Retour à la RALM Revue d'Art et de Littérature, Musique - Espaces d'auteurs [Forum] [Contact e-mail]
  
Tournées et virées
Navigation
[E-mail]
 Article publié le 25 septembre 2022.

oOo

Une flûte à l’oignon, ma complainte falote,

Mes juvenilia qui chantent le terroir,

Mes contes violets, mon roman à tiroirs,

Ma ballade sans fin qu’en barque je sanglote

Parmi des cygnes noirs sur un terne miroir.

 

Qu’ont-ils les jardiniers à tant choyer la rose,

Je lui préfère à choix, la pivoine et l’iris.

Ils ne jurent que par les bouquets à Chloris,

La rime redondante et l’indigeste prose,

Les fesses, les tétons, le temple de Cypris.

 

La Camarde nous fauche à grandes andaillées,

Là, tout laisser en plan, l’homme ne s’y fait pas.

J’ai encore dans l’œil la règle et le compas,

Le bagou du pays et ma faconde aillée,

Bonne fourchette, bonne ouïe, bon toucher, bon pas…

 

La garce s’attache à mes pas d’encre de seiche,

Je barbouille mes ciels, noircis mes horizons,

Je rame et rime dans mon arrière-saison,

Je mordille les seins de mes nourrices sèches,

Je ne me lasse pas de perdre la raison.

 

Le poète a bon râble et surtout bonne échine,

On m’y casse de la cassonade à tout vent,

On m’y charge des croix, des poids morts éprouvants,

Je suis une pure, une ambulante machine,

Quant aux coups de satou, j’en esquive souvent.

 

Je suis dans un blockhaus enfoui dans une grève,

Je voudrais vous y voir dans le noir d’un tombeau,

Vous qui voyez tout en rose et bleu, tout en beau ;

Mon double le sais-tu ? Ce n’est qu’un mauvais rêve

Troué de goélands, de pétrels, de corbeaux…

 

J’ai été vendeur d’aulx, liftier, groom, cicérone,

Mousse de pont avec un seau et un faubert,

Trique-poux… Je ne l’ai pas volé mon aubert.

Hors de ma vue, de mon ouïe, Tresseur de couronnes,

Je pense à la patoche échaudée de Flaubert.

 

À force de sauter au-delà de mon ombre,

Je ne sais plus ce qui est vrai, ce qui est faux,

Que ne feriez-vous pas pour me prendre en défaut ?

Chacun d’entre nous est là pour faire le nombre,

Au Moulin rouge comme au moulin de Laffaux.

 

Je ne veux plus vous voir, vous et vos acolytes,

De face, de profil, de trois-quarts, ni de dos,

Ni vos vigies, ni vos meutes rongeuses d’os.

Je vous plante comme une armée de mégalithes

Avec vos encensoirs, vos croix et vos credo. 

 

Je ne veux plus savoir ce qu’on dit en coulisse

De mes rôles choisis avec légèreté :

Valet, mari marri, céladon dératé…

J’enfile des habits tous fourrés de malice

Et me peauce en avare, en bourgeois entêté…

 

Je buvarde mes pas comptés d’encre de Chine,

Indélébiles pas sonnants sur les pavés,

Caporaux accomplis, maquereaux achevés,

Marchands forains, biffins, antiquaires me chinent,

Quand j’affirme que tout doit être rerêvé.

 

Une pioche, une pelle à côté de ma tombe,

Je ne vois que des bras, des cœurs, des corps offerts ;

J’étais à cent lieues d’y croire dur comme fer

Et puis, soudainement, la vague et le vent tombent,

Tout finit dans le puits de l’abîme, l’enfer.

 

Je me remonte la mécanique au bastringue

Ma cavalière et moi, c’était l’ombre et le corps,

Malgré des musiciens bistournés et discords

Nous fringuions, nous tanguions, dépouillés de nos fringues

Et puis nous revenions de l’envers des décors.

 

À table, on se tordait comme des ceps de vigne,

Et puis, nous voilà sans présent, sans avenir,

 Sans avoir toutefois dans l’idée d’en finir.

Certes, je n’en suis pas encore au chant du cygne,

Mais mes plus beaux endroits sont dans mes souvenirs.

 

Mon vieux moulin, jadis, je ne poussais qu’un penne,

Aujourd’hui je m’enferme à double, à triple tour,

J’entends des bruits là-bas, des bruits ici autour,

Il est temps, sans regret, que je plaigne ma peine,

Que j’use mon bagou, et taise mes détours.

 

Alors pour alors, on verra à l’heure dite,

Au moment venu qui viendra toujours trop tôt.

Je laisserai mon luth, mon clou, mon paletot,

Ma cagne, mes ribouis, ma rémige maudite,

L’obole pour celui qui nous mène en bateau.

 

J’envoie paître ma troupe et toute la mégnie,

Qu’ont-elles ces gotons à gémir à mon huis

Revenez dans huit jours, revenez dans huit nuits,

Désolé, je suis en charmante compagnie,

Ma muse de passage énarre mes ennuis.

 

Jadis ils étaient pleins ses sacs de tiretaine,

Pleins de poudre de buis et de bois d’acajou.

Pour sécher mes pas d’encre elle vend ses bijoux

Elle gueuse son pain auprès d’une fontaine,

Mais tient de plus en plus à être mon joujou.

 

Et ces touche-à-tout qui sur mes brisées se vantent,

En passant par Marseille, à Rome tous y vont.

Si l’on marchande ici la pièce de savon,

Là-bas, on en double et triple le prix de vente,

Nous chalumeaux, souffleurs de bulles, le savons.

 

Vous, vous n’y pouvez rien, mais votre Dieu m’assiste !

Je prépare tout seul mon funèbre départ,

J’aurai dans le cortège un vieux frère frappart.

Dieu ! Dieu ? Encore un qui ne sait pas s’il existe !

On le croit partout, il est surtout nulle part

 

Sur mon pieu, je déroule une carte de Tendre,

Je reprends chez ma tante une bâche, un bidon,

Je pédale en dansant, le nez dans le guidon.

Que de coins d’herbe à l’ombre où s’asseoir, où s’étendre !

Je reçois sur l’estrade un fabuleux guerdon. 

 

Je me condamne au pain mouillé, à la brouette,

À la patenôtre, à la godille, au bûcher…

Je traîne mon frusquin de clocher en clocher,

Je tourne au gré des vents comme une girouette,

Je remonte au sommet du Parnasse un rocher.

 

Ce n’est pas en léchant les murs que je m’engraisse,

Je suis à la gamelle et au quart de fer blanc,

Mon garde de la manche à les pas lourds et lents ;

On se débouche des fillettes, des négresses,

On se frit des œufs et des filets de merlan.

 

De la Tour Eiffel ou du parvis Notre-Dame,

Je m’envole pour voir la Seine à vue d’oiseau,

Voir sa belle inconnue dormir entre deux eaux,

Voir ses quais et ses ponts dans tous leurs états d’âme,

Et je reviens à mes instruments à biseau.

 

Mon Pégase serait de moins en moins montable ?

Et alors ? Nous étions peut-être un peu plus prompts.

Jj’ai besoin d’une bride et de deux éperons,

Ma parnasside en croupe est encore sortable.

Le trot, la galopade et nous tournons en rond.

 

Sacs de pommes de pin et margotins d’émondes,

J’ai des foyers et des incendies à nourrir,

Ma plume à falbalas est encor à courir

Les lisières, les coins et les milieux du monde,

À courir pour me faire aimer, vivre et mourir.

 

Un tronc d’arbre, une meule, une gueuse, une enclume…

Je porte, savez-vous, une tonne au pesant,

Mais je plie sous le faix d’un ballot et des ans.

Une tonne de plomb, une tonne de plumes,

Je charge un cadavre ou deux, en chemin faisant.

 

Ces laies font les lacets jusqu’au haut du Parnasse,

Je prends ici et là de raides raccourcis,

J’y cueille du jasmin, des pensées, des soucis…

Dans quelques jours j’irai mettre à l’eau ma pinasse.

Ô mon île lointaine, enfin me revoici !

 

 

Robert VITTON, 2022


Notes

 

Andaillée : andain, étendue fauchée à chaque pas.

Faubert : lave-pont.

Aubert : argent.

Rémige : plume allongée, roide et forte de l’aile des oiseaux.

Mégnie ou ménie : gens du logis.

Guerdon : récompense.

 

 

Un commentaire, une critique...?
modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides. Servez-vous de la barre d'outils ci-dessous pour la mise en forme.

Ajouter un document

Retour à la RALM Revue d'Art et de Littérature, Musique - Espaces d'auteurs [Contact e-mail]
2004/2024 Revue d'art et de littérature, musique

publiée par Patrick Cintas - pcintas@ral-m.com - 06 62 37 88 76

Copyrights: - Le site: © Patrick CINTAS (webmaster). - Textes, images, musiques: © Les auteurs

 

- Dépôt légal: ISSN 2274-0457 -

- Hébergement: infomaniak.ch -