Bien sûr, amie, je ne puis t’aimer que comme l’étranger que je suis, étranger à tes mélopées, tes gammes, tes rythmes et tes instruments hérités dont j’ignore à peu près tout.

C’est que je n’ai pas baigné comme toi dans tes modes et tes ambiances depuis ma plus tendre enfance et je n’ai aucune espèce de connaissances susceptibles de me faciliter l’accès non pas à ce que tu es te déployant dans l’espace de mon écoute mais à ce que tu représentes pour ceux et celles qui te connaissent depuis toujours.

Je t’écoute depuis l’autre rive.

Et quand bien même tu jouerais du piano ou de la guitare, du saxophone ou du xylophone, ta langue chantée-parlée que je maîtrise mal conserve tant de mystères pour moi que j’en suis réduit à les aimer, ces zones d’ombre qui n’existent pas pour ceux qui te comprennent immédiatement, ombres mouvantes qui ne déchirent pas la mélodie des mots, laissent plutôt le champ libre aux inflexions de ta voix qui plane dans mon oreille.

Un monde s’y insinue, y prend ses aises et plane au-dessus des eaux.

Comment devenir un monde ? En t’écoutant des heures et des heures. Passent en moi tes inflexions et tes silences, tes blocs de rythmes et tes syncopes et les timbres chatoyants des instruments que tu affectionnes.

Jean-Michel Guyot

10 août 2020