Retour à la RALM Revue d'Art et de Littérature, Musique - Auteurs invités [Forum] [Contact e-mail]
AUTEURS INVITÉS
Depuis avril 2004,
date de la création
du premier numéro
de la RALM.
LETTRE(S) nº 42 - Revue éditée par l'ASSELAF
Navigation
[E-mail]
 Article publié le 14 novembre 2007.

oOo

LETTRE(S) nº 42
Editorial de Philippe de SAINT ROBERT
Revue éditée par l’ASSELAF

Nos lecteurs, parfois, se lassent de nos plaintes, de nos révoltes ; leur lassitude rejoint la nôtre. Tentons d’aborder un autre registre. Si la défense d’une langue comme la nôtre doit s’illustrer notamment dans son rôle international, tant soit peu noyé dans une utopique francophonie, il n’en est pas moins vrai qu’une grande langue ne se maintient que parce qu’elle donne dans les différents domaines de la culture – littéraire au premier chef, philosophique, sociologique, scientifique.

Lettre(s) nº 42

Nous ne reviendrons pas sur la démission organisée et contente d’elle-même d’une partie de la « communauté scientifique », ni sur les discours abscons ou frivoles de certains philosophes, autoproclamés « nouveaux »depuis qu’ils se prennent pour d’éminents acteurs politiques, ou de sociologues qui prétendent ériger en scienceleurs « observations » médiatiquement systématisées et enseignées ; tous ont joué ou jouent leur rôle dans la détérioration du langage, à force de détourner le sens des mots, au point qu’ils n’ont plus le même sens pour tous, ou afin qu’ils ne l’aient plus.

Abonnement

Nous nous efforçons ici, depuis quelques numéros, de rendre hommage aux écrivains qui, selon nous, illustrent la langue française, en légitiment l’usage et en étendent l’influence. Nous avons évoqué, comme éminent « serviteur de la langue », dans un précédent numéro (n°41), Francis Ponge, dont le Pour un Malherbe(1) est à cet égard un chef d’œuvre. Je voudrais, pour vous inciter à revisiter les beautés de notre langue, vous recommander, si vous êtes parisien ou de passage, de vous rendre à un petit théâtre des Grands Boulevards, le Théâtre du Nord-Ouest(2), dirigé par Jean-Luc Jeener, lui-même auteur et acteur, où vous pourrez, jusqu’au 31 décembre prochain, voir en alternance ou en lectures, l’intégrale de l’œuvre dramatique d’Henry de Montherlant.

De lui, on pourrait dire ce que lui-même nous confie dans La Marée du Soir(3) au sujet de Chateaubriand : « Chateaubriand écrit de Rome (à peu près) : Quelle ville pour y mourir ! Je dirais : c’est avec Chateaubriand qu’il faut mourir. Les yeux fixés tantôt sur nos Éros funèbres, qui nous rappellent que nos plaisirs, et plus encore ceux que nous donnâmes, ont été notre seule justification d’avoir vécu. Et tantôt sur une page des Mémoires pour voir une dernière fois ce que c’est qu’écrire le français, qui a été dans les siècles la grande réussite de la France, et l’écrire comme personne d’autre ne l’a fait (23 décembre 1970). » Henry de Montherlant.

Ce qui a été « la grande réussite de la France » le fut encore, au XXe siècle, pour nombre d’écrivains qui, bien que disparus, nous restent intellectuellement contemporains – Gide, bien sûr (avec un peu d’afféterie), Mauriac, Malraux, tant d’autres, mais où Montherlant figure en gloire comme vous pourrez vous en rendre compte en fréquentant quelques-unes de ces pièces données dans l’intégrale du Théâtre du Nord-Ouest (je vous préviens que ce n’est pas un théâtre de luxe, qu’on y est mal assis, mais c’est très bien comme cela : Montherlant est un auteur pour tous).

En France, on aime beaucoup parler du« style », même lorsqu’on croit prodigieux de s’en servir pour « détruire la langue française » et se rendre intéressant. Rémy de Gourmont écrivait naguère, dans La Culture des idées(4) : « Déprécier l’écriture, c’est une précaution que prennent de temps en temps les écrivains nuls ; ils la croient bonne ; elle est le signe de leur médiocrité et l’aveu d’une tristesse. […] Le mépris du style et l’hypocrisie des mœurs sont des vices anglicans (sic) ». Gourmont ajoute : « Le style se constate ; en étudier le mécanisme est inutile au point où l’inutile devient dangereux ; ce que l’on peut recomposer avec les produits de la distillation d’un style ressemble au style comme une rose en papier parfumé ressemble à la rose. »

Ce chapitre de Gourmont, intitulé « Du style et de l’écriture », devrait être relu et médité par tous les apprentis écrivains qui se figurent qu’un style se fabrique, même en agressant ses normes les plus élémentaires. Ce qu’il y a d’admirable chez Montherlant, c’est que le style y est naturel– contrairement à la rumeur répandue par quelques critiques qui croient que tout style« date » nécessairement. Montherlant a le style aussi naturel lorsqu’il se coule dans le français du XVIIesiècle avec Port-Royal, que lorsqu’il se laisse aller au style « parisien » dans son « théâtre en veston » ou dans certains de ses romans. Surtout, Montherlant a l’art, dans un même texte, des ruptures de style qui mettent en valeur ce que l’on a de plus sérieux ou de plus fort à dire.

On a beaucoup trop parlé – Gabriel Marcel, entre autres – en ce qui regarde le théâtre de Montherlant, d’un « théâtre de la grandeur ». Ce que, au contraire, il a toujours voulu montrer, c’est ce qu’il y a de grandeur en des êtres faibles, et c’est tout différent. L’œuvre de Montherlant est le long dialogue d’un homme avec sa propre faiblesse, avec sa limite érigée en témoignage.

Mais Montherlant, s’il fut un douloureux, s’est tout de même bien amusé : c’est pourquoi tant d’humour et d’ironie parcourent son écriture. De longue date, comme son cardinal d’Espagne, il avait mis un mannequin à sa fenêtre, qu’il se réjouissait de voir cribler à sa place, c’est-à-dire à la place de l’homme qu’il était vraiment. Mais, bien sûr, derrière ces doubles persiennes qui faisaient écran aux bruits incessants du quai Voltaire, il faut bien qu’il ait souffert de ce jeu qu’il menait demain de maître avec le monde, pour en avoir tiré une œuvre aussi dense, aussi tendue certes, en ce style tantôt somptueux, tantôt familier, qui était la seule réponse possible à la dépossession finale.

 

Philipe de SAINT ROBERT.

Montherlant le séparé – Flammarion.


(1) Éd.Gallimard, 1972.
(2) 13, Faubourg-Montmartre.
(3) Éd.Gallimard, 1965.
(4) Éd. Mercure de France, 1964.

 

Un commentaire, une critique...?
modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides. Servez-vous de la barre d'outils ci-dessous pour la mise en forme.

Ajouter un document

Retour à la RALM Revue d'Art et de Littérature, Musique - Espaces d'auteurs [Contact e-mail]
2004/2024 Revue d'art et de littérature, musique

publiée par Patrick Cintas - pcintas@ral-m.com - 06 62 37 88 76

Copyrights: - Le site: © Patrick CINTAS (webmaster). - Textes, images, musiques: © Les auteurs

 

- Dépôt légal: ISSN 2274-0457 -

- Hébergement: infomaniak.ch -