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Le poseur de mots
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 Article publié le 29 novembre 2020.

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Est poète celui auquel la difficulté inhérente à son art, donne des idées - et ne l’est pas celui auquel elle les enlève- (Valéry)

 

Chaque vers, chaque mot court à lévénement (Boileau)

 

 

 

 

La mère est morte, nous n’aurons plus de vinaigre…

Tout ce que je dis, m’man, mon âne le redit !

Dimanche, il pleuvra, mé, s’il a plu vendredi ?

J’entends les carnassiers, leurs tromblons, leur charnaigre1,

Taïaut ! Taïaut ! Je suis un troubadour maudit.

 

Vous ne savez plus à quelle sauce me mettre,

 Mais qu’est-ce, les anciens, mais qu’est-ce qu’être vieux ?

C’est un fait, je ne fais presque plus d’envieux.

Ai-je encore de quoi dévaler dans mes mètres

Avant de balocher sur les bords oblivieux ?

Que de batte-lessive et de fées des fabriques,

Que de fées ont donné le branle à mon berceau,

Que de fées du pavé, que de fées des ruisseaux,

Que de fées en fureur, que de fées félibriques,

Jusqu’à ce que je pousse un espiègle cerceau !

 

Je fends par le milieu les fruits de mes maraudes.

Où étais-tu ? Grand-mère est morte… Ah ! - Oh ?2 Petan !

Pourvu que tes souliers aillent jusqu’au printemps.

Je tresse dans les champs des carcans d’émeraudes.

Choisis un vrai métier… Et puis j’ai eu vingt ans.

 

Le comte de Sandwich s’en est payé des tranches

De jambon entre deux tranches de pain beurré.

Le comte de Sandwich, joueur invétéré,

S’est donné les moyens d’avoir ses coudées franches.

Ses adversaires sont pour le moins écoeurés.

 

Nous payer un quignon, un lopin de merluche ?

Nous n’avons plus de quoi nous abreuver le mors.

On ne prête plus aux pauvres. Crédit est mort !

Mort, mort et enterré, mort, mort, mort, mort aux pluches

De ma côte d’Azur à vos côtes d’Armor.

 

 

 

Je n’ai plus une pièce au fond de ma profonde ;

J’ai la voix pour écrire et la main pour chanter.

Ne me le faites pas mille fois répéter :

Mes mains sont des creusets où les picaillons fondent.

Dans le fossé, qu’aurai-je encore à relater ?

 

Je tonne sur les choux et sur les betteraves

Et je traîne en longueur, en peine et en aigreur,

Ma soif n’est que la soif, la soif d’un discoureur.

Nous avons tous nos jougs, nos fers et nos entraves.

Écrire, c’est se plaire à dire des horreurs. 

 

Notre Respublica n’est plus propre sous elle ;

Je l’ai toujours connue dans les grandes douleurs.

Du bleu, du blanc, du rouge ? Envoyez les couleurs !

Vous me voulez rogner les griffes et les ailes,

Sachez que j’ai de mon côté les rigoleurs.

 

Écrire, c’est souvent se mettre en quarantaine

Et ne jurer que par la plume et l’encrier ;

Écrire, c’est mourir de soif sous un poirier, 

Auprès d’une aiguade ou d’une Samaritaine,

Ne plus avoir le goût du vin de l’étrier.

 

 

 

Quand mourrai-je de soif auprès d’une barrique,

D’une dive Bacbuc, d’une source, d’un puits ?

Je ne vois que de la misère sur l’appui

Des fenêtres… Je suis saoul comme la bourrique

À Robespierre. Vous m’enguirlandez, et puis ?

 

Écrire, c’est aller au bout d’une aventure,

Au bout de sa raison, au bout de ses courroux,

De son rouleau, de son chant, au bord de son trou.

J’irai le pas pesant et sans littérature…

Des haltes, des sommeils, des morts ni peu ni prou.

 

C’est faire bombance aux noces aldobrandines,

 À celles de Gamache, à celles de Cana, 

Le temple de Mémoire est plein de sabrenas3.

Où suis-je ? Des cyprès, des tombes… Qui dort dîne !

Le ceste des vénus n’a plus de cadenas.

 

Je reprends de la plume et du poil de mes bêtes,

Je tiens à ta peau, ma vie de chien sans collier, 

Avec ses jeux, ses tours, ses fautes d’écolier.

Je ne suis pas du genre à faire des courbettes

Ni à magnifier vos combats singuliers.

 

Ceux-là sont du style à entonner la trompette, 

À saluer, le cul entrouvert, le drapeau,

À voiler les tambours, à crever dans leur peau,

À prendre au moindre bruit la poudre d’escopette,

À téter la clairette et le vin de copeau.

 

Allez avec vos dieux boire à l’amère tasse

Comme les pèlerins de la baie Saint-Michel,

Comme aux Saintes-Maries vont les romanichels.

J’ai lu que Montaigne a rendu visite au Tasse.

Garçon, un quotidien et une bière Achel !

 

Ne faut-il pas que la gueule du juge en pète ?

Du juge, des témoins, des avocats véreux ?

De quoi vous plaignez-vous ? Estimez-vous heureux !

Que de loupes, de loups, de tours, d’entourloupettes !

N’oubliez pas, malfrats, que nous sommes nombreux !

 

Ceux-là me traitent comme une vieille gazette,

Comme un canard rimé, comme un bavard baveux,

Plein d’avis, plein d’avé, plein de vin, plein d’aveux,

Plein de palabres, plein de vent, plein de causettes…

Votre Dab ne fait pas de bibi ce qu’il veut !

 

 

Des villes, des quartiers, des ponts, des quais, des places,

Des rues, des boulevards, des chants, des cris couverts,

Je tire mon areau4 dans ces livres ouverts.

Les pommes d’amour, la barbe à papa, les glaces,

Un panier à salade, un sabot de Denver…

 

J’ai parcouru la boule à tâtons dans mes livres.

Que de coupants signets, que de lâches fermaux.

Mes croquenots à clous raient l’éclat des émaux.

Et ces morceaux farcis revendus à la livre !

J’ai parfois pour mes nuits, un village, un hameau.

 

J’aurai guitaré pour les pots de marjolaine,

De roses, de misère et de pélargoniums.

On donne aux fers rouillés, la couche de minium.

Maintenant, du soleil des loups, la pansélène5,

M’en soucierai-je autant que de mon méconium ?

 

Gare l’eau, trovator, en bas de la fenêtre !

Nous n’avons plus chez nous de fille à marier,

De parents à nourrir, ni de saints à prier ;

Nous n’avons même plus un héritier à naître.

Allez sérénader ailleurs, ménétrier !

 

 

Pour compter mes moutons, mes brebis et mes cabres,

Je reviens pour claquer dans ma peau de pastour,

Pour revoir du pays de ma plus haute tour

Et pour prendre et reprendre une file macabre.

Écrire, c’est, pour rien, faire de grands détours.

 

Je défonce ma porte et ma fenêtre ouvertes.

Je ne branle, m’amour, non plus que le Pont-Neuf,

J’ai ma règle de trois et ma preuve par neuf.

Je sais comme un Colomb être à la découverte,

Mais je ne suis plus bon qu’à cabosser un œuf.

 

Dignes de délacer mes godillots, vous l’êtes,

Votre armée fait du vent avec un éventail

Et dans ma chènevière, effraie l’épouvantail.

Vous dites : Tant qu’il y aura de la violette …

Écrire, c’est cela : entrer dans les détails.

 

Quand sonne le clocher, ceux-là demandent l’heure,

Ceux-là me jettent la pierre et cachent leur bras,

Les mêmes m’ont jeté aux jambes chats et rats.

Tous me rient vendredi et dimanche me pleurent,

D’autres nous veulent, ma bête et moi, tondre ras.

 

 

Au lieu de croire tout ce que l’on vous raconte

Et de prendre, béats, tout pour pognon comptant,

Ramassez-vous en vous, perdez un peu de temps,

Allez-y voir, je suis au pair dans tous mes comptes,

Vous ne supportez pas que je clamse content.

 

Je reviens, sur mes pas d’encre noire à ma page,

À ma plume, à ma voix, batailler sur mon chant.

Sur ma porte est écrit : Attention, chiens méchants !

C’est marre, où êtes-vous, mes anciens équipages ?

Le grand dail a passé sous les fleurs de mes champs.

 

Les souliers éculés et les nippes jaunâtres,

Un satou, sur l’esquine, un sac d’os et de nœuds,

Je m’en reviens de loin, sur des chemins peineux.

L’hiver ramène l’homme à sa femme, à son âtre,

À sa table, à sa couche, à ses habits laineux.

 

Le nez dans le guidon, au pays de Cocagne,

Je me rendais à cycle où tout croît, embellit.

J’y trouvais l’amour fou, le couvert, des châlits

Et des os à ronger pour ma grogneuse cagne.

Je pédale en danseuse… Où suis-je donc ? Je lis.

 

 

 Je me bouche les yeux, le nez et les oreilles,

Je ne vous entends plus, ne vous sens, ne vous vois,

Tout comme si j’étais sous un tas de gravois.

Comment peut-on penser une chose pareille ?

Que ne ferai-je pas pour broder un envoi ?

 

Avant qu’un importun nous coupe la parole…

Pour en revenir à ce que nous nous disions…

Encore un fat qui n’a pas perdu l’occasion

De se taire malgré toutes ses casseroles.

Ce désir de toujours vouloir faire illusions.

 

L’occasion, on le sait, se fait toujours attendre

- Chauve par derrière et chevelue par devant -,

L’imprévisible échappe à nos calculs savants.

Je l’aurai au tournant, sans courir. Le prétendre

Serait présomptueux et même décevant.

 

Et cette tête d’ail qui donne à pleines voiles

Dans une croyance, un parti, une opinion…

Encore partant pour toute sortes d’unions,

Avec un front d’airain fourré dans les étoiles.

Il n’a plus qu’à survivre entre deux réunions.

 

 

Je suis décrié comme une fausse monnaie

Et comme une mauvaise herbe de la Saint-Jean ;

Je ne m’arrête plus aux racontars des gens,

Des bruts giboyeurs qui battent les buissonnais

Et lorgnent d’un sale œil mon temps et mon argent.

 

Remontons sans tarder le courant de l’histoire.

Commençons par la fin, ensuite nous verrons,

Puisqu’en bas et en haut, plus rien ne tourne rond.

J’enfourche mon Pégase, une vieille pétoire

Avec en amazone un farouche tendron.

 

Hérite ! Attrape ! Tiens, prends ça dans les gencives

- Des pavetons, des poings, des fusils, des canons,

Des galets, des paquets de mer, des alganons

Et des barbelés pour étendre tes lessives.

Ne choquons plus nos glass pour un oui, pour un non.

 

Je ne suis pas de ceux qui laisseront des dettes,

Ni la fortune à la veuve et aux héritiers.

Je vais au bout de mes bonshommes de sentiers.

Et toi, vieille branche, as-tu une sœur cadette

Qui consacre son cœur et son cul au métier ?

 

 

Je vous revois causant autour de la fontaine.

En nous gênant un peu, on pourrait tous s’asseoir

Sur la margelle pour prendre le frais du soir.

J’avais dans mes carnets des princesses lointaines.

Sirventes, madrigaux sont pleins de reposoirs.

 

Han, han, han, je suis en eau, han, han, han, j’ahane.

J’aggrave chaque jour un peu plus mon fardeau ;

On me casse du sucre et du grès sur le dos.

Hi-han, hi-han, hi-han, je peine comme un âne.

Gouailleurs, c’était mon tour de faire le bardot.

 

Du bon pain, du bon vin, un plat de résistance,

Des fruits et des biscuits… Garçonne, on est gâté.

Deux cafés ? Le temps s’est abeausit. C’est l’été.

Et si nous reprenions goût à notre existence ?

Pour le prix, ma muse, on a été bien traités.

 

Je suis reconnaissant envers ceux qui ne pensent

Qu’à me mettre à la pile, au verjus, au jus vert,

Qu’à tournebouler mon endroit et mon envers,

Qu’à me vriller le cœur, le regard et la panse.

Que n’endurai-je pas pour inspirer mes vers ?

 

 

Le mistral ici souffle encore que je sache,

Comme des cents de bœufs, des cents de forcenés.

Dans ce pays têtu, j’y suis né et rené,

Dans cette odeur de bleu que les femmes ensachent.

Au bout de ma saison, j’y serai retourné.

 

L’on mure ma fenêtre et l’on bâcle ma porte.

Rends ton trousseau de clefs, ramasse tes outils,

Ton gradus Parnassum, tes habits de coutil

Et tout ton Saint-frusquin. Que le Diantre t’emporte,

Ressasseur de couplets carrés et de quintils !

 

Je me déquille une ou deux boîtes de conserve,

Que chacun tire au moins son coup de pistolet,

J’ai toujours sur moi un schlass à cabriolet7.

Tous ses mousses tranchants, sans me vanter, me servent

Dans les bois, dans les champs, sur l’eau, sur les galets…

 

L’on dit : Selon le saint, l’encens et la chandelle.

Celui-là, de quels cieux, dame, vous est-il plu ?

Je suis au rang des saints que l’on ne chôme plus

Et des anges déchus qui n’ont que des bouts d’ailes.

Il n’y a guère, ici, que vous qui m’ayez lu.

 

 

Que m’importe pourquoi et comment on m’appelle,

Pourvu que l’on m’appelle à l’heure du dîner.

La terre peut rester un, deux jours sans tourner,

Je laisse au fond du trou mon piochon et ma pelle,

Ma salopette, ma perruque et mon faux nez.

 

J’use de moins en moins de ma vieille Égérie,

Nous faisons table, peautre et pot de chambre à part,

Et j’aposte des guets tout le long des remparts.

Ma troupe railleuse et promise à la tuerie,

Comme toujours, ignore être sur son départ.

 

Elle est belle à croquer, la frimousse du monde ;

Chez nous on meurt de trop manger, là-bas de faim.

Nos plaisirs, nos soucis, tirer le fin du fin.

Nous avons des grands crus derrière les émondes,

Des charrues, des chantiers, des puits, des vis sans fin…

 

D’un côté, le bon grain et de l’autre l’ivraie,

Ce serait trop facile et surtout ennuyeux

Ô ma progéniture, ô mes bruyants aïeux !

Deux vies, nous les avons, une fausse, une vraie.

C’est pourquoi le temps nous est plus ou moins précieux.

 

Parfois, on ne sait plus dans laquelle on s’entiche,

On s’emporte, on se bute, on revit, on se meurt,

Dans laquelle on ne fait plus cas de la rumeur.

On compte nos féaux, nos fées et nos fétiches,

Et l’on a plus ou moins ou plus du tout de mœurs.

 

Je ne renonce pas aux envies de mon âge,

Aux joies de mes petits boyaux, à mes hochets,

À la rengaine, à la chanson du ricochet…

Biens que promis à l’hyène8, au vautour des carnages,

Je virevousse sous de laborieux archets.

 

Du jour au lendemain, poète mémorable,

Je ne suis plus un saint de vos calendriers.

Ne vous retenez pas, claques, cliques, riez

Des pépins, des méchefs d’un patron secourable.

J’affronte vos périls sans me faire étrier.

 

N’en jetez plus, la cour du roi Pétaud est pleine,

Pleine à ras bord ; la mienne, aminches, l’est autant.

Je compte sur le grand ménage du printemps,

Sur vos bras, sur vos oh hisse, sur votre haleine

Pour jeter aux cagnards les marchands d’orviétan.

 

À quoi bon m’embrener dans une sombre affaire,

Le présent, le présent, les ressorts sont cassés.

Je me drape dans les pans noirs de mon passé,

C’est ce que la plupart d’entre-nous avoue faire.

Le futur ? D’y aller… Je ne suis pas pressé.

 

J’ai dormi d’une traite entre Paris et Nîmes,

J’ai traversé des temps et des lieux insensés,

Longeant des fleuves d’or, des remparts hérissés,

Des étangs fabuleux, des forêts longanimes…

Qui me reprochera d’être toujours pressé ?

 

Reprendrai-je aux beaux jours mon collier de misère,

Mon peson à ressort, ma chaîne d’arpenteur,

Ma marinette9, ma sonde, mon sécateur…

Je suis prince, estafier, égreneur de rosaires…

Le chariot de Thespis souvent me sacre acteur.

 

Il n’en reste pas la queue, ni le noyau d’une,

Sur ma part de gâteau - griotte, bigarreau,

Amarelle, ni guigne. On toque à mon carreau.

J’esquissais des oyats pour retenir ma dune.

Veux-tu que je te lise un conte de Perrault ?

 

 

Je vois ma mère, au cou son râtelier de nouilles.

Un dessin, quatre vers… Bonne fête, maman !

Promis, juré, craché, j’écrirai des romans !

Va, tu la reverras ta mare, ma grenouille !

M’man, j’aurai une muse, un chien et des tourments !

 

Je gamberge le long d’une sombre rivière,

Un caillou dans la bouche et mille ronds dans l’eau.

Je suis grand capitaine et simple matelot.

Arène, Sue, Prévert sont parmi mes bréviaires.

Un œil pleure, un œil rit, je marche à la Charlot.

 

Dans ce monde de fous, de guérisseurs, d’oracles,

Je heurte en maître à l’huis du temple de Cypris,

Aux fontaines Wallace, aux colonnes Morris…

Jamais un saint de mon pays n’a fait miracle.

J’accorde à Madelon mes bouquets à Iris.

 

Des machins, des engins, des trucs et des bidules,

Je n’en prends, ni n’en mets dans votre corbillon.

Je ne suis pas gonze à faire des carillons,

Un œuf de Nuremberg ni même une pendule,

À gesticuler comme un pitre aux portillons.

 

 

Si vous croyez me prendre en poids et en volume

Et me jeter comme un paquetage à la mer

Avec mon écritoire et mon fée dulcimer

Ou m’y couler avec, dans mon sac, une enclume,

Ce n’est pas compter sur les gens de mes amers.

 

Je ne suis plus bon qu’à mimer la girouette,

Perché comme un coquard, là-haut sur le clocher

D’un village à la chaux assis sur un rocher,

Plus bon qu’à taroler, qu’à pousser ma brouette,

Qu’à jouer le hotteur et le cupide archer.

 

On vend des christs de bois, de plâtre, d’ébonite,

Des christs en terre cuite et en papier mâché,

Des christs vermoulus, vert-de-grisés, ébréchés,

Un tas de chapelets, des chandelles bénites,

Des reliques, des saints suaires peluchés.

 

On vend des christs de plomb, d’onyx, d’ambre, d’argile,

De lapis-lazuli, de fer, de similor,

D’aventurine, d’os aux gueux et aux milords,

De la bonne parole aux gens de l’Évangile.

Des magnificats à matines ? Merde alors !

 

On vend des christs et des Maries de malachite,

De pinchebec, de grès, de jade, de corail,

D’ivoire, des prêcheurs et tout leur attirail.

En voiture ! En voiture ! Il faut que je vous quitte.

La Poésie tuera mes trois heures de rail.

 

Ils ont sucé le lait, goûté la bonbonnaille,

Joué aux osselets, soufflé dans l’olifant,

À dada, à coucou, pleurnicheurs et pouffants.

Électricité, flamme, eau, lanières, tenailles…

Tous ces assassineurs ont été des enfants.

 

La pétanque, les dés, le rami, la belote…

Cognac ! Fernet Branca ! Vermouth ! Mêlé-cassis !

Se lever le maffre10 et se casser le coccyx,

Pourquoi pas, tronche d’aï11, la course à l’échalote !

Treize, douze, onze, dix, neuf, huit, sept, et puis six.

 

Hier encor nous étions treize autour de la table,

Et là, nous nous comptons sur les doigts de la main.

Treize rostres salés, treize infernaux gamins,

Treize à joindre à l’envi l’utile au délectable

Treize vifs radoteurs, treize vieux parchemins.

 

 

Combien de calepins, de tomes nous voulûmes,

D’amphores d’encre pour nous conter nos antans ?

De poudre de buis… Cent barils ? Non, pas autant !

De flots de bile noire et de bouquets de plumes ?

De crampes, de salive avalée, mes aidants ?

 

La balle au bon joueur souvent n’est pas venue.

J’endosse ma guiterne et mon lourd canapsa.

Ai-je besoin d’avoir à entasser Ossa

Sur Pélion pour fourrer mon crâne dans les nues ?

Qu’en disent Marforio et Pasquin ? Chi lo sa ?

 

Et tout chante, les champs, les chantiers, les usines,

Les lavoirs, les jardins, les cours… Va, retourne où

Se tordent tous ces bras, se plient tous ces genoux.

Cousines, tantes, grand-mères, nièces, voisines…

Mais quand, fils prodigieux, reviendras-tu chez nous ?

 

Nous tirons après nous une chaîne traînante

Alourdie de boulets ; nous les forçats ferrés,

Nous nous défatiguons en fauchant le grand pré,

Las des cors et des cris, des fanfares sonnantes,

Des bruitages, des foins, des bastringues parés…

 

 

Le pauvre monde, vous, les autres… Rien ne change !

Je n’ai plus d’établi, j’ai offert mon étau,

Mes limes, mon rabot, ma râpe, mon marteau…

Je chemine à présent au bras de ma chiche ange

Qui veille à mon fric, à mon cycle, à mon manteau.

 

Au temps de sa jeunesse, elle offrait sa farine

Au lovelace en herbe, au chantre, à l’échanson…,

En plein en ménopause, elle monnaie son son.

Tout ensemble elle fut heaumière, fornarine,

Boucanière fidéle à la langue des sons.

 

Je sais apprendre la danse à des pieds rebelles,

À la volée, sonner les cloches du clergé

Et me brouiller avec les œufs de Fabergé.

Ni fat, ni étourdi, je m’en tire de belles,

Mais mes foucades m’ont à la longue étrangé.

 

Les petits pots de miel, les grands de confiture,

Il ne s’en faut de peu que les pots ne soient pleins…

Où étais-tu ? J’étais au four et au moulin.

Mère-grand, je rapporte un pain, de la mouture,

Une tonne de fruits… Personne ne s’est plaint ?

 

 

Tant que j’aurai un quart de lune dans la tête,

Le long d’un quai, verbeux qui n’est pas le plus bel

Endroit de mes récits, et entre des babels,

Je tracte les boulets du canon d’Epictète

Et les trois violons du canon de Pachelbel.

 

Avant de se haïr à mort, on se picote,

Au bord d’une mare ou à la carre d’un bois,

On se lèche, on se sent, on se croque, on se boit.

Ta madeleine, Proust, n’était qu’une biscotte ;

Nous sommes malgré tout tous tenus en aboi.

 

Ma vie ne vaut plus un teston fendu en quatre.

Le fusil, le rasoir, la corde, le boucon ?

Douze coups ont sonné, je quitte mon cocon…

Je coquerique comme un sénile cocâtre,

Sur la crête, les flancs, au bas de l’Hélicon.

 

J’ai toujours à résoudre un problème déliaque,

La lyre au dos, dans l’œil la règle et le compas,

Avec un chien galeux qui s’attache à mes pas.

Saint Mamert garde-moi de la passion iliaque !

Encore un jour peineux sans repos, sans repas.

 

 

J’ai retrouvé mon vieux cyprès encore en être,

Qu’étais-je reparti pour une éternité

User sur le trimard mes cothurnes cloutés

Et mes lourds brodequins ? Pays qui m’a vu naître,

Au diable, je ne t’ai jamais autant chanté.

 

Robert VITTON, 2020

 

 

Notes

 

1 - charnaigre  : chien lévrier qui force le gibier dans les ronces où il se retire.

2 - Ah ! – Oh ? : réponse vive à une observation, marquant un doute. Le o se prononce très ouvert.

3 - Sabrenas  : mauvais artisan.

4 - Areau, arrau ou ariau : charrue primitive, araire.

5 - Pansélène : pleine lune.

6 - Méconium : matière visqueuse accumulée dans les intestins du fœtus pendant la gestation, que l’enfant rend immédiatement après sa naissance.

7 - Schlass à cabriolet : couteau à plusieurs lames.

8 - Hyène : selon Littré, certains aspirent l’h, à tort.

9 - Marinette : ancien nom de la boussole.

10 - Se lever le maffre : se lever le cul, fournir un incroyable effort.

11 - Tronche d’aï : tête d’âne.

 

 

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