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Humanisme versus existentialisme
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 Article publié le 10 octobre 2021.

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 Jean-Paul Sartre avait asséné que « l’existentialisme est un humanisme ».

 

 Nous étions au cœur des grandes idéologies, et au sein d’un monde bipolaire dominé par les Américains et les Soviétiques.

 L’existence précède l’essence, telle était, schématiquement, la doctrine sartrienne, éloge de l’empirisme et, surtout, de la liberté.

 Deux grands auteurs s’opposent, me semble-t-il, dans la dialectique humanisme/existentialisme, éclairant toute une partie des enjeux de la littérature moderne : Albert Camus et Alain Robbe-Grillet.

 J’ai maintes fois écrit sur l’un et l’autre, plus abondamment sur le second il est vrai, tant son œuvre est profonde de par sa puissance et sa singularité.

 En préambule, je tiens à nuancer mon propos concernant la dichotomie Camus/Robbe-Grillet, en mettant en exergue le passionnant triptyque « L’Etranger/Le Mythe de Sisyphe/Caligula  » du premier auteur qui, de mon point de vue, constitue l’essentiel de son œuvre. En effet, à ses débuts, l’écrivain emprunte une direction volontiers phénoménologique, incarnée par Meursault, dont la trajectoire est encore sujette à interprétation. Au-delà de ce que j’ai mentionné dans mon essai éponyme « L’Etranger  » ( essai n. 81 dans « Espace panoramique occidental » de la RAL’M ), Albert Camus ne devait se sentir ni Algérien, ni Pied-noir, d’où son triple sentiment d’être étranger au monde en incluant l’essentiel, celui de se sentir une solitude unique et singulière au sein d’un monde énigmatique, organisé en sociétés où les conventions et les institutions peuvent asservir les individus, de surcroît lorsqu’ils sont artistes ou penseurs.

 Dans ce roman fondateur, Meursault est un homme profondément sensoriel, ouvert au monde, non pas social mais organique. Sensuel.

 « La Peste  », tout au contraire, propose un schéma narratif clos où l’ensemble des personnages s’unissent pour combattre le mal. L’on sait tout sur l’humanisme. Et Camus d’emprunter une voix narrative classique, un schéma rassurant où le lecteur finit par tout comprendre. Quant à « La Chute », cette confession menée de main de maître dédouble l’auteur afin de demander pardon.

 Le lien entre Camus et Robbe-Grillet est particulier puisqu’il incarne le « passage de témoin », fait rarissime en France. Lorsque le Pape du Nouveau roman sort « Les Gommes » en 1953, Camus le lit avec passion et lui annonce qu’il invente la littérature de demain. Quel meilleur compliment pour celui qui est un admirateur de « L’Etranger » ? 

 Cet admirateur, il est vrai, prend rapidement une nouvelle voie. Oui, Robbe-Grillet écrit une nouvelle littérature qui, tout en ayant des points communs avec ce que l’on pourrait appeler la littérature introspective - citons Marcel Proust par exemple - , affirme une conviction nette, issue notamment des ruines de l’Europe et de sa volonté personnelle d’écrire au plus près de son cortex, à partir d’un alliage composite fait de fantasmes, de souvenirs, d’obsessions, de pans d’Histoire, hissant le fragment au plus haut afin de rechercher l’unité de soi.

 L’unité de soi... quête perpétuelle de tout grand écrivain.

 Tout au long de son œuvre, Robbe-Grillet garde le même cap : celui de la recherche. Et les multiples révolutions internes de ses cathédrales formelles aboutissent à des romans qui se ressemblent pendant une période, avant d’être dépassés par les suivants, l’unique voix narrative cédant la place à une polyphonie narrative, la conscience du narrateur étant toujours, au bout du compte, l’héroïne de la littérature.

 Transformer ses fantasmes en œuvres d’art tout en s’appuyant sur des contextes historiques distincts, voilà un condensé qui évoque l’oeuvre de Robbe-Grillet, mais un condensé insuffisant.

 Chacun de ses romans illustre la reprise de sa littérature. Tout est à refaire. Jusqu’aux Romanesques, soit l’invention d’une nouvelle autobiographie.

 Il est évident que l’auteur a toujours écrit avec l’esprit de recherche comme mantra, ne craignant pas d’aller toujours plus loin dans l’investigation de son « moi » ( « Je n’ai jamais parlé d’autre chose que de moi », « Le Miroir qui revient  », 1985 ).

 Accepter sa propre sexualité, assumer ses convictions, jouer sa vie, aimer profondément la littérature jusqu’à éviter tout autre engagement, voilà quelques axes centraux de la trajectoire robbe-grilletienne qui font de cet écrivain un marqueur incontournable de la seconde moitié du XXe siècle - et même au-delà - , volontiers parangon de la phénoménologie, l’un des derniers concepts de la philosophie moderne dont l’influence est toujours centrale.

 Ainsi, avec Robbe-Grillet, la phénoménologie est un existentialisme.

 

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