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Article publié le 3 juillet 2022. oOo Il était tout chose ce matin Pas très chaud pour ouvrir les vannes de son bief Le moulin rutilait non loin Les eaux glacées du Lison pour seul miroir Et mes yeux en amande Mes yeux plissés qui me viennent de ma mère Qui lâchent la bride Galopent sur les eaux oublieuses
Steppes plus que lointaines Brun profond de milliers de regards superposés Elle a quatre ans, elle pose avec sa classe, Très sérieuse, regard pénétrant D’une enfant qui en sait déjà long sur le monde Les souffrances qu’il inflige La petite salve de bonheur qui se loge dans un mot gentil Une petite phrase pleine d’attention qu’on n’oubliera pas de sitôt La caresse du vent d’été
Eté 1932 Encore ignorants des catastrophes à venir tous autant que vous êtes Et puis ce long exil en terre de France occupée Dix ans plus tard Tu as quatorze ans et rien à manger Tes cheveux noir ébène deviennent filasse Eux qui furent si épais, si brillants Les voilà devenus une étoupe noirâtre
1945, le monde retombe sur ses pattes, mutilé, estropié, amputé Le monstre stalinien a pris ses marques Et grogne aux frontières nouvellement dessinées Et dire qu’il se trouve alors des poètes pour chanter Les louanges du petit père des peuples ! L’hydre nazi reste tapi dans l’ombre L’Oncle Sam, grand seigneur, fait la loi Pour le bien de tous La Perfide Albion panse ses plaies Les victuailles manquent toujours Ce n’est pas demain qu’on fera ripaille ! Les années de vache maigre passent Laminent les corps ouvriers Rien ne change Et me voilà au monde 1958 Le monde commence pour moi Qui ne sait encore rien de ce qui s’y trame Je ne vais pas tarder à déchanter Les années d’école pointent le bout de leur nez Tristesse, humiliation, rage
Le moulin a disparu Le Lison court toujours Les truites se sont faites rares Ciel, cerf blessé, panse ses blessures Dans mon regard
Jean-Michel Guyot 24 juin 2022
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