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Le récit ruisselant (Pascal Leray)
3- Le spectacle interdit
[E-mail] Article publié le 3 mai 2020. oOo Sympathie
J’écris selon le désir du Seigneur car il n’existe pas. Je le vénère pour n’être pas.
Quand je croyais en Dieu, il me fallait le détester.
Mais puisque je suis seul, qu’il ne répond jamais à mes prières et puisque rien ne me l’indique, à moins de voir dehors ce qui n’est pas en moi, j’ai abaissé mon glaive pour atteindre le coupable.
Tel est mon calvaire avéré.
Puisque tu n’es que ma poussière, Seigneur, je te vénérerai comme ma mort.
Que tu n’es pas non plus.
Voyageur abusif
C’était un imbécile à se jouer les transes, dans la nuit, toujours à grands frais car il avait peur, sans pour autant se l’avouer. C’est le calvaire d’une croyance chimérique, habituelle et rassurante qui l’aura conduit à se renouveler, par un chemin sinistre et au grand jour. « Ainsi, je ne crois plus ». Il avait l’air très fier de lui. Et nous, dubitatifs : « Mais tes transes, qu’en as-tu fait ? » On entendait leur murmure dans l’armoire fermée à double-tour. On entendait aussi le double-tour et tout cela dans l’affirmation crâne du crétin : « Je ne crois pas ». A nous le répéter, jusqu’à la nuit, nous servant de son vin épais. Et toujours cette même peur parcourant son regard. Mais à présent, c’était la pâleur de nos verres qui l’inquiétait.
Théâtre antique Prélude
Nous nous serions peut-être conviés dans l’autre monde car ci-bas Ce ne sont pas des politesses que nous échangeons. D’antiques scènes nous revêtent. Et dans nos impossibles jeux d’enfants Nous n’espérons que nous frôler.
Ce monde, nous ne l’avons pas commis. Nous en avons prémédité les ruines.
Saisonnière
Des fruits qui d’arbre en arbre se convient, D’épais feuillages qui m’aveuglent, Et moi, je n’ai que de noueuses branches Pour fouetter ces ombres.
Mais tu m’accompagnes aux déraisons. Alors je prie pour toi, mon âme. Pour que tu n’existes pas.
Nous nous rencontrerons dans l’autre monde Car ci-bas, ce n’est qu’un luxuriant jardin d’Éden Qu’il me faut défricher.
Tu y seras la forêt de mes perceptions. Et moi, ton spectateur arborescent. (Mon heur peut-être sera d’oublier ma blanche peur de blastula).
Escale
Alors que nous rompons nos coques, Abordant des rivages que nous paraissons, Nos élans vont se perdre en notre immensité. Nous, si navires que chancelons, Nous ne sommes que vagues pour tomber.
Unisson
Vous étiez fastueux. Nous étions morts. Nous étions tous autant de rives affaissées Peinant à s’embrasser.
La mer, ici, ce n’est qu’une chimère. Qu’importe ! Nous n’y serons que larmes, Par nos yeux défenestrés.
Tribal
A incarner de revenantes ruines, Je me certifie fœtal. Me risquant à la croire toujours, Je dissémine ma prière parmi l’heure. Je cours, suspendu à ma perte.
Le végétal jaunit, c’est sa pâleur. La pierre s’affaisse par-dessous. A mon tour je me lève, Abreuvé d’injonction, Irriguant une mort interminable. ---
Prière
Quelque fenêtre que tu m’ouvres, Je te reconnais. A lézarder les murs Afin que j’y promène le regard, Tu es l’orage tombé hier soir et ma pitance destinée.
Tu m’ignores peut-être. je te reconnais.
Et tu m’as convié ci-bas. Je te suis pas à pas. irrigue-moi toujours de la pénombre préservée par-devant moi. Autrement, nos ébats n’auront pas lieu. Ils n’ont jamais eu lieu qu’à clouer ma mémoire.
Je vivrai hier soir toujours jusqu’à la foudre.
Soumission
Dans le désert, les sables dansent. La plaine, pâquerettes, herbes hautes, branches et feuillages des reflets de nos angoisses, dansent.
Portés par le vent, nous agissons, instables. Subjugués par le moment, si rien ne nous convie à croire, nous ne naîtrons jamais.
Dédain d’orage
Ces pyramides, je les vois de haut traverser les nuages de ma déraison. Je suis un animal polaire et je me vois de haut escalader ma frénétique rêverie.
Ces pyramides, je les ai bâties. J’en ai la façon désœuvrée. Je n’avais que des ruines, d’entières ruines désunies et j’avais le regard moqueur.
Mais ci, d’où je spécule, est un désirable désert.
Supplique
Comme on marche toujours à petits pas, et chaque pas coûte toujours de si violents efforts et l’enfer est si loin. Derrière devant. Sous mes pieds je résonne. Terre visqueuse en laquelle je suis né, engloutis-moi imitant les saisons.
Gestuelle du spectateur
Le néant nie le désespoir toujours naissant, toujours convalescent. N’y est, au plus, qu’un détour du regard.
Un théâtre isolé, d’incestes spectateurs, de douleurs qu’il incarne.
La mort, en ses orgies fictives, y inscrivit d’emblématique – son alcôve.
Le spectacle interdit Fragments
Dans l’illusion de nos misères, nous pouvons croire en l’avenir.
Les anges que nous côtoyons, nous les répudierons. leurs nobles sentiments nous auront bien servi.
Nos industries nous répartissent. la mort nous confondra.
Nous pouvons l’invoquer, c’est toujours par défaut. Et tous nos chapelets ne forment qu’un vertige.
La mort, n’y croyons pas, enfin. Elle est solide, notre impardonnable dieu.
Le bégaiement d’un homme suffit-il à ce que naisse le néant ?
Une tombée d’oubli traverse les feuillages de nos maigres leçons d’arbres.
S’y réconcilient savoir et connaissance, enrichis seulement de leur commune, bégayante absence.
Et c’est encore l’incertitude qui nourrit cette pitance pauvre de néant.
Car la musique est le langage des prières, elle inscrit sa clarté sur nos pâleurs.
Avec le temps, nos partitions s’abreuvent d’une dangereuse plénitude.
On quitte l’arbre d’un chemin de pierre pour entrer dans la forêt.
Les cieux aussi se couvrent de feuillages unanimes.
Ne vous laissé-je rien à regarder ? Vous ne sauriez vous en plaindre, hères apaisés -
Je ne suis pas un sot métier. je marche sous vos pas. je les veux toujours plus légers.
Mes reflets vous caressent. mes parois vous affament. je suis ce méchant terrassier que vous ne verrez pas. —
Sentence
Dans l’hystérie d’un tribunal imaginaire – celui-là même qui nous avéra. On nous a arraché nos yeux pour les railler.
« Car ce que vous voyez, nous a-t-on dit, ne fut qu’un leurre. »
Mais il fut triste et immobile. Nous ne le savions pas.
« Ce soir ». Comme un semblable tribunal ne se soucie que de nos nuits, on entendra l’espace rétréci (il nous a convié, nous l’avons dénué).
Trahison.
Nos juges ne sont pas nécessairement nos antérieurs. Nous avons pu les postuler. Alors, ils reviendront. Nous les invoquerons par des gestes contraires.
Ils nous bafouent, nous les aimons encore : du moins nous aident-ils dans notre lutte plusieurs fois millénaire ! Ce n’est vraiment que leur recours qui aura pu calomnier l’espace, interrompre le temps. Nous avons vu éclore bien d’autres intuitions irrémédiables que nous n’avons su concevoir, au moins parce que rien ne nous y avait jamais rendu. Nos intuitions mort-nées, nous les observerons avec un plaisir moindre – à ce moment, peut-être, posera sur nous notre ignorance et nous nous sentirons, à notre tour, humiliés.
Le calme de l’endroit (un tribunal imaginaire, arrêté dans le temps, éclos indécemment parmi l’espace interrompu) nous effraiera bien plus que les éruptions de fureurs terrestres.
Le calme se meut, lui aussi. On se regarde fluctuer dans un malaise grandissant. Les mains rampent au sol, à l’autre bout du tribunal, dans le petit théâtre réservé aux pièces à conviction.
Un musicien aspire essentiellement, je crois, à la syncope du silence.
*
Et si elle se raréfie. alors il s’en remet, de soi, aux spasmes frugaux qu’on lui prête.
*
On ne lui rendra pas ces turbulences vespérales.
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