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Du concept de chef-d'œuvre
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 Article publié le 21 juin 2020.

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Les auteurs sont en partie fabriqués par les auteurs antérieurs.
Les livres marquants sont des compagnons de route, ad vitam aeternam. Des joyaux stellaires qui surgissent dans la mémoire, se transformant en elle, en appellant, parfois, à la relecture soudaine et partielle.
Vladimir Nabokov aimait à dire à ses jeunes étudiants américains que la marque reconnaissable du chef-d’oeuvre sur le métabolisme, c’est la décharge électrique que l’on reçoit dans la moëlle épinière. Les impacts physiques et psychiques peuvent être très variés.
Reconnaître un grand livre, c’est sans doute en avoir lu un certain nombre.
Jusqu’à ce que la déflagration s’opère. Et de manière inattendue, la plupart du temps. La satisfaction de l’envie et du besoin est à son comble. Puis, demeure l’héritage. Irremplaçable.
Imaginer quelques paramètres indispensables à la reconnaissance d’un chef-d’oeuvre me paraît possible : style singulier ou grand style, architecture narrative originale, homogénéité entre le fond et la forme, innovation du sens ou de l’impression, interprétation inachevée et inachevable.
Tel un animal sauvage que l’on serait parvenu à domestiquer, le livre en question continue de nous échapper tout en nous accompagnant. L’attribut " chef-d’oeuvre " est aussi lié à la puissance du souvenir. Puissance intacte. Puissance toujours agissante.
" Lolita " se rapproche du chef-d’oeuvre, ouvrage moraliste dans toute la polysémie du substantif, politique également puisqu’il touche l’Amérique en plein coeur. Et les scènes sensuelles sont d’une grande beauté, recelant le prisme psychique de chacun dans un jeu de miroirs qui brise les conventions. Il comporte néanmoins certaines longueurs, toujours imputables à la broderie inutile de l’auteur, autrement dit sa coquetterie narrative.
" Voyage au bout de la nuit " est un chef-d’oeuvre : rien ne dépasse tant dans la forme que dans le fond. Une odyssée moderne qui embarque avec elle la langue française pour la conduire à se redécouvrir et se régénérer. L’argot, le familier, le courant, le classique ... la musique célinienne est là, en permanence, à l’image d’une symphonie de Beethoven. Chef-d’oeuvre linguistique et politique.
" Les liaisons dangereuses " est aussi un chef-d’oeuvre : orginalité du genre, style scintillant toujours sur les cimes, paroxysme de l’émotion, leçon de vie, anticipation politique. Un hommage sans égal à la quintessence de la langue française.
Et les personnages des liaisons sont tous traversés par l’épée de Laclos qui agit tel un scanner, ils sont tous le reflet de Laclos lui-même.
L’interprétation des liaisons est toujours en cours, bientôt deux siècles et demi après leur échafaudage, et l’épaisseur de leurs personnages reste intacte, à l’instar des statues antiques.
La puissance du style qui se mue en orfèvrerie, alliée à la conviction de la narration, voilà ce qui fait des liaisons un totem littéraire.
" Souvenirs du triangle d’or " est un autre type de chef-d’oeuvre : maturité stylistique avec le basculement vers les romanesques, précision et amplitude de la description, somptuosité obsessionnelle, art de la récurrence et de la reprise, incipit et excipit remarquables, entrée et sortie inspirées.
De la sorte, le chef-d’oeuvre génère une haute considération, un respect bien plus important que la dimension affective. Oui, l’impact du livre est étranger à l’affect, devenant ainsi synonyme de dimension transcendantale. Dimension : le terme ou concept est lâché. Le chef-d’oeuvre est loin dans l’espace et le temps, constituant une sphère autonome, galactique. Une dimension sans cesse présente dans la vie du lecteur et de l’auteur, les deux se confondant parfois. C’est donc une leçon que nous donne le chef-d’oeuvre, quelque chose de net, définitif de par son inscription matérielle, quelque chose de mobile de par son interprétation en cours.
Le chef-d’oeuvre littéraire est un accès à la métaphysique.
Au départ révolutionnaire, initialement subversif, il devient souvent un classique, conservant toute la puissance de son charme qui ne s’érode pas mais se modifie avec le temps.
En attendant l’érection de nouveaux chefs-d’oeuvre ...

 

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