Une somme de nouveautés s’apprête à dévaler sur le lecteur juché au sommet du poème.

À la lecture, haut et bas font la culbute, s’inverse de mot en mot, comme si nous dévalions une pente, reclus volontaires que nous sommes dans un foudre, le temps d’un poème.

Il n’est pas rempli de clous à la mode romaine qui dévoya l’usage du tonneau gaulois mais tout de même ça secoue rudement nos cinq sens mis en éveil !

Arrivé tout en bas de la pente douce ou abrupte du poème, le lecteur enivré désire vibrer à nouveau à l’unisson du poème, une nouvelle descente en rappel cette fois peut s’opérer, paradoxale en diable puisqu’elle équivaut à une assomption de plus en plus nette du sens.

Les collines les plus douces se transforment en falaises abruptes aux innombrables aspérités. Rugosité du sens !

Nous voilà donc devenus des Sisyphe alpestres, d’abord embarqués dans un tonneau gaulois, puis rudes gaillards qui guerroient contre des parois abruptes descendues en rappel, et puis au fil des saisons arpenteurs verticaux qui s’appliquent voire s’acharnent à décrypter leurs moindres prises et le moindre de leurs pas, alors même qu’entre nous et le poème c’est une dynamique de tous les instants qui est à l’œuvre qu’il importe de vivre et non de saisir dans ses moindres détails, même si la tentation est grande de surprendre-suspendre le dynamisme intrinsèque d’une parole en s’attachant à scruter l’agencement des mots, à débusquer des lignes de faille propices à l’arrimage de quelques pitons.

Qui dit autoscopie dit dédoublement : on regarde et on se regarde regarder, toute lecture attentive liant intimement ces deux moments

Il ne s’agit pas de décomposer nos mouvements comme le fait une image cinématographique en vingt-quatre prises par seconde qui tournent au ralenti ni de découper des séquences pour en dégager une scénographie édifiante. 

La dynamique poétique n’est pas horizontale comme l’est fatalement le dynamisme propre au cinéma.

Dynamisme horizontal du cinéma : retours en arrière, flash-backs, intrication de scènes qui peuvent renvoyer à des moments différents d’une expérience vécue, commencer par la fin et remonter le temps, utiliser une voix off qui commente les séquences au fur et à mesure qu’elles se déroulent ou bien qui est omnisciente comme le regard d’un dieu qui aurait été témoin de toutes les scènes et qui les narre après-coup.

Dans le cinéma, avatar du genre épique, le Destin est en marche via une succession inexorable de scènes qui aboutissent à une fin plus ou moins heureuse ou malheureuse.

Ce à quoi la parole se destine, dans le lyrisme, est antérieur à toute narration épique comptable de faits et gestes héroïques ou divins.

La geste vécue dans le lyrisme est celle du langage même livré à soi-même qui s’expose au monde. Une tension s’y fait jour ; c’est elle que les poètes recherchent et trouvent au détour sur un grand boulevard ou bien au détour d’un chemin de campagne.

Pas un poète des villes ou des champs qui ne fût ou ne soit un marcheur invétéré.

Edifices invisibles, les poèmes témoignent d’une présence qui jette une ombre sur le monde plus grande que celle du poète qui en dessina la silhouette que d’aucuns se plairont plus tard à illustrer, colorier ou enluminer à leur guise.

Jean-Michel Guyot

24 juin 2022