Ce qui domine dans mes écrits, bien souvent, c’est la netteté d’une impression achevée.
C’est bien cette impression qui peut être qualifiée d’abstraite, dans quelque genre que ce soit, et surtout la nouvelle, le plus ancien dans ma pratique.
Cette abstration narrative ne fait que s’accentuer à mesure que progresse mon oeuvre, et sa concomitance avec l’évolution du style doit être présente à l’esprit du lecteur ou du critique.
Se dégagent ainsi, me semble-t-il, deux axes dans l’élaboration de mes narrations : le travail incessant de la langue ou l’évolution du style, l’accentuation de l’abstraction.
Si cette dernière est présente dès mes premiers livres, ainsi que dans mon espace d’auteur, sa double particularité est de s’étendre et de muter. Dans " Une fresque particulière " ( 2010, Chasseur Abstrait ) par exemple, la nouvelle " Délavé " narre le déroulement d’une averse dans un cadre urbain, de sa formation à son achèvement, provoquant en quelque sorte une reconfiguration de la ville en question qui a vu toutes ses matières - bitume, pierre, tôles, plexiglas ... - vivrent pleinement l’espace d’un instant. Car la matière peut devenir vivante, sous l’action de la nature et de la conscience narrative, cette dernière décrivant ce qui se produit, en l’occurrence dans l’instant.
" Le Train " ( 2010 ) et " Le Livre " ( 2011 ) ont été écrits trois et quatre ans après " Délavé " ( 2007 ) . L’abstraction s’en trouve accrue. Le train est une matière mobile et esthétique à l’intérieur de laquelle il s’est passé un certain nombre d’événements racontés par une conscience narrative à la fois extérieure et intérieure à la machine ; le livre narre l’élaboration d’un ouvrage de littérature, de son écriture à sa fabrication, de sa matérialité à son destin, celui de faire partie d’un tout, soit de l’univers. C’est un big-bang narratif, une définition matérielle et immatérielle de la narration.
Comme je l’ai dit récemment dans ma nouvelle " 800 " , j’écris par ailleurs des nouvelles sans titre. Ces narrations débutent une nouvelle phase de l’abstraction, contenant en elles une captation des impressions, des sensations, des spéculations beaucoup plus rapide. Je peux donc avancer que ces nouvelles abstraites, avec ou sans titre, connaissent une forte accélération de leur mise en forme.
Les fragments que je rassemble sont de plus en plus en épars, hétéroclites, et l’unité que je crée est donc plus abstraite que jamais.
L’analogie que j’évoquais avec les grands peintres abstraits peut sans doute aider le lecteur à aborder ma littérature. Mon point commun avec ces maîtres me paraît évident : un gain de subjectivité dans la discipline. Si l’on ne reconnaît rien dans certains tableaux de Mondrian, c’est parce que le peintre s’est totalement jeté dans sa toile. Il y a mis son âme, sa foi, son histoire. Par un étrange effet de boomerang, le tableau devient donc réel. Lorsque j’écris une nouvelle, je m’engage entièrement dans ce que je fais, et je parle beaucoup de moi. Comme le faisait Robbe-Grillet : " Je ne parle jamais d’autre chose que de moi " ( " Le miroir qui revient " p. 10, 1985 ) .
Ma singularité s’arrête ou commence mon commun avec les autres. Ainsi, le lecteur peut trouver des éléments qui résonneront en lui puisque, avant tout, je suis comme les autres. S’il refuse d’entrer dans mon abstraction, c’est parce qu’il ne s’est pas délesté de ses habituelles lectures. C’est aussi parce qu’il ne considère pas la littérature en terme d’évolution. Et qu’il manque, ainsi, de curiosité.
L’absence d’histoire n’a jamais été un hasard dans ma littérature. Si j’écris, c’est pour savoir ce que je fais, là, ici, maintenant, élaborant alors des architectures formelles qui se confondent avec la philosophie ... puisque " écrire, c’est apprendre à mourir " .