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Mésanges bleues
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 Article publié le 3 janvier 2021.

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C’est à peine, de nos jours, si l’on entend arriver les trains.

Quand j’étais enfant, un énorme panache de fumée signalait de loin l’arrivée du monstre de fer et de vapeur, et bientôt, et de plus en plus fort, l’air tremblait, rythmé-haché par les bielles, tandis que les roues grinçaient sur les rails sous l’effet des freins, et la bête empanachée s’immobilisait enfin, docile.

Les wagons relâchaient leur coulée de voyageurs aux yeux engourdis. A la démarche hésitante, presque hagarde de quelques-uns répondait la hâte tonique de quelques autres fermement décidés à passer les premiers les portes du hall de gare, emportés par l’élan irrépressible de leurs projets en cours.

Dehors l’air frais mais vicié de la ville aux premières heures du matin gifle les voyageurs encore étourdis. Il leur faut encore quelques pas pour se remettre les idées en place. Tous ajustent leur tête et leur imper en haussant les épaules. Ce matin, une pluie fine est au rendez-vous.

A eux la ville aux mille projets.

*

Une à une roulent les énigmes, énormes rouleaux de printemps accordés aux branchages alluviaux qui roulent dans les vagues mordantes.

Rafales de boue dans la houle nocturne, perceptible à l’oreille uniquement.

Au petit matin, sur la grève, aucune trace visible de cette déferlante, mais çà et là le sourire ambré de quelques pierres venues s’échouer dans les sables.

Toutes, flux sur reflux, s’y enfoncent légèrement, laissant apparaître une petite douve qui en auréole la présence.

Petites traînées d’écume constellée de bulles tracent une ligne éphémère dans le sillage de la vague qui se retire. Toutes éclatent bien vite sous le poids de ce que j’imagine être une mince couche de saumure, et tout recommence, indéfiniment.

L’œil fait le spectacle, mais c’est la plante des pieds déchaussés qui savoure pleinement la fraîcheur animée des lieux. Pas fermes et doux s’enfoncent légèrement dans le sable gorgé d’eau, remontent le long des jambes, irriguent la poitrine, inondent les yeux de fraîcheur vive.

*

Les gais lurons déchirent les ardoises.

D’un toit l’autre, le funambule décrit des lignes. Son petit parapluie arc-en-ciel dans la main droite agite l’air, tandis que ses pieds découvrent l’équilibre mouvementé qui sauve la mise. Le secret, c’est le mouvement perpétuel des bras, des jambes et de la colonne vertébrale commandés par un cerveau en alerte constante.

Il pleut à verse. Lauzes ou bardeaux lissent les toits moins qu’ardoises grises finement posées.

Une pie, n’y prenant garde, glisse sur le toit mouillé, volète aussitôt, se rétablit, bien décidée à ne pas s’envoler. Deux sages colombes assistent à la scène, l’œil vif et moqueur.

Et voici que la pie décolombine sur les tuiles grises.

Cette souillure n’affecte en rien nos deux colombes éprises de lumière sous cette pluie battante qui bien vite lave l’impeccable toiture.

Soleil revenu. La toiture mouillée a des reflets argentés.

Cette si vive impression de toujours mal faire sous l’œil agacé des dieux.

En zinc ou en cuivre, les toitures d’ici et de là-bas.

Backsteinrot und kupfergrün, die Gebäude, un plaisir des yeux en terres du Nord.

Le lupin des toits, arsenic et vieilles dentelles. Le crime rôde.

Le ciel bleu est un poison pris chaque jour à petite dose. Ainsi verdissent les toits verts de gris toujours égaux à eux-mêmes.

Pas de climax, mais une stase qui nargue le ciel. L’éternité, c’est lui, vacante.

*

Il a sauté à pieds joints dans la piscine. De toutes ses forces.

Seul problème, la piscine était vide.

Lui n’en retient que l’élan et le saut et sa joie, les médecins comptent les fractures, les réduisent au silence.

Il remarchera, mais pour combien de temps ?

 

Jean-Michel Guyot

31 décembre 2020

 

 

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