans le seau plein qui lui restait. Les musiciens s’y étaient mal accoutumés mais cette lubie provenait du directeur de ce qui est l’unique théâtre de la ville.

 

Aussi ne semblèrent-ils pas en vouloir à celui qui n’était qu’un porteur d’eau.

 

« C’est un seau musical », me confia mon voisin qui était un admirateur du directeur du théâtre.

 

« Il fallait donc, répondis-je en me retournant, que tout cela arrive ».

 

Près de l’entrée, le directeur emplissait deux énormes seaux pour le porteur.

 

Sur une harmonie rouge démesurée de Karlheinz Stockhausen.

 

 

 

 

Une histoire de Berlioz

 

 

Le 31e élève de la classe monta sur scène, accueilli par d’inlassables applaudissements.

 

A son tour, il fit sa révérence au piano et, avant de s’asseoir, annonça timidement qu’il allait jouer la 27e sonate de Mendelssohn.

 

« Lui aussi ! », se fâcha un spectateur agité au fond de la salle, que tout le monde regarda d’un air furieux. « Son enfant », se partageaient les parents offusqués, « ne joue pas de piano ». Et d’en rire, pour se rassurer.

 

Ainsi, tous les parents purent goûter, dans son enfance ultime, la 27e sonate de Mendelssohn. Mais vite, l’enfant s’arrêta, effarouché.

 

Le piano, exaspéré, ne se plaisait qu’à lui désobéir ! Les touches refusaient de s’enfoncer ! Les pédales s’ébruitaient elles-mêmes, couinant affreusement ! Le piano finit par mordre l’enfant qui descendit brusquement de la scène, en pleurs.

 

Pour la plupart, les spectateurs ne le surent pas de suite. Le piano jouait sa sonate particulière sans plus se soucier ni de l’avis du directeur (qui était en ville de toutes façons) ni de celui des spectateurs.

 

Il était si volumineux qu’il n’y eut tout d’abord que les gens installés aux balcons pour voir que plus personne n’en jouait ! Le bruit se répandit bien vite cependant. On s’effrayait, on se scandalisait ou l’on s’émerveillait. Le piano, lui, s’en moquait. Lui était venue l’idée folâtre d’une barbarie comme jamais à cette époque on n’aurait imaginé.

 

Le directeur survint. Il revenait à peine d’un dîner en ville en entra par le fond de la salle.

 

« Et qui joue cette horreur ? », demanda-t-il. Personne ne lui répondit. Tous avaient tellement peur que ce fût l’esprit de leurs enfants, réincarnés dans cette hideuse mélodie après qu’un piano vorace les eût mangé de lassitude...

 

 

 

 

Accord, agrégat

 

 

La pauvreté d’un accord répété, d’un accord maigre, mendiant, émeut.

 

Sans doute, il chante à contrecoeur.

 

Sa liberté, dit-il, est loin de la petite cour où le promènent ces doigts trop rigides.

 

 

 

 

Le troisième violon s’est tu

 

 

Assurément, il a commis.

On l’a regardé, on s’est inquiété.

 

« Jamais, jamais, jamais ! », s’est-il écrié, comme pour justifier son geste.

 

Mais rien n’apaise la foule.

 

« Pourquoi ? », harcèle-t-on le silence. Mais encore, rien ne répond.

 

Jamais il ne s’agirait d’une fantaisie, souhaiterait-on se convaincre. Un musicien, cela exprime. Rien. Les protestations s’effondrent. Le troisième violon s’est tu.

 

Il a posé son instrument, s’est faufilé jusqu’aux coulisses en bousculant autant de musiciens parmi l’orchestre, a laissé croire que jamais.

 

Était-ce vrai ? Aujourd’hui, qu’en est-il ? Nul ne sait. L’orchestre fut dispersé, noyé parmi la foule de ce scandale inattendu.

 

Désormais, tous ses musiciens vagabondent, mains dans les poches, un peu de désespoir au fond du cœur, assez même pour jeter un œil regardant sur leurs vieux et poussiéreux instruments.

 

A la joie de l’apprentissage s’est substitué une terrible incertitude.

 

Parce qu’un violoniste a cessé, une symphonie s’est dispersée en crissements en vagabonde elle aussi, se meut malséante à l’oreille.

 

Et pourtant, qu’était-elle ? Pièce enclose par le caprice d’un compositeur (fortuitement oublié) dans la cage trop étroite d’une forme-sonate, elle dut bientôt s’en échapper prestement jusqu’au final où tout se tût. Dit-on.

 

 

 

Le démon du piano.

 

 

Dans le salon de la villa Guermynthe, madame pleurait. Son mari, assis à ses côtés, la tenait dans ses bras en regardant l’horloge. Que dire dans ces moments 

 

A l’étage, le petit Antoine jouait une sonate passagère de Mendelssohn. Il l’avait entamée la veille et s’était seulement arrêté de jouer, depuis, pour feindre de dormir. En vérité, il n’avais jamais cessé d’y songer.

 

Et la mère éplorée : « Que va-t-il devenir, enfin ? Notre petit Antoine ! » Car elle était certaine que son fils allait devenir fou, que la musique le rendait malade. « Je l’ai vu à ses yeux ! »

 

Le père, quand l’heure eut sonné, s’éveilla brusquement de sa posture mélancolique et se leva. « Je vais lui dire deux mots ».

 

Il monta à l’étage, écouta un moment devant la porte qu’il ouvrit aveuglément. Quand la vue lui revint, il vit son enfant qui baignait dans le ventre du piano, riant et gémissant d’une voix singulière. Le père fut pour l’en sortir ; il fit un pas. A peine le piano l’entendit-il qu’il se ferma en claquant violemment ; il dévora l’enfant.

 

 

 

 

Nuit blanche

 

 

De nuit, je n’écoute plus qu’un silence interdit, à présent : aucune voix qui ne donne le moindre bémol.

 

Je crains qu’il me faille considérer ma liberté.

 

Elle m’est donnée, à chaque instant raillée pourtant, mais je ne sais moi-même si je la bafoue quand je choisis de suivre l’insomnie afin peut-être qu’elle me perpétue.

 

J’ai ainsi connu un artisan au matériau mental qui songeait tant et tant qu’il pouvait, tous les jours, psalmodier de nouveaux rêves. Et quand il avait isolé les parcelles qu’il égrenait de l’intérieur, puisqu’il ne lui était déjà plus nécessaire de les assembler : toutes leurs affinités lui étaient forcément connues ; il ne lui restait qu’à dormir et tout le décevait alors, de son sommeil prochain à la fatigue dont déjà il s’apaisait.

 

Un artisan qui travaillait tout le jour, seulement parce qu’il avait peur de la mort.

 

« La mort est pourtant si lointaine ! », lui disaient les uns et les autres. « Si proche et inouïe qu’il ne faut rien entendre ».

 

Un artisan mort comme tout un chacun, qui aurait refusé que la mort vienne ainsi, le travailler dans son sommeil.

 

Aussi, je prends conscience de moi-même, de ce moi qui ne s’évaporera jamais. Et e m’en vais dormir, l’âme tristement quiète.

 

 

*

 

 

« Une nuit blanche, celle qui porte conseil. » Claude Debussy.

 

 

 

Violoncelle seul

 

 

Mise en garde

Ce texte est bien antérieur à cette version-ci. Il est vain, il est stupide, il est ignoble et me fait mal. Ce n’est pas du tout le genre de textes que j’aime écrire. Il est un modèle d’intolérance. Je l’ai écrit dans une église, sous le coup de la colère car une violoncelliste, à ce moment, torturait la Suite n°1 pour violoncelle seul de JS Bach. C’est un exemple de la stupidité humaine. Excusez-m’en : je m’y replonge.

 

Anna. Son père est un homme qui prie, qui crie aussi car il va mourir d’un cancer (par exemple) de la gorge.

 

Mise en garde (bis)

Il serait bon d’entendre les pieux cris d’agonie de son père tout le long du récit

 

Anna joue chez elle du violoncelle seule et abusée (par la joliesse native de la sonorité de l’instrument). Mais elle n’a pas d’oreille ! Elle crisse, elle geint (tout ceci au travers de son pieux instrument) et il faut voir comme elle le frappe. L’instrument lui répond, impuissamment car elle est sourde.

 

Ses heures perdues.

 

Anna est pauvre et son amant, un homme qu’elle attend au café où lui aussi s’égorge mais à grandes saccades. Un homme tout rond, de nez, d’oreilles, sans parler des yeux, peut-être à cause de l’alcool, des yeux qui clignotent si vite qu’ils semblent tourner sur eux-mêmes. Son amant est un homme qui déteste la musique.

 

Alors elle joue du violoncelle toute seule, chez elle et pense à son amant (certaine qu’elle parviendra un jour à lui faire aimer la musique) tout en crissant. Elle croit encore, en prenant son plaisir de chaque soir, qu’elle joue comme elle s’entend. Elle n’entend pas les rires du dessous.

 

Son silencieux appartement.

 

Jamais, au demeurant, son logis ne connût le silence idyllique de ses rêveries. Elle rêve à son amant, bientôt qui sera son mari. Elle en oublie son instrument. Elle oublie de compter. Peut-être, au fond, n’a-t-elle jamais compté. Elle ne sait pas compter. Quand elle voit son amant, elle lui conte ses maux de tête, tous ses maux de la journée, les maux de toutes ces années en cognant vivement son pouce contre la paume de l’autre main. Elle n’y songe pas même. Ses yeux sont embués et sa voix lancinante. Elle ne fait que rêver, à haute voix. Elle en oublie tous ses malheurs, parmi ses maux, elle se met à rêver de son mariage prochain. Et puis elle éclate en sanglots : son père, l’entendez-vous ? Son père va bientôt mourir.

 

Les cordes de son violoncelle sont usées.

 

Ses heures perdues, etc.

 

 

 

Pensée pauvre

 

 

Une autre idiotie antérieure, plus courte celle-ci. J’étais dans le métro. A regarder ma montre à chaque changement. Et plutôt deux fois qu’une.

 

 

“Se rend-on compte à quel point une montre vous soumet ? Je suis peut-être extrême (je suis, au fait, ce personnage extrême qu’on rencontre au hasard des romans) mais je deviendrai fou, avec une montre.

Pourquoi je la garde."

 

 

 

Un récit sans exemple

 

 

Les illusions étaient déjà bien loin pour Greta.

 

Magnifique, sans allure.

D’un récit sans exemple ----

 

Il me vint à l’esprit, en sortant de la salle, que je n’en avais pas retenu grand-chose. On sait parfois, avec alors une précision imagée, quelles sortes de festins s’ordonnent, qui ne touchent nul sinon peut-être soi, sans talent, comme au pas nonchalant où l’on marche ; un talon suspendu, un fémur inhabituel.

 

Avec pour cas de figure une lettre. Il serait tellement plus simple, sans le moindre sens, de s’investir en nébuleuses (éclat de pur principe, vénielle folie).

 

 

 

 

 

Si le hasard ne nous était permis.

 

 car ne se pourrait

Et s’il était vécu, aussi reproduire

 qu’instantanéité

  sinon

 je restais

 impavide sur

 mon confortable   siège.

 

 

 

Les années folles

 

 

La belle époque était déjà bien loin mais bientôt Marguerite Ironelle s’engouffra dans les années folles. Si bien qu’elle se mit à boire et passa de nombreuses nuits à danser le charleston (avec des hommes qui la connaissaient à peine, des hommes qui se réjouissaient jusqu’au matin car elle s’évanouissait mystérieusement à l’aube, préservant par un miracle indubitable sa vertu - et on la disait sainte !)

 

Les années folles, nous ne pouvons les oublier. Ce fut Paris, la grande ville aux festoiements impitoyables, qui retint notre mémoire. Et cependant - peut-être avait-elle des problèmes avec la justice - Marguerite Ironelle émigra aux environs de Monte-Carlo.

 

 

 

 

Le porteur d’hôtels

 

 

 

Il était environ dix heures quand le porteur d’hôtels s’éveilla. Le téléphone sonnait abominablement, excitant une émotion furieuse chez le porteur. « J’ai déjà des courbatures !, s’écria-t-il au lever, comment voulez-vous que j’aime ? »

 

« Allô ? », le frappa une voix.dès lors qu’il eut décroché le combiné du téléphone. Il ne répondit pas. Mais madame Simpson ayant reconnu son grommellement multiphonique, il la reconnut pareillement. « Venez dans ma chambre ! », lui dit-elle d’une voix langoureuse. Mais le porteur ne s’éveilla qu’avec lenteur et toute la matinée passa ainsi.

 

« Qu’ai-je donc fait de son hôtel ? » Il regarda à la fenêtre. Il y en avait tant qui se jouxtaient et qui se superposaient parfois, ne laissant au flâneur que d’étroites allées enchevêtrées. « Où est donc le sien ? » C’était un hôtel à deux étoiles. Un tout petit hôtel qui lui avait coûté peu d’efforts et qui était peut-être désormais à la lisère de la forêt. Et qu’en avait-on fait ?

 

Enfin, il aperçut d’immenses dunes qui se déplaçaient à toute allure dans une mer de néant. « Quel scandale ! », s’écria-t-il. Mais il entendit du bruit. Ce bruit, il l’isola parmi l’air électrique que drainent ces déserts brusques et se laissa ainsi conduire jusqu’à l’hôtel dont il retrouva le souvenir précis dès qu’il y fut parvenu.

 

Il sonna. On lui ouvrit. « Je vous rapporte ce bruit de vaisselle. Il a dû se perdre. », eut-il à déclarer. « Mais c’est lui qui vous a amené ici ? »,. Le portier se gaussait.

 

Le porteur d’hôtels parla de madame Simpson au portier qui se frappa le front. « Mais oui !, s’écria-t-il, attendez ! » I descendit au sous-sol et ne revint qu’avec une énorme branche de frêne qu’il posa à côté de lui. « Et savez-vous, demanda-t-il, hésitant, au porteur d’hôtels, dans quelle chambre elle se trouve, cette madame Simpson ? »

 

Bientôt parvenu au seuil de la chambre numéro quatre, les deux hommes ne frappèrent pas tout de suite. Le portier raconta au porteur d’hôtels qu’il allait bientôt perdre son emploi. La veille, il avait trébuché sur une marche et, parvenu au sous-sol n’avait jamais pu retrouver la mémoire de sa journée. « Ainsi, s’exclama le porteur d’hôtels, je ne suis pas seul dans mon malheur ! » Mais il se mentait. Il pressentait d’ores et déjà le drame affreux qu’il allait affronter.

 

Le portier fut pour frapper à la porte de madame Simpson mais il l’en empêcha. Il l’assomma et lui fendit le crâne à coups de pieds. Puis, il enfonça la porte de la chambre et reconnut madame Simpson, nue sur son lit, en train de dévorer un plein tronc d’arbre.

 

A côté d’elle, un policier riait. « C’est lui !, s’écria-t-elle, c’est lui qui a volé mes rubis ! »

 

 

Querelle

 

 

« Êtes-vous son père ou son mari ?’ », demanda le jeune homme de son mauvais sourire, en posant sur la cuisse de la jeune fille son indisciplinable doigt.

 

Il regardait toujours cet homme très vieux, confus, qui rougissait malgré ses rides et qui s’interrogeait quant à savoir s’il s’était jamais marié à la minuscule Henriette, qu’il tenait dans sa main et que du doigt, son ennemi avait fini par écraser.

 

Par chance, la station prochaine le délivra. Le jeune homme s’étendit sur la banquette du train et se suça le bout du doigt.

 

Au soir, à toute sa famille, il clamerait l’hymen qu’il vient de projeter après le hasard bienheureux de sa rencontre inassouvie.

 

Un dîner pour noël

 

 

A présent, c’est Belinda qui a changé le couvert. Madame Crachek l’a laissée seule pour ainsi dire avec les convives éberlués qui n’attendent plus que le repas. Les convives, c’est le jeu, ne se connaissent pas entre eux. Tous ont déjà croisé madame Crachek et Belinda ; aucun ne sait plus où ni dans quelles circonstances. On se regarde, on se parle peu et nerveusement tandis que Belinda change le couvert.

 

« Pourquoi le changez-vous ? », demande un convive particulièrement nerveux : « Nous n’avons encore rien mangé ! » Son voisin lui répond : « Taisez-vous !. Vous êtes ici, de quoi vous plaignez-vous ? » Pourtant Belinda lui sourit. Et d’un soupir elle l’affame en lui retirant son assiette.

 

Belinda est aux anges. Personne ici ne sait que c’était elle. Personne ne s’est reconnu. Il s’en fallait de peu.

 

Madame Crachek l’a laissée seule pour ôter le couvert. « C’était plus convenable », lui a-t-elle confié avant de s’en aller. Et puis un premier convive a voulu partir. Mais il n’a pas trouvé la porte. Il est allé voir Belinda qui lui a dit qu’ici, on ne pouvait s’impatienter car c’était inutile. Le mauvais plaisant l’a suivie jusqu’à la cuisine. « Je ne vais pas à la cuisine », lui a-t-elle dit très sèchement. Et l’homme, un homme entre deux âges, inquiet et fasciné, c’est ce que donne son visage à lire, est retourné s’asseoir ; lui aussi devait attendre.

 

Belinda, après s’être perdue dans les sous-sols du pavillon, est revenue et a posé d’autres couverts beaucoup plus inquiétants que les autres. Les convives ont regardé le fond de leurs assiettes. « On y voit de minuscules apocalypses ! », s’émerveille quelqu’un à qui personne ne répond. Il ne s’en soucie pas plus. Ces visions qui s’inscrivent dans leurs assiettes sont de vrais théâtres et happent le spectateur dans ce mouvement circulaire qui emporte le crépuscule d’un monde – lequel ? On imagine le sien propre avec peur.

 

Belinda rit beaucoup, à voir le singulier vis-à-vis des convives avec leurs couverts. Minuit sonne. « C’était le moment ou jamais ! », exulte Belinda en regardant à la fenêtre. Madame Crachek revient. La porte claque et bientôt la voici dans la salle à manger. Et la voici qui crie : « Allez-vous en, messieurs ! Allez-vous en, mesdames ! Joyeux noël ! » Belinda s’inquiète. « Est-ce qu’ils s’en iront même ? Comme la neige tombe ! »

 

Elle regarde à la fenêtre. Un convive esquisse son lever – comme une larme est apparue sur son assiette et la vision qui lui vidait les intestins n’est plus que trouble. « J’aimerais moi aussi voir, dit Belinda, ces coloris sans forme ». Mais sa patronne la réclame de sa voix sèche et ironique : « Il reste des assiettes », Belinda souffe :« Ce ne sont pas les hommes ». Madame Crachek presse soudain Belinda de trouver une assiette en se met à l’injurier et à la frapper. « « Il est minuit ! Allez-vous en ! Et joyeux noël ! »

 

 

Le gamin argenté

 

 

« Je ne suis pas satisfait ! »

 

L’automutilation. 

 

« Mes plaies ouvertes ressemblent à des bouches. Je voudrais qu’elles se parlent. Je les embrasse tour à tour mais elles n’ont rien pour moi que le goût de mon propre sang. »

 

Lui restait la contemplation immense de ce monde silencieux.

 

Voilà. Le récit du gamin argenté attablé n’est pas un récit d’origine. Tout le contraire. Un gamin famélique dont la peau argentée peut tromper l’esprit.

 

Pas de Dieu. Pas d’Eve pour cet Adam de mauvaise qualité. La contemplation devint sa seule humanité.

 

 

 

 

Le quart de ton

 

 

Attick Doy, pianiste, est avec Ben Siktar, contrebasse. Ils parlent et boivent. Attick Doy est bouleversé. « J’ai rencontré, dit-il, un quart de ton. » Il raconte.

 

Attick Doy raconte son après-midi passée sur le piano. Au cours de laquelle il a rencontré (par le hasard) un quart de ton.

 

« L’idée ne t’est jamais venue que ce maudit piano pouvait être désaccordé ? »

 

 

 

*

 

 

Dans l’histoire qui précède, bien sûr, le principal manque. Le quart de ton est à des milles du son tempéré selon le mode chromatique européen. Parce que la note jouée rompt avec le poème (« Tout y était si prévisible ! ») Le choc de la rencontre (provoque une émotion neuve) s’avère - établit un univers au sein de la seule note, cette multitude.

 

C’est une expérience instantanée. L’ouïe du musicien épouse la note. Comme une porte ouverte sur l’abîme. Ou plutôt : une terre étrangère. Tout n’y est qu’écho, résonance, revenance, fantomatique, abstrait, sonore, sensitif, sensible et déréalisé. La note s’établit en univers. Frémissements. Couleurs. Comme des éclats, des lueurs sans timbre à la recherche d’une forme à épouser.

 

Cependant cet univers, comme né d’une brèche, n’est pas dénué de toute réalité. Il y entre la réalité de sa cause. Car ce pianiste jouait. Il s’est arrêté. Il eut cette ultime vision du doigt qui écrase la touche noire - la partition, le crépuscule ou l’aube ou même le midi, sinon la nuit - c’est sans doute dans la nuit, enfin, qu’il a pu entendre si vivement la note. Ce ne peut être que la nuit.

 

 

 

  

Le pays de mon âme

 

 

J’ai parlé à mon âme d’une contrée qui n’est que lacs, rivières au cours clair, lumineux ; d’une contrée sans autre chemin, qui n’est que plaines et forêts, où l’herbe abonde, accueille nos sommeils et nos amours et les épouse avec nos corps.

 

Mon âme a ri.

 

Moi, j’ai pleuré. Je me suis engouffré dans un chemin de terre, croyant qu’il me mènerait plus loin que les confins, qu’ignoré de tous il n’obéissait à aucune loi. Mais il fut bafoué par un gigantesque mur qu’une fissure trahissait.

 

J’ai regardé au travers, croyant qu’on avait planté là ce morceau de geôle pour entraver la liberté elle-même. J’ai cru pouvoir voir peut-être à travers la fissure un univers sans routes, ruisselant de végétations aux feuillages entremêlés, un univers que je savais.

 

Qu’y avait-il ?

 

Je n’ai vu qu’un potager qu’on jardinait, qu’un vieux curé se fatiguait à retourner, tandis que son élève arrachait l’herbe derrière lui. Je me suis retourné et j’ai voulu dormir. Je me suis apaisé auprès d’un arbre et j’ai dormi longtemps car c’est après la nuit qu’un imbécile policier m’a réveillé pour m’inviter à déguerpir. « Rentrez chez vous !, me criait-il, vous risquez fort ici. La rosée va bientôt tomber, vous n’avez vraiment pas de chance ! » Et il m’a fait lever, m’a suivi jusque sur le pas de ma porte en sermonnant d’une voix paternelle sur la rosée.

 

Plein de dépit, j’ai pris une cuillère et je suis descendu à la cave. Je ne fais que creuser, depuis. C’est ce que j’ai de mieux à faire.

 

 

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